Bao Zhao, « Sur les berges du fleuve »

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit de Bao Zhao1, poète chi­nois (Ve siècle apr. J.-C.). Il était un vé­ri­table maître du « yuefu »2 (« poème chanté »), au­quel il re­donna une vi­gueur nou­velle en y ré­in­tro­dui­sant le ton de la langue po­pu­laire. Ses dix-neuf « yuefu » sur le thème de « La route est dif­fi­cile »3 (« Xing lu nan »4) passent pour des mo­dèles ache­vés de ce genre poé­tique ; ils ne traitent pas seule­ment de la dif­fi­culté des voyages so­li­taires, mais aussi des peines de la vie, en par­ti­cu­lier de la mé­lan­co­lie de l’âme. Plus tard, sous les Tang5, Li Po s’en ins­pira et Tu Fu les ad­mira. Des autres œuvres de Bao Zhao, je re­tiens sur­tout sa longue rhap­so­die in­ti­tu­lée « Chant de la ville dé­vas­tée »6 (« Wu cheng fu »7). C’est une re­mar­quable mé­di­ta­tion sur la va­nité des gran­deurs hu­maines, dont voici les pre­miers vers : « Au­tre­fois, au temps de gran­deur, les es­sieux des chars se tou­chaient, les hommes étaient ser­rés épaule contre épaule le long de ces routes. La plaine était cou­verte de vil­lages et de fermes, les cris et les chants em­plis­saient la voûte cé­leste. On ex­ploi­tait les ter­rains de sel, on creu­sait les mon­tagnes pour en ex­traire du cuivre. Les hommes étaient forts et pleins de ta­lents… Aussi se sont-ils per­mis d’enfreindre les lois, de né­gli­ger les pré­ceptes royaux ; ils ont dressé de hautes for­te­resses, creusé de pro­fonds ré­ser­voirs d’eau, ils ont pro­jeté de rendre leur des­tin brillant et de de­ve­nir les pre­miers de leur temps. Voici pour­quoi ils ont élevé des bâ­ti­ments et des mu­railles si grands, pour­quoi ils ont mul­ti­plié [les] pa­villons et [les] tours d’observation ; leurs édi­fices s’élevaient comme les bords es­car­pés d’un tor­rent »8.

Il n’existe pas moins de cinq tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Mi­chel Kut­tler.

「對案不能食,
拔劍擊柱長嘆息.
丈夫生世會幾時,
安能蹀躞垂羽翼?……
自古聖賢盡貧賤,
何況我輩孤且直.」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Face à la table, je ne puis man­ger.
Je tire mon épée, frappe un pi­lier9 et sou­pire lon­gue­ment.
Com­bien de temps peut du­rer la vie d’un gaillard ?
Com­ment mar­cher en lais­sant pendre ses ailes ?…
De­puis tou­jours, les sages furent pauvres et mé­pri­sés,
Et nous com­bien plus, qui sommes or­phe­lins et hon­nêtes ! »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Kut­tler

« Je re­garde mon bol et ne peux rien man­ger ;
Je dé­gaine l’épée, je frappe la co­lonne et pousse un long sou­pir.
Que peut du­rer la vie d’un homme ?
Com­ment se ré­si­gner à trot­ti­ner, à re­plier ses ailes ?…
Si, de tout temps, sages et saints furent obs­curs et pauvres,
Pour­quoi pas nous, les iso­lés et les can­dides ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Wong T’ong-wen (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique », éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« De­vant les mets, je n’ai pas en­vie de les tou­cher ;
Je tire mon épée, frappe la co­lonne et sou­pire lon­gue­ment :
Com­bien de temps dure la vie d’un homme ?
Com­ment peut-on vivre sans li­berté en re­pliant ses ailes ?…
De­puis l’Antiquité, les sages et les hommes par­faits sont tous pauvres ;
Nous autres, gar­dons l’honnêteté et n’imitons pas nos sem­blables ! »
— Poème dans la tra­duc­tion de Sung-nien Hsu (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise : des ori­gines à nos jours », éd. élec­tro­nique)

« Face à la table, je suis in­ca­pable de man­ger.
Je tire mon épée, en frappe un pi­lier et sou­pire.
Com­bien de temps peut du­rer une vie hu­maine ?
Com­ment peut-on al­ler trot­ti­nant en lais­sant re­tom­ber ses ailes !…
De­puis l’Antiquité, les sages furent tous pauvres,
À plus forte rai­son ma gé­né­ra­tion d’hommes so­li­taires et droits. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

« J’étais as­sis à table, j’étais sans ap­pé­tit.
J’ai tiré mon épée, j’ai frappé un pi­lier,
J’ai poussé un sou­pir.
Dans ce monde ici-bas, de com­bien d’ans est faite
La vie de l’être hu­main ?
Com­ment peut-il mar­cher, ce pa­pillon dont l’aile
Traîne dans la pous­sière ?…
De­puis les temps an­ciens, les sages furent tous pauvres
Et ob­jets de mé­pris.
Que dire alors de nous, qui avons le cœur droit
Mais sommes sans ap­pui ! »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Fran­çois Mar­tin (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise », éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Mi­chel Kut­tler, « Bao Zhao » dans « Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures » (éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris).
  1. En chi­nois 鮑照. Au­tre­fois trans­crit Pao Tchao ou Pao Chao. Haut
  2. En chi­nois 樂府. Au­tre­fois trans­crit « yo-fou » ou « yüeh-fu ». Haut
  3. Par­fois tra­duit « Les Peines du voyage », « Dif­fi­cul­tés de la route » ou « Ah ! que dure est la route ! ». Haut
  4. En chi­nois « 行路難 » Au­tre­fois trans­crit « Hsing lu nan ». Haut
  5. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  1. Par­fois tra­duit « La Ville aban­don­née : “fou” » ou « Rhap­so­die de la ville en ruines ». Haut
  2. En chi­nois « 蕪城賦 ». Au­tre­fois trans­crit « Wou tch’eng fou » ou « Wu-ch’eng fu ». Haut
  3. Dans « An­tho­lo­gie rai­son­née de la lit­té­ra­ture chi­noise » (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque scien­ti­fique, Pa­ris). Haut
  4. Geste de dé­pit. Haut