Il s’agit de « La Mort de la Terre » et autres œuvres de Joseph-Henri Rosny. Sous le pseudonyme de Rosny se masque la collaboration littéraire entre deux frères : Joseph-Henri-Honoré Boëx et Séraphin-Justin-François Boëx. Ils naquirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une famille française, hollandaise et espagnole installée en Belgique. Ces origines diverses, leur instinct de curiosité, un âpre amour de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vigueur musculaire —, leur hantise de la préhistoire, et jusque la fascination qu’exerçaient sur eux les terres inhospitalières et sauvages, firent naître chez eux le rêve de rejoindre les tribus indiennes qui hantaient encore les étendues lointaines du Canada. Londres d’abord et Paris ensuite n’étaient dans leur tête qu’une escale ; mais le destin les y fixa pour la vie et fit d’eux des prisonniers de ces villes tentaculaires que les Rosny allaient fouiller en profondeur, avec toute la passion que suscitent des contrées inconnues, des contrées humaines et brutales. Ils pénétrèrent dans les faubourgs sordides ; ils connurent les fournaises, les usines, les fabriques farouches et repoussantes, crachant leurs noires fumées dans le ciel, les dépotoirs à perte de vue, autour desquels grouillaient des hommes de fer et de feu. Cette vision exaltait les Rosny jusqu’aux larmes : « Le front contre sa vitre, il contemplait le faubourg sinistre, les hautes cheminées d’usine, avec l’impression d’une tuerie lente et invincible. Aurait-on le temps de sauver les hommes ?… De vastes espérances balayaient cette crainte » 1. À jamais égarés des horizons canadiens, les Rosny se consolèrent en créant une poétique des banlieues, à laquelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une forêt vierge, d’une savane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ramures et de fauves, ils la tirèrent, aussi vierge, de l’étrange remous de la civilisation industrielle. Le sifflement des sirènes, le retentissement des enclumes, la rumeur des foules devint pour eux un bruit aussi religieux que l’appel des cloches. L’aspect féroce, puissant des travailleurs, à la sortie des ateliers, leur évoqua les temps primitifs où les premiers hommes se débattaient dans des combats violents contre les forces élémentaires de la nature. Dans leurs romans aux décors suburbains, qui rejoignent d’ailleurs leurs récits préhistoriques et scientifiques, puisqu’ils se penchent sur « tout l’antique mystère » 2 des devenirs de la vie — dans leurs romans, dis-je, les Rosny font voir que « la forêt vierge et les grandes industries ne sont pas des choses opposées, ce sont des choses analogues » ; qu’un « morceau de Paris, où s’entasse la grandeur de nos semblables, doit faire palpiter les artistes autant que la chute du Rhin à Schaffhouse » 3 ; que l’œuvre des hommes est non moins belle et monstrueuse que celle de la nature — ou plutôt, il est impossible de séparer l’une de l’autre.
l’œuvre des hommes est non moins belle et monstrueuse que celle de la nature
Voici un passage qui donnera une idée du style de « La Mort de la Terre » : « Et il n’y avait plus qu’un seul homme sur la Terre.
Assis sur un bloc de porphyre, il demeura enseveli dans sa tristesse et dans son rêve. Il refaisait, une fois encore, le grand voyage vers l’amont des temps, qui avait si ardemment exalté son âme… Et d’abord, il revit la mer primitive, tiède encore, où la vie foisonnait, inconsciente et insensible. Puis vinrent les créatures aveugles et sourdes, extraordinaires d’énergie et d’une fécondité sans bornes. La vision naquit, la divine lumière créa ses temples minuscules ; les êtres nés du Soleil connurent son existence. Et la terre ferme apparut. Les peuples de l’eau s’y répandirent, vagues, confus et taciturnes » 4.
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- Édition de 1912 [Source : Canadiana]
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- « La Mort de la Terre • Le Dormeur (I) • Dans le néant • Le Condamné à mort • Un Soir • Au fond des bois • Le Clou • Le Mage rustique • Le Dormeur (II) • La Bonne Blague • La Marchande de fleurs • Après le naufrage », lu par René Depasse [Source : Littérature audio]
- « La Mort de la Terre », lu par Christian Dousset [Source : Littérature audio].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « La Belgique : un jeu de cartes ? : de Rosny aîné à Jacques Brel » (éd. Presses universitaires de Valenciennes, coll. Lez Valenciennes, Valenciennes)
- Georges Casella, « J.-H. Rosny : biographie critique » (éd. E. Sansot, coll. Les Célébrités d’aujourd’hui, Paris) [Source : Canadiana]
- Pierre Massé, « J.-H. Rosny aîné » dans « Mediterranea », vol. 11, nº 1 [Source : Bibliothèque nationale de France].