Il s’agit de la « Grande Morale » (« Êthika megala » 1) d’Aristote. Il se trouve dans le corpus aristotélicien, tel qu’il nous est parvenu, trois traités d’éthique ou de morale, intitulés respectivement l’« Éthique à Nicomaque », l’« Éthique à Eudème » et la « Grande Morale ». Ces traités exposent les mêmes matières, avec des développements analogues, dans le même ordre ; ce sont trois rédactions d’une seule pensée. Qu’est-ce donc que ces trois rédactions ? Quels rapports exacts ont-elles entre elles ? Sont-elles des leçons recueillies par des disciples ? Est-ce Aristote lui-même qui s’est repris jusqu’à trois fois pour exposer son système ? Ce sont là des questions délicates et très malaisées à résoudre. Les conjectures qu’ont suscitées les titres mêmes de ces traités montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur statut. L’« Éthique à Eudème » par exemple, est-elle une « Éthique pour Eudème », c’est-à-dire un traité qu’Aristote aurait dédié à un de ses disciples, nommé Eudème ? Est-elle, au contraire, une « Éthique d’Eudème », c’est-à-dire un traité dont ce disciple aurait été l’éditeur, voire l’auteur ? Rien de sûr. Pour l’« Éthique à Nicomaque », le plus soigné des trois traités, le plus connu et le seul que saint Thomas d’Aquin ait commenté, l’incertitude est presque identique, à ceci près que Nicomaque serait, d’après Cicéron, le fils d’Aristote. Quant à la « Grande Morale », qui ne mérite ce nom ni par sa longueur ni par la difficulté de ses idées, elle semblerait, d’après Porphyre et David l’Arménien, avoir été appelée autrefois la « Petite Morale à Nicomaque » ; ce nom lui convient mieux. Mais laissons de côté ces questions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, surpris par la mort, n’y aurait pas mis la dernière main, soit par la faute de quelque copiste peu avisé qui aurait tout bouleversé. « C’est fort regrettable », explique un traducteur 2, « mais si l’on devait condamner tout ouvrage d’Aristote par cela seul qu’il est irrégulier, il faut reconnaître qu’il ne nous en resterait plus un seul : depuis la “Métaphysique” jusqu’à la “Poétique” ! »
morale sociale
sujet
Aristote, « Éthique à Eudème »
éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Montréal, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris-Montréal
Il s’agit de l’« Éthique à Eudème » (« Êthika Eudêmia » 1) d’Aristote. Il se trouve dans le corpus aristotélicien, tel qu’il nous est parvenu, trois traités d’éthique ou de morale, intitulés respectivement l’« Éthique à Nicomaque », l’« Éthique à Eudème » et la « Grande Morale ». Ces traités exposent les mêmes matières, avec des développements analogues, dans le même ordre ; ce sont trois rédactions d’une seule pensée. Qu’est-ce donc que ces trois rédactions ? Quels rapports exacts ont-elles entre elles ? Sont-elles des leçons recueillies par des disciples ? Est-ce Aristote lui-même qui s’est repris jusqu’à trois fois pour exposer son système ? Ce sont là des questions délicates et très malaisées à résoudre. Les conjectures qu’ont suscitées les titres mêmes de ces traités montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur statut. L’« Éthique à Eudème » par exemple, est-elle une « Éthique pour Eudème », c’est-à-dire un traité qu’Aristote aurait dédié à un de ses disciples, nommé Eudème ? Est-elle, au contraire, une « Éthique d’Eudème », c’est-à-dire un traité dont ce disciple aurait été l’éditeur, voire l’auteur ? Rien de sûr. Pour l’« Éthique à Nicomaque », le plus soigné des trois traités, le plus connu et le seul que saint Thomas d’Aquin ait commenté, l’incertitude est presque identique, à ceci près que Nicomaque serait, d’après Cicéron, le fils d’Aristote. Quant à la « Grande Morale », qui ne mérite ce nom ni par sa longueur ni par la difficulté de ses idées, elle semblerait, d’après Porphyre et David l’Arménien, avoir été appelée autrefois la « Petite Morale à Nicomaque » ; ce nom lui convient mieux. Mais laissons de côté ces questions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, surpris par la mort, n’y aurait pas mis la dernière main, soit par la faute de quelque copiste peu avisé qui aurait tout bouleversé. « C’est fort regrettable », explique un traducteur 2, « mais si l’on devait condamner tout ouvrage d’Aristote par cela seul qu’il est irrégulier, il faut reconnaître qu’il ne nous en resterait plus un seul : depuis la “Métaphysique” jusqu’à la “Poétique” ! »
