Il s’agit de la « Correspondance » du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
religion
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome VIII. Observations critiques sur une édition des lettres de Mme de Sévigné • Réflexions sur le protestantisme • etc. »
Il s’agit d’« Observations critiques sur une édition des lettres de Mme de Sévigné » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome VII. Le Caractère extérieur du magistrat • Lettres d’un royaliste savoisien • etc. »
Il s’agit du « Caractère extérieur du magistrat » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome VI. Examen de la philosophie de Bacon (ouvrage posthume) »
Il s’agit d’« Examen de la philosophie de Bacon » du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) • Éclaircissement sur les sacrifices »
Il s’agit des « Soirées de Saint-Pétersbourg » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome IV. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (les six premiers entretiens) »
Il s’agit des « Soirées de Saint-Pétersbourg » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome III. De l’Église gallicane • Lettres sur l’Inquisition espagnole »
Il s’agit de « Lettres sur l’Inquisition espagnole » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome II. Du pape »
Il s’agit de « Du pape » du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome I. Considérations sur la France • Fragments sur la France • etc. »
Il s’agit de « Considérations sur la France » et autres œuvres du comte Joseph de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne en Russie, ministre d’État. Esprit élevé et pénétrant, toujours en éveil et toujours philosophant, le comte de Maistre est pourtant resté en dehors des grands héritiers du XVIIIe siècle dont on recommande la lecture aux élèves. On a parlé de lui ou pour le combattre ou pour l’encenser ; et on a bien fait en un sens. Il mérite d’être combattu en tant que penseur du catholicisme le plus obscurantiste et le moins réformable ; mais encensé en tant que causeur vif et éclatant et génie de la provocation. Le système de pensée de Maistre, comme la plupart des faux systèmes, peut se résumer en un mot : l’unité absolue. Cette unité ne peut être atteinte par les hommes que si un pouvoir tout aussi absolu les réunit. Le représentant de ce pouvoir, d’après Maistre, est le pape dans le domaine spirituel, le roi dans le domaine temporel, qui lui donnent son caractère suprême, indéfectible et sacré : « L’un et l’autre », dit-il 1, « expriment cette haute puissance qui les domine toutes… qui gouverne et n’est pas gouvernée, qui juge et n’est pas jugée ». Voilà l’autorité constituée : autorité religieuse d’une part, autorité civile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux académiciens et aux savants ; et à plus forte raison au bas peuple. L’anarchie menace dès que l’insolente critique du pouvoir est possible : « Il faudrait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre 2, « pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu’Il est et ce que nous Lui devons ; il appartient aux prélats, aux nobles… d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices, d’apprendre aux nations… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel. Les autres n’ont pas droit de raisonner sur ces sortes de matières ! » Ce n’est pas à la masse aveugle qu’il appartient de réfléchir sur les principes obscurs et sans appel auxquels elle est assujettie ; car « il y a des choses qu’on détruit en les montrant » 3. Maistre va bien plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il épouse la cause d’un tribunal qui a fait couler des torrents de sang, et qu’il ose décrire comme le « plus circonspect » et le « plus humain » de tout l’univers. Il lui attribue le maintien en Espagne de la foi et de la monarchie contre lesquelles est venue s’user la puissance de Napoléon. Si la France avait eu le bonheur de jouir de l’Inquisition, les désastres de la Révolution française auraient été évités. De là à croire que « les abus valent infiniment mieux que les révolutions » 4 il n’y a qu’un pas. Maistre le franchit ! Il est si déraisonnable, si réactionnaire qu’il semble avoir été inventé pour nous agacer : « Il brave, il défie, il invective, il irrite… ; il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au supplice… Que serait un autel entouré de potences ? Est-ce là de la théologie persuasive ? N’est-ce pas plutôt une provocation à toute âme indépendante qui veut adorer et non trembler ? », écrira Lamartine dans son « Cours familier de littérature ».
