Icône Mot-clefPierre Seghers

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

Vaptsarov, « Poèmes choisis »

éd. en Langues étrangères, Sofia

éd. en Langues étran­gères, So­fia

Il s’agit de M. Ni­co­las Vapt­sa­rov 1, poète et ré­sis­tant (XXe siècle). Ar­rêté, tor­turé et fu­sillé pour son ac­ti­vité clan­des­tine contre les ar­mées al­le­mandes sta­tion­nées dans son pays et contre leurs col­la­bo­ra­teurs bul­gares, il est l’auteur d’un seul re­cueil de poèmes, in­ti­tulé les «Chants des mo­teurs» («Mo­torni Pesni» 2), d’une di­zaine d’articles et d’une tren­taine de poèmes di­vers. Il s’agit donc d’un legs lit­té­raire re­la­ti­ve­ment res­treint, mais n’était-ce pas le cas éga­le­ment de son poète pré­féré, Hristo Bo­tev, dans la lutte contre l’Empire . Ses «Chants des mo­teurs», ins­pi­rés du quo­ti­dien des ou­vriers obs­curs — vis­seurs sur les chaînes de mon­tage, mé­ca­ni­ciens suin­tant l’oignon et la sueur, chauf­feurs de lo­co­mo­tive, etc. — re­pré­sentent un des som­mets de la ou­vrière. Ces «Chants» naissent au mi­lieu de la bourbe in­dus­trielle, «époque d’atrocité sau­vage ga­lo­pant éper­du­ment de l’avant; époque d’acier en fu­sion, là, sur le seuil du nou­veau », comme dit M. Vapt­sa­rov 3. Il fait en­core quand la tu­mul­tueuse des ou­vriers s’engouffre dans une usine au bas, en­fumé, où l’ pèse lourd comme un casque d’acier. La salle des ma­chines en­tonne son re­frain — «une tur­bine de ar­dente» 4. L’ouvrier, sous sa mous­tache pen­dante, in­ju­rie la ; les heures «comme des écrous rouillés» 5 lui serrent le cœur. Avec quelle avi­dité ses yeux boivent tout rayon de lu­mière qui pé­nètre par ha­sard à tra­vers la suie! Cette usine coupe, d’une main ex­perte, les ailes de l’ouvrier; elle l’opprime, elle l’écrase «sous [la] moi­sis­sure vé­né­neuse et sous [la] vieille rouille» 6; il gé­mit, il ha­lète, mais elle est «sourde à ses » 7. À midi, du­rant son re­pos, l’ouvrier lit un livre de Pou­ch­kine en sou­riant. Il com­prend Pou­ch­kine, il le sent proche comme un ca­ma­rade; car avec lui, il peut «re­gar­der les mer­veilleuses étoiles» 8. Mais déjà «le mo­teur in­tré­pide porte un coup de poing à la gueule» 9 de l’ouvrier, pour le rap­pe­ler à son poste. Colle et graisse, va­peur et puan­teur re­prennent de plus belle. L’ouvrier est pris, en somme, au piège de la vie; il se ra­vise, mais c’est trop tard. Ses yeux lui­sants, comme ceux d’animal tombé cruel­le­ment dans une trappe, de­mandent et im­plorent grâce. Et en lui, «peu à peu se glacent les der­nières es­pé­rances, et la foi dans le bien et dans l’»

  1. En bul­gare Никола Вапцаров. Par­fois trans­crit Ni­cola Vapt­za­rov, Ni­kola Vap­ca­rov ou Ni­kola Wap­za­row. Icône Haut
  2. En bul­gare «Моторни Песни». Icône Haut
  3. p. 48. Icône Haut
  4. p. 26. Icône Haut
  5. p. 43. Icône Haut
  1. p. 47. Icône Haut
  2. p. 44. Icône Haut
  3. p. 49. Icône Haut
  4. p. 47. Icône Haut

Khayyam, « Les “Rubâ’iyât” : les quatrains du célèbre poète, mathématicien et astronome persan »

