Mot-clefprix Nobel de littérature

su­jet

Kawabata, « Première Neige sur le mont Fuji et Autres Nouvelles »

éd. A. Michel, coll. Les Grandes Traductions, Paris

éd. A. Mi­chel, coll. Les Grandes Tra­duc­tions, Pa­ris

Il s’agit d’« En si­lence » (« Mu­gon »1), « Pre­mière Neige sur le mont Fuji » (« Fuji no hat­suyuki »2) et autres œuvres de Ya­su­nari Ka­wa­bata3, écri­vain ja­po­nais qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la lit­té­ra­ture mo­derne. « Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des Alpes à l’horizon, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute », dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami4. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901 ; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques ha­bi­ta­tions, il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de mé­lan­co­lie. Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la com­pas­sion et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait « jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait »5 ; ou alors, un car­net à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de pen­sée qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : « Père, vous vous êtes levé de votre lit de mort pour nous lais­ser, à moi et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir ;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les noms gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi ? »

  1. En ja­po­nais « 無言 ». Haut
  2. En ja­po­nais « 富士の初雪 ». Haut
  3. En ja­po­nais 川端康成. Haut
  1. « Cor­res­pon­dance », p. 61-62. Haut
  2. « L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques », p. 45. Haut

Kawabata, « Barques en bambou, “Sasabune” »

dans « [Nouvelles japonaises]. Tome II. Les Ailes, la Grenade, les Cheveux blancs (1945-1955) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 85-89

dans « [Nou­velles ja­po­naises]. Tome II. Les Ailes, la Gre­nade, les Che­veux blancs (1945-1955) » (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 85-89

Il s’agit de « Barques en bam­bou » (« Sa­sa­bune »1) de Ya­su­nari Ka­wa­bata2, écri­vain ja­po­nais qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la lit­té­ra­ture mo­derne. « Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des Alpes à l’horizon, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute », dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami3. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901 ; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques ha­bi­ta­tions, il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de mé­lan­co­lie. Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la com­pas­sion et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait « jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait »4 ; ou alors, un car­net à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de pen­sée qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : « Père, vous vous êtes levé de votre lit de mort pour nous lais­ser, à moi et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir ;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les noms gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi ? »

  1. En ja­po­nais « 笹舟 ». Haut
  2. En ja­po­nais 川端康成. Haut
  1. « Cor­res­pon­dance », p. 61-62. Haut
  2. « L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques », p. 45. Haut

Kawabata, « La Grenade, “Zakuro” »

dans « [Nouvelles japonaises]. Tome II. Les Ailes, la Grenade, les Cheveux blancs (1945-1955) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 79-84

dans « [Nou­velles ja­po­naises]. Tome II. Les Ailes, la Gre­nade, les Che­veux blancs (1945-1955) » (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 79-84

Il s’agit de « La Gre­nade » (« Za­kuro »1) de Ya­su­nari Ka­wa­bata2, écri­vain ja­po­nais qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la lit­té­ra­ture mo­derne. « Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des Alpes à l’horizon, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute », dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami3. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901 ; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques ha­bi­ta­tions, il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de mé­lan­co­lie. Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la com­pas­sion et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait « jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait »4 ; ou alors, un car­net à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de pen­sée qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : « Père, vous vous êtes levé de votre lit de mort pour nous lais­ser, à moi et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir ;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les noms gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi ? »

  1. En ja­po­nais « ざくろ ». Haut
  2. En ja­po­nais 川端康成. Haut
  1. « Cor­res­pon­dance », p. 61-62. Haut
  2. « L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques », p. 45. Haut

Kawabata, « Au fond de l’être, “Ningen no naka” »

dans « [Nouvelles japonaises]. Tome III. Les Paons, la Grenouille, le Moine-Cigale (1955-1970) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 83-92

dans « [Nou­velles ja­po­naises]. Tome III. Les Paons, la Gre­nouille, le Moine-Ci­gale (1955-1970) » (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 83-92

Il s’agit d’« Au fond de l’être » (« Nin­gen no naka »1) de Ya­su­nari Ka­wa­bata2, écri­vain ja­po­nais qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la lit­té­ra­ture mo­derne. « Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des Alpes à l’horizon, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute », dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami3. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901 ; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques ha­bi­ta­tions, il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de mé­lan­co­lie. Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la com­pas­sion et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait « jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait »4 ; ou alors, un car­net à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de pen­sée qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : « Père, vous vous êtes levé de votre lit de mort pour nous lais­ser, à moi et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir ;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les noms gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi ? »

  1. En ja­po­nais « 人間のなか ». Haut
  2. En ja­po­nais 川端康成. Haut
  1. « Cor­res­pon­dance », p. 61-62. Haut
  2. « L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques », p. 45. Haut

García Márquez, « Cent Ans de solitude : roman »

éd. du Seuil, coll. Points, Paris

éd. du Seuil, coll. Points, Pa­ris

Il s’agit de « Cent Ans de so­li­tude » (« Cien Años de so­le­dad ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « Douze Contes vagabonds »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de « Douze Contes va­ga­bonds » (« Doce Cuen­tos per­egri­nos ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « Le Général dans son labyrinthe : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit du « Gé­né­ral dans son la­by­rinthe » (« El Ge­ne­ral en su la­be­rinto ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « La Mala Hora : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de « La Mala Hora » de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « L’Automne du patriarche : roman »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de « L’Automne du pa­triarche » (« El Otoño del pa­triarca ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « Pas de lettre pour le colonel »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de « Pas de lettre pour le co­lo­nel » (« El co­ro­nel no tiene quien le es­criba ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « L’Amour aux temps du choléra : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de « L’Amour aux temps du cho­léra » (« El Amor en los tiem­pos del có­lera ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « Des Feuilles dans la bourrasque »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de « Des Feuilles dans la bour­rasque » (« La Ho­ja­rasca ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut

García Márquez, « L’Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique : nouvelles »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de « L’Incroyable et Triste His­toire de la can­dide Eren­dira et de sa grand-mère dia­bo­lique » (« La In­creíble y Triste His­to­ria de la cán­dida Erén­dira y de su abuela de­sal­mada ») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’« une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés »1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe « qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion »2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, « et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races »3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol « un cal­le­jón con un río en un ex­tremo ». Haut
  2. En es­pa­gnol « que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción ». Haut
  1. En es­pa­gnol « y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races ». Haut