Mot-clefÉglise orthodoxe russe

le comte de Maistre, «Œuvres complètes. Tome II. Du pape»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Du pape» du comte Jo­seph de Maistre. Maistre est tou­jours resté en de­hors des grands hé­ri­tiers du XVIIIe siècle dont on re­com­mande l’étude aux gens culti­vés. On a parlé de lui ou pour le com­battre ou pour l’encenser. Et on a bien fait en un sens. Il mé­rite d’être com­battu en tant que pen­seur du ca­tho­li­cisme le plus obs­cu­ran­tiste, mais en­censé en tant que brillant cau­seur et gé­nie de la pro­vo­ca­tion. Le sys­tème de pen­sée de Maistre, comme la plu­part des faux sys­tèmes, peut se ré­su­mer en un mot : l’unité ab­so­lue. Cette unité ne peut être at­teinte par les hommes que si un pou­voir tout aussi ab­solu les réunit. Le re­pré­sen­tant de ce pou­voir, d’après Maistre, est le pape dans le do­maine spi­ri­tuel, le roi dans le do­maine tem­po­rel, qui lui donnent son ca­rac­tère su­prême, in­dé­fec­tible et sa­cré : «L’un et l’autre», dit-il 1, «ex­priment cette haute puis­sance qui les do­mine toutes… qui gou­verne et n’est pas gou­ver­née, qui juge et n’est pas ju­gée». Voilà l’autorité consti­tuée : au­to­rité re­li­gieuse d’une part, au­to­rité ci­vile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux aca­dé­mi­ciens et aux sa­vants; et à plus forte rai­son au bas peuple. L’anarchie me­nace dès que l’insolente cri­tique du pou­voir est pos­sible : «Il fau­drait avoir perdu l’esprit», s’exclame Maistre 2, «pour croire que Dieu ait chargé les aca­dé­mies de nous ap­prendre ce qu’Il est, et ce que nous Lui de­vons. Il ap­par­tient aux pré­lats, aux nobles… d’être les dé­po­si­taires et les gar­diens des vé­ri­tés conser­va­trices; d’apprendre aux na­tions… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre mo­ral et spi­ri­tuel. Les autres n’ont pas droit de rai­son­ner sur ces sortes de ma­tières!» Ce n’est pas à la masse po­pu­laire qu’il ap­par­tient de ré­flé­chir sur les prin­cipes obs­curs et in­faillibles aux­quels elle est sou­mise, car «il y a des choses qu’on dé­truit en les mon­trant» 3. L’autorité peut se pas­ser de science et d’obéissance éclai­rée. Maistre va beau­coup plus loin. Dans ses «Lettres sur l’Inquisition», il fait l’éloge d’une ins­ti­tu­tion ca­tho­lique qui a fait cou­ler des flots de sang. C’est à elle qu’il at­tri­bue le main­tien en Es­pagne de la foi et de la mo­nar­chie contre les­quelles est ve­nue s’user la puis­sance de Na­po­léon. Si la France avait eu le bon­heur de jouir de l’Inquisition, les dé­sastres de la Ré­vo­lu­tion fran­çaise au­raient pu être évi­tés. De là à croire que «les abus [du pou­voir] valent in­fi­ni­ment mieux que les ré­vo­lu­tions» 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le fran­chit! Il est si dé­rai­son­nable, si ré­ac­tion­naire qu’il semble avoir été in­venté pour nous aga­cer : «Il brave, il dé­fie, il in­vec­tive, il ir­rite… Il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au sup­plice… Que se­rait un au­tel en­touré de po­tences? Est-ce là de la théo­lo­gie?… N’est-ce pas, plu­tôt, une pro­vo­ca­tion à toute âme in­dé­pen­dante qui veut ado­rer et non trem­bler?», pro­tes­tera La­mar­tine dans son «Cours fa­mi­lier de lit­té­ra­ture».

