Il s’agit de « Nymphodora Ivanovna » 1, roman de mœurs d’Ivan Gontcharov 2 (XIXe siècle). « Comme notre littérature doit être forte », dit un critique russe 3, « si un écrivain aussi superbe que Gontcharov n’est placé dans l’opinion et le goût du monde littéraire que tout juste en queue des dix premiers de son classement ! » Moins populaire, en effet, que les Tolstoï et que les Dostoïevski, Gontcharov occupe, tout juste derrière eux, une place de premier ordre dans la littérature russe. Son génie est d’avoir circonscrit d’une manière originale et précise, et au cœur même de la nation russe, un type d’homme non exploré par les autres, et d’en avoir donné, à travers un personnage touchant, une description inoubliable à force de justesse : le type d’Oblomov. Cet Oblomov est un paresseux en robe de chambre qui ne lit guère, qui n’écrit point, qui laisse errer ses pensées et qui partage sa vie terne et médiocre entre le sommeil et l’ennui. Accoutumé depuis toujours à s’épargner tout effort, toute initiative, tout changement, sa volonté s’est éteinte par manque d’impulsion. Même l’amour — l’héroïque amour — d’Olga est devenu pour lui une aventure si audacieuse qu’il préfère y renoncer. Le plus souvent affalé lourdement sur son lit ou sur un divan, n’ayant aucun point de repère, ne sachant s’il vit bien ou mal, ce qu’il possède ou ce qu’il dépense, il n’a même plus la force de donner à ses serfs les ordres nécessaires. Il stagne, il moisit, il croupit dans une éternelle et muette apathie, cependant qu’autour de lui, les soins d’un fidèle serviteur aux cheveux blancs entourent et protègent ce petit monsieur qui s’est seulement donné la peine de naître. « C’était là une révélation pour la Russie ; c’en aurait été une aussi pour le reste du monde si l’œuvre eût été connue hors frontière. On connaissait l’avare, le menteur, le misanthrope, le jaloux, le pédant, le distrait, le joueur, etc. ; on ignorait le paresseux. Gontcharov présentait ce type nouveau dans toute sa plénitude et sa grandeur, et non pas un type abstrait… mais un type individualisé, animé d’une vie minutieuse et intégrale », explique très bien un slaviste 4.
19ᵉ siècle
Gontcharov, « La Terrible Maladie »
Il s’agit de « La Terrible Maladie » (« Likhaïa bolest » 1), roman de mœurs d’Ivan Gontcharov 2 (XIXe siècle). « Comme notre littérature doit être forte », dit un critique russe 3, « si un écrivain aussi superbe que Gontcharov n’est placé dans l’opinion et le goût du monde littéraire que tout juste en queue des dix premiers de son classement ! » Moins populaire, en effet, que les Tolstoï et que les Dostoïevski, Gontcharov occupe, tout juste derrière eux, une place de premier ordre dans la littérature russe. Son génie est d’avoir circonscrit d’une manière originale et précise, et au cœur même de la nation russe, un type d’homme non exploré par les autres, et d’en avoir donné, à travers un personnage touchant, une description inoubliable à force de justesse : le type d’Oblomov. Cet Oblomov est un paresseux en robe de chambre qui ne lit guère, qui n’écrit point, qui laisse errer ses pensées et qui partage sa vie terne et médiocre entre le sommeil et l’ennui. Accoutumé depuis toujours à s’épargner tout effort, toute initiative, tout changement, sa volonté s’est éteinte par manque d’impulsion. Même l’amour — l’héroïque amour — d’Olga est devenu pour lui une aventure si audacieuse qu’il préfère y renoncer. Le plus souvent affalé lourdement sur son lit ou sur un divan, n’ayant aucun point de repère, ne sachant s’il vit bien ou mal, ce qu’il possède ou ce qu’il dépense, il n’a même plus la force de donner à ses serfs les ordres nécessaires. Il stagne, il moisit, il croupit dans une éternelle et muette apathie, cependant qu’autour de lui, les soins d’un fidèle serviteur aux cheveux blancs entourent et protègent ce petit monsieur qui s’est seulement donné la peine de naître. « C’était là une révélation pour la Russie ; c’en aurait été une aussi pour le reste du monde si l’œuvre eût été connue hors frontière. On connaissait l’avare, le menteur, le misanthrope, le jaloux, le pédant, le distrait, le joueur, etc. ; on ignorait le paresseux. Gontcharov présentait ce type nouveau dans toute sa plénitude et sa grandeur, et non pas un type abstrait… mais un type individualisé, animé d’une vie minutieuse et intégrale », explique très bien un slaviste 4.
