Il s’agit de « Napoléon le Petit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
nature
Homère, « Odyssée »
Il s’agit de « L’Odyssée » 1 d’Homère 2. « Le chantre des exploits héroïques, l’interprète des dieux, le second soleil dont s’éclairait la Grèce, la lumière des muses, la voix toujours jeune du monde entier, Homère, il est là, étranger, sous le sable de ce rivage », dit une épigramme funéraire 3. On sait qu’Alexandre de Macédoine portait toujours avec lui une copie des chants d’Homère, et qu’il consacrait à la garde de ce trésor une cassette précieuse, enrichie d’or et de pierreries, trouvée parmi les effets du roi Darius. Alexandre mourut ; l’immense Empire qu’il avait rassemblé pour un instant tomba en ruines ; mais partout où avaient volé les semences de la culture grecque, les chants d’Homère avaient fait le voyage mystérieux. Partout, sur les bords de la Méditerranée, on parlait grec, on écrivait avec les lettres grecques, et nulle part davantage que dans cette ville à l’embouchure du Nil, qui portait le nom de son fondateur : Alexandrie. « C’est là que se faisaient les précieuses copies des chants, là que s’écrivaient ces savants commentaires, dont la plupart ont péri six ou sept siècles plus tard avec la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, que fit brûler le calife Omar, ce bienfaiteur des écoliers », dit Friedrich Spielhagen 4. Les Romains recueillirent, autant qu’il était possible à un peuple guerrier et ignorant, l’héritage du génie grec. Et c’était Homère qu’on mettait entre les mains du jeune Romain comme élément de son éducation, et dont il continuait plus tard l’étude dans les hautes écoles d’Athènes. Si Eschyle dit que ses tragédies ne sont que « les reliefs des grands festins d’Homère » 5, on peut le dire avec encore plus de raison des Romains, qui s’invitent chez Homère et reviennent avec quelque croûte à gruger, un morceau de cartilage des mets qu’on a servis.
- En grec « Ὀδύσσεια ».
- En grec Ὅμηρος.
- En grec « Ἡρώων κάρυκ’ ἀρετᾶς, μακάρων δὲ προφήταν, Ἑλλάνων βιοτᾷ δεύτερον ἀέλιον, Μουσῶν φέγγος Ὅμηρον, ἀγήραντον στόμα κόσμου παντός, ἁλιρροθία, ξεῖνε, κέκευθε κόνις ». Antipater de Sidon dans « Anthologie grecque, d’après le manuscrit palatin ».
Homère, « Iliade »
Il s’agit de « L’Iliade » 1 d’Homère 2. « Le chantre des exploits héroïques, l’interprète des dieux, le second soleil dont s’éclairait la Grèce, la lumière des muses, la voix toujours jeune du monde entier, Homère, il est là, étranger, sous le sable de ce rivage », dit une épigramme funéraire 3. On sait qu’Alexandre de Macédoine portait toujours avec lui une copie des chants d’Homère, et qu’il consacrait à la garde de ce trésor une cassette précieuse, enrichie d’or et de pierreries, trouvée parmi les effets du roi Darius. Alexandre mourut ; l’immense Empire qu’il avait rassemblé pour un instant tomba en ruines ; mais partout où avaient volé les semences de la culture grecque, les chants d’Homère avaient fait le voyage mystérieux. Partout, sur les bords de la Méditerranée, on parlait grec, on écrivait avec les lettres grecques, et nulle part davantage que dans cette ville à l’embouchure du Nil, qui portait le nom de son fondateur : Alexandrie. « C’est là que se faisaient les précieuses copies des chants, là que s’écrivaient ces savants commentaires, dont la plupart ont péri six ou sept siècles plus tard avec la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, que fit brûler le calife Omar, ce bienfaiteur des écoliers », dit Friedrich Spielhagen 4. Les Romains recueillirent, autant qu’il était possible à un peuple guerrier et ignorant, l’héritage du génie grec. Et c’était Homère qu’on mettait entre les mains du jeune Romain comme élément de son éducation, et dont il continuait plus tard l’étude dans les hautes écoles d’Athènes. Si Eschyle dit que ses tragédies ne sont que « les reliefs des grands festins d’Homère » 5, on peut le dire avec encore plus de raison des Romains, qui s’invitent chez Homère et reviennent avec quelque croûte à gruger, un morceau de cartilage des mets qu’on a servis.
