Il s’agit du « Livre des rois » (« Schah-nameh » 1) d’Aboulkasim Firdousi 2 (X-XIe siècle apr. J.-C.). Cette vaste chanson de geste de soixante mille distiques relate l’histoire de la Perse (l’Iran), depuis ses origines jusqu’à l’époque où la puissance de ses monarques croula sous les armes des Arabes musulmans. La première partie, légendaire et pleine de merveilleux, est la seule véritablement épique ; la seconde, relative à la Perse sassanide, est une succession de règnes historiques, auxquels président des rois, des héros particuliers à chacun d’eux : plutôt qu’avec l’épopée, elle offre des analogies avec « quelques grands romans en vers du Moyen Âge, le “Roman de Brut”, celui de “Rou” ou certaines histoires de France », comme le dit Étienne Quatremère 3. Avec « Le Livre des rois », la vieille culture persane paraît au grand jour pour prendre sa revanche de la conquête arabe. Celle-ci avait refoulé, pour quelque temps, cette culture dans les villages, où elle s’était conservée avec tout un ensemble de traditions et de légendes tenant lieu de souvenirs nationaux. « L’islamisme… fut un rude coup pour le vieil esprit, mais ce ne fut pas un coup mortel. L’arabe ne réussit à être que la langue de la religion. Aussitôt que le califat s’affaiblit, une réaction persane — d’abord sourde, bientôt ouverte — se manifeste », explique Ernest Renan 4. Avec Firdousi, la Perse reprend sa complète indépendance dans l’islam. Mais ce qui fait surtout le caractère de cet auteur et qui n’appartient qu’à lui, ce sont les considérations politiques et morales par lesquelles il termine chaque catastrophe, chaque choc des peuples, chaque effondrement des royaumes. Il y a une belle mélancolie et une sorte de sagesse résignée dans ces réflexions par lesquelles il interrompt un moment la course des événements. « Ô monde ! », dit l’une d’elles 5, « n’élève personne si tu veux le moissonner après ! Si tu l’enlèves, pourquoi l’as-tu élevé ? Tu hausses un homme au-dessus du firmament, mais tout à coup tu le précipites sous la terre obscure. » « Kobad », dit une autre 6, « n’avait plus que sept mois à vivre ; appelle-le donc “roi” si tu veux, ou “rien” si tu aimes mieux. Telle est la coutume de ce monde oppresseur : il ne faut pas s’attendre à ce qu’il tienne ses promesses [de longévité]. »
« j’ai élevé dans mon poème un édifice immense auquel la pluie et le vent ne peuvent nuire »
« Le Livre des rois » coûta trente ans de travail continu à son auteur, qui commença son immense ouvrage à l’âge de trente-six ans. Quand il y eut mis la dernière main, à l’âge de soixante-cinq ans, il le présenta à son bienfaiteur, le sultan Mahmoud de Ghaznî, espérant recevoir la récompense que ce dernier lui avait promise, à savoir une pièce d’or pour chaque distique. Mais des envieux l’avaient desservi à la Cour : « Qu’est-ce qu’un poète », avaient-ils dit au sultan, « pour lui accorder une si belle récompense ? » Ainsi, au lieu d’une pièce d’or par distique, on ne lui donna que soixante mille dirhems d’argent. Firdousi, raconte-t-on, était au bain quand on lui apporta cette somme ; il la reçut avec indignation. Dès qu’il fut sorti de l’eau, il en fit la distribution suivante : il donna, d’abord, vingt mille dirhems à son baigneur ; vingt mille, ensuite, au marchand qui lui fournissait de la bière ; enfin, il distribua les vingt mille dirhems qui restaient entre ceux qui lui avaient apporté cet argent. Il décida de quitter une Cour ingrate où il avait perdu les plus belles années de sa vie ; mais avant de partir, il alla trouver le favori du sultan et lui remit un paquet bien cacheté, en lui disant : « Voici un conte que j’ai fait pour amuser votre maître. Ayez l’attention de ne le lui remettre que dans un moment où, occupé par quelque affaire désagréable, il vous paraîtra triste et pensif. Ce petit ouvrage lui rendra la gaieté » 7. Le favori accepta, et il n’y avait pas vingt jours qu’il possédait cette précieuse histoire, lorsqu’il vit le sultan plongé dans le chagrin : aussitôt il présenta l’ouvrage destiné à chasser les soucis de son maître. Mais quel ne fut pas l’étonnement de Mahmoud, lorsqu’en décachetant le paquet, il trouva une satire sanglante dirigée contre sa personne ! On y lit ce passage remarquable : « Les édifices que l’on bâtit tombent en ruine par l’effet de la pluie et de l’ardeur du soleil ; mais j’ai élevé dans mon poème un édifice immense auquel la pluie et le vent ne peuvent nuire. Des siècles passeront sur ce livre, et quiconque aura de l’intelligence le lira » 8. Près de mille ans avant Firdousi, le poète Horace avait écrit dans le même esprit : « J’ai achevé un monument plus durable que le bronze… Ni la pluie qui ronge tout, ni l’aquilon furieux, ni les ans, ni le temps qui fuit, ne pourront le détruire. Je ne mourrai point tout entier ».