Aristote, « Éthique de Nicomaque »
Il s’agit de l’« Éthique à Nicomaque » (« Êthika Nikomacheia » 1) d’Aristote. Il se trouve dans le corpus aristotélicien, tel qu’il nous est parvenu, trois traités d’éthique ou de morale, intitulés respectivement l’« Éthique à Nicomaque », l’« Éthique à Eudème » et la « Grande Morale ». Ces traités exposent les mêmes matières, avec des développements analogues, dans le même ordre ; ce sont trois rédactions d’une seule pensée. Qu’est-ce donc que ces trois rédactions ? Quels rapports exacts ont-elles entre elles ? Sont-elles des leçons recueillies par des disciples ? Est-ce Aristote lui-même qui s’est repris jusqu’à trois fois pour exposer son système ? Ce sont là des questions délicates et très malaisées à résoudre. Les conjectures qu’ont suscitées les titres mêmes de ces traités montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur statut. L’« Éthique à Eudème » par exemple, est-elle une « Éthique pour Eudème », c’est-à-dire un traité qu’Aristote aurait dédié à un de ses disciples, nommé Eudème ? Est-elle, au contraire, une « Éthique d’Eudème », c’est-à-dire un traité dont ce disciple aurait été l’éditeur, voire l’auteur ? Rien de sûr. Pour l’« Éthique à Nicomaque », le plus soigné des trois traités, le plus connu et le seul que saint Thomas d’Aquin ait commenté, l’incertitude est presque identique, à ceci près que Nicomaque serait, d’après Cicéron, le fils d’Aristote. Quant à la « Grande Morale », qui ne mérite ce nom ni par sa longueur ni par la difficulté de ses idées, elle semblerait, d’après Porphyre et David l’Arménien, avoir été appelée autrefois la « Petite Morale à Nicomaque » ; ce nom lui convient mieux. Mais laissons de côté ces questions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, surpris par la mort, n’y aurait pas mis la dernière main, soit par la faute de quelque copiste peu avisé qui aurait tout bouleversé. « C’est fort regrettable », explique un traducteur 2, « mais si l’on devait condamner tout ouvrage d’Aristote par cela seul qu’il est irrégulier, il faut reconnaître qu’il ne nous en resterait plus un seul : depuis la “Métaphysique” jusqu’à la “Poétique” ! »
Rákóczi, « L’Autobiographie d’un prince rebelle. Confession • Mémoires »
Il s’agit de la « Confession d’un pécheur » (« Confessio peccatoris ») et des « Mémoires » de François II Rákóczi 1, prince de Hongrie, fervent admirateur et ami de la France à tel point qu’en mourant il voulut que son cœur reposât en terre française (XVIIe-XVIIIe siècle). Rákóczi mérite le titre d’écrivain de langue française ; car c’est dans cette langue qu’il exprima les aspirations séculaires du peuple hongrois : le grand amour de la liberté et le désir de voir la patrie délivrée du joug étranger. Lorsqu’en l’an 1707, la Hongrie, menacée d’une germanisation complète par l’Autriche, se révolta contre les Habsbourg, Rákóczi fut poussé à la lutte à la fois par le fait d’une volonté supérieure et par la sienne propre. Le peuple et, en même temps, le destin dont il avait hérité l’appelaient impérieusement à conduire ce combat qu’il savait pourtant inégal. Il tourna ses regards vers Louis XIV qui lui envoya, outre des secours en argent, d’éminents stratèges et ingénieurs qui donnèrent à la Cour magyare une allure versaillaise. La « Confession » et les « Mémoires » furent écrits en France, où ce prince malheureux vint se réfugier après l’échec de l’indépendance hongroise. Il y séjourna de l’an 1712 à 1717, d’abord comme hôte de Louis XIV, à Versailles, puis comme résident du couvent des camaldules, à Grosbois. Il assista aux représentations des pièces de Racine et Molière, il visita les galeries, il fit la connaissance de Saint-Simon qui dit du couvent des camaldules « que Rákóczi n’y voyait presque personne, vivait très frugalement dans une grande pénitence, au pain et à l’eau une ou deux fois la semaine, et assidu à tous les offices du jour et de la nuit ». Peu d’hommes pleurèrent la mort du Roi-Soleil avec plus de sincérité que Rákóczi. Cette mort marqua, d’ailleurs, la perte de son dernier espoir, et même si, sur l’invitation du Sultan turc, il se rendit à Constantinople pour organiser une armée appelée à recommencer la guerre contre l’Autriche, les circonstances ne lui permirent pas de réaliser son grand rêve, et il mourut dans l’émigration et dans l’obscurité.
