Il s’agit des « Antiquités judaïques » (« Ioudaïkê archaiologia » 1) de Josèphe ben Matthias, historien juif, plus connu sous le surnom de Flavius Josèphe 2 (Ier siècle apr. J.-C.). Josèphe était né pour devenir grand rabbin ou roi ; les circonstances en firent un historien. Et telle fut la destinée singulière de sa vie qu’il se transforma en admirateur et en flatteur d’une dynastie d’Empereurs romains dont l’exploit fondamental fut l’anéantissement de Jérusalem, et sur les monnaies desquels figurait une femme assise, pleurant sous un palmier, avec la légende « Judæa capta, Judæa devicta » (« la Judée captive, la Judée vaincue »). « Au lieu de la renommée qu’il ambitionnait… et que semblaient lui promettre de précoces succès, il ne s’attira guère que la haine et le mépris de la plupart des siens, tandis que les Romains, d’abord ses ennemis, le comblèrent finalement de biens et d’honneurs », dit le père Louis-Hugues Vincent 3. C’est que ce descendant de famille illustre, ce prodige des écoles de Jérusalem, ce chef « des deux Galilées… et de Gamala » 4, racheta sa vie en pactisant avec l’ennemi ; abandonna ses devoirs de chef, d’homme d’honneur et de patriote ; et finit ses jours dans la douceur d’une retraite dorée, après être devenu citoyen de Rome et client de Vespasien. Il feignit de voir dans ce général étranger, destructeur de la Ville sainte et tueur d’un million de Juifs, le libérateur promis à ses aïeux ; il lui prédit, en se prosternant devant lui : « Tu seras maître, César, non seulement de moi, mais de la terre, de la mer et de tout le genre humain » 5 ; et cette basse flatterie, cette honteuse duplicité, est une tache indélébile sur la vie d’un homme par ailleurs estimable. Ayant pris le surnom de Flavius pour mieux montrer sa soumission, il consacra l’abondance de ses loisirs, la souplesse de son talent et l’étendue de son érudition à relever les succès des soldats qui détruisirent sa patrie et la rayèrent de la carte. « Il a décrit [cette destruction] tout entière ; il en a recueilli les moindres détails, et son exactitude scrupuleuse étonne encore le lecteur… L’israélite, ébloui de ces merveilles, ne se souvient pas que ce sont les dépouilles de ses concitoyens ; qu’il s’agit de la Judée anéantie ; que ce Dieu outragé est son Dieu, et qu’il assiste aux funérailles de son pays », dit Philarète Chasles 6.
Il n’existe pas moins de huit traductions françaises des « Antiquités judaïques », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Julien Weill et Joseph Chamonard.
« Παραδόξου δὲ τῆς σωτηρίας τοῖς Ἑϐραίοις οὕτως γενομένης δεινῶς ἐλύπει πάλιν αὐτοὺς ἀγομένους ἐπὶ τὸ Σιναῖον ὄρος ἡ χώρα τελέως οὖσα ἔρημος καὶ τῶν τε πρὸς τροφὴν αὐτοῖς ἄπορος, σπανίζουσα δὲ καὶ ὕδατος εἰς τὸ ἔσχατον, καὶ μὴ μόνον ἀνθρώποις τι παρασχεῖν ἐνδεής, ἀλλὰ καὶ μηδ’ ἄλλο τι τῶν ζῴων ἱκανὴ βόσκειν· ψαφαρὰ γάρ ἐστι καὶ νοτερὸν ἐξ αὐτῆς οὐδὲν ὅ τι καὶ φῦσαι καρπὸν δύναιτο. Τοιαύτην δὲ οὖσαν τὴν χώραν ἐξ ἀνάγκης ὥδευον ἑτέραν ἀπελθεῖν οὐκ ἔχοντες. »
— Passage dans la langue originale
« Lorsque, contre toute espérance, les Hébreux eurent ainsi été sauvés, ils furent de nouveau cruellement en peine, tandis qu’on les menait vers le mont Sinaï. La contrée était absolument déserte, dénuée de toute production propre à leur subsistance et extrêmement pauvre en eau ; non seulement elle ne pouvait rien fournir aux hommes, mais elle n’était même pas capable de nourrir aucune espèce animale ; en effet, c’est une terre sèche, d’où ne sort aucune humidité propice à la végétation. C’est par un tel pays qu’ils étaient contraints de cheminer, aucune autre route ne leur étant ouverte. »
— Passage dans la traduction de Weill et Chamonard