- En grec « Ἰλιάς ».
- En grec Ὅμηρος.
- En grec « Ἡρώων κάρυκ’ ἀρετᾶς, μακάρων δὲ προφήταν, Ἑλλάνων βιοτᾷ δεύτερον ἀέλιον, Μουσῶν φέγγος Ὅμηρον, ἀγήραντον στόμα κόσμου παντός, ἁλιρροθία, ξεῖνε, κέκευθε κόνις ». Antipater de Sidon dans « Anthologie grecque, d’après le manuscrit palatin ».
Murasaki-shikibu, « Poèmes »
éd. Publications orientalistes de France, Paris
Il s’agit du « Recueil de Murasaki-shikibu » (« Murasaki-shikibu shû » 1). Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le « Dit du genji » fait parfois oublier que son auteur était aussi comptée parmi les trente-six « génies de la poésie », autant pour les sept cent quatre-vingt-quatorze poèmes qu’elle attribue aux personnages de son roman, que pour ceux, plus personnels, que contient son « Recueil ».
« Il m’est arrivé parfois de rester assise parmi [les autres dames de la Cour], complètement désemparée. Ce n’est point tant que je craignisse la médisance, mais excédée, je finissais par avoir l’air tout à fait égarée, ce qui fait que l’une après l’autre maintenant me dit : “Vous cachiez bien votre jeu ! Quand tout le monde vous détestait, disant et pensant que vous étiez maniérée, distante, d’un abord peu amène, imbue de vos dits, prétentieuse et férue de poésie… voici qu’on vous trouve étrangement bonne personne, à croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre !” » 2 Tel est l’un des seuls passages de son « Journal » où la dame Murasaki-shikibu rapporte des propos sur son propre compte. C’est un passage révélateur. « Femme d’une nature renfermée » 3, elle était convaincue que les gens ne la comprenaient pas. Elle prenait peu de plaisir au commerce de la société et elle avait la réputation, assez exceptionnelle dans son cercle, d’être prude.
- En japonais « 紫式部集 ».
- « Journal ; traduit du japonais par René Sieffert », p. 101.
Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome II. Impermanence »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit du « Dit du genji » (« Genji monogatari » 1) de la dame Murasaki-shikibu 2, roman qui marque le sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise. « De tous les trésors du Japon, le “Dit du genji” est de loin le plus précieux. » 3 On suppose que ce roman monumental fut composé vers 1004 apr. J.-C. Une jolie légende associe sa composition au temple d’Ishiyama 4, à l’extrémité méridionale du lac Biwa. En ce site divin, la dame Murasaki-shikibu se retira, dit-on, loin de la Cour : chaque nuit, accoudée à sa table, elle contemplait le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchissait la lune étincelante et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrivait, d’un pinceau tranquille et inspiré, ses plus belles pages. Aujourd’hui encore, si vous visitez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous montreront la chambre où le « Dit du genji » fut écrit, et l’encrier même dont la romancière se servit — preuves qui, si elles ne satisfont pas les historiens rigoureux, sont bien suffisantes pour convaincre les visiteurs ordinaires. « Le “Dit du genji” est une chose inexplicable », dit un Empereur japonais 5. « Il ne peut être l’ouvrage d’une personne ordinaire. » Comment, en effet, expliquer ce chef-d’œuvre complexe où, sur un fond d’exquises observations empruntées à tout ce que la vie galante de la Cour, les brillantes fêtes du Palais, les rencontres intimes entre cavaliers et dames, mais aussi les rivages de l’exil ou la paix religieuse d’un ermitage, peuvent offrir de plus charmant à une romancière, on voit se détacher une constellation de quelque trois cents personnages, dont l’unité est assurée par la présence centrale d’un don Juan au cœur sensible — le « genji » 6 ? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces personnages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mutuellement leurs émotions ? Quoi qu’il en soit, convenons avec M. René Sieffert 7 « qu’il s’agit là… du roman psychologique le plus étonnant, par sa subtilité et sa pénétration, qui ait jamais été écrit dans aucune langue ».