  1. «Tome II», p. 2. Haut
  2. «Tome V», p. 108. Haut
  1. «Tome VII», p. 38. Haut
  2. «Mé­moires po­li­tiques et Cor­res­pon­dance di­plo­ma­tique». Haut

le comte de Maistre, «Œuvres complètes. Tome I. Considérations sur la France • Fragments sur la France • etc.»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Consi­dé­ra­tions sur la France» et autres œuvres du comte Jo­seph de Maistre. Maistre est tou­jours resté en de­hors des grands hé­ri­tiers du XVIIIe siècle dont on re­com­mande l’étude aux gens culti­vés. On a parlé de lui ou pour le com­battre ou pour l’encenser. Et on a bien fait en un sens. Il mé­rite d’être com­battu en tant que pen­seur du ca­tho­li­cisme le plus obs­cu­ran­tiste, mais en­censé en tant que brillant cau­seur et gé­nie de la pro­vo­ca­tion. Le sys­tème de pen­sée de Maistre, comme la plu­part des faux sys­tèmes, peut se ré­su­mer en un mot : l’unité ab­so­lue. Cette unité ne peut être at­teinte par les hommes que si un pou­voir tout aussi ab­solu les réunit. Le re­pré­sen­tant de ce pou­voir, d’après Maistre, est le pape dans le do­maine spi­ri­tuel, le roi dans le do­maine tem­po­rel, qui lui donnent son ca­rac­tère su­prême, in­dé­fec­tible et sa­cré : «L’un et l’autre», dit-il 1, «ex­priment cette haute puis­sance qui les do­mine toutes… qui gou­verne et n’est pas gou­ver­née, qui juge et n’est pas ju­gée». Voilà l’autorité consti­tuée : au­to­rité re­li­gieuse d’une part, au­to­rité ci­vile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux aca­dé­mi­ciens et aux sa­vants; et à plus forte rai­son au bas peuple. L’anarchie me­nace dès que l’insolente cri­tique du pou­voir est pos­sible : «Il fau­drait avoir perdu l’esprit», s’exclame Maistre 2, «pour croire que Dieu ait chargé les aca­dé­mies de nous ap­prendre ce qu’Il est, et ce que nous Lui de­vons. Il ap­par­tient aux pré­lats, aux nobles… d’être les dé­po­si­taires et les gar­diens des vé­ri­tés conser­va­trices; d’apprendre aux na­tions… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre mo­ral et spi­ri­tuel. Les autres n’ont pas droit de rai­son­ner sur ces sortes de ma­tières!» Ce n’est pas à la masse po­pu­laire qu’il ap­par­tient de ré­flé­chir sur les prin­cipes obs­curs et in­faillibles aux­quels elle est sou­mise, car «il y a des choses qu’on dé­truit en les mon­trant» 3. L’autorité peut se pas­ser de science et d’obéissance éclai­rée. Maistre va beau­coup plus loin. Dans ses «Lettres sur l’Inquisition», il fait l’éloge d’une ins­ti­tu­tion ca­tho­lique qui a fait cou­ler des flots de sang. C’est à elle qu’il at­tri­bue le main­tien en Es­pagne de la foi et de la mo­nar­chie contre les­quelles est ve­nue s’user la puis­sance de Na­po­léon. Si la France avait eu le bon­heur de jouir de l’Inquisition, les dé­sastres de la Ré­vo­lu­tion fran­çaise au­raient pu être évi­tés. De là à croire que «les abus [du pou­voir] valent in­fi­ni­ment mieux que les ré­vo­lu­tions» 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le fran­chit! Il est si dé­rai­son­nable, si ré­ac­tion­naire qu’il semble avoir été in­venté pour nous aga­cer : «Il brave, il dé­fie, il in­vec­tive, il ir­rite… Il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au sup­plice… Que se­rait un au­tel en­touré de po­tences? Est-ce là de la théo­lo­gie?… N’est-ce pas, plu­tôt, une pro­vo­ca­tion à toute âme in­dé­pen­dante qui veut ado­rer et non trem­bler?», pro­tes­tera La­mar­tine dans son «Cours fa­mi­lier de lit­té­ra­ture».

  1. «Tome II», p. 2. Haut
  2. «Tome V», p. 108. Haut
  1. «Tome VII», p. 38. Haut
  2. «Mé­moires po­li­tiques et Cor­res­pon­dance di­plo­ma­tique». Haut

Gogol, «Œuvres complètes»

