Yuan Mei, « Divers Plaisirs à la villa Sui : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit des « Poèmes » de Yuan Zi­cai1, plus connu sous le sur­nom de Yuan Mei2, poète et conteur chi­nois, que son in­dé­pen­dance, son sa­voir, sa li­berté d’esprit met­taient en marge des aca­dé­mismes du temps. Il na­quit en l’an 1716 apr. J.-C. Sa fa­mille était loin d’être riche. Son père voya­geait comme se­cré­taire dans des pro­vinces re­cu­lées pour en­voyer de quoi nour­rir la mai­son­née, tan­dis que sa mère res­tait à Hangz­hou avec plu­sieurs fils et filles en bas âge et fai­sait des pro­diges d’économie pour les éle­ver. Déjà dans son en­fance, Yuan Mei ché­ris­sait les livres plus qu’il ne ché­ris­sait la vie. Chaque fois qu’il pas­sait de­vant une li­brai­rie, ses pieds s’arrêtaient na­tu­rel­le­ment, et l’eau lui en ve­nait à la bouche ; mais les prix étaient trop éle­vés : « Il n’y avait que dans le rêve que j’en ache­tais », dit-il non sans amer­tume3. Le goût des livres lui était « plus suave que ce­lui d’un vin vieux »4. Le but de sa vie était la sa­tis­fac­tion de ce goût, et non pas la réus­site aux concours ni l’obtention des di­plômes qui ou­vraient les portes du man­da­ri­nat : « Une fois le livre ou­vert, j’ignore les cent af­faires. Quand j’ai un livre an­cien, je suis comme ivre ; homme d’aujourd’hui je gas­pille mon temps avec les hommes d’autrefois », dit-il dans un de ses poèmes5. À l’âge de qua­rante ans, ayant ac­quis une cer­taine for­tune, Yuan Mei s’adonna tout en­tier aux belles-lettres. Pour ne pas être dis­trait de ses tra­vaux par « les pen­sées du monde de pous­sière »6, il alla se fixer dans une villa qu’il avait ache­tée aux portes de Nan­kin. Dans son « Re­cueil de lit­té­ra­ture de la mai­son sise sur la Col­line du Gre­nier » (« Xiao­cang shan­fang wenji »7), l’on peut lire de nom­breux dé­tails sur cette villa, son his­toire et ses en­vi­rons : « À deux “li” à l’Ouest du pont de la porte sep­ten­trio­nale de Nan­kin, je trou­vai la Col­line du Gre­nier… Là, au temps de l’Empereur Kangxi8, un cer­tain Sui, di­rec­teur de la Fa­brique im­pé­riale de Soie­ries, avait élevé un pa­villon sur le pic sep­ten­trio­nal de la Col­line, avait planté au­tour des arbres, des ar­bustes et avait cir­cons­crit le tout d’un mur. Tous les ha­bi­tants de Nan­kin ve­naient se pro­me­ner et ad­mi­rer la na­ture dans cet en­droit : on l’appelait “Sui yuan”9 (“villa Sui”, ou lit­té­ra­le­ment “jar­din de Sui”), du nom de son pro­prié­taire. Trente ans plus tard, lorsque je fus nommé [ma­gis­trat] à Nan­kin, ce jar­din était presque en­tiè­re­ment dé­truit, et le pa­villon s’était trans­formé en un vul­gaire ca­ba­ret où les char­re­tiers et les por­teurs de chaises se dis­pu­taient tout le jour. À cette vue j’eus le cœur serré ; je pris ce jar­din en pi­tié et de­man­dai le prix du ter­rain »10.

