Il s’agit de « Fifi Brindacier » (« Pippi Långstrump ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.
modernisme (littérature)
sujet
« Yosano Akiko (1878-1942) : le séjour à Paris d’une Japonaise en 1912 »
Il s’agit d’une traduction partielle de « Depuis Paris » (« Parii yori »1) de Yosano Akiko. En 1912, lorsqu’elle allait s’embarquer pour la France, Akiko était déjà l’auteur de dix recueils de poésies, dont la sensualité libérée de tout besoin de justification lui avait fait la réputation de pionnière de l’identité féminine au Japon. Elle n’avait qu’une seule idée en tête : rejoindre à Paris son époux, Yosano Tekkan. Celui-ci était parti quelques mois auparavant pour réaliser un rêve de toujours et tenter de dissiper une dépression nerveuse qui le menaçait. Il avait dirigé pendant huit ans une des revues littéraires les plus prestigieuses de Tôkyô, « Myôjô »2 (« L’Étoile du berger »3). Puis, il l’avait perdue ; et depuis ce jour, il errait dans la maison, tantôt mélancolique, tantôt agressif. Akiko était persuadée que ce n’était pas d’un médecin renommé que son mari avait besoin pour guérir, mais d’un voyage en France ; car il rêvait depuis longtemps déjà de séjourner dans ce pays, dont il avait publié les toutes premières traductions en langue japonaise. Le projet était financièrement infaisable, mais fut pourtant décidé. Pour réunir la somme nécessaire au voyage, Akiko calligraphia certains poèmes de son recueil « Cheveux emmêlés » sur une centaine de paravents en or, qu’elle vendit au prix fort. Le reste de l’argent fut fourni par des journaux, auxquels Tekkan et plus tard Akiko s’engagèrent d’envoyer régulièrement des papiers une fois sur place. Deux ouvrages nous renseignent sur le séjour en France des deux époux : « Depuis Paris », qui regroupe leurs articles et leurs impressions de voyage envoyés pour être publiés dans les journaux ; et « De l’été à l’automne » (« Natsu yori aki e »4), recueil de poèmes, où Akiko raconte son bonheur de visiter la France dans des vers qui mériteraient d’être connus des Français :
« Joli mois de mai
Dans les champs de blé français
Aux couleurs de feu…
Coquelicot mon amant,
Coquelicot moi aussi ! »
Farrokhzad, « La Conquête du jardin : poèmes (1951-1965) »
Il s’agit des poèmes de Mme Forough Farrokhzad1, « l’enfante terrible » de la poésie persane, une des écrivaines les plus discutées de l’Iran, morte dans un accident tragique à trente-deux ans (XXe siècle). Elle consacra tout son être à la poésie — l’on peut même dire qu’elle se sacrifia pour elle et pour l’idée qu’elle s’en faisait — en exprimant sans aucune retenue ses émois féminins dans une société iranienne qui refusait aux femmes de cultiver leurs talents et leurs goûts. Elle estimait qu’un poème ne méritait ce nom que lorsqu’on y jetait la flamme de son cœur et les vibrations de son âme. La modernité de Forough laissa rarement les lecteurs impartiaux : elle suscita une forte attirance ou une vive aversion ; une hostilité exagérée ou un éloge exalté. Alors que les uns la considéraient comme une femme dépravée, dangereuse dans ses paroles et dans la pratique de son art ; les autres, au contraire, la voyaient en héroïne culturelle, en rebelle qui, ayant fait l’expérience de la ruine des conventions, était à la recherche de progrès émancipateur. « Je voulais être “une femme” et “un être humain”. Je voulais dire que j’avais le droit de respirer, de crier… Les autres voulaient étouffer mes cris sur mes lèvres et mon souffle dans ma poitrine », dit-elle2. Elle savait qu’en prenant une attitude de défi, elle se ferait beaucoup d’ennemis, qu’elle s’attirerait des ennuis et des ruptures ; mais elle croyait qu’il fallait enfin briser les barrières et tenir droit face aux agitations des faux dévots. C’est ce qu’elle fit pour la première fois dans un poème intitulé « Le Péché » (« Gonâh »3) :
« J’ai péché, péché dans le plaisir,
Dans des bras chauds et enflammés.
