Icône Mot-clefYuko Brunet

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

Kawabata, « Au fond de l’être, “Ningen no naka” »

dans « [Nouvelles japonaises]. Tome III. Les Paons, la Grenouille, le Moine-Cigale (1955-1970) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 83-92

dans «[]. Tome III. Les Paons, la Gre­nouille, le Moine-Ci­gale (1955-1970)» (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 83-92

Il s’agit d’«Au fond de l’être» («Nin­gen no naka» 1) de  2, écri­vain qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la . «Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des à l’, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute», dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami 3. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques , il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de . Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait «jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait» 4; ou alors, un à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : «Père, vous vous êtes levé de votre lit de pour nous lais­ser, à et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi?»

  1. En ja­po­nais «人間のなか». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 川端康成. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance», p. 61-62. Icône Haut
  2. «L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques», p. 45. Icône Haut

Kyôka, « Les Noix glacées, “Kurumi” »

dans « [Nouvelles japonaises]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Citron (1910-1926) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 15-22

dans «[]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Ci­tron (1910-1926)» (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 15-22

Il s’agit des «Noix gla­cées» («Ku­rumi» 1) et autres œuvres d’ 2, écri­vain (XIXe-XXe siècle) qui créa, aussi bien dans ses fan­tas­tiques que dans ses nou­velles proches du poème en prose, un fait d’êtres sur­na­tu­rels, de in­quié­tants et de sen­suelles, un monde sans en par­tie ins­piré de sa mère ar­tiste, qu’il per­dit à l’âge de neuf ans. Fan­tasque, ca­pri­cieux, Kyôka vi­vait en­touré de ses peurs et su­per­sti­tions; il crai­gnait les chiens et les éclairs et en­le­vait les lu­nettes quand il pas­sait de­vant un , pour que rien ne brouillât son contact avec le di­vin. Il idéa­lisa le monde des gei­shas, au point d’en prendre une pour femme, en ajour­nant son jusqu’au dé­cès de son maître Ozaki Kôyô qui désap­prou­vait cette union. De l’, il ré­vé­rait les des­seins étranges et dé­ca­dents d’Aubrey Beard­sley; du — les vieilles es­tampes et scènes de nô. Hé­las! les œuvres les plus fortes et les plus vraies de Kyôka res­tent pour l’heure in­édites en . Tel est le cas de «Ni­hon­ba­shi» 3, l’ d’un jeune à la de sa sœur qui lui avait payé ses études en de­ve­nant gei­sha; ou bien «L’Ermite du mont Kôya» («Kôya hi­jiri» 4), les confes­sions d’un moine sou­mis à la par une ma­gi­cienne vo­lup­tueuse, une sorte de Circé, qui avait le pou­voir de mé­ta­mor­pho­ser les hommes en bêtes. Même au Ja­pon, mal­gré la po­pu­la­rité de ses œuvres, adap­tées très tôt au et au ci­néma, Kyôka s’éteignit dans une re­la­tive in­dif­fé­rence, laissé de côté par ses contem­po­rains. Sa pré­di­lec­tion pour le , ses étranges types fé­mi­nins qui rap­pe­laient sou­vent, par leur beauté té­né­breuse et trou­blante, les «belles dames sans merci» du oc­ci­den­tal, ne cor­res­pon­daient plus aux goûts du  : «Quand je songe à Izumi Kyôka», dit un  5, «ce qui ne cesse de me sur­prendre, c’est cet en­thou­siasme et cette in­flexible [obs­ti­na­tion] à vou­loir pré­ser­ver un tel uni­vers fan­tas­tique et plein de , dans un Ja­pon où, de­puis [l’ère] Meiji, le cou­rant prin­ci­pal était le réa­lisme… Ozaki Kôyô, ce maître pour qui Kyôka avait tant de , reste, me semble-t-il, en der­nier lieu, un au­teur réa­liste. En par exemple, même au XIXe siècle où le réa­lisme était le cou­rant lit­té­raire prin­ci­pal, [il] exis­tait un cer­tain nombre de fan­tas­tiques — Ner­val, parmi d’autres… Dans la contem­po­raine, Kyôka fait de cas unique et isolé».

  1. En ja­po­nais «胡桃». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 泉鏡花. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «日本橋». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «高野聖». Par­fois tra­duit «Le Saint du mont Kôya». Icône Haut
  2. Iku­shima Ryûi­chi dans Fran­çois La­chaud, «“L’Ermite du mont Kôya”, une lec­ture d’Izumi Kyôka», p. 71-72. Icône Haut