Il s’agit de Pak Il-lo 1, Chŏng Ch’ŏl 2 et autres poètes classiques de la Corée (VIIe-XIXe siècle). Jadis, pour les Coréens, les préceptes de la morale chinoise — piété filiale, fidélité au suzerain, modération — constituaient la principale source de l’art d’écrire. Le style, la valeur littéraire étaient subordonnés à l’orthodoxie de la pensée. Un auteur soucieux des mœurs acquises, de l’ordre figé était toujours mis au-dessus d’un auteur brillant. Le fonctionnaire-lettré digne de ce nom se devait d’ignorer ou de désavouer ce qui ne venait pas des Anciens. L’originalité était condamnable, l’initiative — suspecte : il ne fallait ni idées neuves ni recherches inédites. « Il en résultait que, dès qu’un écrivain trouvait dans un ouvrage classique un passage ou une phrase correspondant à l’idée qu’il avait dans l’esprit, il n’avait garde de chercher une façon de dire personnelle : il transcrivait le passage ou la phrase, joyeux de se couvrir de l’autorité d’un Ancien » 3. Sauf exception, la poésie coréenne paraît donc peu originale, toujours imbue de l’esprit chinois, souvent une simple imitation. Telle qu’elle est cependant, bien inférieure aux poésies japonaise et vietnamienne qui ont su se ménager une part de fantaisie malgré les emprunts faits à l’étranger, elle l’emporte de beaucoup sur ce qu’ont produit les Mongols, les Mandchous et les autres élèves de la Chine. Voici les principaux genres de la poésie coréenne : 1º « Hyangga » 4 (« chants du terroir ») conservés dans le recueil « Choses qui nous sont parvenues de l’époque des Trois Royaumes » (« Samguk Yusa » 5) et qui représentent les premières œuvres rédigées en coréen ; 2º « Changga » 6 (« chansons longues ») remontant à la dynastie de Koryŏ ; 3º « Sijo » 7 (« airs populaires »), brefs poèmes de trois vers, la forme la plus emblématique de la poésie coréenne ; 4º « Kasa » 8 (« chants rythmés »), sorte de prose rythmée ; enfin 5º « Hansi » 9 (« poèmes en chinois »).
Corée
« Le Chant de la fidèle Chunhyang »
Il s’agit du « Chant de Chunhyang » (« Chunhyang-ga » 1) ou « Histoire de Chunhyang » (« Chunhyang-jŏn » 2), légende fort célèbre en Corée et chantée dans les réjouissances populaires. Elle traite de l’amour entre Chunhyang 3 (« Parfum de printemps »), fille d’une ancienne courtisane, et Mongryong 4 (« Rêve de dragon »), fils d’un noble gouverneur. Au moment où les fleurs commençaient à s’épanouir, le jeune Mongryong était occupé à lire dans la bibliothèque de son père. Ayant interrompu son travail pour se promener, il vit la jeune Chunhyang en train de faire de la balançoire : « Elle saisit la corde de ses délicates mains, monta sur la planche et s’envola… Vue de face, elle était l’hirondelle qui plonge pour attraper au vol un pétale de fleur de pêcher qui glisse sur le sol. De dos, elle semblait un papillon multicolore qui s’éloigne à la recherche de sa compagne » 5. Mongryong tomba aussitôt amoureux d’elle, et elle de lui. À cause de la différence dans leur condition et dans leur fortune, ils s’épousèrent en cachette. Sur ces entrefaites, le père de Mongryong fut appelé à la capitale, où son fils fut obligé de le suivre. Leur successeur, homme « brutal et emporté » 6, voulut acheter les faveurs de Chunhyang, mais celle-ci lui résista, fidèle à son lointain époux, si bien qu’elle fut torturée et emprisonnée. Je ne dirai rien de la fin de l’histoire, sinon qu’elle est heureuse. Le succès du « Chant de Chunhyang » lui vient de ce qu’il osait parler tout haut d’amour en cette Corée de l’ancien régime où les jeunes cœurs étouffaient sous le poids de l’autorité, et où le mariage était une affaire de raison, traitée entre pères, sans que les conjoints aient la moindre voix au chapitre. Certes, je l’avoue : l’intrigue est naïve, les caractères — vieillis, le style — maladroit ; mais, sous tout cela, on sent l’âme des grands poètes du peuple. Leurs sentiments bons et purs ont passé à travers cette œuvre. Ils l’ont vivifiée autrefois ; ils la soutiennent encore aujourd’hui, car le « Chant de Chunhyang » continue d’être représenté dans la ville de Namwon 7, qui est celle de la jeune héroïne. Il s’y tient chaque année un grand festival auquel participent les meilleurs « myeongchang » 8 (« maîtres chanteurs »). On dit que certains d’entre eux, « afin de donner à leur voix la perfection de l’expressivité… vont jusqu’à cracher du sang » 9 devant une foule qui les paie amplement en sanglots et en applaudissements.
- En coréen « 춘향가 ».
- En coréen « 춘향전 ». Autrefois transcrit « Tchyoun hyang tjyen », « Tchoun-hyang-djun », « Tchun hyang djŏn », « Choon hyang jyn », « Chun hyang chun », « Chun-hyang-jun », « Ch’unhyang chŏn » ou « Chunhyangjeon ».
- En coréen 춘향.
- En coréen 몽룡.
- p. 25.