J’ai péché, péché dans des bras de fer,
Dans des bras brûlants et rancuniers.
Dans ce lieu calme, sombre et muet,
J’ai regardé ses yeux pleins de mystère,
Et des supplications de ses yeux
Mon cœur, impatiemment, a tremblé… »
Farrokhzad, « La Nuit lumineuse : écrits »
Il s’agit des lettres et entretiens de Mme Forough Farrokhzad1, « l’enfante terrible » de la poésie persane, une des écrivaines les plus discutées de l’Iran, morte dans un accident tragique à trente-deux ans (XXe siècle). Elle consacra tout son être à la poésie — l’on peut même dire qu’elle se sacrifia pour elle et pour l’idée qu’elle s’en faisait — en exprimant sans aucune retenue ses émois féminins dans une société iranienne qui refusait aux femmes de cultiver leurs talents et leurs goûts. Elle estimait qu’un poème ne méritait ce nom que lorsqu’on y jetait la flamme de son cœur et les vibrations de son âme. La modernité de Forough laissa rarement les lecteurs impartiaux : elle suscita une forte attirance ou une vive aversion ; une hostilité exagérée ou un éloge exalté. Alors que les uns la considéraient comme une femme dépravée, dangereuse dans ses paroles et dans la pratique de son art ; les autres, au contraire, la voyaient en héroïne culturelle, en rebelle qui, ayant fait l’expérience de la ruine des conventions, était à la recherche de progrès émancipateur. « Je voulais être “une femme” et “un être humain”. Je voulais dire que j’avais le droit de respirer, de crier… Les autres voulaient étouffer mes cris sur mes lèvres et mon souffle dans ma poitrine », dit-elle2. Elle savait qu’en prenant une attitude de défi, elle se ferait beaucoup d’ennemis, qu’elle s’attirerait des ennuis et des ruptures ; mais elle croyait qu’il fallait enfin briser les barrières et tenir droit face aux agitations des faux dévots. C’est ce qu’elle fit pour la première fois dans un poème intitulé « Le Péché » (« Gonâh »3) :
« J’ai péché, péché dans le plaisir,
Dans des bras chauds et enflammés.
J’ai péché, péché dans des bras de fer,
Dans des bras brûlants et rancuniers.
Dans ce lieu calme, sombre et muet,
J’ai regardé ses yeux pleins de mystère,
Et des supplications de ses yeux
Mon cœur, impatiemment, a tremblé… »
Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome III. Le Meilleur Karlsson du monde »
Il s’agit du « Meilleur Karlsson du monde » (« Karlsson på taket smyger igen ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.
Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome II. Le Retour de Karlsson sur le toit »
Il s’agit du « Retour de Karlsson sur le toit » (« Karlsson på taket flyger igen ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.
Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome I. [Petit-Frère et Karlsson sur le toit] »
Il s’agit de « Petit-Frère et Karlsson sur le toit » (« Lillebror och Karlsson på taket ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.
Sayyâb, « Le Golfe et le Fleuve : poèmes »

éd. Sindbad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-La Petite Bibliothèque de Sindbad, Arles
Il s’agit de M. Badr Chaker es-Sayyâb1, poète irakien, qui a affranchi la poésie arabe de deux mille ans de métrique pour la soumettre aux contraintes de la vie nouvelle (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère ; et son père s’étant remarié, il est recueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un premier choc dont il ne se remettra jamais, et le début d’une démarche nostalgique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abrégée subitement par la maladie. Cette démarche, c’est la recherche de sa mère, et au-delà, celle de son petit village natal de Djaykoûr2 qu’il assimile à l’authenticité, à la terre « [de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut »3. Cette terre parée de rires, de chants et de parfums représente pour M. Sayyâb une sorte d’Éden dont il n’a été éloigné que par « le choc métallique de l’argent » et « la rumeur des machines »4. Comme Sindbad le Marin ou Ulysse sur son bateau, hanté par le désir du retour, M. Sayyâb s’imagine la nuit embarquer sur le croissant de lune et « pérégriner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port »5. Comme Achille qui aimerait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre homme, que de régner sur les ombres, M. Sayyâb préfère être « un enfant affamé, en larmes dans la nuit d’Irak, [plutôt que] ce mort qui n’eut jamais de la vie qu’un spectacle »6. On voit que c’est en mélangeant mythe antique