Béliaev, «L’Île des navires perdus»

éd. Lingva, coll. Classiques populaires, Lisieux

éd. Lingva, coll. Clas­siques po­pu­laires, Li­sieux

Il s’agit du ro­man «L’Île des na­vires per­dus» («Os­trov po­guib­chikh ko­ra­bleï» 1) d’Alexandre Bé­liaev 2, un des seuls écri­vains so­vié­tiques à avoir consa­cré toute son œuvre à la science-fic­tion. Il y a un épi­sode tra­gique dans la vie de Bé­liaev sans le­quel nous ne com­pren­drions ja­mais que la moi­tié de cet écri­vain; sans le­quel un côté de cet homme nous échap­pe­rait tou­jours. Un après-midi, le gar­çon qui por­tait le pré­nom or­di­naire d’Alexandre, eut le dé­sir ex­tra­or­di­naire de s’envoler dans les airs. Aus­si­tôt dé­cidé, aus­si­tôt fait. Il at­ta­cha des ba­lais à ses bras, monta sur le toit de la grange, et presque sans hé­si­ta­tion… sauta en bas. Loin de trou­ver le saut désa­gréable, il en fit, tout ex­cité, un se­cond et un troi­sième; mais au der­nier, il se frac­tura la co­lonne ver­té­brale et fut cloué au lit. Il sem­bla en voie de gué­ri­son; mais en 1916 se dé­clara une tu­ber­cu­lose os­seuse — ma­la­die grave, dont les at­taques dou­lou­reuses l’obligèrent à por­ter un cor­set or­tho­pé­dique jusqu’à la fin de sa vie. Rien ne put ar­rê­ter, ce­pen­dant, l’envol de son ima­gi­na­tion. Af­fran­chir les hommes des li­mites que la na­ture leur a po­sées, dans l’espoir — illu­soire sans doute — que cet af­fran­chis­se­ment les ren­drait maîtres de leur des­tin, telle fut l’ambition de Bé­liaev en­fermé entre les quatre murs de sa chambre d’hôpital. Ainsi, «La Tête du pro­fes­seur Do­well» («Go­lova pro­fes­sora Dooué­lia» 3) dé­bar­rasse l’esprit hu­main du corps; «L’Homme qui ne dort ja­mais» («Tché­lo­vek, ko­to­ryi né spit» 4) le li­bère du som­meil; «Le Maître du monde» («Vlas­té­line mira» 5) en­vi­sage la brillante pers­pec­tive de l’homme de­venu té­lé­pathe; «L’Homme am­phi­bie» («Tché­lo­vek-am­fi­bia» 6) dé­crit le pre­mier pois­son parmi les hommes ou le pre­mier homme parmi les pois­sons : «L’idée est tou­jours la même», dit Bé­liaev dans ce ro­man, son plus im­por­tant et son plus cé­lèbre, «l’être hu­main n’est pas par­fait. Tout en ayant ac­quis au cours de l’évolution bon nombre d’avantages en com­pa­rai­son de ses pré­da­teurs ani­maux, [il] a dans le même temps perdu beau­coup de ce qu’il pos­sé­dait dans les stades plus an­ciens de son dé­ve­lop­pe­ment… Pour­quoi ne pas rendre à l’être hu­main [ces] fa­cul­tés?»

L’œuvre de Bé­liaev est in­égale au point de vue de l’art. À côté de ro­mans et nou­velles à l’imagination au­da­cieuse, à l’intrigue in­tré­pide, on ren­contre des pro­duc­tions re­la­ti­ve­ment faibles d’où la science se re­tire, où l’action stagne. On peut par ailleurs, sans trop craindre de se trom­per, ac­cu­ser Bé­liaev d’avoir peu d’idées phi­lo­so­phiques et en­core moins d’éloquence et de style : «La langue de Bé­liaev est grise, in­ex­pres­sive. Elle est d’une pla­ti­tude rare. Le style de bou­le­vard s’y mêle au jar­gon scien­ti­fique et jour­na­lis­tique. Cette langue n’est là que comme sup­port des évé­ne­ments [et] que mor­tel­le­ment prise dans l’étau des cli­chés. Li­bé­rée du cor­set de l’aventure et du pam­phlet, elle se désa­grège et de­vient in­forme. Ce vice de pa­role, Bé­liaev le par­tage avec tous ses confrères de science-fic­tion… des an­nées trente, qua­rante et cin­quante», dit un cri­tique 7. Et pour­tant, l’héritage de Bé­liaev est in­dé­niable. Il s’est avéré un vi­sion­naire dans tous les pro­blèmes les plus in­té­res­sants de la bio­lo­gie et de la mé­de­cine. Il a vécu dans l’attente joyeuse des conquêtes de l’esprit hu­main. Il a parlé avec amer­tume de ceux qui ne sa­vaient pas ou qui ne vou­laient pas rê­ver. Aussi, n’est-il pas éton­nant qu’une des lec­trices de «La Tête du pro­fes­seur Do­well» ait en­voyé ce mes­sage tou­chant à force de naï­veté et fran­chise : «Après avoir lu ce livre, j’ai dé­cidé d’étudier la mé­de­cine, pour faire des dé­cou­vertes in­con­nues dans la science…» 8

un des seuls écri­vains so­vié­tiques à avoir consa­cré toute son œuvre à la science-fic­tion

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de «L’Île des na­vires per­dus» : «Ils avan­cèrent len­te­ment dans les pro­fon­deurs de l’île.

L’existence, ailleurs dans le monde, d’une vue aussi triste que cet énorme ci­me­tière qui aban­don­nait ses dé­funts à la lu­mière brû­lante du so­leil, était peu pro­bable.

Il fal­lait mar­cher avec beau­coup de pré­cau­tions. Les planches en par­tie pour­ries bran­laient sous les pieds. Les ex­plo­ra­teurs ris­quaient à chaque mi­nute de tom­ber dans une cale… Les rampes s’écroulaient, les lam­beaux de voiles se désa­gré­geaient au moindre contact. Par­tout d’épaisses couches de pous­sière, de pour­ri­ture et de moi­sis­sure…» 9

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Léo­nid Hel­ler, «De la science-fic­tion so­vié­tique : par-delà le dogme, un uni­vers» (éd. L’Âge d’homme, Lau­sanne).
  1. En russe «Остров погибших кораблей». Haut
  2. En russe Александр Беляев. Par­fois trans­crit Bel­jaev, Be­lyaev, Be­lâev, Be­lyayev, Bel­ja­jew, Bel­ja­jev, Be­liaew ou Bé­liaïev. Haut
  3. En russe «Голова профессора Доуэля». Haut
  4. En russe «Человек, который не спит», in­édit en fran­çais. Haut
  5. En russe «Властелин мира», in­édit en fran­çais. Haut
  1. En russe «Человек-амфибия». Haut
  2. M. Léo­nid Hel­ler. Haut
  3. En russe «Прочитав эту книгу, я решила учиться на врача, чтобы делать открытия неизвестные науке…» Haut
  4. p. 38-39. Haut