« Les Aïnous des îles Kouriles »
Il s’agit de contes traditionnels des Aïnous 1. À l’instar des Amérindiens, ce qui reste aujourd’hui du peuple aïnou, autrefois si remarquable et si épris de liberté, est exclusivement et misérablement cantonné dans les réserves de l’île de Hokkaidô ; il est en voie d’extinction, abandonné à un sort peu enviable, qu’il ne mérite pas. Avant l’établissement des Japonais, le territoire aïnou s’étendait de la grande île de Hokkaidô, appelée Ezo, jusqu’aux deux prolongements de cette île, se déployant l’un vers le Nord-Ouest, l’autre vers le Nord-Est : l’île de Sakhaline, appelée Kita-Ezo 2 (« Ezo du Nord ») ; et le chapelet des Kouriles, appelé Oku-Ezo 3 (« Ezo des confins »), égrené jusqu’à la pointe du Kamtchatka. Ce n’est qu’au début du XVIIe siècle que le Japon investit un daïmio à Matsumae, mais celui-ci se contentait en quelque sorte de monter la garde contre les Aïnous. Il n’avait aucune idée sérieuse du territoire de ces « hommes poilus » (« kebito » 4), dont il ignorait tout ou à peu près tout, et où il interdisait à ses sujets de s’avancer trop loin, comme en témoigne le père de Angelis. Terres parfaitement négligeables et négligées, ces îles furent également la seule partie du globe qui échappa à l’activité infatigable du capitaine Cook. Et à ce titre, elles provoquèrent la curiosité de La Pérouse, qui, depuis son départ de France, brûlait d’impatience d’être le premier à y avoir abordé. En 1787, les frégates sous son commandement mouillèrent devant Sakhaline, et les Français, descendus à terre, entrèrent en contact avec « une race d’hommes différente de celle des Japonais, des Chinois, des Kamtchadales et des Tartares dont ils ne sont séparés que par un canal » 5. C’étaient les Aïnous. Quoique n’ayant jamais abordé aux Kouriles, La Pérouse établit avec certitude, d’après la relation de Krachéninnikov et l’identité du vocabulaire composé par ce Russe avec celui qu’il recueillit sur place, que les habitants des Kouriles, ceux de Sakhaline et ceux de Hokkaidô avaient « une origine commune ». Leurs manières douces et graves et leur intelligence étendue firent impression sur La Pérouse, qui les compara à celles des Européens les mieux instruits : « Nous parvînmes à leur faire comprendre que nous désirions qu’ils figurassent la forme de leur pays et de celui des Mandchous. Alors, un des vieillards se leva, et avec le bout de sa pique, il figura la côte de Tartarie à l’Ouest, courant à peu près [du] Nord [au] Sud. À l’Est, vis-à-vis et dans la même direction, il figura… son propre pays ; il avait laissé entre la Tartarie et son île un détroit, et se tournant vers nos vaisseaux qu’on apercevait du rivage, il marqua, par un trait, qu’on pouvait y passer… Sa sagacité pour deviner toutes nos questions était extrême, mais moindre encore que celle d’un second insulaire, âgé à peu près de trente ans, qui, voyant que les figures tracées sur le sable s’effaçaient, prit un de nos crayons avec du papier. Il y figura son île [et traça], par des traits, le nombre de journées de pirogue nécessaire pour se rendre du lieu où nous étions [jusqu’à] l’embouchure du Ségalien 6 »
- On rencontre aussi les graphies Aïnos et Ainu. Ce terme signifie « être humain » dans la langue du même nom.
- En japonais 北蝦夷.
- En japonais 奥蝦夷. Parfois transcrit Oku-Yezo, Oko-Ieso ou Okou-Yesso.
- En japonais 毛人.
- « Le Voyage de Lapérouse (1785-1788). Tome II », p. 387.
- L’actuel fleuve Amour.
« Tombent, tombent les gouttes d’argent : chants du peuple aïnou »
Il s’agit de chants traditionnels des Aïnous 1. À l’instar des Amérindiens, ce qui reste aujourd’hui du peuple aïnou, autrefois si remarquable et si épris de liberté, est exclusivement et misérablement cantonné dans les réserves de l’île de Hokkaidô ; il est en voie d’extinction, abandonné à un sort peu enviable, qu’il ne mérite pas. Avant l’établissement des Japonais, le territoire aïnou s’étendait de la grande île de Hokkaidô, appelée Ezo, jusqu’aux deux prolongements de cette île, se déployant l’un vers le Nord-Ouest, l’autre vers le Nord-Est : l’île de Sakhaline, appelée Kita-Ezo 2 (« Ezo du Nord ») ; et le chapelet des Kouriles, appelé Oku-Ezo 3 (« Ezo des confins »), égrené jusqu’à la pointe du Kamtchatka. Ce n’est qu’au début du XVIIe siècle que le Japon investit un daïmio à Matsumae, mais celui-ci se contentait en quelque sorte de monter la garde contre les Aïnous. Il n’avait aucune idée sérieuse du territoire de ces « hommes poilus » (« kebito » 4), dont il ignorait tout ou à peu près tout, et où il interdisait à ses sujets de s’avancer trop loin, comme en témoigne le père de Angelis. Terres parfaitement négligeables et négligées, ces îles