et temps modernes que M. Sayyâb produit l’alliage de sa poésie : « L’expression directe de ce qui n’est pas poésie », dit-il7, « ne peut devenir poétique. Où est alors la solution ? En réponse, le poète ira vers le mythe, [les] légendes qui ont gardé leur intensité et leur fraîcheur ; il s’en servira comme matériaux pour bâtir les mondes qui défieront la logique de l’or et de l’acier ». Enfin, notons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le village : Paris, le parangon des villes, la cité des cités, est un lieu du vice, où « des hommes pris de vin sortent leurs couteaux », où « l’air se crispe sous l’éclat de rire des putains » ; tandis que Djaykoûr est une source de l’innocence « avec un horizon de fleurs dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant »
Sayyâb, « Les Poèmes de Djaykoûr »
Il s’agit de M. Badr Chaker es-Sayyâb1, poète irakien, qui a affranchi la poésie arabe de deux mille ans de métrique pour la soumettre aux contraintes de la vie nouvelle (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère ; et son père s’étant remarié, il est recueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un premier choc dont il ne se remettra jamais, et le début d’une démarche nostalgique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abrégée subitement par la maladie. Cette démarche, c’est la recherche de sa mère, et au-delà, celle de son petit village natal de Djaykoûr2 qu’il assimile à l’authenticité, à la terre « [de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut »3. Cette terre parée de rires, de chants et de parfums représente pour M. Sayyâb une sorte d’Éden dont il n’a été éloigné que par « le choc métallique de l’argent » et « la rumeur des machines »4. Comme Sindbad le Marin ou Ulysse sur son bateau, hanté par le désir du retour, M. Sayyâb s’imagine la nuit embarquer sur le croissant de lune et « pérégriner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port »5. Comme Achille qui aimerait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre homme, que de régner sur les ombres, M. Sayyâb préfère être « un enfant affamé, en larmes dans la nuit d’Irak, [plutôt que] ce mort qui n’eut jamais de la vie qu’un spectacle »6. On voit que c’est en mélangeant mythe antique et temps modernes que M. Sayyâb produit l’alliage de sa poésie : « L’expression directe de ce qui n’est pas poésie », dit-il7, « ne peut devenir poétique. Où est alors la solution ? En réponse, le poète ira vers le mythe, [les] légendes qui ont gardé leur intensité et leur fraîcheur ; il s’en servira comme matériaux pour bâtir les mondes qui défieront la logique de l’or et de l’acier ». Enfin, notons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le village : Paris, le parangon des villes, la cité des cités, est un lieu du vice, où « des hommes pris de vin sortent leurs couteaux », où « l’air se crispe sous l’éclat de rire des putains » ; tandis que Djaykoûr est une source de l’innocence « avec un horizon de fleurs dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant »
Rimbaud, « Œuvres : des Ardennes au désert »
Il s’agit d’Arthur Rimbaud, poète français (XIXe siècle). Les bêtises se sont accumulées sur le compte de Rimbaud, mais peut-être qu’il est coupable de les avoir permises, et de ne pas avoir rendu impossibles certaines interprétations extravagantes, en se plaisant, dans la seconde partie de son œuvre, à faire des phrases sans suite, des phrases d’un esprit fou, détraqué, déréglé, des phrases dont il se réservait la traduction, et dont il disait : « Ça dit ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens »1 ; « Je notais l’inexprimable, je fixais des vertiges »2 ; « J’ai seul la clef de cette parade sauvage »3 ; etc. Mais nous n’avons pas envie de nous décourager d’avance. Nous avons envie, au contraire, de savoir, très décidément, à quoi nous en tenir sur cette seconde partie si controversée. La bonne méthode est d’aller pas à pas, commençant par le viol de Rimbaud. Et d’abord, qu’est-ce qui permet de parler de viol ? Un de ses poèmes le permet, qui porte le titre du « Cœur v[i]olé », et qui reproduit, avec des mots qui ne s’inventent pas, les scènes abominables auxquelles Rimbaud a été obligé de se soumettre sous la violence des ignobles individus au milieu desquels il s’est trouvé en pleine Commune de Paris (mai 1871), lui si jeune :
« Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal :
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal !
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs quolibets l’ont dépravé ! », etc.
Akiko, « Cheveux emmêlés »
Il s’agit de Yosano Akiko1, poétesse japonaise (XIXe-XXe siècle) dont les poèmes d’amour rappellent cette verve sensuelle et audacieuse qui avait caractérisé Izumi-shikibu. Dans sa « Biographie de la poétesse Izumi-shikibu », Akiko écrivit, au sujet de celle qu’elle considérait comme son modèle, des pages très remarquables, non seulement parce qu’elles comptaient parmi les plus belles qui eussent été jamais écrites sur le sujet, mais aussi parce qu’en ces pages, sans peut-être y songer, Akiko se décrivait elle-même : « Poétesse de l’amour venue du ciel », dit-elle dans cette biographie2, « toute sa vie fut consacrée à l’amour et à la poésie. Écrivait-elle par amour ou aimait-elle pour la poésie ? Dans son esprit, ces deux choses n’en étaient qu’une ». « Cheveux emmêlés » (« Midaregami »3), tel sera le titre du premier recueil d’Akiko par allusion au célèbre poème d’Izumi-shikibu. Dans ce recueil qu’on peut qualifier de révolutionnaire, elle se montre en jeune fille frémissante de passions fugitives, d’abandons charnels, de caprices d’un jour, et se confiant à voix haute. « Être femme ; en être fière ; à mots vrais, forts, crier au monde son droit à l’amour, à la joie ; chanter “sa chair et sa vie”… c’est les “cheveux emmêlés” que, tête haute, Yosano Akiko s’[avancera] dans la vie et dans la poésie »4. Ce sont cette spontanéité et cette hardiesse qui lui vaudront le succès auprès d’un public à la fois surpris et admiratif.
Lindgren, « Les Frères Cœur-de-lion »
Il s’agit des « Frères Cœur-de-lion » (« Bröderna Lejonhjärta ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.
Lindgren, « Mio, mon Mio »
Il s’agit de « Mio, mon Mio » (« Mio, min Mio ») de Mme Astrid Lindgren, la grande dame de la littérature pour enfants, la créatrice de la gamine la plus effrontée sortie de l’imagination suédoise : Fifi Brindacier. Aucun auteur suédois n’a été traduit en autant de langues que Mme Lindgren. On raconte que M. Boris Pankine1, ambassadeur d’U.R.S.S. à Stockholm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers soviétiques comptaient deux livres : son « Karlsson sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle répliqua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais totalement que la Bible était si populaire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brindacier vit le jour comme personnage de fiction, au moment où l’Allemagne faisait main basse sur l’Europe, semblable à « un monstre maléfique qui, à intervalles réguliers, sort de son trou pour se précipiter sur une nouvelle victime »3. Le sang coulait, les gens revenaient mutilés, tout n’était que malheur et désespoir. Et malgré les mille raisons d’être découragée face à l’avenir de notre humanité, Mme Lindgren ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain optimisme quand elle voyait les personnes de demain : les enfants, les gamins. Ils étaient « joyeux, sincères et sûrs d’eux, et ce, comme aucune génération précédente ne l’a été »4. Mme Lindgren comprit, alors, que l’avenir du monde dormait dans les chambres des enfants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de demain deviennent des esprits sains et bienveillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le succès de Mme Lindgren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux opprimés lui vaut également le respect des petits et des grands. Beaucoup de ses récits ont pour cadre des bourgades ressemblant à sa bourgade natale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses récits réside dans l’imagination débordante de l’enfant solitaire — ce territoire intérieur où nul ne peut plus être traqué, où la liberté seule est possible. « Je veux écrire pour des lecteurs qui savent créer des miracles. Les enfants savent créer des miracles en lisant », dit-elle5. De même que toute perfection, dans n’importe quel genre, dépasse les limites de ce genre et devient quelque chose d’incomparable ; de même, les ouvrages de Mme Lindgren dépassent les limites étroites de la littérature pour la jeunesse. Ce sont des leçons de liberté pour tous les âges et tous les siècles : « : Liberté ! Car sans liberté, la fleur du poème fanera où qu’elle pousse »6.