Tout let­tré qui pas­sait par Nan­kin, vînt-il d’au-delà des mers, ne man­quait ja­mais d’aller rendre vi­site au « maître de la villa Sui »

Cette villa se mé­ta­mor­phosa en quelque sorte en Aca­dé­mie lit­té­raire. Yuan Mei y réunis­sait sou­vent des amis et des col­lègues pour lire des vers, dé­battre sur le style ou faire sim­ple­ment « une pause à l’ombre des arbres »11. Toute per­sonne ap­par­te­nant, de près ou de loin, à la lit­té­ra­ture y était bien re­çue et bien trai­tée. Tout let­tré qui pas­sait par Nan­kin, vînt-il d’au-delà des mers, ne man­quait ja­mais d’aller rendre vi­site au « maître de la villa Sui » (« Sui yuan xian sheng »12). Plu­sieurs hommes de ta­lent, fixés à Nan­kin, de­vinrent ses dis­ciples. Treize femmes, aban­don­nant l’aiguille pour le pin­ceau, les imi­tèrent et furent ad­mises à ses séances ; il leur fai­sait com­po­ser des poèmes, il pro­cla­mait les mé­rites de leur sexe et il im­pri­mait à ses frais leurs es­sais sur les blocs d’imprimerie qu’il avait ins­tal­lés dans les combles de sa villa. Ce fé­mi­nisme fit scan­dale. Ce fut le point le plus sen­sible, l’origine des at­taques les plus vi­ru­lentes des ad­ver­saires de Yuan Mei, qui sur­nom­me­ront sa mai­son l’Académie des Pros­ti­tuées et l’accuseront de dé­bauche : « Ces temps-ci », di­ront-ils13, « un vieil homme est ap­paru qui se consi­dère comme un let­tré de ta­lent, mais… à bien y re­gar­der, sa poé­sie et sa qua­lité hu­maine sont d’une in­sou­te­nable vul­ga­rité. Quant à ses “Pro­pos sur la poé­sie”, ils ont quelque chose qui fait pen­ser à [un] homme qui viole une femme de­vant son mari ou une fille de­vant son père ». La pos­té­rité, elle, l’immortalisera, mais en ne re­te­nant de lui que son ca­rac­tère sin­gu­lier.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises des « Poèmes », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Col­let.

「靜坐西溪上,
春風白日斜.
吹來香氣雜,
不辨是何花.」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« As­sis tran­quille­ment au bord du ruis­seau à l’Ouest
Le vent prin­ta­nier, tan­dis que le so­leil dé­cline,
Souffle jusqu’ici un mé­lange de sen­teurs
Im­pos­sible de dis­tin­guer telle fleur de telle autre »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Cheng et M. Col­let

« Tran­quille­ment as­sis sur le bord du ruis­seau oc­ci­den­tal,
Lorsque le brillant so­leil est à son dé­clin, la brise du prin­temps
M’apporte dans son souffle un tel mé­lange de par­fums
Que je ne puis dis­cer­ner de quelles fleurs ceux-ci pro­viennent. »
— Poème dans la tra­duc­tion de Ca­mille Im­bault-Huart (dans « La Poé­sie chi­noise, du XIVe au XIXe siècle : ex­traits des poètes chi­nois », XIXe siècle)

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  1. En chi­nois 袁子才. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tseu-ts’aï ou Yüan Tzu-ts’ai. Haut
  2. En chi­nois 袁枚. Au­tre­fois trans­crit Yuen Mei. Haut
  3. p. 117. Haut
  4. p. 96. Haut
  5. p. 113. Haut
  6. p. 13. Haut
  7. En chi­nois « 小倉山房文集 ». Au­tre­fois trans­crit « Siao-ts’ang-chan-fang-ouen-tsi », « Siao tshang chan fang oen tsi » ou « Hsiao-ts’ang shan-fang wen-chi ». Haut
  1. Qui ré­gnait entre les an­nées 1661 et 1722. Haut
  2. En chi­nois 隨園. Au­tre­fois trans­crit « Soei yuen » ou « Soueï-yuan ». Haut
  3. Étude de Ca­mille Im­bault-Huart. Haut
  4. p. 12. Haut
  5. En chi­nois 隨園先生. Au­tre­fois trans­crit « Souei-yuan sièn-cheng ». Haut
  6. Dans « Ce dont le Maître ne par­lait pas : le mer­veilleux oni­rique », p. 10-11. Haut