éd. Seghers, Paris

éd. Se­ghers, Pa­ris

Il s’agit des «Qua­trains» («Ru­bayat» 1) d’Omar Khayyam 2, ma­thé­ma­ti­cien et as­tro­nome (XIe-XIIe siècle). À force de son­der les étoiles, il me­sura com­bien la pa­rais­sait pe­tite et dé­ri­soire de­vant l’insondable in­dif­fé­rence de l’univers. Face à elle, Des­cartes se fera des sys­tèmes qui l’apaiseront, et Pas­cal se blot­tira contre . Khayyam, dont le éga­lait ce­lui de ces deux , consa­cra une bonne par­tie de son à la . Il chanta le sort des hommes, plon­gés dans l’Empire dé­sert du néant, et exalta les du — seul fi­dèle ami dans l’épreuve. Vé­ri­tables bré­viaires du , ses «Qua­trains» cir­cu­lèrent par­tout où la per­sane était com­prise et ad­mi­rée :

«Bois du vin. Déjà ton nom quitte ce
Quand le vin coule dans ton cœur, toute tris­tesse dis­pa­raît
Dé­noue plu­tôt, boucle après boucle, la che­ve­lure d’une idole
Et n’attends pas que, de tes os, les nœuds d’eux-mêmes se dé­nouent
» 3.

Soufi en ap­pa­rence, in­cré­dule en , ivrogne mê­lant le blas­phème à l’hymne di­vin, mas­quant d’un sou­rire les san­glots d’ qui l’étranglaient, Khayyam fut le plus scep­tique parmi les libres pen­seurs de la . Son es­prit étonne et sé­duit par son au­dace : «Des cri­tiques exer­cés ont tout de suite senti sous cette en­ve­loppe sin­gu­lière un frère de Gœthe ou de Henri Heine», dit Er­nest Re­nan 4. «Cer­tai­ne­ment, ni Mo­té­nabbi ni même au­cun de ces ad­mi­rables poètes arabes an­téis­la­miques, tra­duits avec le plus grand ta­lent, ne ré­pon­draient si bien à notre es­prit et à notre goût. Qu’un pa­reil livre [que les “Qua­trains”] puisse cir­cu­ler li­bre­ment dans un pays mu­sul­man, c’est là pour nous un su­jet de sur­prise; car, sû­re­ment, au­cune ne peut ci­ter un ou­vrage où, non seule­ment la po­si­tive, mais toute croyance soit niée avec une si fine et si amère»; té­moin ce qua­train que Khayyam im­pro­visa un soir qu’un coup de vent ren­versa à son pot de vin im­pru­dem­ment posé au bord de la ter­rasse :

«Tu as brisé ma cruche de vin, ô Sei­gneur!
Tu as cla­qué sur la porte de la , ô Sei­gneur!
Sur le sol, Tu as ré­pandu mon vin gre­nat par mal­adresse
(Que ma bouche s’emplisse de terre! 5) n’étais-Tu pas ivre, Sei­gneur?
»

  1. En per­san «رباعیات». Au­tre­fois trans­crit «Ro­baïat», «Ru­baiat», «Robāïates», «Roubâ’yât», «Ro­baiyat», «Roba’yat», «Rou­bayyat», «Robái­j­ját», «Rou­baïyat» ou «Rubâi’yât». Icône Haut
  2. En per­san عمر خیام. Par­fois trans­crit Khayam, Khaïyâm, Káyyám, Hrayyâm, Cha­j­jám, Ha­j­jam, Haiām, Kheyyâm, Khèyam ou Kéyam. Icône Haut
  3. p. 76. Icône Haut
  1. «Rap­port sur les tra­vaux du Conseil», p. 56-57. Icône Haut
  2. Ex­pres­sion que les Per­sans em­ploient sou­vent pour ex­pri­mer le re­gret d’avoir pro­féré ou de de­voir pro­fé­rer un blas­phème. Icône Haut