Hésiode, « La Théogonie • Les Travaux et les Jours • Le Catalogue des femmes » • « La Dispute d’Homère et d’Hésiode »
Il s’agit de la « Théogonie » (« Theogonia » 1), des « Travaux et des Jours » (« Erga kai Hêmerai » 2) et du « Catalogue des femmes » (« Katalogos gynaikôn » 3), sorte de manuels en vers où Hésiode 4 a jeté un peu confusément mythologie, morale, navigation, construction de chariots, de charrues, calendrier des labours, des semailles, des moissons, almanach des fêtes qui interrompent chaque année le travail du paysan ; car à une époque où les connaissances humaines n’étaient pas encore séparées et distinctes, chaque chef de famille avait besoin de tout cela (VIIIe siècle av. J.-C.). Hésiode a été mis en parallèle avec Homère par les Grecs eux-mêmes, et nous possédons une fiction intitulée « La Dispute d’Homère et d’Hésiode » (« Agôn Homêrou kai Hêsiodou » 5). En fait, bien que l’un et l’autre puissent être regardés comme les pères de la mythologie, on ne saurait imaginer deux poètes plus opposés. La poésie homérique, par ses origines et par son principal développement, appartient à la Grèce d’Asie ; elle est d’emblée l’expression la plus brillante de l’humanité. Un lecteur sous le charme du génie d’Homère, de ses épisodes si remarquables d’essor et de déploiement, ne retrouvera chez Hésiode qu’une médiocre partie de toutes ces beautés. Simple habitant des champs, prêtre d’un temple des muses sur le mont Hélicon, Hésiode est loin d’avoir dans l’esprit un modèle comparable à celui du héros homérique. Il déteste « la guerre mauvaise » 6 chantée par les aèdes ; il la considère comme un fléau que les dieux épargnent à leurs plus fidèles sujets. Son objet préféré, à lui, Grec d’Europe, n’est pas la gloire du combat, chose étrangère à sa vie, mais la paix du travail, réglée au rythme des jours et des sacrifices religieux. C’est là sa leçon constante, sa perpétuelle rengaine. « Hésiode était plus agriculteur que poète. Il songe toujours à instruire, rarement à plaire ; jamais une digression agréable ne rompt chez lui la continuité et l’ennui des préceptes », dit l’abbé Jacques Delille 7. Son poème des « Travaux » nous permet de nous le représenter assez exactement. Nous le voyons sur les pentes de l’Hélicon, vêtu d’« un manteau moelleux ainsi qu’une longue tunique », retourner la terre et ensemencer. « Une paire de bons bœufs de neuf ans », dont il touche de l’aiguillon le dos, traîne lentement la charrue. C’est un paysan qui parle aux paysans. Le travail de la terre est tout pour lui : il est la condition de l’indépendance et du bien-être ; il est en même temps le devoir envers les dieux, qui n’ont pas imposé aux hommes de loi plus vive et plus impérieuse. Partout il recommande l’effort, il blâme partout l’oisiveté.
