Il s’agit des « Tristes »1 d’Ovide2. En l’an 8 apr. J.-C., alors que sa carrière paraissait plus assurée et plus confortable que jamais, Ovide fut exilé à Tomes3, sur la mer Noire, à l’extrême limite de l’Empire. Quelle fut la cause de son exil, et quelle raison eut l’Empereur Auguste de priver Rome et sa Cour d’un si grand poète, pour le confiner dans les terres barbares ? C’est ce que l’on ignore, et ce qu’apparemment on ignorera toujours. « Sa faute capitale fut d’avoir été témoin de quelque action secrète qui intéressait la réputation de l’Empereur, ou plutôt de quelque personne qui lui était bien chère : c’est… sur quoi nos savants… qui veulent à quelque prix que ce soit deviner une énigme de dix-sept siècles, se trouvent fort partagés », explique le père Jean-Marin de Kervillars4. Mais laissons de côté les hypothèses innombrables et inutiles. Il suffit de savoir que, dans ses malheurs, Ovide ne trouva pas d’autre ressource que sa poésie, et qu’il l’employa tout entière à fléchir la colère de l’Empereur : « On ne peut manquer d’avoir de l’indulgence pour mes écrits », écrit notre poète5, « quand on saura que c’est précisément dans le temps de mon exil et au milieu de la barbarie qu’ils ont été faits. L’on s’étonnera même que, parmi tant d’adversités, j’aie pu tracer un seul vers de ma main… Je n’ai point ici de livres qui puissent ranimer ma verve et me nourrir au travail : au lieu de livres, je ne vois que des arcs toujours bandés ; et je n’entends que le bruit des armes qui retentit de toutes parts… Ô prince le plus doux et le plus humain qui soit au monde… ! Sans le malheur qui m’est arrivé sur la fin de mes jours, l’honneur de votre estime m’aurait mis à couvert de tous les mauvais bruits. Oui, c’est la fin de ma vie qui m’a perdu ; une seule bourrasque a submergé ma barque échappée tant de fois du naufrage. Et ce n’est pas seulement quelques gouttes d’eau qui ont rejailli sur moi ; tous les flots de la mer et l’océan tout entier sont venus fondre sur une seule tête et m’ont englouti ». Il est étonnant que les critiques n’aient pas fait de ces pages poignantes le cas qu’elles méritent. Aux prières adressées à un pouvoir implacable, Ovide mêle la lamentation d’un homme perdu loin des siens, loin d’une civilisation dont il était naguère le plus brillant représentant. Itinéraire du souvenir, de la nostalgie, des heures vides, son cheminement touchera tous ceux que l’effet de la fortune ou les vicissitudes de la guerre auront arrachés à leur patrie.
Il n’existe pas moins de onze traductions françaises des « Tristes », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle du père Jean-Marin de Kervillars.
« Parve — nec invideo — sine me, liber, ibis in Urbem,
Ei mihi, quo domino non licet ire tuo !
Vade, sed incultus, qualem decet exulis esse ;
Infelix habitum temporis hujus habe.
Nec te purpureo velent vaccinia fuco —
Non est conveniens luctibus ille color »
— Début dans la langue originale
« Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à Rome sans moi : je n’en suis point jaloux ; mais hélas ! que n’est-il permis à votre maître d’y aller lui-même. Partez, mais sans appareil, comme il convient au livre d’un auteur exilé. Ouvrage infortuné ! que votre parure soit conforme au temps où nous sommes. Ne soyez point couvert d’un maroquin de couleur de pourpre ; tout ce brillant ne sied pas bien dans un temps de deuil et de larmes. »
— Début dans la traduction du père de Kervillars
« Allons, j’y consens, petit livre : sans moi tu iras à la Ville,
Là où ton maître, hélas ! n’a point le droit d’aller.
Va, donc, mais négligé, tel qu’il convient à mon exil ;
Revêts, infortuné, la livrée de mon sort.
