Miyazawa, «Train de nuit dans la Voie lactée : nouvelles»

éd. Le Serpent à plumes, coll. Motifs, Paris

éd. Le Ser­pent à plumes, coll. Mo­tifs, Pa­ris

Il s’agit du «Train de nuit dans la Voie lac­tée» («Ginga tet­sudô no yoru» 1) et autres contes de Kenji Miya­zawa 2, écri­vain ja­po­nais, très cé­lèbre dans son pays, où il re­nou­vela les œuvres pour la jeu­nesse, en mê­lant le monde des hommes à ce­lui des ani­maux ou des es­prits; en pro­po­sant une autre fa­çon de per­ce­voir la vie, avec un élan spon­tané vers les choses et avec une grande sym­pa­thie pour la na­ture, émo­tions qui fai­saient dé­faut dans les pro­duc­tions mo­dernes du Ja­pon. «Ce que je ra­conte», dit Miya­zawa, «je l’ai reçu des fo­rêts, des champs et des lignes de che­min de fer, ou bien en­core de l’arc-en-ciel et de la lu­mière de la lune. Vrai­ment, quand, seul, on tra­verse le cré­pus­cule bleuté des fo­rêts de hêtres et qu’en oc­tobre, on se tient, trem­blant, dans le vent de mon­tagne, quoi qu’on fasse, on ne peut qu’avoir ces sen­sa­tions. Vrai­ment, quoi qu’on fasse, il semble bien qu’on ne puisse que res­sen­tir ces choses… Il y a cer­tai­ne­ment des pas­sages qui vous sem­ble­ront in­com­pré­hen­sibles, mais ces pas­sages, moi non plus, je ne les com­prends pas. Ce que je sou­haite pro­fon­dé­ment, c’est que ces courts ré­cits, en fin de compte, soient pour vous une nour­ri­ture pure et vé­ri­table.» 3 Miya­zawa était le fils aîné d’une fa­mille de cinq en­fants. La tra­di­tion au­rait voulu qu’il suc­cé­dât à son père, qui te­nait à Ha­na­maki un com­merce de vê­te­ments d’occasion, et qui fai­sait aussi fonc­tion d’usurier; mais le dé­goût de Miya­zawa pour ce genre de mé­tier et son pen­chant pour l’étude le dé­tour­nèrent tout à fait de cette voie. L’opposition par­fois vio­lente qu’il ma­ni­festa contre son père, fut ag­gra­vée en­core lorsqu’à dix-huit ans il dé­cou­vrit «Le Lo­tus de la bonne loi», texte boud­dhique qu’il ne ces­sera, dans la suite de sa vie, de co­pier, de ré­ci­ter, d’appliquer avec fer­veur : «Lorsque j’oublie mon exis­tence dans le vent et la lu­mière, lorsque le monde s’est mé­ta­mor­phosé dans mon jar­din, ou lorsque je suis trans­porté à l’idée que la ga­laxie tout en­tière est moi-même, quel bon­heur!» Au­cun de ses proches ne par­ta­gera son zèle, à l’exception de sa sœur To­shiko. À la mort pré­coce de celle-ci, en 1922, Miya­zawa en­tre­pren­dra un long voyage jusqu’à l’île de Sa­kha­line, dans l’espoir de com­mu­ni­quer, en quelque sorte, avec cette dé­funte dont il gar­dera tou­jours les cendres au­près de lui :

«Vrai­ment», dira-t-il 4, «faut-il que tu partes seule?
Que je vienne avec toi, de­mande-le-moi!
Je t’en prie en pleu­rant, de­mande-le-moi!
»

Joueur de vio­lon­celle et d’orgue, pas­sionné — entre autres choses — de géo­lo­gie et de chi­mie, fon­da­teur d’une uni­ver­sité po­pu­laire pour agri­cul­teurs, Miya­zawa écrira dans son «Traité sur l’art pay­san» («Nô­min gei­jutsu gai­ron kôyô» 5) : «Les ar­tistes pro­fes­sion­nels doivent dis­pa­raître tout à fait. Tout un cha­cun doit don­ner libre cours à sa sen­si­bi­lité ar­tis­tique». Il pu­bliera à compte d’auteur et ne tou­chera de son vi­vant qu’une seule ré­mu­né­ra­tion — cinq yens — pour sa «Tra­ver­sée de la neige», tel un Vincent Van Gogh qui ne ven­dit qu’une seule toile. «L’originalité de ses “dôwa” [ses “œuvres pour la jeu­nesse”], plus proches des contes de fées que des lé­gendes po­pu­laires tra­di­tion­nel­le­ment ra­con­tées aux en­fants ja­po­nais, a d’abord dé­routé le pu­blic. Mais il a fallu très peu de temps à la cri­tique, et à d’innombrables lec­teurs, pour re­con­naître l’extraordinaire nou­veauté d’écriture… Miya­zawa, qui met sa plume au ser­vice de sa foi boud­dhique, cherche à connaître la place que l’homme doit oc­cu­per dans le monde», ex­plique Mme Aude Fies­chi 6.

il re­nou­vela les œuvres pour la jeu­nesse, en mê­lant le monde des hommes à ce­lui des ani­maux ou des es­prits

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du «Train de nuit dans la Voie lac­tée» : «À ce mo­ment-là, Gio­vanni eut l’impression qu’une voix au timbre étrange ar­ti­cu­lait quelque part : “Gare de la Voie lac­tée! Gare de la Voie lac­tée!” Et brus­que­ment de­vant lui le pay­sage de­vint très clair comme si, d’un seul coup, on avait pé­tri­fié le feu de mille mil­liards de seiches phos­pho­res­centes et qu’on l’avait im­mergé au mi­lieu du ciel, ou bien comme si quelqu’un avait sou­dain ren­versé tous les dia­mants que, afin que les prix ne soient pas trop bas, on ne montre pas, dé­li­bé­ré­ment, dans cer­taines en­tre­prises où l’on place les pierres en des en­droits ca­chés, et qu’on les avait tous épar­pillés; tout étin­ce­lait de­vant Gio­vanni ébloui qui se frotta les yeux plu­sieurs fois» 7.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Aude Fies­chi, «Miya­zawa (Kenji)» dans «Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures» (éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris)
  • Katô Shûi­chi, «His­toire de la lit­té­ra­ture ja­po­naise. Tome III. L’Époque mo­derne» (éd. Fayard-In­ter­textes, Pa­ris)
  • Jean-Fran­çois Sa­bou­ret, «Miya­zawa Kenji, le poète pro­vin­cial» dans «Le Monde», 4 jan­vier 1991.
  1. En ja­po­nais «銀河鉄道の夜». Haut
  2. En ja­po­nais 宮沢賢治 ou 宮澤賢治. Haut
  3. «Le Res­tau­rant aux nom­breuses com­mandes» («注文の多い料理店»), avant-pro­pos. Haut
  4. «Plaintes sans voix» («無声慟哭»), in­édit en fran­çais. Haut
  1. En ja­po­nais «農民芸術概論綱要», in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Miya­zawa (Kenji)» dans «Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures». Haut
  3. p. 139-140. Haut