Il s’agit du « Safar-nâmeh » 1, relation du voyage de Nâsir-e Khosraw 2 en Syrie, en Palestine, en Égypte, en Arabie et en Perse. Nâsir naquit en l’an 1004 apr. J.-C. ainsi qu’il nous l’apprend lui-même : « Il s’était écoulé trois cent quatre-vingt-quatorze ans depuis l’hégire, quand ma mère me déposa dans cette demeure poudreuse. Je poussai, ignorant de tout, et semblable à une plante qui naît de la terre noire… C’est à la quatrième période que je sentis que j’appartenais à l’humanité, lorsque mon être, voué à la tristesse, put articuler des paroles » 3. Ses ancêtres avaient quitté Bagdad pour venir s’établir dans la ville de Balkh 4. Lui-même désigne cette ville comme la résidence de sa famille : « Ô brise de l’après-midi », dit-il 5, « si tu passes sur le pays de Balkh, passe sur ma maison et enquiers-toi de l’état des miens ». Il s’adonna dans sa jeunesse aux plaisirs et à la dissipation. En 1045 apr. J.-C., un saint personnage lui apparut en songe et lui reprocha ses erreurs et ses transgressions continuelles des lois divines. Nâsir demanda quelle voie il devait suivre, et sur un signe qu’il crut lui indiquer la direction de la Mecque, il se démit de son emploi, rendit ses comptes et se mit en route, avec son frère et un petit esclave indien, pour un voyage qui devait durer sept ans : « Souvent, dans le cours de mon voyage, je n’ai eu que la pierre pour matelas et pour oreiller ; souvent les nuages m’ont servi de tente et de pavillon. Tantôt je descendais dans les profondeurs de la terre, jusqu’au poisson qui la supporte ; tantôt, sur les sommets des montagnes, je m’élevais plus haut que les Gémeaux » 6.
L’immense intérêt d’une description de l’Orient faite un demi-siècle avant les croisades, par un Persan tiraillé entre la rigueur musulmane et des besoins mystiques bien plus impérieux, se laisse facilement apercevoir. « Certes, Nâsir n’est pas exempt de ces inexactitudes auxquelles n’échappe aucun voyageur du Moyen Âge ni de ce tour mesquin d’observation qui nous fait, chez les Orientaux, l’effet d’enfantillage », dit Ernest Renan 7. « La justesse et la proportion lui manquent tout à fait ; son attention est superficielle et peu soutenue. On peut lui trouver cependant l’esprit plus solide et plus sagace qu’…aux polygraphes arabes, dont la foi religieuse est plus étroite que la sienne, et à qui manquent les idées les plus élémentaires en fait de possible ou d’impossible. La Mecque, malgré sa sainteté, le laisse froid. Il préfère, à cette aridité, à cette barbarie, la civilisation matérielle du Caire et son luxe tout profane. »
une description de l’Orient faite un demi-siècle avant les croisades
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Safar-nâmeh » : « Le Caire devint une grande ville à laquelle peu de cités peuvent être comparées. J’ai calculé qu’il ne s’y trouve pas moins de vingt mille boutiques qui toutes sont la propriété du sultan. Un grand nombre d’entre elles sont louées chacune au prix de dix dinars maghreby par mois, et il n’y en a que peu qui se louent moins de deux dinars.
Les caravansérails, les bains et les autres édifices publics sont en si grand nombre qu’il est difficile d’en faire le dénombrement et tous ces biens sont la propriété du sultan, car nul ne peut posséder ni maisons ni immeubles, hormis ceux qu’il a fait bâtir lui-même. On m’a raconté qu’il y a… vingt mille maisons appartenant au sultan et qui sont données en location… On les livre et on les reprend au gré des locataires, sans imposer à qui que ce soit la moindre obligation à ce sujet » 8.
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- Édition et traduction de Charles Schefer (1881) [Source : Google Livres]
- Édition et traduction de Charles Schefer (1881) ; autre copie [Source : Google Livres]
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- Traduction de Charles Schefer (éd. électronique) [Source : Remacle.org].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Yahya el-Khachab, « Nāṣir è Ḫosraw : son voyage, sa pensée religieuse, sa philosophie et sa poésie » (éd. P. Barbey, Le Caire)
- Nâsir-e Khosraw, « Le Livre réunissant les deux sagesses » (éd. Fayard, coll. L’Espace intérieur, Paris)
- Ernest Renan, « Compte rendu sur “Relation d’un voyage en Syrie, en Palestine, en Égypte, en Arabie et en Perse” » dans « Journal des savants », 1882, p. 633-641 [Source : Google Livres].
- En persan « سفرنامه ». Parfois transcrit « Sefer Namèh », « Sefer-nāme », « Safarnoma », « Safar-nāma » ou « Safar-nāmah ».
- En persan ناصرخسرو. Parfois transcrit Nāṣer Ḫosrov, Nāṣer-e Ḫosrou, Nāsir-i-Khosro, Nassiri Khosrau, Nâṣir-i-Ḫusrau, Nāṣir è Ḫosraw, Naser-e Khosrow, Nâçir Khosroû, Nasir Khusrow, Naser Josrow, Nasser Chosrau, Naseer Khusrau ou Nasir Khusraw.
- p. XVIII.
- Aujourd’hui rattachée à l’Afghanistan.