Il s’agit du « Livre des lois des pays »1 (« Kethâbhâ dhe-Nâmôsê dh’Athrawâthâ »2), dialogue mettant en scène l’un des plus anciens philosophes et savants de langue syriaque. Son nom ou son surnom, Bardesane3, lui vient du fleuve Daiṣân baignant les murs de la ville d’Édesse4 ; il signifie « fils du Daiṣân » (Bar-Daiṣân5). C’était un savant « riche, aimable, libéral, instruit, bien posé à la Cour, versé à la fois dans la science chaldéenne et dans la culture hellénique »6, qui toucha à toutes les philosophies et à toutes les écoles, sans s’attacher à aucune en particulier. Tout cela lui valut la réputation d’hérétique, bien qu’il fût sincèrement chrétien (IIe-IIIe siècle apr. J.-C.). On ne sait pas sur quel sol il est né précisément, car Hippolyte de Rome l’appelle l’« Arménien »7 ; Julius Africanus l’appelle le « Parthe » et l’« habile archer »8 ; Porphyre et saint Jérôme le nomment le « Babylonien »9 ; Épiphane nous dit qu’« il était originaire de Mésopotamie »10 ; Eusèbe le qualifie de « Syrien »11 ; enfin, les auteurs syriaques le font naître dans la ville d’Édesse même. C’est dans cette ville, en tout cas, qu’il passa la plus grande partie de sa vie, après avoir fait son éducation à Hiérapolis de Syrie, dans la maison d’un pontife dénommé Koudouz12. Celui-ci l’adopta et lui enseigna l’art de l’astronomie et l’astrologie qui était l’art particulier des Chaldéens et qui était indispensable aux prêtres qui voulaient en imposer au peuple, en prédisant les éclipses et leur durée, et en devinant l’action des planètes sur la destinée. L’esprit de Bardesane se détachera plus tard de ces spéculations : « autrefois, je [les] affectionnais », dira-t-il13. Dans un célèbre opuscule philosophique, il fera la preuve que Dieu a doué les hommes du libre arbitre, et que les signes du zodiaque et les horoscopes ne sont pas surpuissants. Tout ce qu’on appelle « déterminisme » ou « fatalisme astral » n’a de prise sur les hommes que dans la mesure où cela révèle la sagesse et la bonté de Dieu. Le titre syriaque de cet opuscule est inconnu. Eusèbe, Épiphane, Théodoret et Photius l’ont lu dans une traduction grecque intitulée « Sur le destin » (« Peri heimarmenês »14) ou bien « Contre le destin » (« Kata heimarmenês »15). Aujourd’hui, nous n’avons plus rien des opuscules de Bardesane, excepté un témoignage posthume, insuffisant sans doute, mais qui reproduit une partie de sa pensée : « Le Livre des lois des pays ». Notre savant y parle comme Socrate dans les dialogues de Platon, c’est-à-dire à la troisième personne, tandis que ses disciples s’y expriment à la première. On en a conclu que l’un d’eux, peut-être Philippe, en est le rédacteur. Bardesane y fournit de nombreux détails sur les lois et les mœurs des pays et démontre comment ces lois et ces mœurs l’emportent sur le destin : « Les hommes, en effet, ont établi des lois, pays par pays, dans la liberté qui leur a été donnée par Dieu, car ce don est opposé au destin des dominateurs [c’est-à-dire des astres] »16.
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises du « Livre des lois des pays », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de MM. Paul-Hubert Poirier et Éric Crégheur.
« ܐܡܪ ܠܗ ܥܘܝܕܐ. ܗܠܝܢ ܕܐܡܪܬ ܛܒ ܫܦܝܪܢ. ܐܠܐ ܗܐ ܚܤܝܢܝܢ ܦܘܩܕܢܐ ܕܐܬܝܗܒܘ ܠܒܢܝܢܫܐ. ܘܠܐ ܡܫܟܚܝܢ ܠܡܥܒܕ ܐܢܘܢ.܀
ܒܪܕܝܨܢ ܐܡܪ. ܗܢܐ ܦܬܓܡܐ ܗܘ ܕܐܝܢܐ ܕܠܐ ܨܒܐ ܠܡܥܒܕ ܕܫܦܝܪ. ܘܝܬܝܪܐܝܬ ܕܗܘ ܪܐܫܬܡܥ ܐܫܬܥܒܕ ܠܒܥܠܕܒܒܗ. ܠܐ ܓܝܪ ܐܬܦܩܕܘ ܒܢܝ ܐܢܫܐ ܠܡܥܒܕ. ܐܠܐ ܗܘ ܡܕܡ ܕܡܫܟܚܝܢ ܠܡܥܒܕ. »
— Passage dans la langue originale
« Avida lui dit : “Les choses que tu as dites sont fort belles, mais il se trouve que les commandements qui ont été donnés aux hommes sont lourds, et ils ne peuvent les accomplir”.