Point de myrtille6 afin de te farder de pourpre —
Ce n’est pas la couleur qui sied à ma détresse »
— Début dans la traduction de M. Dominique Poirel (éd. La Différence, coll. Orphée, Paris)
« Va, petit livre, j’y consens, va sans moi dans cette ville où, hélas ! il ne m’est point permis d’aller, à moi qui suis ton père ; va, mais sans ornements, comme il convient au fils de l’exilé ; et malheureux, adopte les insignes du malheur. Que le vaciet ne te farde point de sa teinture de pourpre ; cette couleur n’est pas la couleur du deuil »
— Début dans la traduction de Charles Nisard (XIXe siècle)
« Petit livre, je le veux bien, sans moi tu t’en iras dans la ville où, moi, ton maître, hélas ! je ne peux pas aller. Va, mais sans ornement, comme il sied à un fils d’exilé. Malheureux, prends l’habit des jours où tu vis. Point de vaciet pour te farder de pourpre : cette couleur ne convient pas au deuil. »
— Début dans la traduction de M. Émile Ripert (éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, Paris)
« Petit livre — je n’en suis pas jaloux — tu iras sans moi à Rome. Hélas ! il est interdit à ton maître d’y aller. Va, mais sans ornement, comme il convient au livre d’un exilé. Malheureux, prends l’habit de circonstance ! Point de myrtilles pour te farder de leur teinture pourpre — cette couleur sied mal à la tristesse »
— Début dans la traduction de M. Jacques André (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Petit livre, je ne m’oppose pas à ton bonheur : tu iras à Rome sans moi, à Rome, hélas ! où ne peut aller ton père. Pars, mais sans ornement, comme il convient au fils d’un exilé ; malheureux, prends la livrée du malheur : point de vaciet pour te revêtir de sa teinture de pourpre ; cette couleur sied mal à la tristesse »
— Début dans la traduction d’Armand-Balthasard Vernadé, revue par Émile Pessonneaux (XIXe siècle)
« Petit volume, je ne m’oppose pas à ton bonheur : tu iras à Rome sans moi, à Rome, hélas ! où ne peut aller ton père. Pars, mais sans ornement, comme il convient à l’œuvre d’un exilé ; infortuné, garde la livrée du malheur : point de vaciet pour te revêtir de sa teinture de pourpre ; cette riche nuance sied mal à la tristesse »
— Début dans la traduction d’Armand-Balthasard Vernadé (XIXe siècle)
« Tu veux donc aller sans moi à Rome, mon livre ? Je n’envie point ton bonheur. Hélas ! que n’est-il permis à ton maître de t’accompagner. Vas-y, mais sans ornement comme doit être un banni. Couvre-toi selon l’état où ton malheur t’a réduit, non pas d’une couverture teinte en pourpre et en violet, car cette couleur sied mal au deuil. »
— Début dans la traduction d’Étienne-Algay de Martignac (XVIIe siècle)
« C’est sans moi, petit livre (et je ne t’en veux pas), que tu iras à Rome ;
Hélas ! à moi, ton maître, il n’est pas permis d’y aller !
Vas-y, mais sans apprêts, comme il convient aux exilés ;
Revêts l’aspect, infortuné, de ma situation.
Pas d’airelles pour te couvrir d’une teinture pourpre :
Cette couleur ne convient pas à l’affliction »
— Début dans la traduction de Mme Danièle Robert (éd. Actes Sud, coll. Thesaurus, Arles)
« Petit livre
Hélas
Va sans moi dans la ville où je suis interdit
Va tout simple
Sans ornements savants
Comme il sied aux exilés
Un habit de tous les jours
Les déshérités ne portent pas la pourpre
Le deuil ne se fait pas en rouge »
— Début dans la traduction de Mme Marie Darrieussecq (éd. POL, Paris)
« Petit livre, je ne dis pas non : tu iras à Rome sans moi — à Rome, hélas, où ton maître n’a plus le droit d’aller ! Vas-y, mais mal vêtu, comme il sied au livre d’un exilé. Prends, malheureux, la tenue de cette triste saison de ma vie. Je ne te veux pas fardé de la teinture pourpre des airelles : un tel éclat ne convient pas au deuil. »
— Début dans la traduction de Mme Chantal Labre (éd. Arléa, coll. Retour aux grands textes, Paris)
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- Traduction d’Armand-Balthasard Vernadé (éd. électronique) [Source : Roma quadrata]…
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- Hubert Zehnacker et Jean-Claude Fredouille, « Littérature latine » (éd. Presses universitaires de France, coll. Premier Cycle, Paris).