furent également la seule partie du globe qui échappa à l’activité infatigable du capitaine Cook. Et à ce titre, elles provoquèrent la curiosité de La Pérouse, qui, depuis son départ de France, brûlait d’impatience d’être le premier à y avoir abordé. En 1787, les frégates sous son commandement mouillèrent devant Sakhaline, et les Français, descendus à terre, entrèrent en contact avec « une race d’hommes différente de celle des Japonais, des Chinois, des Kamtchadales et des Tartares dont ils ne sont séparés que par un canal » 5. C’étaient les Aïnous. Quoique n’ayant jamais abordé aux Kouriles, La Pérouse établit avec certitude, d’après la relation de Krachéninnikov et l’identité du vocabulaire composé par ce Russe avec celui qu’il recueillit sur place, que les habitants des Kouriles, ceux de Sakhaline et ceux de Hokkaidô avaient « une origine commune ». Leurs manières douces et graves et leur intelligence étendue firent impression sur La Pérouse, qui les compara à celles des Européens les mieux instruits : « Nous parvînmes à leur faire comprendre que nous désirions qu’ils figurassent la forme de leur pays et de celui des Mandchous. Alors, un des vieillards se leva, et avec le bout de sa pique, il figura la côte de Tartarie à l’Ouest, courant à peu près [du] Nord [au] Sud. À l’Est, vis-à-vis et dans la même direction, il figura… son propre pays ; il avait laissé entre la Tartarie et son île un détroit, et se tournant vers nos vaisseaux qu’on apercevait du rivage, il marqua, par un trait, qu’on pouvait y passer… Sa sagacité pour deviner toutes nos questions était extrême, mais moindre encore que celle d’un second insulaire, âgé à peu près de trente ans, qui, voyant que les figures tracées sur le sable s’effaçaient, prit un de nos crayons avec du papier. Il y figura son île [et traça], par des traits, le nombre de journées de pirogue nécessaire pour se rendre du lieu où nous étions [jusqu’à] l’embouchure du Ségalien 6 »
- On rencontre aussi les graphies Aïnos et Ainu. Ce terme signifie « être humain » dans la langue du même nom.
- En japonais 北蝦夷.
- En japonais 奥蝦夷. Parfois transcrit Oku-Yezo, Oko-Ieso ou Okou-Yesso.
- En japonais 毛人.
- « Le Voyage de Lapérouse (1785-1788). Tome II », p. 387.
- L’actuel fleuve Amour.
Chateaubriand, « Voyages en Amérique et en Italie. Tome II »
Il s’agit du « Voyage en Italie » et autres œuvres de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Novalis, « [Œuvres philosophiques. Tome III.] Art et Utopie : les derniers “Fragments” (1799-1800) »
Il s’agit d’une traduction partielle des « Fragments » (« Fragmente ») de Novalis, romantique allemand, ancêtre lointain du symbolisme (XVIIIe siècle). Le comte de Platen écrit dans ses « Journaux » 1 : « On est pour les romantiques allemands, [mais] moi, j’aime les Anciens. On m’a lu un jour une poésie de Novalis, dont je n’ai pas compris une seule syllabe ». Il est vrai que l’œuvre de Novalis est l’une des plus énigmatiques, l’une des moins compréhensibles de la poésie allemande ; elle est, d’un bout à l’autre, un code secret, un chiffre dont la clef s’appelle Sophie von Kühn, dite Sophie de Kühn. C’est au cours d’une tournée administrative, en 1795, que Novalis rencontra, au château de Grüningen 2, cette toute jeune fille, un peu femme déjà, en qui devait s’incarner son idéal ; elle n’avait pas encore treize printemps. Il tomba aussitôt sous son charme et bientôt il se fiança avec elle. Entre ce jeune homme rêveur et cette « fleur bleue » (« blaue Blume ») qui s’ouvrait à la vie, suivant le mot de Novalis, naquit une idylle aussi insolite que brève. Sophie mourait à peine deux ans plus tard, en 1797, après de cruelles souffrances causées par une tumeur. Sa fragile et angélique figure, sur laquelle la douleur et surtout l’ombre solennelle de la mort avaient répandu une précoce maturité, laissa à Novalis un souvenir impérissable et funèbre. « Le soir s’est fait autour de moi », dit-il trois jours plus tard 3, « pendant que je regardais se lever l’aurore de ma vie. » Si ensuite son étude favorite devint la philosophie, c’est qu’elle s’appelait au fond comme sa bien-aimée : Sophie. Si ensuite il se déclara fervemment chrétien, c’est que, dans le déchaînement des malheurs de Sophie, il crut reconnaître ceux de Jésus. Elle était, pour lui, l’être céleste qui était venu réaliser un idéal jusque-là vaguement pressenti et rêvé, et maintenant contemplé dans sa réalité :
« Descendons », dit-il 4, « vers la tendre Fiancée,
Vers notre Bien-Aimé Jésus !
Venez, l’ombre du soir s’est éployée
Douce aux amants par le deuil abattus… »
- Dans Henri Lichtenberger, « Novalis », p. 55.
- « Les Disciples à Saïs • Hymnes à la nuit • Journal intime », p. 90.