- En japonais « 源氏物語 ». Autrefois transcrit « Gen-zi mono-gatari », « Ghenzi monogatari », « Guendji monogatari », « Ghenndji monoghatari », « Guenji-monogatari », « Ghennji monogatari » ou « Ghén’ji-monogatari ».
- En japonais 紫式部. Autrefois transcrit Mourasaki Chikibou, Mouraçaki Shikibou ou Mourasaki Sikibou.
- Ichijô Kaneyoshi, « Kachô yosei » (« Images de fleurs et d’oiseaux »), inédit en français.
- En japonais 石山寺.
Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome I. Magnificence »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit du « Dit du genji » (« Genji monogatari » 1) de la dame Murasaki-shikibu 2, roman qui marque le sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise. « De tous les trésors du Japon, le “Dit du genji” est de loin le plus précieux. » 3 On suppose que ce roman monumental fut composé vers 1004 apr. J.-C. Une jolie légende associe sa composition au temple d’Ishiyama 4, à l’extrémité méridionale du lac Biwa. En ce site divin, la dame Murasaki-shikibu se retira, dit-on, loin de la Cour : chaque nuit, accoudée à sa table, elle contemplait le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchissait la lune étincelante et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrivait, d’un pinceau tranquille et inspiré, ses plus belles pages. Aujourd’hui encore, si vous visitez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous montreront la chambre où le « Dit du genji » fut écrit, et l’encrier même dont la romancière se servit — preuves qui, si elles ne satisfont pas les historiens rigoureux, sont bien suffisantes pour convaincre les visiteurs ordinaires. « Le “Dit du genji” est une chose inexplicable », dit un Empereur japonais 5. « Il ne peut être l’ouvrage d’une personne ordinaire. » Comment, en effet, expliquer ce chef-d’œuvre complexe où, sur un fond d’exquises observations empruntées à tout ce que la vie galante de la Cour, les brillantes fêtes du Palais, les rencontres intimes entre cavaliers et dames, mais aussi les rivages de l’exil ou la paix religieuse d’un ermitage, peuvent offrir de plus charmant à une romancière, on voit se détacher une constellation de quelque trois cents personnages, dont l’unité est assurée par la présence centrale d’un don Juan au cœur sensible — le « genji » 6 ? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces personnages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mutuellement leurs émotions ? Quoi qu’il en soit, convenons avec M. René Sieffert 7 « qu’il s’agit là… du roman psychologique le plus étonnant, par sa subtilité et sa pénétration, qui ait jamais été écrit dans aucune langue ».
- En japonais « 源氏物語 ». Autrefois transcrit « Gen-zi mono-gatari », « Ghenzi monogatari », « Guendji monogatari », « Ghenndji monoghatari », « Guenji-monogatari », « Ghennji monogatari » ou « Ghén’ji-monogatari ».
- En japonais 紫式部. Autrefois transcrit Mourasaki Chikibou, Mouraçaki Shikibou ou Mourasaki Sikibou.
- Ichijô Kaneyoshi, « Kachô yosei » (« Images de fleurs et d’oiseaux »), inédit en français.
- En japonais 石山寺.