« Les Hébreux avaient donc ainsi été sauvés contre toute espérance, mais le pays les fit à nouveau souffrir cruellement sur la route du mont Sinaï : un désert total, ne produisant rien qui pût les nourrir, et extrêmement pauvre en eau. D’ailleurs, non seulement cette région ne pouvait pas fournir de ressources aux hommes, mais aucune espèce animale ne pouvait même y trouver de quoi se nourrir. C’est en effet une terre sablonneuse qui n’offre pas la moindre humidité permettant de donner du fruit : tel est le pays qu’ils étaient contraints de parcourir, car ils n’avaient pas d’autre issue ! »
— Passage dans la traduction de M. Étienne Nodet (« Antiquités juives », éd. du Cerf, Paris)
« La joie que ressentirent les israélites de se voir ainsi délivrés par le secours tout-puissant de Dieu lorsqu’ils l’espéraient le moins, fut troublée par les extrêmes incommodités qui se rencontrèrent sur le chemin de la montagne de Sinaï. Car ce pays était si désert, et la terre si sèche et si stérile, à cause qu’elle manquait d’eau, que non seulement les hommes, mais les animaux n’y trouvaient rien de quoi se nourrir. »
— Passage dans la traduction de Robert Arnauld d’Andilly (« Histoire ancienne des Juifs », XVIIe siècle)
« Depuis cette délivrance inopinée advenue aux Hébreux, ils ne laissèrent pas d’avoir beaucoup de peine en s’en allant vers le mont de Sinaï, à cause du pays entièrement désert, destitué de vivres, et totalement privé d’eaux, et non seulement stérile de ce qui est nécessaire pour sustenter les hommes, mais n’ayant même rien pour la pâture d’aucun bétail que ce soit ; car il est maigre et sans aucune humeur qui puisse produire fruit. Or, leur fut-il force de tirer leur chemin par cette contrée, d’autant qu’il n’y en avait point d’autre… »
— Passage dans la traduction d’Antoine de La Faye (« Histoire ancienne des Juifs », XVIe siècle)
« Les Hébreux ne furent pas plutôt délivrés contre toute espérance (du danger où ils se trouvaient), qu’ils tombèrent dans un nouvel embarras qui leur causa beaucoup de peines. Ils allaient au mont Sinaï ; le pays qui y conduit est entièrement désert, et ne fournit aucune commodité pour la vie. L’eau y est extrêmement rare, et on n’y trouve rien non seulement pour la nourriture des hommes, mais même pour celle des bêtes. Ce sont des sables qui, n’étant rafraîchis par aucune source d’eau, ne produisent aucun fruit. C’était cependant par là qu’il fallait passer, n’y ayant point d’autre chemin qu’on pût choisir. »
— Passage dans la traduction du père Louis-Joachim Gillet (« Antiquités juives, ou Histoire de cette nation », XVIIIe siècle)
« Recentem hanc lætitiam ex insperato acceptæ salutis obfuscavit nonnihil itineris molestia, quo per deserta in Sina montem ducebantur. Quod emetienda esset regio difficilis propter ciborum et aquarum extremam inopiam, et ne brutis quidem alendis, nedum hominibus idonea. Erat enim tota squalida, et nihil omnino humoris habens, unde fructus provenire solent. Talem autem viam necessario sunt ingressi, cum aliam non possent. »
— Passage dans la traduction latine de Zikmund Hrubý z Jelení, dit Sigismundus Gelenius (« Antiquitates Judaicæ », XVIe siècle)
« Les israélites furent joyeux de leur délivrance advenue contre toute leur espérance et opinion ; mais aussi la fâcherie du chemin diminua quelque peu de leur réjouissance. Car ils étaient conduits par les déserts pour aller en la montagne de Sina ; et [il] leur fallait passer par une région fort difficile, à cause qu’il y avait grande faute de vivres et d’eaux, et nullement propres non seulement pour la nourriture des hommes, mais aussi des bêtes. Ce pays était plein de ronces et épines, n’ayant aucune humidité dont quelque fruit pût être produit ; et si 7 fallait[-il] nécessairement qu’ils passassent par là, car il n’y avait point d’autre passage. »