Gontcharov, « Oblomov »
éd. L’Âge d’homme-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris
Il s’agit d’« Oblomov » 1, roman de mœurs d’Ivan Gontcharov 2 (XIXe siècle). « Comme notre littérature doit être forte », dit un critique russe 3, « si un écrivain aussi superbe que Gontcharov n’est placé dans l’opinion et le goût du monde littéraire que tout juste en queue des dix premiers de son classement ! » Moins populaire, en effet, que les Tolstoï et que les Dostoïevski, Gontcharov occupe, tout juste derrière eux, une place de premier ordre dans la littérature russe. Son génie est d’avoir circonscrit d’une manière originale et précise, et au cœur même de la nation russe, un type d’homme non exploré par les autres, et d’en avoir donné, à travers un personnage touchant, une description inoubliable à force de justesse : le type d’Oblomov. Cet Oblomov est un paresseux en robe de chambre qui ne lit guère, qui n’écrit point, qui laisse errer ses pensées et qui partage sa vie terne et médiocre entre le sommeil et l’ennui. Accoutumé depuis toujours à s’épargner tout effort, toute initiative, tout changement, sa volonté s’est éteinte par manque d’impulsion. Même l’amour — l’héroïque amour — d’Olga est devenu pour lui une aventure si audacieuse qu’il préfère y renoncer. Le plus souvent affalé lourdement sur son lit ou sur un divan, n’ayant aucun point de repère, ne sachant s’il vit bien ou mal, ce qu’il possède ou ce qu’il dépense, il n’a même plus la force de donner à ses serfs les ordres nécessaires. Il stagne, il moisit, il croupit dans une éternelle et muette apathie, cependant qu’autour de lui, les soins d’un fidèle serviteur aux cheveux blancs entourent et protègent ce petit monsieur qui s’est seulement donné la peine de naître. « C’était là une révélation pour la Russie ; c’en aurait été une aussi pour le reste du monde si l’œuvre eût été connue hors frontière. On connaissait l’avare, le menteur, le misanthrope, le jaloux, le pédant, le distrait, le joueur, etc. ; on ignorait le paresseux. Gontcharov présentait ce type nouveau dans toute sa plénitude et sa grandeur, et non pas un type abstrait… mais un type individualisé, animé d’une vie minutieuse et intégrale », explique très bien un slaviste 4.
Schiller, « La Pucelle d’Orléans »
Il s’agit de « La Pucelle d’Orléans » 1 (« Die Jungfrau von Orleans ») de Friedrich Schiller 2, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 3. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 4. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 5. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Démétrius »
Il s’agit de « Démétrius » de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « La Fiancée de Messine, ou les Frères ennemis : tragédie avec chœurs »
éd. Aubier-Montaigne, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris
Il s’agit de « La Fiancée de Messine » (« Die Braut von Messina ») de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Guillaume Tell : tragédie en cinq actes »
Il s’agit de « Guillaume Tell » (« Wilhelm Tell ») de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Wallenstein : poème dramatique »
éd. L. Mazenod, coll. Les Écrivains célèbres-Le Romantisme, Paris
Il s’agit de « Wallenstein » 1 de Friedrich Schiller 2, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 3. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 4. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 5. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Esthétique »
Il s’agit des « Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » (« Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen ») et autres traités philosophiques de Schiller. L’espace compris entre les années 1792 et 1795 marque un répit dans les productions théâtrales de Schiller. Donnant quelque attention aux tendances de son temps, le dramaturge se livre à de grandes réflexions sur l’écart qu’il observe entre la forme moderne de l’humanité et la forme ancienne — la grecque particulièrement. Selon Schiller, à l’époque de l’heureux éveil grec, l’homme, à la fois philosophe et artiste, à la fois délicat et énergique, ne renfermait pas son activité dans les limites de ses fonctions ; il possédait en soi l’essence totale de l’humanité ; et favorable indifféremment à toutes les manifestations humaines, il n’en protégeait aucune exclusivement. « Comme il en est autrement chez nous autres, modernes ! », dit Schiller 1. Chez nous, l’image de l’espèce est distribuée, dispersée dans les individus à l’état de fragments, de telle sorte que les forces spirituelles de l’humanité se montrent séparées, et qu’il faut additionner la série des individus pour reconstituer la totalité de l’espèce. « Chez nous… nous voyons non seulement des individus isolés, mais des classes entières d’hommes ne développer qu’une partie de leurs facultés », dit Schiller 2. C’est la civilisation elle-même qui a fait cette blessure au monde moderne. Aussitôt que, d’une part, une expérience plus étendue eut amené une division plus exacte des sciences, et que, de l’autre, la machine compliquée des États eut rendu nécessaire une séparation plus rigoureuse des classes et des tâches sociales, le lien intime de la nature humaine fut rompu. Une pernicieuse lutte succéda à l’harmonie qui régnait entre les diverses sphères humaines. « La raison