Hugo, « Le Rhin. Tome II »
Il s’agit du « Rhin » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Vigny, « Œuvres complètes. Tome II. Cinq-Mars, part. 1 »
Il s’agit de « Cinq-Mars » d’Alfred de Vigny, poète français à la destinée assez triste. Seul — ou presque seul — de tous les romantiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses démarches littéraires. On l’a remarqué sans en rien dire à personne, sans qu’au surplus il s’en plaignît lui-même. Il était né cinq ans avant Victor Hugo, sept ans après Lamartine. Mais tandis que les noms de ces deux géants remplissaient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses « Poésies », mais un assez mauvais drame — « Chatterton » en 1835 — qui tirait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa retraite un peu mystérieuse, de sa sainte solitude où il rentrait aussitôt. À quoi cela tient-il ? À ses défauts d’abord, dont il faut convenir. Souvent, ses productions manquent de forte couleur et de relief. Aucune n’est avortée, mais presque toutes sont languissantes et maladives. Leur étiolement, comme celui de toutes les générations difficiles en vase clos, vient de ce qu’elles ont séjourné trop longtemps dans l’esprit de leur auteur. Il ne les a créées qu’en s’isolant complètement dans son silence, comme dans une tour inaccessible : « [Ses] poésies sont nées, non comme naissent les belles choses vivantes — par une chaude génération, mais comme naissent les… choses précieuses et froides, les perles, les coraux… avec lesquels elles ont de l’affinité — par agglutination, cohésion lente, invisible condensation », déclare un critique 1. « L’exécution de Vigny souvent brillante et toujours élégante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pénible et de laborieux… Et d’une manière générale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Maison du berger”, sa liberté de poète est perpétuellement entravée par je ne sais quelle hésitation ou quelle impuissance d’artiste », ajoute un autre critique 2. Cependant, cette hésitation est le fait d’un homme qui se posait les questions supérieures et qui éprouvait la vie. Et quelle que fût la portée — ou médiocre ou élevée — de son esprit, cet esprit vivait au moins dans les hautes régions de la pensée : « Pauvres faibles que nous sommes, perdus par le torrent des pensées et nous accrochant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous enveloppe ! », dit-il 3. Et aussi : « J’allume mes bougies et j’écris, mes yeux en sont brûlés. Je les éteins ; reviennent les souvenirs… ; et les larmes, que j’ai la force de cacher aux vivants dans la journée, reprennent leur cours. Enfin arrive la lumière du jour »
Vigny, « Œuvres complètes. Tome I. Poésies »
Il s’agit des « Poésies » d’Alfred de Vigny, poète français à la destinée assez triste. Seul — ou presque seul — de tous les romantiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses démarches littéraires. On l’a remarqué sans en rien dire à personne, sans qu’au surplus il s’en plaignît lui-même. Il était né cinq ans avant Victor Hugo, sept ans après Lamartine. Mais tandis que les noms de ces deux géants remplissaient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses « Poésies », mais un assez mauvais drame — « Chatterton » en 1835 — qui tirait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa retraite un peu mystérieuse, de sa sainte solitude où il rentrait aussitôt. À quoi cela tient-il ? À ses défauts d’abord, dont il faut convenir. Souvent, ses productions manquent de forte couleur et de relief. Aucune n’est avortée, mais presque toutes sont languissantes et maladives. Leur étiolement, comme celui de toutes les générations difficiles en vase clos, vient de ce qu’elles ont séjourné trop longtemps dans l’esprit de leur auteur. Il ne les a créées qu’en s’isolant complètement dans son silence, comme dans une tour inaccessible : « [Ses] poésies sont nées, non comme naissent les belles choses vivantes — par une chaude génération, mais comme naissent les… choses précieuses et froides, les perles, les coraux… avec lesquels elles ont de l’affinité — par agglutination, cohésion lente, invisible condensation », déclare un critique 1. « L’exécution de Vigny souvent brillante et toujours élégante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pénible et de laborieux… Et d’une manière générale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Maison du berger”, sa liberté de poète est perpétuellement entravée par je ne sais quelle hésitation ou quelle impuissance d’artiste », ajoute un autre critique 2. Cependant, cette hésitation est le fait d’un homme qui se posait les questions supérieures et qui éprouvait la vie. Et quelle que fût la portée — ou médiocre ou élevée — de son esprit, cet esprit vivait au moins dans les hautes régions de la pensée : « Pauvres faibles que nous sommes, perdus par le torrent des pensées et nous accrochant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous enveloppe ! », dit-il 3. Et aussi : « J’allume mes bougies et j’écris, mes yeux en sont brûlés. Je les éteins ; reviennent les souvenirs… ; et les larmes, que j’ai la force de cacher aux vivants dans la journée, reprennent leur cours. Enfin arrive la lumière du jour »
Hugo, « Le Rhin. Tome I »
Il s’agit du « Rhin » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Quatre-vingt-treize »
Il s’agit de « Quatre-vingt-treize » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « L’Homme qui rit. Tome II »
Il s’agit de « L’Homme qui rit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « L’Homme qui rit. Tome I »
Il s’agit de « L’Homme qui rit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »