Il s’agit de la version moderne du « Classique de la pénétration du mystère »1 (« Tongxuan zhenjing »2), plus connu sous le titre de « Wen-zi »3, ouvrage attribué au philosophe taoïste du même nom qui l’aurait composé pour éclaircir les enseignements de son maître Lao-tseu. En effet, beaucoup de passages débutent par « Lao-tseu dit » et se veulent être un commentaire de ses théories, mais un commentaire qui en fournirait l’application pratique. Pourtant, si l’on excepte les dernières décennies, le « Wen-zi » n’a jamais vraiment retenu l’attention des lettrés chinois, qui élevaient des doutes sur son authenticité. Les Anciens n’ont légué à son sujet qu’une courte notice bibliographique (Ier siècle av. J.-C.) décrivant l’ouvrage comme des dialogues entre Wen-zi (Maître Wen), disciple immédiat de Lao-tseu, et le roi Ping. Or, le seul monarque suffisamment connu à avoir porté ce nom étant Ping des Zhou4, qui vécut deux siècles avant (!) Lao-tseu, on a dès le départ suspecté le « Wen-zi » de prétendre être plus ancien qu’il ne l’était. De plus, la version première, présentée dans la notice, s’était perdue sous la dynastie des Han. Une version moderne parut par la suite, mais elle ne représentait pas dans son intégrité l’œuvre originale. Seul son cinquième chapitre, intitulé « La Voie et la Vertu », était rédigé sous forme de dialogues. Tout le reste montrait un caractère composite et copiait ou imitait des passages entiers du « Huainan zi » ou d’autres livres qui, réunis dans le sien, grinçaient les uns contre les autres comme des dents ébréchées. « Un faux a donné naissance à un autre faux », concluait un lettré chinois5. Or, voici qu’en 1973 on découvrit à Dingzhou6 dans une tombe royale scellée en 55 av. J.-C. deux cent soixante-dix-sept tiges de bambou portant des bribes de la version ancienne du « Wen-zi ». Un incendie, provoqué par des pilleurs de tombe, les avait calcinées à demi, et leur état laissait si fort à désirer, qu’il fallut plus de vingt ans de travail à l’équipe chargée de leur déchiffrement pour que parût la transcription. Le « Wen-zi » sur tiges de bambou, loin de faire avancer la question de l’authenticité de l’œuvre, n’a fait que l’obscurcir davantage. Nous sommes en présence de deux versions distinctes, rédigées par des auteurs différents, à des époques éloignées l’une de l’autre.
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises de la version moderne, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Jean Levi.
「欲尸名者必生事,事生即舍公而就私,倍道而任己,見譽而為善,立而為賢,即治不順理,而事不順時.治不順理則多責,事不順時則無功.妄為要中,功成不足以塞責,事敗足以滅身.」
— Passage dans la langue originale
« Le désir de gloire incite à entreprendre ; on délaisse alors l’intérêt général pour poursuivre des buts égoïstes et tourne le dos aux pratiques régulières pour recourir à des expédients de son cru. Sitôt que l’on accomplit des actes méritoires et déploie ses talents dans l’unique but de s’attirer la louange ou de se faire un nom, les affaires seront conduites sans ordre, et les tâches — menées à contretemps ; des affaires conduites sans ordre sont source d’embarras, et des activités intempestives n’apportent aucun fruit. Même s’il arrive qu’une action brouillonne atteigne sa cible, ce genre de succès ne permet pas de solder les comptes, alors qu’un seul échec suffit à mettre ses jours en danger. »
— Passage dans la traduction de M. Levi
« Celui qui désire une vaine renommée fait pour cela naître les affaires, les difficultés, et quand il en est né une, il va au tribunal du prince ; ainsi il recherche ses propres intérêts et résiste au tao pour se poser soi-même ; il fait le bien, mais en cherchant les éloges ; il établit son renom et pour cela fait le sage. Il gouverne sans se conformer au principe de justice et s’attire de graves châtiments ; en ses affaires, il ne se conforme pas au temps, il est sans mérite et se pervertit. Cherchant même le milieu, après des œuvres méritoires accomplies, il n’a pas encore fait assez pour arrêter les calamités vengeresses. Mais les affaires perdues (entre ses mains) suffisent pour le perdre lui-même. »
— Passage dans la traduction de monseigneur Charles de Harlez (« Wen-tze » dans « Textes tâoïstes », XIXe siècle)
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- Traduction partielle de monseigneur Charles de Harlez (1891) [Source : Google Livres]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Charles Le Blanc, « Le “Wen zi” à la lumière de l’histoire et de l’archéologie » (éd. Presses de l’Université de Montréal, Montréal).