Bardesane dit : “Cette réponse est celle de quelqu’un qui ne veut pas accomplir ce qui est bon, et surtout de celui qui a obéi à son Ennemi (le Diable) et s’y est soumis, car il n’a pas été ordonné aux hommes d’accomplir quoi que ce soit si ce n’est ce qu’ils peuvent accomplir”. »
— Passage dans la traduction de MM. Poirier et Crégheur
« Avida lui répondit : “Tout ce que tu dis est beau, mais les commandements donnés aux hommes sont difficiles, et on ne peut les accomplir”.
Bardesane dit : “Cette parole est de celui qui ne veut pas bien faire, et surtout de celui qui obéit et qui est déjà soumis à son Adversaire (le Démon), car les hommes n’ont l’ordre de faire que ce qu’ils peuvent faire”. »
— Passage dans la traduction de l’abbé François Nau (« Le Livre des lois des pays », XIXe siècle)
« Avida lui dit : “Les choses que tu as dites sont excellentes. Mais, hélas ! les commandements qui ont été donnés aux hommes sont sévères, et ceux-ci ne sont pas capables de les exécuter”.
Bardesane répondit : “Ceci est la réponse d’un homme qui ne désire pas faire ce qui est bien, et plus spécialement encore d’un individu qui a obéi et qui s’est soumis à son Ennemi (Satan). Car les hommes ne sont pas tenus de faire ce qu’ils sont capables de vouloir”. »
— Passage dans la traduction de Victor Langlois (« Le Livre de la loi des contrées » dans « Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie. Tome I », XIXe siècle, p. 55-95)
« Dicit ei Avida : “Ea quæ dixisti optima sunt, sed ecce dura sunt præcepta quæ hominibus data sunt et nequeunt adimplere illa”.
Bardesanes dicit : “Ea est responsio ejus qui quod bonum est facere nolit, præcipue autem illius qui audivit Inimicum suum et ei se subjecit ; nihil est enim hominibus imperatum, nisi id quod facere possunt”. »
— Passage dans la traduction latine de l’abbé Nau (« Liber legum regionum » dans « Patrologia Syriaca. Tome II », éd. Firmin-Didot, Paris, p. 490-658)
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- Extrait dans la traduction de MM. Paul-Hubert Poirier et Éric Crégheur (2020) [Source : Éditions Les Belles Lettres]
- Édition et traduction de l’abbé François Nau (1899) [Source : Google Livres]
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- Traduction de l’abbé François Nau (1899) [Source : Google Livres]
- Traduction de l’abbé François Nau (1899) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction de l’abbé François Nau (éd. électronique) [Source : Remacle.org]
- Édition de l’abbé François Nau (1931) [Source : Google Livres]
- Traduction de Victor Langlois (1883) [Source : Google Livres]
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- Traduction de Victor Langlois (1881) [Source : Google Livres]
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- Traduction de Victor Langlois (1880) [Source : Google Livres]
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- Traduction de Victor Langlois (1867) [Source : Google Livres]…
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- l’abbé François Nau, « Une Biographie inédite de Bardesane l’astrologue » (XIXe siècle) [Source : Canadiana]
- Ernest Renan, « Marc-Aurèle et la Fin du monde antique, 4e édition » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Javier Teixidor, « Bardesane d’Édesse : la première philosophie syriaque » (éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Christianisme, Paris).
- Parfois traduit « Livre des lois des régions ».
- En syriaque « ܟܬܒܐ ܕܢܡܘܣܐ ܕܐܬܪܘܬܐ ». Parfois transcrit « Kethaba dha-Namosa dh’Athrawatha », « Ktābā’ deNāmūse’ d’Atrawwātā’ » ou « Kṯāḇā ḏ-Nāmōsē ḏ-Aṯrawāṯā ».
- En grec Βαρδησάνης. Parfois transcrit Bardesan, Bardessane ou Bardesanes. On rencontre aussi les graphies Βαρδισάνης (Bardisane) et Βαρδησιάνης (Bardesiane).
- Aujourd’hui Urfa, en Turquie, près de la frontière syrienne.
- En syriaque ܒܪܕܝܨܢ. Parfois transcrit Bar-Daissan, Bar Daiçân ou Bar Dayṣan.
- Ernest Renan, « Marc-Aurèle ».
- En grec Ἀρμένιος. « “Philosophumena”, ou Réfutation de toutes les hérésies », liv. VII, ch. XXXI, sect. 1.
- En grec Πάρθος et σοφὸς τοξότης. « Les “Cestes” », liv. I, ch. XX.
- En grec Βαϐυλώνιος. « De l’abstinence », liv. IV, sect. 17. En latin Babylonius. « Contre Jovinien », liv. II, ch. XIV.
- En grec ἐκ Μεσοποταμίας τὸ γένος ἦν. « Panarion », inédit en français.
- En grec Σύρος. « La Préparation évangélique », liv. VI, ch. IX, sect. 32.
- En syriaque ܟܘܕܘܙ.
- « Le Livre des lois des pays », p. 92.
- En grec « Περὶ εἱμαρμένης ».
- En grec « Κατὰ εἱμαρμένης ».
- p. 98.