Blaga, « Manole, Maître bâtisseur : drame en cinq actes »

éd. Librairie bleue, coll. Théâtre, Troyes

éd. Li­brai­rie bleue, coll. , Troyes

Il s’agit de «Ma­nole, Maître bâ­tis­seur» («Meș­te­rul Ma­nole») de , poète, dra­ma­turge et phi­lo­sophe , dont l’œuvre se ré­sume en un vers : «Je crois que l’éternité est née au vil­lage» 1. Né en 1895 au vil­lage de Lan­crăm, dont le nom, dit-il, rap­pelle «la des larmes» («su­ne­tele la­cri­mei»), fils d’un prêtre or­tho­doxe, Blaga fit son en­trée à l’Académie rou­maine sans pro­non­cer, comme de cou­tume, l’éloge de son pré­dé­ces­seur. Son dis­cours de ré­cep­tion fut un éloge du vil­lage , comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de «L’Âme du vil­lage» («Su­fle­tul sa­tu­lui»), les pay­sages cam­pa­gnards, les che­mins de et de boue sont «le seuil du » («prag de lume»), le vil­lage-idée d’où partent les vastes ho­ri­zons de la créa­tion ar­tis­tique et . Les re­gards rê­veurs des pay­sans sondent l’univers, se per­dant dans l’. L’ de la ville au contraire vit «dans le , la re­la­ti­vité, le concret , dans une tris­tesse constante et dans une su­per­fi­cia­lité lu­cide». Cet éloge de l’ du vil­lage comme creu­set, comme âme de la est dou­blé de l’ de­vant le mys­tère de ce que Blaga ap­pelle «le Grand » («Ma­rele Ano­nim»), c’est-à-dire . Face à cette an­goisse-là, la so­lu­tion qu’il ébauche, en s’inspirant des ro­man­tiques al­le­mands, passe par le de l’individu en tant qu’individu au pro­fit d’une col­lec­tive, ano­nyme et spon­ta­née. Puisque les grandes ques­tions du monde res­tent sans ré­ponse, la se­rait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :

«Re­garde, c’est le soir», dit Blaga 2.
«L’âme du vil­lage pal­pite près de nous
Comme une odeur ti­mide d’herbe cou­pée,
Comme une chute de fu­mée des avant-toits de paille…
»

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de «Ma­nole, Maître bâ­tis­seur», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Paola Bentz-Fauci.

«As­cultă — co­ceni de brad cad pe șin­dilă — poc, poc! Ca un de­get care bate-n co­pe­riș. Ma­nole, nu crezi oare că în­suși tim­pul zo­rește? Da, in­imă ne tre­buie — rece! Și mai ales ție — sînge rece de șarpe sau se­ra­fim. Su­fle­tul unui om clă­dit în zid ar ține lao­laltă în­cheie­tu­rile lă­cașu­lui pînă-n vea­cul vea­cu­lui. Nu vrei să pui odată capăt aces­tei griji? Ce e tru­pul ăsta? Rîia su­fle­tu­lui. Făp­tuiește, nu cumpăni!»
— Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Écoute — des pommes de pin tombent sur l’ardoise — toc, toc! On di­rait un doigt qui frappe sur le toit. Ne te semble-t-il point, Ma­nole, que c’est le lui-même qui ainsi s’impatiente? Du cœur, dis-tu? Certes, il nous en faut, mais sec, ! À toi, sur­tout — un cœur froid et du froid de ser­pent ou de sé­ra­phin. Comme se­raient le cœur et le sang d’un homme em­muré vif. Un tel lien fe­rait te­nir les joints de ton sanc­tuaire pour les siècles des siècles. Que ne veux-tu, une fois pour toutes, mettre fin à ton souci? Qu’est-ce que le ? La lèpre de l’âme. Ose, maître, et ne sou­pèse pas!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Bentz-Fauci

«Écoute — des pommes de pins tombent sur les bar­deaux — toc, toc! Comme un doigt qui frap­pe­rait sur le toit. Ma­nole, ne penses-tu pas que le temps lui-même nous ? Oui, il nous faut du cœur — et qui soit froid! pour toi sur­tout — un sang froid de ser­pent ou de sé­ra­phin. Une âme hu­maine mu­rée dans la ma­çon­ne­rie lie­rait toutes les par­ties de l’édifice jusqu’à la consom­ma­tion des siècles. Ne veux-tu pas mettre fin une bonne fois à ce souci? Qu’est-ce qu’un corps? La gale de l’âme. Agis et n’hésite plus!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Mi­caela Slǎ­vescu (éd. Mi­nerva, Bu­ca­rest)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Alexan­dru Că­li­nescu, «» dans « lit­té­raire de l’ mé­diane» (éd. L’Harmattan, coll. Aujourd’hui l’Europe, Pa­ris-Mont­réal), p. 245-282
  • Constan­tin Cio­praga, «La Per­son­na­lité de la lit­té­ra­ture rou­maine : syn­thèse » (éd. Ju­ni­mea, Iași)
  • Paul Mi­clău, «Blaga (Lu­cian)» dans «Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures» (éd. Presses uni­ver­si­taires de , Pa­ris).
  1. En rou­main «Eu cred că veș­ni­cia s-a năs­cut la sat». Icône Haut
  1. Dans Constan­tin Cio­praga, «La Per­son­na­lité de la lit­té­ra­ture rou­maine». Icône Haut