Ovide, « Les Élégies d’Ovide, pendant son exil. Tome I »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des « Tristes »1 d’Ovide2. En l’an 8 apr. J.-C., alors que sa car­rière pa­rais­sait plus as­su­rée et plus confor­table que ja­mais, Ovide fut exilé à Tomes3, sur la mer Noire, à l’extrême li­mite de l’Empire. Quelle fut la cause de son exil, et quelle rai­son eut l’Empereur Au­guste de pri­ver Rome et sa Cour d’un si grand poète, pour le confi­ner dans les terres bar­bares ? C’est ce que l’on ignore, et ce qu’apparemment on igno­rera tou­jours. « Sa faute ca­pi­tale fut d’avoir été té­moin de quelque ac­tion se­crète qui in­té­res­sait la ré­pu­ta­tion de l’Empereur, ou plu­tôt de quelque per­sonne qui lui était bien chère : c’est… sur quoi nos sa­vants… qui veulent à quelque prix que ce soit de­vi­ner une énigme de dix-sept siècles, se trouvent fort par­ta­gés », ex­plique le père Jean-Ma­rin de Ker­vil­lars4. Mais lais­sons de côté les hy­po­thèses in­nom­brables et in­utiles. Il suf­fit de sa­voir que, dans ses mal­heurs, Ovide ne trouva pas d’autre res­source que sa poé­sie, et qu’il l’employa tout en­tière à flé­chir la co­lère de l’Empereur : « On ne peut man­quer d’avoir de l’indulgence pour mes écrits », écrit notre poète5, « quand on saura que c’est pré­ci­sé­ment dans le temps de mon exil et au mi­lieu de la bar­ba­rie qu’ils ont été faits. L’on s’étonnera même que, parmi tant d’adversités, j’aie pu tra­cer un seul vers de ma main… Je n’ai point ici de livres qui puissent ra­ni­mer ma verve et me nour­rir au tra­vail : au lieu de livres, je ne vois que des arcs tou­jours ban­dés ; et je n’entends que le bruit des armes qui re­ten­tit de toutes parts… Ô prince le plus doux et le plus hu­main qui soit au monde… ! Sans le mal­heur qui m’est ar­rivé sur la fin de mes jours, l’honneur de votre es­time m’aurait mis à cou­vert de tous les mau­vais bruits. Oui, c’est la fin de ma vie qui m’a perdu ; une seule bour­rasque a sub­mergé ma barque échap­pée tant de fois du nau­frage. Et ce n’est pas seule­ment quelques gouttes d’eau qui ont re­jailli sur moi ; tous les flots de la mer et l’océan tout en­tier sont ve­nus fondre sur une seule tête et m’ont en­glouti ». Il est éton­nant que les cri­tiques n’aient pas fait de ces pages poi­gnantes le cas qu’elles mé­ritent. Aux prières adres­sées à un pou­voir im­pla­cable, Ovide mêle la la­men­ta­tion d’un homme perdu loin des siens, loin d’une ci­vi­li­sa­tion dont il était na­guère le plus brillant re­pré­sen­tant. Iti­né­raire du sou­ve­nir, de la nos­tal­gie, des heures vides, son che­mi­ne­ment tou­chera tous ceux que l’effet de la for­tune ou les vi­cis­si­tudes de la guerre au­ront ar­ra­chés à leur pa­trie.

Il n’existe pas moins de onze tra­duc­tions fran­çaises des « Tristes », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle du père Jean-Ma­rin de Ker­vil­lars.

« Parve — nec in­vi­deo — sine me, li­ber, ibis in Ur­bem,
Ei mihi, quo do­mino non li­cet ire tuo !
Vade, sed in­cul­tus, qua­lem de­cet exu­lis esse ;
In­fe­lix ha­bi­tum tem­po­ris hu­jus habe.
Nec te pur­pu­reo velent vac­ci­nia fuco —
Non est conve­niens luc­ti­bus ille co­lor »
— Dé­but dans la langue ori­gi­nale

« Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à Rome sans moi : je n’en suis point ja­loux ; mais hé­las ! que n’est-il per­mis à votre maître d’y al­ler lui-même. Par­tez, mais sans ap­pa­reil, comme il convient au livre d’un au­teur exilé. Ou­vrage in­for­tuné ! que votre pa­rure soit conforme au temps où nous sommes. Ne soyez point cou­vert d’un ma­ro­quin de cou­leur de pourpre ; tout ce brillant ne sied pas bien dans un temps de deuil et de larmes. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion du père de Ker­vil­lars

« Al­lons, j’y consens, pe­tit livre : sans moi tu iras à la Ville,
Là où ton maître, hé­las ! n’a point le droit d’aller.
Va, donc, mais né­gligé, tel qu’il convient à mon exil ;
Re­vêts, in­for­tuné, la li­vrée de mon sort.
Point de myr­tille6 afin de te far­der de pourpre —
Ce n’est pas la cou­leur qui sied à ma dé­tresse »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Poi­rel (éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris)

