Novalis, « [Œuvres philosophiques. Tome III.] Art et Utopie : les derniers “Fragments” (1799-1800) »

éd. Rue d’Ulm-Presses de l’École normale supérieure, coll. Æsthetica, Paris

éd. Rue d’Ulm-Presses de l’École nor­male su­pé­rieure, coll. Æs­the­tica, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des « Frag­ments » (« Frag­mente ») de No­va­lis, ro­man­tique al­le­mand, an­cêtre loin­tain du sym­bo­lisme (XVIIIe siècle). Le comte de Pla­ten écrit dans ses « Jour­naux »1 : « On est pour les ro­man­tiques al­le­mands, [mais] moi, j’aime les An­ciens. On m’a lu un jour une poé­sie de No­va­lis, dont je n’ai pas com­pris une seule syl­labe ». Il est vrai que l’œuvre de No­va­lis est l’une des plus énig­ma­tiques, l’une des moins com­pré­hen­sibles de la poé­sie al­le­mande ; elle est, d’un bout à l’autre, un code se­cret, un chiffre dont la clef s’appelle So­phie von Kühn, dite So­phie de Kühn. C’est au cours d’une tour­née ad­mi­nis­tra­tive, en 1795, que No­va­lis ren­con­tra, au châ­teau de Grü­nin­gen2, cette toute jeune fille, un peu femme déjà, en qui de­vait s’incarner son idéal ; elle n’avait pas en­core treize prin­temps. Il tomba aus­si­tôt sous son charme et bien­tôt il se fiança avec elle. Entre ce jeune homme rê­veur et cette « fleur bleue » (« blaue Blume ») qui s’ouvrait à la vie, sui­vant le mot de No­va­lis, na­quit une idylle aussi in­so­lite que brève. So­phie mou­rait à peine deux ans plus tard, en 1797, après de cruelles souf­frances cau­sées par une tu­meur. Sa fra­gile et an­gé­lique fi­gure, sur la­quelle la dou­leur et sur­tout l’ombre so­len­nelle de la mort avaient ré­pandu une pré­coce ma­tu­rité, laissa à No­va­lis un sou­ve­nir im­pé­ris­sable et fu­nèbre. « Le soir s’est fait au­tour de moi », dit-il trois jours plus tard3, « pen­dant que je re­gar­dais se le­ver l’aurore de ma vie. » Si en­suite son étude fa­vo­rite de­vint la phi­lo­so­phie, c’est qu’elle s’appelait au fond comme sa bien-ai­mée : So­phie. Si en­suite il se dé­clara fer­vem­ment chré­tien, c’est que, dans le dé­chaî­ne­ment des mal­heurs de So­phie, il crut re­con­naître ceux de Jé­sus. Elle était, pour lui, l’être cé­leste qui était venu réa­li­ser un idéal jusque-là va­gue­ment pres­senti et rêvé, et main­te­nant contem­plé dans sa réa­lité :

« Des­cen­dons », dit-il4, « vers la tendre Fian­cée,
Vers notre Bien-Aimé Jé­sus !
Ve­nez, l’ombre du soir s’est éployée
Douce aux amants par le deuil abat­tus…
 »

de­ve­nir étran­ger à la terre, se mettre en re­la­tion avec les es­prits

Comme saint Paul, il ne vit dé­sor­mais, en toute chose vi­sible, qu’une ap­pa­rence, qu’un re­flet énig­ma­tique (« per spe­cu­lum in ænig­mate »5) de la di­vi­nité in­vi­sible, de l’invisible So­phie. Peu à peu, ses yeux se dé­tour­nèrent des réa­li­tés les plus po­si­tives pour ne re­gar­der que l’au-delà. Il vou­lut de­ve­nir étran­ger à la terre, se mettre en re­la­tion avec les es­prits. Les mi­lieux oc­cul­tistes et franc-ma­çon­niques ex­ci­tèrent de plus en plus sa cu­rio­sité fé­brile. Aussi, si ses pre­mières poé­sies gardent une cer­taine net­teté de l’esprit, une cer­taine santé, un cer­tain équi­libre mys­tique, sou­vent ses « Frag­ments » dé­gé­nèrent en hal­lu­ci­na­tions, en étranges « amal­games », en « éton­nantes ana­lo­gies, obs­cures, trem­blantes, fu­gi­tives… qui s’évanouissent avant qu’on ait com­pris »6, et où même les lec­teurs in­dul­gents constatent presque un cas de dé­lire mé­lan­co­lique. « De telles hal­lu­ci­na­tions », dit M. Jean-Jacques Bedu, « se mul­ti­plient et il est bien dif­fi­cile d’établir si elles sont dues à une réelle illu­mi­na­tion ; ou à l’abus d’opium qu’il prend pour sou­la­ger les dou­leurs de la tu­ber­cu­lose qui le mine et va bien­tôt l’emporter. »

Il n’existe pas moins de quatre tra­duc­tions fran­çaises des « Frag­ments », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Oli­vier Sche­fer.