Saadi, « “Gulistan”, le Jardin des roses »

éd. Seghers, Paris

éd. Se­ghers, Pa­ris

Il s’agit du «Gu­lis­tan» 1Le Jar­din des roses») de  2, le prince des per­sans, l’écrivain de l’ qui s’accorde le mieux, je crois, avec les goûts de la vieille par son in­al­té­rable bon sens, par la fi­nesse et la fa­ci­lité élé­gante qui ca­rac­té­risent toute son œuvre, par la in­dul­gente avec la­quelle il raille les tra­vers des hommes et blâme dou­ce­ment leurs fo­lies. Saadi na­quit à Chi­raz l’an 1184 apr. J.-C. Il per­dit ses pa­rents de bonne heure et les pleura di­gne­ment, à en ju­ger par ce qu’il dit sur les , qui lui ins­pi­rèrent quelques-uns de ses ac­cents les plus émus : «Étends ton ombre tu­té­laire sur la tête de l’orphelin… ar­rache l’épine qui le blesse. Ne connais-tu pas l’étendue de son mal­heur? L’arbrisseau ar­ra­ché de ses ra­cines peut-il en­core se cou­vrir de feuillage? Quand tu vois un or­phe­lin bais­ser tris­te­ment la tête… ne laisse pas cou­ler ses larmes; ce sont des larmes qui font trem­bler le trône de . Sèche avec ses yeux hu­mides, es­suie pieu­se­ment la pous­sière qui ter­nit son vi­sage. Il a perdu l’ombre qui pro­té­geait sa tête» 3. L’orphelin Saadi par­tit pour , où il sui­vit les cours de Soh­ra­verdi, cheikh non moins cé­lèbre par ses ten­dances que par son éru­di­tion : «Ce cheikh vé­néré, mon guide spi­ri­tuel… pas­sait la en orai­son et dès l’aube il ser­rait soi­gneu­se­ment son de prière (sans l’étaler aux re­gards)… Je me sou­viens que la ter­ri­fiante de l’enfer avait tenu éveillé ce saint pen­dant une nuit en­tière; le jour venu, je l’entendis qui mur­mu­rait ces mots : “Que ne m’est-il per­mis d’occuper à seul tout l’enfer, afin qu’il n’y ait plus de place pour d’autres dam­nés que moi!”» 4 Ce fut peu de après avoir ter­miné ses études que Saadi com­mença cette de qui était une sorte d’initiation im­po­sée aux dis­ciples spi­ri­tuels du . La fa­ci­lité avec la­quelle les adeptes de cette doc­trine al­laient d’un bout à l’autre du mu­sul­man, la na­tu­relle à son jeune âge, le peu de sû­reté de son pays na­tal, toutes ces dé­ter­mi­nèrent Saadi à s’éloigner de la pen­dant de longues an­nées. Il par­cou­rut l’, l’ et l’Inde; il éprouva les nom­breux avan­tages des voyages qui «ré­jouissent l’esprit, pro­curent des pro­fits, font voir des mer­veilles, en­tendre des choses sin­gu­lières, par­cou­rir du pays, conver­ser avec des amis, ac­qué­rir des di­gni­tés et de bonnes ma­nières… C’est ainsi que les ont dit : “Tant que tu restes comme un otage dans ta bou­tique ou ta mai­son, ja­mais, ô homme vain, tu ne se­ras un homme. Pars et par­cours le monde avant le jour fa­tal où tu le quit­te­ras”» 5.

  1. En «گلستان». Par­fois trans­crit «Go­lis­tan», «Gu­les­tan» ou «Go­les­tân». Icône Haut
  2. En per­san سعدی. Par­fois trans­crit Sa’dy, Sahdy, Sadi ou Sa‘di. Icône Haut
  3. «Le “Bous­tan”, ou Ver­ger», p. 100. Icône Haut
  1. id. p. 107. Icône Haut
  2. «“Gu­lis­tan”, le Jar­din des roses», p. 81. Icône Haut