Il s’agit de Kitahara Hakushû 1, poète qui, par la création du genre « dôyô » 2 (« chanson enfantine ») et par l’adoption d’images et de rythmes directement empruntés aux symbolistes occidentaux, donna à la poésie japonaise une direction et une impulsion nouvelles. De son vrai nom Kitahara Ryûkichi 3, il naquit en 1885. Sa ville natale, Yanagawa, était sillonnée d’innombrables canaux et faisait partie de ces petites villes fluviales, paisibles et mortes, qui ressemblent à des cercueils flottant sur l’eau : « Yanagawa, avec ses canaux », dit-il dans une préface 4, « c’est d’abord mon village natal… C’est aussi le creuset de mon œuvre poétique. Oui, c’est de l’entrecroisement de [ses] canaux, de cette topographie même, qu’a jailli ma phrase, que s’est formé mon style ». Mais sa passion pour la poésie le poussa, dès 1904, à quitter ces paysages du Sud et à s’installer à Tôkyô, champ de toutes les expérimentations littéraires. Les années suivantes, un recueil de poèmes européens traduit par Ueda Bin, « Kaichôon » 5 (« Murmures de mer »), ainsi qu’un autre recueil concentré cette fois sur la poésie française et préparé par Nagai Kafû, « Sangoshû » 6 (« Coraux »), firent connaître au Japon le symbolisme. Kitahara, extraordinairement réceptif à ce nouveau courant, s’en inspira dès ses premières œuvres. Celles-ci furent saluées par le même Ueda Bin comme une « synthèse entre la tradition des chansons japonaises anciennes et les formes les plus nouvelles de l’art français » 7.
« l’adulte, quel qu’il soit, ne perd pas cet esprit d’enfance qui constitue sa vraie nature »
Toutefois, ce n’est qu’avec la revue « Akai Tori » 8 (« L’Oiseau rouge ») que Kitahara s’imposa de façon incontestée. Fondée par Suzuki Miekichi, cette nouvelle revue pour enfants jugeait les textes figurant dans les manuels scolaires comme « entachés de prosaïsme et de vulgarité » et souhaitait élever le niveau littéraire des écoliers en faisant « appel aux efforts ardents des plus grands artistes contemporains » 9. Jusqu’à sa mort (en 1942), Kitahara composera plus de mille chansons enfantines et ne cessera jamais d’être reconnaissant envers « Akai Tori », à qui il doit vraiment de s’être orienté sur la voie du « dôyô », la principale voie de son activité poétique. « “Akai Tori” fut vraiment le symbole même de la seconde moitié de la vie de Suzuki Miekichi, mais aussi le reflet fidèle de ce que je suis, moi », dira-t-il 10. Au rôle de créateur poétique, Kitahara ajoutera également celui de guide. En effet, il encouragera ses petits lecteurs à lui envoyer leurs propres créations, qu’il choisira d’un point de vue artistique, et qu’il publiera dans les colonnes de la revue, en les accompagnant de remarques. Bien sûr, il aura vieilli entre-temps. Mais quelque part, dans le cœur d’une grande personne comme lui, aussi bien que dans celui d’enfants comme ses correspondants, résonne, affirmera-t-il, le même beau son, plein de simplicité, qui nous réunit et ne change pas malgré le temps qui s’écoule : « On dit que l’enfant est le père de l’homme. En somme, l’adulte, quel qu’il soit, ne perd pas cet esprit d’enfance qui constitue sa vraie nature. C’est précisément là — sans doute — que réside la noblesse de l’être humain. Et c’est surtout le poète qui conserve dans toute sa richesse cet esprit d’enfance » 11.
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises des « Chansons pour l’enfance », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Mme Dominique Palmé.
「猫のあたまにあつまれば
光は銀のごとくなり
われらが心に沁み入れば
月かげ懺悔のたねとなる」— Poème dans la langue originale
« Quand sur la tête du chat il se concentre
Ses rayons deviennent pareils à l’argent
Mais qu’il s’infiltre dans nos cœurs
Et le reflet de lune y sème le remords »
— Poème dans la traduction de Mme Palmé
« Quand les rayons de lune inondent la tête d’un chat,
Ils brillent, ces rayons, comme de l’argent.
Quand ils pénètrent dans nos cœurs,
Ces rayons y font naître la contrition de nos erreurs passées. »
— Poème dans la traduction de Kuni Matsuo et Émile Steinilber-Oberlin (dans « Anthologie des poètes japonais contemporains », éd. Mercure de France, Paris)
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- Traduction partielle de Kuni Matsuo et Émile Steinilber-Oberlin (1939) [Source : Yoto Yotov].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Kawarabayashi Akiko, « Sasaoka Tadayoshi et la “seikatsu-tsuzurikata” : un exemple de rénovation pédagogique à l’ère Taishô » dans « Japon pluriel 10 : actes du dixième Colloque de la Société française des études japonaises » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 467-475 [Source : Société française des études japonaises (SFEJ)]
- Dominique Palmé, « Kitahara (Hakushū) » dans « Dictionnaire universel des littératures » (éd. Presses universitaires de France, Paris)
- Dominique Palmé, « Kitahara Hakushū (1885-1942) » dans « Encyclopædia universalis » (éd. électronique).