Il s’agit de l’œuvre de Hristo Botev 1, révolutionnaire bulgare et poète de premier ordre, mort sous les coups des Turcs en 1876. Il n’a laissé qu’une vingtaine de poèmes, mais qui se sont envolés en chantant tout au-dessus de la Bulgarie, dont ils sont devenus le soleil qui l’illumine — elle et les esprits libres travaillant à sa libération. M. Ilia Béchkov écrit à Paris : « Pourquoi chantons-nous les chansons de Botev, tandis que des frissons parcourent notre corps ? Qu’avons-nous reçu de ses faibles mains pour que notre gratitude envers lui devienne si grande, et que nous soyons si impuissants devant elle ?… Sans Botev, il n’y a pas de Bulgarie ! Sur cette terre d’esclaves, il est devenu le ciel… Même dans les jours les plus nuageux et les plus orageux, la terre bulgare aura son soleil — Botev ! » 2 C’est qu’à travers ses poèmes, Botev a légué aux générations futures un testament de liberté et de justice à réaliser — testament si riche d’idéals qu’il forme un trésor intarissable et se renouvelant toujours où les Bulgares puisent encore aujourd’hui. L’époque de Botev peut se résumer en quelques mots : esclavage national, oppression politique, lutte sociale. La grande conscience qu’a Botev du terrible et du tragique de cette époque se répand à travers toute son œuvre. Déjà ses premiers poèmes tracent un tableau saisissant des malheurs populaires : les chaînes grondent sourdement ; la sueur des fronts coule sur les pierres tombales ; la croix s’enfonce en plein milieu des chairs vives du peuple 3 ; la rouille ronge les os. Dans « À mon premier amour » 4, Botev condamne résolument toute indifférence devant ces malheurs et tout retranchement dans un bonheur privé, détaché du destin collectif :
« Ta voix est belle, tu es jeune,
Mais entends-tu chanter les bois ?
Entends-tu sangloter les pauvres ?
…Toi chante donc un chant pareil,
Un chant de douleur, jeune fille :
Comment le frère vend le frère,
Comment dépérit la jeunesse,
Chante les larmes de la veuve,
Les petits enfants sans foyer !
Chante ou tais-toi, ou bien va-t’en ! » 5
le rêve de se donner tout entier à la libération de son peuple, voire même à celle de l’humanité oppressée
Dans « Hadji Dimitǎr » 6 et ses poèmes de maturité, Botev nourrit, avec un enthousiasme qui ne connaît plus ni bornes ni compromis, le rêve de se donner tout entier à la libération de son peuple, voire même à celle de l’humanité oppressée. « Son génie est si vaste et universel, son âme est si sensible à toute souffrance, que Botev franchit les limites d’un patriotisme étroit et banal, et œuvre au nom d’un idéal humain », explique un critique 7. Qu’on joigne à cela la chaleur et la force de ses sentiments, la majesté de son style taillé dans la pierre brute des chansons populaires, l’encre de ses vers trempée dans son sang écarlate, et on aura une idée pourquoi Botev reste un des poètes les plus admirés de ses compatriotes.
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises de « Hadji Dimitǎr », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle d’Éluard.
« Жив е той, жив е ! Там на Балкана,
Потънал в кърви, лежи и пъшка
Юнак с дълбока на гърди рана,
Юнак във младост и сила мъжка.
На една страна захвърлил пушка,
На друга сабля на две строшена ;
Очи темнеят, глава се люшка,
Уста проклинат цяла вселена !
Лежи юнакът, а на небето
Слънцето спряно сърдито пече ;
Жътварка пее нейде в полето,
И кръвта още по-силно тече ! »
— Début dans la langue originale
« Là-bas, dans le Balkan, il est toujours vivant.
Mais il gît et gémit, il est couvert de sang ;
Sa poitrine est trouée d’une affreuse blessure.
Frappé dans sa jeunesse, il vit, notre héros.
Il a laissé tomber son fusil inutile,
Son sabre s’est brisé dans l’ardeur du combat.
Et sa tête vacille et ses yeux s’obscurcissent
Et sa bouche maudit l’univers tout entier.
Il gît, notre héros, tandis qu’en haut du ciel
Le soleil, arrêté, flamboie et se courrouce.
Dans la plaine, très loin, chantent les moissonneuses.
Et le sang se répand, le sang coule sans cesse. »
— Début dans la traduction d’Éluard
« Vivant, il est toujours vivant ! Là, sur le Balkan,
La poitrine trouée d’une blessure profonde
Il gît gémissant, tout couvert de sang ;
Le héros, frappé en pleine force et jeunesse.
Sur un côté, il a jeté son fusil,
Sur l’autre, son sabre brisé en deux,
Et sa tête vacille, ses yeux s’obscurcissent
Et sa bouche maudit l’univers entier !
Il gît, le héros, tandis qu’en haut du ciel
Le soleil, arrêté, flamboie et se courrouce ;
Dans la plaine, très loin, chante une moissonneuse.
Et le sang se répand, le sang coule sans cesse ! »
— Début dans la traduction de M. Éric Karaïliev (dans « Anthologie de la poésie classique bulgare », éd. Iztok-Zapad, Paris-Sofia)
« Dans les Balkans, il vit encore,
En sa vigueur virile, adolescent ;
Mais de son sein que la douleur dévore
S’écoule un flot de sang.
Il a d’un côté rejeté sa carabine,
De l’autre, en deux tronçons, son sabre aux reflets clairs.
Son œil se trouble et sa tête s’incline,
Sa bouche maudit l’univers.
Le héros gît. Au ciel, les rayons lourds
Du soleil dardent sur la plaine.
Une moissonneuse chante sa cantilène
Dans les prés… Et le sang coule toujours. »
— Début dans la traduction d’Alfred Mortier (« Un poète bulgare : Christo Boteff » dans « Mercure de France », vol. 97, nº 359, p. 657-659)
« Il est vivant ! Il vit ! Là, sur la montagne,
Il gémit couché dans son sang qui coule
De sa poitrine atrocement blessée,
Jeune héros à la virile ardeur.
D’un côté, il a jeté son fusil
Et, de l’autre, les deux tronçons de son sabre ;
Son œil s’assombrit, sa tête vacille,
Sa bouche maudit l’univers entier.
Il est là, couché — cependant, au ciel,
Le soleil fâché, montre sa colère ;
Dans les champs, au loin, une moissonneuse
Chante — mais son sang coule et coule encore. »
— Début dans la traduction de Jordan Ivanov (« Un savant bulgare enseigne le français » dans « Études balkaniques », 2003, nº 3, p. 119-126)
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- Traduction partielle d’Alfred Mortier (1912) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction partielle d’Alfred Mortier (1912) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction partielle d’Alfred Mortier (1912) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction partielle d’Alfred Mortier (1912) ; autre copie [Source : Google Livres].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Théodor Guénov, « La Poésie bulgare » dans « Mercure de France », vol. 188, nº 672, p. 751-756 [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En bulgare Христо Ботев (ou Ботьов). Autrefois transcrit Christo Boteff (ou Botyoff), Christo Botev (ou Botyov), Khristo Botev (ou Botyov) ou Hristo Botjov.
- « За Ботев » (« À propos de Botev »), inédit en français.
- Allusion à la tyrannie du clergé grec, qui avait pris à tâche d’anéantir tout ce qui avait nom bulgare.
- En bulgare « До моето първо либе ».