Tseng-tseu, « “Hiao King”, Le Livre de la piété filiale ou de l’amour filial »
Il s’agit du « Livre de la piété filiale » (« Hiao King » 1), qui constitue avec « La Grande Étude », « la porte par où l’on accède au rayonnement » 2 de la morale chinoise. Un des disciples de Confucius, possiblement Tseng-tseu 3, a composé ces deux ouvrages. Il y traite de la persévérance dans le souverain bien, qui n’est autre chose que la conformité de nos actes avec les lois du ciel. En partant de notre amélioration personnelle et du bon ordre à établir dans notre famille, il en arrive progressivement aux moyens de pacifier et bien gouverner l’Empire. En effet, autrefois, les anciens princes qui désiraient développer et faire briller les lois du ciel, s’attachaient auparavant à bien gouverner leur royaume ; ceux qui désiraient bien gouverner leur royaume, s’attachaient auparavant à mettre le bon ordre dans leur famille ; ceux qui désiraient mettre le bon ordre dans leur famille, s’attachaient auparavant à se corriger eux-mêmes ; ceux qui désiraient se corriger eux-mêmes, s’attachaient auparavant à donner de la droiture à leur âme ; ceux enfin qui désiraient donner de la droiture à leur âme, s’attachaient auparavant à perfectionner leurs connaissances morales. Telle est la fin que se proposent « Le Livre de la piété filiale » et « La Grande Étude ». Soit préjugé ou raison, soit obstination ou justice, la Chine, pendant des millénaires, n’a jamais cessé de lire et d’admirer ces deux ouvrages : les révolutions du goût, les changements de régime, les dominations étrangères même n’ont pas entamé leur universalité originelle ni la solidité de leurs principes. « C’est dans la belle morale qu’ils enseignent, dans les vertus qu’ils commandent, et dans les sages règles de politique qu’ils tracent et qu’ils ont eu la gloire de persuader, que les philosophes d’au-delà des mers auraient dû chercher la solution [au] grand [mystère] de la durée de l’Empire chinois », dit le père Pierre-Martial Cibot.
Tseng-tseu, « La Grande Étude »
Il s’agit de « La Grande Étude » (« Ta-hio » 1), qui constitue avec « Le Livre de la piété filiale », « la porte par où l’on accède au rayonnement » 2 de la morale chinoise. Un des disciples de Confucius, possiblement Tseng-tseu 3, a composé ces deux ouvrages. Il y traite de la persévérance dans le souverain bien, qui n’est autre chose que la conformité de nos actes avec les lois du ciel. En partant de notre amélioration personnelle et du bon ordre à établir dans notre famille, il en arrive progressivement aux moyens de pacifier et bien gouverner l’Empire. En effet, autrefois, les anciens princes qui désiraient développer et faire briller les lois du ciel, s’attachaient auparavant à bien gouverner leur royaume ; ceux qui désiraient bien gouverner leur royaume, s’attachaient auparavant à mettre le bon ordre dans leur famille ; ceux qui désiraient mettre le bon ordre dans leur famille, s’attachaient auparavant à se corriger eux-mêmes ; ceux qui désiraient se corriger eux-mêmes, s’attachaient auparavant à donner de la droiture à leur âme ; ceux enfin qui désiraient donner de la droiture à leur âme, s’attachaient auparavant à perfectionner leurs connaissances morales. Telle est la fin que se proposent « La Grande Étude » et « Le Livre de la piété filiale ». Soit préjugé ou raison, soit obstination ou justice, la Chine, pendant des millénaires, n’a jamais cessé de lire et d’admirer ces deux ouvrages : les révolutions du goût, les changements de régime, les dominations étrangères même n’ont pas entamé leur universalité originelle ni la solidité de leurs principes. « C’est dans la belle morale qu’ils enseignent, dans les vertus qu’ils commandent, et dans les sages règles de politique qu’ils tracent et qu’ils ont eu la gloire de persuader, que les philosophes d’au-delà des mers auraient dû chercher la solution [au] grand [mystère] de la durée de l’Empire chinois », dit le père Pierre-Martial Cibot.