Il s’agit d’une traduction partielle du « Śrî Kṛṣṇa Kîrtana »1 (« Les Amours de Râdhâ et de Kṛṣṇa ») de Caṇḍî-dâs2 (XVe siècle apr. J.-C.). On connaît le rôle important que joue la légende de Râdhâ et de Kṛṣṇa dans les œuvres des poètes bengalis. Le plus ancien fut Caṇḍî-dâs, prêtre du temple de Caṇḍî (d’où son nom), dans le village de Nanoor. Par sa naissance, Caṇḍî-dâs appartenait à la caste des brahmanes, mais à cause de son amour pour Râmî, une blanchisseuse, il fut exclu de cette caste par ses pairs. Malgré sa déchéance, l’Inde entière venait à lui, attirée par la réputation dont il jouissait en tant qu’amant et poète. Cette réputation perdure encore au Bengale, où l’on nomme avec tendresse « fou Caṇḍî » (« pâgala Caṇḍî »3) celui qui s’abandonne comme lui, sans réserve, à l’amour et à la poésie. On prétend que Caṇḍî-dâs mourut en chantant ; car un toit s’écroula et l’ensevelit alors qu’il disait ses vers, ceux-ci peut-être : « Qu’il est miraculeux ton amour, ô Amour, et miraculeux son pouvoir ; la nuit du monde me semble le jour, ô Amour, et le plein jour du monde est ma nuit ! »4 Le « Śrî Kṛṣṇa Kîrtana » est l’œuvre principale du poète ; c’est une œuvre écrite pour le peuple et par un homme du peuple : aussi possède-t-elle toutes les qualités et tous les défauts de ce genre de littérature. On y trouve une charmante naïveté dans l’expression et une grande profondeur dans le sentiment, en même temps qu’une rusticité et une monotonie désespérantes. « C’est un poème simple, passionné, sensuel », dit Mme Man’ha Garreau-Dombasle5. « J’ai eu la joie de l’entendre chanter au pays de Caṇḍî-dâs à la fin d’une éclatante journée de printemps… Les musiciens, assis, tenaient leurs très simples instruments : des cymbales et le “mridanga”, sorte de long tambour qu’on fait résonner en le frappant avec les doigts. Ils chantèrent. Les vibrations du tambour se faisaient entendre, sourdes comme un grondement souterrain, éclatantes comme l’orage, rythmées comme le clapotement de la pluie sur les feuilles, monotones et douces comme la marche confuse d’un troupeau. »
c’est une œuvre écrite pour le peuple et par un homme du peuple : aussi possède-t-elle toutes les qualités et tous les défauts de ce genre de littérature
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Caṇḍî-dâs : « Écoute, ô Subala, ô mon tendre ami, ô mon confident, écoute comment était cette jeune femme, en se lavant… Sur le bord de la rivière Jamuna, elle s’était assise, les jambes croisées dans l’eau, sur le sari dont elle s’était dépouillée… Son collier d’or se balançait sous ses seins nus, pareils aux cimes des collines de Suméru… Sur le bord de la rivière Jamuna, elle allait tordant mon âme avec son sari bleu, et depuis lors, la paix demeure éloignée de mon cœur fiévreux »6.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Jules Bloch, « Littératures néo-indiennes du Nord » dans « Histoire des littératures. Tome I » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 989-1045
- Jane Helen Rowlands, « La Femme bengalie dans la littérature du Moyen Âge » (éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, Paris)
- Helmuth de Glasenapp, « Les Littératures de l’Inde : des origines à l’époque contemporaine, avec la collaboration de Heinz Bechert et Hilko Wiardo Schomerus » (éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris).