Mot-clefzuihitsu

genre lit­té­raire

Sei-shônagon, «Les Notes de l’oreiller, “Makura no soshi”»

éd. Stock-Delamain et Boutelleau, coll. Le Cabinet cosmopolite, Paris

éd. Stock-De­la­main et Bou­tel­leau, coll. Le Ca­bi­net cos­mo­po­lite, Pa­ris

Il s’agit des «Notes de l’oreiller» («Ma­kura no sô­shi» 1), la pre­mière ma­ni­fes­ta­tion dans les lettres ja­po­naises d’un genre de lit­té­ra­ture qui connaî­tra une grande vogue par la suite : ce­lui des «zui­hitsu» 2es­sais au fil du pin­ceau»). On n’y trouve ni plan ni mé­thode — un désordre fan­tai­siste ré­gnant ici en maître, mais un mé­lange d’esquisses sai­sies sur le vif, d’anecdotes, de choses vues, de re­marques per­son­nelles. Leur au­teur était une femme «mo­queuse, pro­vo­cante, inexo­rable» 3; une dame de la Cour, dont nous ne connais­sons que le pseu­do­nyme : Sei-shô­na­gon 4. Ce pseu­do­nyme s’explique (comme ce­lui de Mu­ra­saki-shi­kibu) par la com­bi­nai­son d’un nom de fa­mille avec un titre ho­no­ri­fique — «shô­na­gon» dé­si­gnant un di­gni­taire de la Cour, et «sei» étant la pro­non­cia­tion chi­noise du ca­rac­tère qui forme le pre­mier élé­ment du nom Kiyo­hara, fa­mille à la­quelle elle ap­par­te­nait. En ef­fet, son père n’était autre que le poète Kiyo­hara no Mo­to­suke 5, l’un des cinq let­trés de l’Empereur. Et même si quelques-uns sont d’avis que Mo­to­suke ne fut que le père adop­tif de Sei-shô­na­gon, il n’en reste pas moins cer­tain que le mi­lieu où elle passa sa jeu­nesse ne put que fa­vo­ri­ser les pen­chants lit­té­raires qui lui per­mirent, plus tard, de de­ve­nir dame d’honneur de l’Impératrice Sa­dako. En­trée donc à la Cour en 990 apr. J.-C. Sei-shô­na­gon s’y fit re­mar­quer par une pré­sence d’esprit trop vive pour n’être pas à la fois es­ti­mée, haïe et re­dou­tée. Car (et c’est là peut-être son dé­faut) elle écra­sait les autres du poids de son éru­di­tion qu’elle cher­chait à mon­trer à la moindre oc­ca­sion. On ra­conte que les cour­ti­sans, qui crai­gnaient ses plai­san­te­ries, pâ­lis­saient à sa seule ap­proche. La clair­voyante Mu­ra­saki-shi­kibu écrit dans son «Jour­nal» : «Sei-shô­na­gon est une per­sonne qui en im­pose en vé­rité par ses grands airs. Mais sa pré­ten­tion de tout sa­voir et sa fa­çon de se­mer au­tour d’elle les écrits en ca­rac­tères chi­nois, à tout bien consi­dé­rer, ne font que mas­quer de nom­breuses la­cunes. Ceux qui de la sorte se plaisent à se mon­trer dif­fé­rents des autres, s’attirent for­cé­ment le mé­pris et fi­nissent tou­jours très mal» 6. De fait, le mal­heur vint frap­per Sei-shô­na­gon quand, peu d’années après, l’ambitieux Fu­ji­wara no Mi­chi­naga par­vint à faire écar­ter l’Impératrice Sa­dako, à l’ombre de la­quelle fleu­ris­sait notre dame d’honneur.

  1. En ja­po­nais «枕草子». Au­tre­fois trans­crit «Ma­koura no ço­chi», «Ma­koura no sôci» ou «Ma­kura no soo­shi». Haut
  2. En ja­po­nais 随筆. Au­tre­fois trans­crit «zouï-hit­sou». Haut
  3. Mi­chel Re­von. Haut
  1. En ja­po­nais 清少納言. Au­tre­fois trans­crit Çei Cho­na­gon, Shei Sho­na­gun ou Seï Sô­na­gon. Haut
  2. En ja­po­nais 清原元輔. Au­tre­fois trans­crit Kiyo­wara-no-Mo­to­suke, Kiyo­wara no Mo­to­çouké ou Kiyo­hara no Mo­to­souké. Haut
  3. «Jour­nal; tra­duit du ja­po­nais par René Sief­fert», p. 67. Haut

Chômei, «Notes de ma cabane de moine»

éd. Le Bruit du temps, Paris

éd. Le Bruit du temps, Pa­ris

Il s’agit de Kamo no Chô­mei 1, es­sayiste et moine ja­po­nais (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Vers sa ving­tième an­née, étant de­venu or­phe­lin, il per­dit en même temps l’espoir d’hériter de l’office pa­ter­nel — ce­lui de gar­dien du fa­meux temple de Kamo, à Kyôto. Il se voua, dès lors, à la poé­sie et à la mu­sique. Vers sa trente-cin­quième an­née, fort du suc­cès que rem­porta au­près de l’Empereur son re­cueil poé­tique, le «Re­cueil de Chô­mei» («Chô­mei-shû» 2), il re­prit l’espoir de se pro­cu­rer la fonc­tion de son père; mais il man­quait de sou­tiens, et les in­trigues de la Cour l’éloignèrent dé­fi­ni­ti­ve­ment de la suc­ces­sion et du pa­lais. Cette dé­cep­tion per­son­nelle, ainsi que les dé­sastres et les ca­la­mi­tés qui vinrent frap­per le Ja­pon au même mo­ment (grand in­cen­die de Kyôto en 1177, épou­van­tables fa­mines sui­vies d’épidémies en 1181-1182, trem­ble­ment de terre en 1185), furent au­tant d’occasions pour Chô­mei de res­sen­tir l’instabilité des choses hu­maines, les­quelles lui fai­saient pen­ser «à la ro­sée sur le li­se­ron du ma­tin… : la ro­sée a beau de­meu­rer, elle ne dure ja­mais jusqu’au soir» 3. «Au fond, toutes les en­tre­prises hu­maines sont stu­pides et vaines», se dit-il 4; et au mi­lieu de ces hor­reurs, s’étant rasé la tête, il se re­tira dans une pe­tite ca­bane de dix pieds car­rés, sur le mont Hino 5. Et même si, sur l’invitation du shô­gun Sa­ne­tomo, son frère en poé­sie et en mal­heur, il alla pas­ser un peu de temps à Ka­ma­kura, il re­vint bien vite à la so­li­tude de son er­mi­tage. C’est là qu’il com­posa ses trois grands es­sais : 1º «Notes sans titre» («Mu­myô-shô» 6), livre de cri­tique poé­tique; 2º «His­toires de conver­sion» («Hos­shin­shû» 7), ou­vrage d’édification boud­dhique, plein d’anecdotes sur les per­sonnes en­trées en re­li­gion et ayant re­noncé au siècle; et sur­tout 3º «Notes de ma ca­bane de moine» («Hôjô-ki» 8), jour­nal in­time mé­di­tant sur la va­nité du monde («mujô» 9) et le ca­rac­tère éphé­mère de tout ce qui existe. Cette der­nière œuvre, mal­gré sa taille mo­deste, de­meure un des grands chefs-d’œuvre du genre «zui­hitsu» 10es­sais au fil du pin­ceau») : «Après les “Notes de l’oreiller” et en at­ten­dant le “Ca­hier des heures oi­sives”, il consti­tue [un] des meilleurs livres d’impressions que nous ait lais­sés la lit­té­ra­ture ja­po­naise», ex­plique Mi­chel Re­von. «Chô­mei ne se contente pas de no­ter, à la for­tune du pin­ceau, des ob­ser­va­tions ou des pen­sées dis­pa­rates, il veut phi­lo­so­pher, écrire d’une ma­nière sui­vie… Et son char­mant écrit, si dé­nué de toute pré­ten­tion, n’en de­vient pas moins un ex­posé ma­gis­tral de la sa­gesse pes­si­miste.»

  1. En ja­po­nais 鴨長明. Au­tre­fois trans­crit Tchô­mei ou Chou­mei. Chô­mei est la lec­ture à la chi­noise des ca­rac­tères 長明, qui se lisent Na­gaa­kira à la ja­po­naise. On di­sait, pa­raît-il, Na­gaa­kira à l’époque de l’auteur; mais l’usage en a dé­cidé au­tre­ment. Haut
  2. En ja­po­nais «長明集», in­édit en fran­çais. Haut
  3. «Notes de ma ca­bane de moine», p. 12. Haut
  4. id. p. 14. Haut
  5. En ja­po­nais 日野山. Haut
  1. En ja­po­nais «無名抄». Au­tre­fois trans­crit «Mou­miôçô». Haut
  2. En ja­po­nais «発心集». Haut
  3. En ja­po­nais «方丈記». Au­tre­fois trans­crit «Hôd­jôki», «Hô­ziôki» ou «Hou­jouki». Haut
  4. En ja­po­nais 無常. Haut
  5. En ja­po­nais 随筆. Au­tre­fois trans­crit «zouï-hit­sou». Haut

Kenkô, «Les Heures oisives, “Tsurezure-gusa”»

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit du chef-d’œuvre de la lit­té­ra­ture d’ermitage du Ja­pon : le «Ca­hier des heures oi­sives» («Tsu­re­zure-gusa» 1) du moine Yo­shida Kenkô ou Urabe Kenkô 2. Ce «Ca­hier» d’une forme très libre (Kenkô pré­tend qu’il s’agit de «ba­ga­telles» écrites «au gré de ses heures oi­sives» 3, d’où le titre) consti­tue un en­semble d’anecdotes cu­rieuses et édi­fiantes, em­prun­tées tant aux clas­siques chi­nois et ja­po­nais, qu’au vécu de l’auteur; d’impressions no­tées au ca­price de la plume; de ré­flexions de tout ordre sur l’instabilité de la vie, sur l’homme et la femme, sur la re­li­gion et la foi, sur l’amitié et l’amour; de règles sur le cé­ré­mo­nial et l’étiquette (XIIIe-XIVe siècle). Kenkô ne se rasa la tête qu’à qua­rante-deux ans, peu après la mort de l’Empereur Go Uda 4, au­quel il était at­ta­ché. Cela peut ex­pli­quer cer­taines anec­dotes amou­reuses de son œuvre, qu’il se­rait dif­fi­cile de conce­voir comme étant les pa­roles d’un re­li­gieux. S’il avait été moine dès son en­fance, il n’aurait pu écrire d’une ma­nière si vi­vante sur toutes les contin­gences de la vie hu­maine. Le mé­rite et le charme de Kenkô tiennent à sa pro­fonde culture, à son style simple et na­tu­rel, à son goût sûr et dé­li­cat, toutes qua­li­tés qui le rap­prochent de Mon­taigne. Je le tiens pour le plus grand mo­ra­liste, l’esprit le plus har­mo­nieux et le plus com­plet du Ja­pon. «Ses es­sais», dit un orien­ta­liste 5, «res­semblent à la conver­sa­tion po­lie d’un homme du monde et ont cet air de sim­pli­cité et cette ai­sance d’expression qui sont en réa­lité le fait d’un art consommé. On ne peut, pour com­men­cer l’étude de l’ancienne lit­té­ra­ture ja­po­naise, faire de meilleur choix que ce­lui du “Ca­hier des heures oi­sives”». À exa­mi­ner ce «Ca­hier» riche de confi­dences sin­cères, il sem­ble­rait y avoir chez Kenkô deux per­son­na­li­tés : l’homme du monde, adroit et poli, qui même dans la vertu conserva un cer­tain cy­nisme; et le bonze qui ne re­nonça au monde que pour échap­per à l’attention de ses contem­po­rains. Ces deux élé­ments de son ca­rac­tère se com­binent pour for­mer un type de vieux gar­çon ave­nant, et qui le de­vient plus en­core lorsqu’on mé­dite à loi­sir toutes les choses sen­sibles qu’il a dites, ou toutes celles qu’il a sen­ties sans les dire ou­ver­te­ment. «Le “Ca­hier des heures oi­sives” est un de ces écrits ori­gi­naux, si rares dans toutes les lit­té­ra­tures, qui mé­ritent une étude plus at­ten­tive que maints gros ou­vrages pré­ten­tieux», dit Mi­chel Re­von.

  1. En ja­po­nais «徒然草». Au­tre­fois trans­crit «Tsouré-zouré-gouça», «Tsouré-dzouré-gousa» ou «Tsu­red­zure Gusa». Haut
  2. En ja­po­nais 吉田兼好 ou 卜部兼好. En réa­lité, Kenkô est la lec­ture à la chi­noise des ca­rac­tères 兼好 qui se lisent Ka­neyo­shi à la ja­po­naise. Haut
  3. p. 45. Haut
  1. En ja­po­nais 後宇多. Au­tre­fois trans­crit Go-ouda. Haut
  2. William George As­ton. Haut