« Va, pe­tit livre, j’y consens, va sans moi dans cette ville où, hé­las ! il ne m’est point per­mis d’aller, à moi qui suis ton père ; va, mais sans or­ne­ments, comme il convient au fils de l’exilé ; et mal­heu­reux, adopte les in­signes du mal­heur. Que le va­ciet ne te farde point de sa tein­ture de pourpre ; cette cou­leur n’est pas la cou­leur du deuil »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Charles Ni­sard (XIXe siècle)

« Pe­tit livre, je le veux bien, sans moi tu t’en iras dans la ville où, moi, ton maître, hé­las ! je ne peux pas al­ler. Va, mais sans or­ne­ment, comme il sied à un fils d’exilé. Mal­heu­reux, prends l’habit des jours où tu vis. Point de va­ciet pour te far­der de pourpre : cette cou­leur ne convient pas au deuil. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. Émile Ri­pert (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Pe­tit livre — je n’en suis pas ja­loux — tu iras sans moi à Rome. Hé­las ! il est in­ter­dit à ton maître d’y al­ler. Va, mais sans or­ne­ment, comme il convient au livre d’un exilé. Mal­heu­reux, prends l’habit de cir­cons­tance ! Point de myr­tilles pour te far­der de leur tein­ture pourpre — cette cou­leur sied mal à la tris­tesse »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. Jacques An­dré (éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris)

« Pe­tit livre, je ne m’oppose pas à ton bon­heur : tu iras à Rome sans moi, à Rome, hé­las ! où ne peut al­ler ton père. Pars, mais sans or­ne­ment, comme il convient au fils d’un exilé ; mal­heu­reux, prends la li­vrée du mal­heur : point de va­ciet pour te re­vê­tir de sa tein­ture de pourpre ; cette cou­leur sied mal à la tris­tesse »
— Dé­but dans la tra­duc­tion d’Armand-Balthasard Ver­nadé, re­vue par Émile Pes­son­neaux (XIXe siècle)

« Pe­tit vo­lume, je ne m’oppose pas à ton bon­heur : tu iras à Rome sans moi, à Rome, hé­las ! où ne peut al­ler ton père. Pars, mais sans or­ne­ment, comme il convient à l’œuvre d’un exilé ; in­for­tuné, garde la li­vrée du mal­heur : point de va­ciet pour te re­vê­tir de sa tein­ture de pourpre ; cette riche nuance sied mal à la tris­tesse »
— Dé­but dans la tra­duc­tion d’Armand-Balthasard Ver­nadé (XIXe siècle)

« Tu veux donc al­ler sans moi à Rome, mon livre ? Je n’envie point ton bon­heur. Hé­las ! que n’est-il per­mis à ton maître de t’accompagner. Vas-y, mais sans or­ne­ment comme doit être un banni. Couvre-toi se­lon l’état où ton mal­heur t’a ré­duit, non pas d’une cou­ver­ture teinte en pourpre et en vio­let, car cette cou­leur sied mal au deuil. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion d’Étienne-Algay de Mar­ti­gnac (XVIIe siècle)

« C’est sans moi, pe­tit livre (et je ne t’en veux pas), que tu iras à Rome ;
Hé­las ! à moi, ton maître, il n’est pas per­mis d’y al­ler !
Vas-y, mais sans ap­prêts, comme il convient aux exi­lés ;
Re­vêts l’aspect, in­for­tuné, de ma si­tua­tion.
Pas d’airelles pour te cou­vrir d’une tein­ture pourpre :
Cette cou­leur ne convient pas à l’affliction »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Mme Da­nièle Ro­bert (éd. Actes Sud, coll. The­sau­rus, Arles)

« Pe­tit livre
Hé­las
Va sans moi dans la ville où je suis in­ter­dit
Va tout simple
Sans or­ne­ments sa­vants
Comme il sied aux exi­lés
Un ha­bit de tous les jours
Les déshé­ri­tés ne portent pas la pourpre
Le deuil ne se fait pas en rouge »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Mme Ma­rie Dar­rieus­secq (éd. POL, Pa­ris)

« Pe­tit livre, je ne dis pas non : tu iras à Rome sans moi — à Rome, hé­las, où ton maître n’a plus le droit d’aller ! Vas-y, mais mal vêtu, comme il sied au livre d’un exilé. Prends, mal­heu­reux, la te­nue de cette triste sai­son de ma vie. Je ne te veux pas fardé de la tein­ture pourpre des ai­relles : un tel éclat ne convient pas au deuil. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Mme Chan­tal Labre (éd. Ar­léa, coll. Re­tour aux grands textes, Pa­ris)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Hu­bert Zeh­na­cker et Jean-Claude Fre­douille, « Lit­té­ra­ture la­tine » (éd. Presses uni­ver­si­taires de France, coll. Pre­mier Cycle, Pa­ris).
  1. En la­tin « Tris­tia » ou « Tris­tium li­bri ». Haut
  2. En la­tin Pu­blius Ovi­dius Naso. Haut
  3. Aujourd’hui Constanța, en Rou­ma­nie. Haut
  1. « Tome I », p. X. Haut
  2. id. p. 273-275 & 107 & 115. Haut
  3. L’airelle myr­tille ou va­ciet (« Vac­ci­nium myr­tillus ») est un ar­bris­seau dont les pe­tites baies ser­vaient à teindre en pourpre. Haut