Il s’agit de M. Nicolas Vaptsarov1, poète et résistant bulgare (XXe siècle). Arrêté, torturé et fusillé pour son activité clandestine contre les armées allemandes stationnées dans son pays et contre leurs collaborateurs bulgares, il est l’auteur d’un seul recueil de poèmes, intitulé les « Chants des moteurs » (« Motorni Pesni »2), d’une dizaine d’articles et d’une trentaine de poèmes divers. Il s’agit donc d’un legs littéraire relativement restreint, mais n’était-ce pas le cas également de son poète préféré, Hristo Botev, mort dans la lutte contre l’Empire turc. Ses « Chants des moteurs », inspirés du quotidien des ouvriers obscurs — visseurs sur les chaînes de montage, mécaniciens suintant l’oignon et la sueur, chauffeurs de locomotive, etc. — représentent un des sommets de la poésie ouvrière. Ces « Chants » naissent au milieu de la bourbe industrielle, « époque d’atrocité sauvage galopant éperdument de l’avant ; époque d’acier en fusion, là, sur le seuil du nouveau monde », comme dit M. Vaptsarov3. Il fait encore nuit quand la mer tumultueuse des ouvriers s’engouffre dans une usine au ciel bas, enfumé, où l’existence pèse lourd comme un casque d’acier. La salle des machines entonne son refrain — « une turbine de foi ardente »4. L’ouvrier, sous sa moustache pendante, injurie la vie ; les heures « comme des écrous rouillés »5 lui serrent le cœur. Avec quelle avidité ses yeux boivent tout rayon de lumière qui pénètre par hasard à travers la suie ! Cette usine coupe, d’une main experte, les ailes de l’ouvrier ; elle l’opprime, elle l’écrase « sous [la] moisissure vénéneuse et sous [la] vieille rouille »6 ; il gémit, il halète, mais elle est « sourde à ses sentiments »7. À midi, durant son repos, l’ouvrier lit un livre de Pouchkine en souriant. Il comprend Pouchkine, il le sent proche comme un camarade ; car avec lui, il peut « regarder les merveilleuses étoiles »8. Mais déjà « le moteur intrépide porte un coup de poing à la gueule »9 de l’ouvrier, pour le rappeler à son poste. Colle et graisse, vapeur et puanteur reprennent de plus belle. L’ouvrier est pris, en somme, au piège de la vie ; il se ravise, mais c’est trop tard. Ses yeux luisants, comme ceux d’animal tombé cruellement dans une trappe, demandent et implorent grâce. Et en lui, « peu à peu se glacent les dernières espérances, et la foi dans le bien et dans l’homme »10.
un des sommets de la poésie ouvrière
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de M. Vaptsarov :
« La lutte est implacablement cruelle.
On le dit, la lutte est “épique”.
Je suis tombé. Un autre va venir. C’est tout.
Qu’importe ici le nom d’une personne !
[La mort] — ensuite, les vers [de terre].
Tout ceci est simple, logique.
Mais dans la tempête, nous serons toujours avec toi,
Mon peuple, car nous t’avons aimé »11.
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- Traduction de M. Pierre Seghers (1966) [Source : Yoto Yotov].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « L’Opinion mondiale sur le poète bulgare Nicolas Vaptsarov » (éd. Sofia-presse, Sofia).