« Die Ehe ist das höchste Ge­heim­nis. Die Ehe ist bei uns ein po­pu­la­ri­siertes Ge­heim­nis. Schlimm, daß bei uns nur die Wahl zwi­schen Ehe und Ein­sam­keit ist. Die Ex­treme sind es — aber wie we­nig Men­schen sind ei­ner ei­gent­li­chen Ehe fä­hig — wie we­nig kön­nen auch Ein­sam­keit er­tra­gen ! — Es gibt Ver­bin­dun­gen al­ler Art. Eine unend­liche Ver­bin­dung ist die Ehe. — Ist die Frau der Zweck des Mannes, und ist die Frau ohne Zweck ? »
— Frag­ment dans la langue ori­gi­nale

« Le ma­riage est le plus haut mys­tère. Le ma­riage est chez nous un mys­tère po­pu­laire. Dom­mage qu’on ait seule­ment le choix entre le ma­riage et la so­li­tude. Ce sont les ex­trêmes — mais com­bien peu d’hommes sont ca­pables d’un ma­riage vé­ri­table — com­bien peu d’hommes peuvent éga­le­ment sup­por­ter la so­li­tude ! — Il y a des liai­sons en tout genre. Un ma­riage est une liai­son in­fi­nie. — La femme est-elle le but de l’homme, et la femme est-elle sans but ? »
— Frag­ment dans la tra­duc­tion M. Sche­fer

« Le ma­riage est le mys­tère su­prême. Le ma­riage est chez nous un mys­tère po­pu­la­risé. Dom­mage que nous n’ayons le choix qu’entre ma­riage et so­li­tude chez nous. Ce sont les deux ex­trêmes — mais com­bien peu de gens sont ca­pables d’un ma­riage au­then­tique — et com­bien peu sont ca­pables aussi de sup­por­ter la so­li­tude ! — Il y a des liai­sons de toutes sortes. Une liai­son éter­nelle, voilà le ma­riage. — L’homme a-t-il la femme comme but, et la femme est-elle sans but ? »
— Frag­ment dans la tra­duc­tion de M. Ar­mel Guerne (« Œuvres com­plètes. Tome II », éd. Gal­li­mard, coll. Du monde en­tier, Pa­ris)

« Le ma­riage est le mys­tère su­prême. Le ma­riage est chez nous un mys­tère po­pu­la­risé. Il est re­gret­table que chez nous on n’ait le choix qu’entre le ma­riage et la so­li­tude. Ce sont des ex­trêmes — mais com­bien peu sont ca­pables d’un ma­riage vé­ri­table — et com­bien peu aussi peuvent sup­por­ter la so­li­tude ! — Il y a des liai­sons de toutes es­pèces. Le ma­riage est une liai­son éter­nelle. — La femme est-elle le but de l’homme, et elle-même n’a-t-elle pas de but ? »
— Frag­ment dans la tra­duc­tion de Mau­rice Mae­ter­linck (« Les Dis­ciples à Saïs • Frag­ments », éd. J. Corti, coll. En li­sant en écri­vant, Pa­ris)

« Le ma­riage est le mys­tère le plus haut. Le ma­riage est chez nous un mys­tère po­pu­la­risé. Dom­mage que chez nous nous n’ayons le choix qu’entre le ma­riage et la so­li­tude. Ce sont les ex­trêmes — mais com­bien peu de per­sonnes sont ca­pables d’un ma­riage vé­ri­table — com­bien peu de per­sonnes aussi peuvent sup­por­ter la so­li­tude ! (la­cune) »
— Frag­ment dans la tra­duc­tion de M. Jean Mon­ce­lon et Mme Ma­rie Mon­ce­lon (« No­va­lis : dits et maximes de vie », éd. Ar­fuyen, coll. Ainsi par­lait, Pa­ris)

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  1. En date du 10 avril 1817. Haut
  2. Par­fois trans­crit Gru­ningue. Haut
  3. Dans Henri Lich­ten­ber­ger, « No­va­lis », p. 55. Haut
  1. « Les Dis­ciples à Saïs • Hymnes à la nuit • Jour­nal in­time », p. 90. Haut
  2. « Pre­mière Épître aux Co­rin­thiens », XIII, 12. Haut
  3. Mau­rice Mae­ter­linck. Haut