« Les Grands Textes de la pensée babylonienne »

dans « Les Religions du Proche-Orient asiatique » (éd. Fayard et Denoël, coll. Le Trésor spirituel de l’humanité, Paris), p. 13-349

dans « Les Re­li­gions du Proche-Orient asia­tique » (éd. Fayard et De­noël, coll. Le Tré­sor spi­ri­tuel de l’humanité, Pa­ris), p. 13-349

Il s’agit du « Mythe d’Atrahasis »1 et autres textes de la my­tho­lo­gie mé­so­po­ta­mienne (ap­pe­lée aussi as­syro-ba­by­lo­nienne), évo­quant tous les grands pro­blèmes qui, de­puis tou­jours, pré­oc­cupent l’homme : l’origine du monde et l’aspiration vers la vie éter­nelle ; les en­fers et l’au-delà ; le pro­blème du mal et ce­lui des contra­dic­tions de la na­ture hu­maine. L’extrême an­cien­neté de ces textes, dont les pre­miers re­montent au IIIe mil­lé­naire av. J.-C., ne peut être su­jette à contes­ta­tion, pas plus que l’influence exer­cée par eux sur les peuples en rap­port avec la Mé­so­po­ta­mie, et no­tam­ment sur les Hé­breux. Des thèmes bi­bliques comme ceux du jar­din d’Éden, du Dé­luge ou de la tour de Ba­bel — pour ne ci­ter que les plus cé­lèbres — dé­rivent, di­rec­te­ment ou non, de tra­di­tions mé­so­po­ta­miennes. Pour­tant, jusqu’à il y a deux siècles en­vi­ron, rien ne sub­sis­tait de cette lit­té­ra­ture. Les langues qu’avait par­lées la Mé­so­po­ta­mie étaient ou­bliées ; et quand on dé­cou­vrit quelques-uns de ses do­cu­ments écrits, on douta par­fois que les signes qu’ils por­taient fussent une écri­ture. Pour que fût re­noué le fil de l’histoire, il fal­lut at­tendre qu’en dé­cembre 1842, l’archéologue Paul-Émile Botta don­nât la pre­mière pioche sur la col­line de Kouyound­jik2, près de Mos­soul, et qu’au prix de pa­tients ef­forts, ses suc­ces­seurs missent au jour une lit­té­ra­ture in­fi­ni­ment plus va­riée et plus ori­gi­nale qu’on ne l’avait d’abord sup­posé.

pre­mière ébauche de notre « Ge­nèse »

Pour com­prendre cette lit­té­ra­ture et la cos­mo­lo­gie dont elle est le re­flet, il faut se re­pré­sen­ter la Terre telle que la voyaient les An­ciens. La Mé­so­po­ta­mie n’était pas alors une ré­gion du Proche-Orient parmi tant d’autres ; c’était le monde même — ou, à tout le moins, son centre. Voilà pour­quoi les tra­di­tions sur l’origine de la Terre et de l’homme y étaient nom­breuses et mul­tiples. « Chaque grand centre re­li­gieux cher­chait à im­po­ser la pri­mauté de son dieu et éla­bo­rait sou­vent sa propre cos­mo­lo­gie. Au Nord du pays, à Nip­pur… ré­gnait le dieu En­lil, le “Sei­gneur de l’Atmosphère”… ; au Sud, dans la la­gune, la ville d’Eridu était l’apanage du dieu Enki, le “Sei­gneur de la Terre”, le maître des eaux douces et de la connais­sance », ex­plique M. René La­bat3. De cette tra­di­tion d’Eridu, par exemple, on re­trouve l’esprit et l’essentiel de la trame dans une sorte d’épopée my­thique et sa­crée — pre­mière ébauche de notre « Ge­nèse » — que les An­ciens dé­si­gnaient par ses mots li­mi­naires « Quand les dieux à la place des hommes… », et que nous ap­pe­lons, du nom de son hé­ros, le « Mythe d’Atrahasis ». Ce « Mythe » s’ouvre sur les temps qui pré­cé­dèrent la ve­nue de l’humanité. Les dieux en ces temps-là étaient obli­gés avec fa­tigue de pour­voir eux-mêmes à leur en­tre­tien et sub­sis­tance. C’est pour se li­bé­rer de cette cor­vée qu’ils créèrent l’homme en le fa­çon­nant dans une ma­tière friable — l’argile — qui le rap­pel­lera un jour à elle ; car une ex­pres­sion cou­rante en ak­ka­dien pour « mou­rir », c’est « re­tour­ner à l’argile, à la terre ». Mais le sou­la­ge­ment qu’ils en re­çurent fut de courte du­rée ; la race hu­maine, pro­li­fé­rant, ne tarda pas à trou­bler par son va-et-vient bruyant la paix des im­mor­tels :