intuitive et la raison spéculative se renfermèrent hostilement dans leurs domaines séparés, dont elles commencèrent à garder les frontières avec méfiance et jalousie », dit Schiller 3. Éternellement enchaîné à un seul petit fragment du tout, l’homme moderne ne se forme que comme fragment ; n’ayant sans cesse dans l’oreille que le bruit monotone de la roue qu’il fait tourner, il ne développe jamais l’harmonie de sa nature ; et au lieu d’imprimer à son être le cachet de l’humanité, il finit par n’être plus que l’empreinte de l’occupation à laquelle il se consacre, de la science qu’il cultive. Et Schiller de conclure : « Quel que soit le profit résultant… de ce perfectionnement distinct et spécial des facultés humaines, on ne peut nier que ce… soit une cause de souffrance et comme une malédiction pour les individus. Les exercices du gymnase forment, il est vrai, des corps athlétiques, mais ce n’est que par le jeu libre et égal des membres que se développe la beauté. De même, la tension des forces spirituelles isolées peut créer des hommes extraordinaires ; mais ce n’est que l’équilibre… de ces forces qui peut produire des hommes heureux et accomplis »
Schiller, « Don Carlos »
Il s’agit de « Don Carlos » (« Don Karlos ») de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Marie Stuart »
éd. Aubier, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris
Il s’agit de « Marie Stuart » (« Maria Stuart ») de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller, « Les Brigands : drame en cinq actes »
Il s’agit des « Brigands » (« Die Räuber ») de Friedrich Schiller 1, poète et dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schiller” » 2. L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre des lois de l’École militaire où il fut éduqué. Huit années durant, son enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs. La surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la direction où il était poussé de force. Elles auraient dû étouffer sa passion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Brigands » qu’il écrivit en cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : « J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince. J’ai perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il 3. Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec « La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Marie Stuart ». Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius », dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ; mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire. « Citoyen de l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la boussole », dit-il 4. On comprend pourquoi la République française nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par Danton en 1792.
Schiller et Gœthe, « Correspondance (1794-1805). Tome II »
Il s’agit de la « Correspondance entre Schiller et Gœthe » (« Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe »). Il est difficile d’apprécier la rencontre, le choc sympathique, l’alliance sereine et féconde de deux génies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wallenstein », à moins de connaître exactement leur antipathie de départ. Écoutons-les se juger l’un l’autre, au moment où, arrivés tous deux à l’apogée de leur renommée par des chemins concurrents et parallèles, ils tenaient l’admiration de l’Allemagne en suspens : « Je détestais Schiller, parce que son talent vigoureux, mais sans maturité, avait déchaîné à travers l’Allemagne, comme un torrent impétueux, tous les paradoxes moraux et dramatiques dont je m’étais efforcé de purifier mon intelligence », disait Gœthe. « Je serais malheureux si je me rencontrais souvent avec Gœthe. Il n’a pas un seul moment d’expansion, même avec ses amis les plus intimes. Il annonce son existence par les bienfaits, mais à la manière des dieux, sans se donner lui-même », disait Schiller. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très différents et très opposés. « Jamais deux hommes ne sont partis de si loin pour se rencontrer », dit un critique 1. Gœthe était un réaliste, tourné vers la nature extérieure en spectateur immobile et paisible ; Schiller, au contraire, était un idéaliste, ne voyant le monde qu’à travers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vibrant et plus entraînant qu’il n’apparaissait à la plupart des gens. Bientôt pourtant, ces deux âmes allaient unir leurs sentiments et leurs pensées ; ces deux esprits allaient se compléter, s’enrichir mutuellement, prendre un même essor vers de nouvelles régions de la littérature, et s’insuffler une seconde jeunesse ; tout cela à un âge où ils étaient pleinement formés l’un et l’autre. « On peut comprendre par là toute la valeur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seulement des confidences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un véritable cours de littérature, où les questions les plus importantes de l’art et de la poésie sont traitées avec la largeur de vue et le sentiment profond qui n’appartiennent qu’au génie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le secret de leur art ; qui nous initient à leurs plus intimes préoccupations, et nous font entrer ainsi dans ce qu’a de plus profond leur esprit particulier, d’abord, et ensuite l’esprit de leur race », dit un traducteur