— Passage dans la traduction indirecte de François Bourgoing 8 (« Antiquités judaïques », XVIe siècle)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Les israélites furent bien joyeux de leur délivrance advenue contre toute leur espérance et opinion ; mais aussi la fâcherie du chemin diminua quelque peu de leur réjouissance. Car ils étaient conduits par les déserts pour aller en la montagne de Sina ; et il leur fallait passer par une région fort difficile, à cause qu’il y avait grande faute de vivres et d’eaux, et nullement propres non seulement pour la nourriture des hommes, mais aussi des bêtes. Ce pays était plein de ronces et d’épines, n’ayant aucune humidité dont quelque fruit pût être produit ; et si fallait[-il] nécessairement qu’ils passassent par là, car il n’y avait point d’autre passage. »
— Passage dans la traduction indirecte de François Bourgoing, revue par Gilbert Genebrard (« Antiquités judaïques », XVIe siècle)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Igitur inopinabiliter Hebræi tali salute donati, graviter iterum contristabantur, dum Sina ducerentur ad montem, essetque regio valde deserta, et necessariis alimentis valde egena, et aqua difficilis : quæ non solum ut præberet hominibus aliquid indigebat, sed etiam nec aliqua ut aleret animalia erat idonea. Est enim sterilis, nullusque novus fructus ex ea valet oriri. Per hujusmodi siquidem regionem necessario properabant : quando unde irent ad aliam non habebant. »
— Passage dans la traduction latine dirigée par Cassiodore (« Antiquitates Judaicæ », VIe siècle)
« Après ce que les Hébreux furent délivrés de tel péril et doués de tel salut, adonc soudainement furent-ils moult courroucés 9 quand on les menait en la montagne de Synay pour tant que c’était une région moult déserte et souffreteuse de nécessaires nourrissements, et l’eau y était forte à avoir 10, en ce que non pas tant seulement on n’en pouvait trouver pour les hommes, mais aussi elle n’était pas convenable pour les autres bêtes nourrir ; car c’est une terre bréhaigne, et il n’y pût croître nul fruit nouveau dedans elle ou d’elle. Par cette région les Hébreux se hâtaient de nécessité, car ils n’avaient pas où ils pussent [tourner] en autre voie. »
— Passage dans une traduction indirecte et anonyme 11 (« Livre de l’ancienneté des Juifs », XVe siècle)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Cum autem hoc modo insperata Hebræis salus contigisset, rursus eos, dum in montem Sinæum ducerentur, graviter afflixit regio plane deserta, tam necessariis ad victum destituta, quam extrema aquarum inopia laborans, ut non solum in hominum usum nihil suppeditaret, sed ne pecudum quidem alimento quidquam idoneum. Nam tota squalida est, et ne minimum humoris habens qui fructum in apricum educeret. At vero hujusmodi regionem peragrare, cum aliam non potuissent, necessitate cogebantur. »
— Passage dans la traduction latine de John Hudson (« Antiquitates Judaicæ », XVIIIe siècle)
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- Traduction de Julien Weill et Joseph Chamonard (1900-1932). Tome I [Source : Bibliothèque nationale de France]
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- Philarète Chasles, « De l’autorité historique de Flavius-Josèphe » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- le père Louis-Hugues Vincent, « Chronologie des œuvres de Josèphe » dans « La Revue biblique », vol. 8, p. 366-383.
- En grec « Ἰουδαϊκὴ ἀρχαιολογία ».
- En latin Flavius Josephus. Autrefois transcrit Flave Josèphe ou Flavien Joseph.
- « Chronologie des œuvres de Josèphe », p. 366.
- En grec « τῆς Γαλιλαίας ἑκατέρας… καὶ Γάμαλα ». « Guerre des Juifs », liv. II, sect. 568.
- En grec « Δεσπότης… οὐ μόνον ἐμοῦ σὺ Καῖσαρ, ἀλλὰ καὶ γῆς καὶ θαλάττης καὶ παντὸς ἀνθρώπων γένους ». « Guerre des Juifs », liv. III, sect. 402.
- « De l’autorité historique de Flavius-Josèphe », p. 5.