« Douze cents ans n’étaient pas en­core pas­sés
Que le pays ha­bité s’étendit, que se mul­ti­plièrent les peuples.
La Terre des hommes mu­gis­sait comme un tau­reau,
Et du va­carme qu’ils fai­saient, le dieu était trou­blé.
En­lil en­ten­dit leur cla­meur et dit aux grands dieux :
“Trop pe­sante est pour moi la cla­meur de l’humanité,
Du va­carme qu’ils font, je suis privé de som­meil”
 »4.

Ex­cé­dés, les dieux en vinrent, d’emblée, aux so­lu­tions les plus ex­trêmes : ils en­voyèrent l’épidémie, puis la fa­mine uni­ver­selle, pour se dé­bar­ras­ser de tous les hommes. Mais leurs plans furent désap­prou­vés par Enki qui in­di­qua à chaque fois à son pro­tégé Atra­ha­sis, « le très sage », quelque ruse pour pré­ve­nir les ef­fets du cour­roux cé­leste. Ne pou­vant par­ve­nir à leur fin, les dieux son­gèrent en­fin au Dé­luge. Atra­ha­sis, conseillé cette fois en­core par Enki, construi­sit un im­mense na­vire. On connaît la suite ; car le « Mythe d’Atrahasis » n’est autre, bien sûr, que le pro­to­type de ce­lui de Noé.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du « Mythe d’Atrahasis », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. La­bat.

« I-nu-ma i-lu a-wi-lum
Ub-lu du-ul-la iz-bi-lu šu-up-ši-ik-ka
Šu-up-ši-ik i-li ra-bi-ma
Du-ul-lu-um ka-bi-it ma-a-ad ša-ap-ša-qum…
Qa-tam i-ḫu-zu qa-ti-ša
Is-qá-am id-du-ú i-lu iz-zu-zu
A-nu i-te-li ša-me-e-ša
(la­cune) er-ṣe-tam ba-ú-la-tu-uš-šu »
— Dé­but dans la langue ori­gi­nale

« Lorsque les dieux étaient (en­core) hommes,
Ils as­su­maient le tra­vail et sup­por­taient le la­beur ;
Grand était le la­beur des dieux,
Lourd — leur tra­vail, et longue — leur dé­tresse…
Les dieux avaient pris cha­cun le go­be­let en main,
Avaient tiré au sort (et) ré­parti les parts :
Dans les cieux Anou était monté,
En­lil avait reçu la Terre pour ses su­jets »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. La­bat

« Lorsque les dieux (fai­saient) l’homme5,
Ils étaient de cor­vée et be­so­gnaient ;
Consi­dé­rable était leur be­sogne,
Leur cor­vée lourde, in­fini leur la­beur…
Les grands dieux avaient tiré au sort leurs lots :
Anu était monté au ciel ;
En­lil avait pris la Terre pour do­maine »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de MM. Jean Bot­téro et Sa­muel Noah Kra­mer (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque des his­toires, Pa­ris)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Jean Bot­téro, Cla­risse Her­ren­sch­midt et Jean-Pierre Ver­nant, « L’Orient an­cien et Nous : l’écriture, la rai­son, les dieux » (éd. A. Mi­chel, coll. La Chaire de l’IMA, Pa­ris)
  • Henri Ca­zelles, « Compte rendu sur “Atra-Ḫasīs” » dans « Re­vue d’assyriologie et d’archéologie orien­tale », vol. 64, no 2, p. 175-181
  • Charles Vi­rol­leaud, « Lit­té­ra­ture as­syro-ba­by­lo­nienne » dans « His­toire des lit­té­ra­tures. Tome I » (éd. Gal­li­mard, coll. En­cy­clo­pé­die de la Pléiade, Pa­ris), p. 253-276.
  1. Au­tre­fois trans­crit « Atram-ḫa­sîs » ou « Atar-ḫa­sîs ». Haut
  2. En arabe قوينجق. Par­fois trans­crit Quyun­jik, Kuyun­jik, Kuyund­jik ou Kouyoun­jik. Haut
  3. p. 24-25. Haut
  1. p. 30-31. Haut
  2. « Fai­saient l’homme » au sens de « jouaient le rôle de l’homme », sur le mo­dèle de « fai­saient le singe ». Haut
  3. Nom re­li­gieux d’Édouard Dhorme. Haut