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Firdousi : « Une nuit, ces deux hommes ne purent trouver du sommeil jusqu’à ce que le soleil se montrât au-dessus de la montagne, et ils parlèrent des moyens de faire disparaître du monde le nom de Rustem et de remplir de larmes le cœur et les yeux de Zal. Scheghad dit au roi de Kaboul : “Si nous voulons y réussir, prépare une fête ; convie tous les grands ; et fais venir du vin, de la musique et des chanteurs. Pendant que nous boirons du vin, tu me parleras froidement, et au milieu de ton discours, tu m’insulteras…” » 9
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- Début du « Livre des rois » dans la traduction de M. Réza Afchar Nadéri, lu par le traducteur [Source : YouTube]
- Farid Paya évoquant « Le Livre des rois » [Source : Radio France Internationale (RFI) • France Culture]
- Francis Richard évoquant « Le Livre des rois » [Source : Radio Télévision Suisse (RTS)]
- Henry de Montherlant évoquant « Le Livre des rois » [Source : France Culture].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Louis Langlès, « Notice sur la vie et les ouvrages de Ferdoussy, poète persan • Analyse et Extraits des ouvrages de Ferdoussy » dans « Contes, Fables et Sentences, tirés de différents auteurs arabes et persans » (XVIIIe siècle), p. 117-176 [Source : Google Livres]
- Étienne Quatremère, « Compte rendu sur “Le Livre des rois” » dans « Journal des savants », 1838, p. 753-764 ; 1840, p. 337-353 & 405-417 ; 1841, p. 398-411 & 588-601 ; 1842, p. 426-440 & 470-479 ; 1843, p. 577-598 ; 1847, p. 5-17 & 307-316 & 355-366 [Source : Google Livres]
- Ernest Renan, « Le Schahnameh » dans « Mélanges d’histoire et de voyages » (XIXe siècle), p. 135-145 [Source : Google Livres].
- En persan « شاهنامه ». Parfois transcrit « Shah Namu », « Çahname », « Chahnamè », « Schehname », « Schah-namé », « Schahnama », « Schah-namah », « Shah-nameh », « Shah Name », « Shahnamah », « Shahnama », « Šāh-nāma », « Šāhnāmah », « Şehname », « Şāh-nāme » ou « Šah-nameh ».
- En persan ابوالقاسم فردوسی. Parfois transcrit Firdawsi, Firdausī, Firdavsi, Firdovsi, Firdouçy, Firdocy, Firdoosee, Firdousee, Ferdousee, Ferdosee, Ferdoucy, Ferdowsī, Firdewsi, Firdevsî, Firdusi, Firdussi, Ferdusi, Firdôsî, Ferdossi, Firdoussi, Ferdoussi, Firdoussy, Firdousy, Ferdousy ou Ferdoussy.
- « Compte rendu sur “Le Livre des rois” », 1841, p. 398-399.
- « Le Schahnameh », p. 139.
- « Tome I », p. 32.