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit des «Âmes mortes» («Miort­vyïé dou­chi» 1) et autres œuvres de Ni­co­las Go­gol 2. L’un des in­for­ma­teurs du vi­comte de Vogüé pour «Le Ro­man russe», un vieil homme de lettres 3, té­moi­gnant du fait que Go­gol était de­venu le mo­dèle de la prose, comme Pou­ch­kine — ce­lui de la poé­sie, avait dé­claré en fran­çais : «Nous sommes tous sor­tis du “Man­teau” de Go­gol» 4. Cette for­mule a bien plu. Elle a été en­suite tra­duite par plu­sieurs jour­naux russes, tant elle est de­ve­nue connue et «la chose de tous». On connaît moins Go­gol lui-même qui, à plu­sieurs égards, était un homme privé et mys­té­rieux. On peut le dire, il y avait en lui quelque chose du dé­mon. Un pou­voir sur­na­tu­rel fai­sait étin­ce­ler ses yeux; il sem­blait par mo­ments que l’irrationnel et l’effrayant le pé­né­traient de part en part et im­pri­maient sur ses œuvres une marque in­ef­fa­çable. Si, par la suite, la lit­té­ra­ture russe s’est si­gna­lée par une cer­taine exal­ta­tion dé­ré­glée, tour­men­tée, une cer­taine contra­dic­tion in­té­rieure, une psy­chose guet­tant constam­ment, ca­chée au tour­nant; si elle a même fa­vo­risé ce type de ca­rac­tères, elle a suivi en tout cela l’exemple de Go­gol. Cet au­teur mi-russe, mi-ukrai­nien avait une na­ture double et vi­vait dans un monde dé­dou­blé — le monde réel et le monde des rêves lou­foques, ter­ri­fiants. Et non seule­ment ces deux mondes pa­ral­lèles se ren­con­traient, mais en­core ils se contor­sion­naient et se confon­daient d’une fa­çon ex­tra­va­gante dans son es­prit dé­li­rant, «comme deux pi­liers, qui se re­flètent dans l’eau, se livrent aux contor­sions les plus folles quand les re­mous de l’onde s’y prêtent» 5. C’est «Le Nez» («Nos» 6), ana­gramme du «Rêve» («Son» 7), où ce gé­nie si par­ti­cu­lier de Go­gol s’est dé­ployé li­bre­ment pour la toute pre­mière fois. Que l’on pense au dé­but de la nou­velle : «À son im­mense stu­pé­fac­tion, il s’aperçut que la place que son nez de­vait oc­cu­per ne pré­sen­tait plus qu’une sur­face lisse! Tout alarmé, Ko­va­liov se fit ap­por­ter de l’eau et se frotta les yeux avec un es­suie-mains : le nez avait bel et bien dis­paru!» Voilà que toutes les fon­da­tions du réel va­cillent, mais le fonc­tion­naire go­go­lien est à peine conscient de ce qui lui ar­rive. Confronté à une ville ab­surde et fan­tas­ma­go­rique, un «Go­gol­grad» in­quié­tant, où le diable lui-même al­lume les lampes et éclaire les choses pour les mon­trer sous un as­pect illu­soire et trom­peur, ce pe­tit homme grugé, floué avance à tâ­tons dans la brume, en s’accrochant or­gueilleu­se­ment et pué­ri­le­ment à ses fonc­tions bu­reau­cra­tiques. «La ville a beau lui jouer les tours les plus pen­dables, le ber­ner ou le châ­trer mo­men­ta­né­ment, ce per­son­nage ca­mé­léo­nesque et in­si­gni­fiant ne re­nonce ja­mais à s’incruster, à s’enraciner, fût-ce dans l’inexistant. [Il] res­tera cha­touilleux sur son grade et ses pré­ro­ga­tives jusqu’à [sa] dis­so­lu­tion com­plète dans le non-être… In­changé, il ré­ap­pa­raî­tra chez un Kafka», dit très bien M. Georges Ni­vat.

  1. En russe «Мёртвые души». Par­fois trans­crit «Mjortwyje du­schi», «Mertwyja du­schi», «Mjortwye du­schi», «Mertwya du­schi», «Myort­vyye du­shi», «Miort­vyye du­shi», «Mjort­vye dusi», «Mert­vye duši», «Mèrt­vyia doû­chi», «Miort­via dou­chi», «Meurt­via dou­chi» ou «Mert­viia dou­chi». Haut
  2. En russe Николай Гоголь. Par­fois trans­crit Ni­ko­laj Go­gol, Ni­ko­laï Go­gol ou Ni­co­laï Go­gol. Haut
  3. Sans doute Dmi­tri Gri­go­ro­vitch, comme une re­marque à la page 208 du «Ro­man russe» le laisse pen­ser : «M. Gri­go­ro­vitch, qui tient une place ho­no­rée dans les lettres…, m’a confirmé cette anec­dote». Haut
  4. «Le Ro­man russe», p. 96. Haut
  1. Na­bo­kov, «Ni­ko­laï Go­gol». Haut
  2. En russe «Нос». Par­fois trans­crit «Noss». Haut
  3. En russe «Сон». Haut