Icône Mot-clefphilosophie politique

Chateaubriand, « Mélanges littéraires »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mé­langes lit­té­raires» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Marc Aurèle, « Pensées »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de , Pa­ris

Il s’agit des «Pen­sées» de Marc Au­rèle 1 (IIe siècle apr. J.-C.). Nul Em­pe­reur n’eut plus à cœur le bien pu­blic que Marc Au­rèle; nul prince n’apporta plus d’ardeur et plus d’application à l’accomplissement de ses . Sur­nommé «le phi­lo­sophe», il avait sou­vent à la bouche cette sen­tence de Pla­ton que les ne se­ront ja­mais heu­reux «tant que les ne se­ront pas rois, ou que ceux qu’on ap­pelle aujourd’hui , ne se­ront pas vrai­ment et sé­rieu­se­ment phi­lo­sophes» 2. Ce­pen­dant, sa bien­fai­sante se passa tout en­tière dans de cruelles épreuves. Il vit la dé­vas­ter les les plus flo­ris­santes de l’; il épuisa ses forces à lut­ter contre les Ger­mains dans des cam­pagnes sans vic­toire dé­ci­sive; il mou­rut avec la fu­neste pré­mo­ni­tion de l’inévitable ca­tas­trophe dont les peuples me­na­çaient l’Empire. À me­sure qu’il s’avança en âge, et que son s’affaissa sous les res­pon­sa­bi­li­tés, il res­sen­tit de plus en plus le be­soin de s’interroger dans sa et en lui-même; de mé­di­ter au jour le jour sous l’impression di­recte des évé­ne­ments ou des sou­ve­nirs; de se for­ti­fier en re­pre­nant contact avec les quatre ou cinq prin­cipes où se concen­traient ses convic­tions. «Comme les ont tou­jours sous la main leurs ap­pa­reils et leurs trousses pour les soins à don­ner d’urgence, de même [je] tiens tou­jours prêts les prin­cipes grâce aux­quels [je] pour­rai connaître les choses di­vines et hu­maines», dit-il dans un pas­sage ab­so­lu­ment ad­mi­rable 3. Ce fut au cours de ses toutes der­nières ex­pé­di­tions que, campé sur les bords sau­vages du Da­nube, pro­fi­tant de quelques heures de loi­sir, il ré­di­gea en , en so­li­loque avec lui-même, les pages im­mor­telles des «Pen­sées» qui ont ré­vélé sa belle , sa aus­tère, sa pro­fonde . «À -même» («Ta eis heau­ton» 4), tel est le vé­ri­table titre de ce «jour­nal». «Ja­mais on n’écrivit plus sim­ple­ment pour soi, à seule fin de dé­char­ger son cœur, sans autre té­moin que . Pas une ombre de sys­tème. Marc Au­rèle, à pro­pre­ment par­ler, n’a pas de ; quoiqu’il doive presque tout au trans­formé par l’esprit ro­main, il n’est d’aucune école», dit Er­nest Re­nan 5. En ef­fet, la phi­lo­so­phie de Marc Au­rèle ne re­pose sur autre chose que sur les pres­crip­tions de la ; elle ré­sulte du fait d’une aussi vaste, aussi éten­due que l’Empire au­quel elle com­mande. Son thème fon­da­men­tal, c’est le rat­ta­che­ment de l’individu, si chan­ce­lant et si pas­sa­ger, à l’univers per­pé­tuel et di­vin, à la «chère cité de Zeus» («po­lis philê Dios» 6) — rat­ta­che­ment qui lui ré­vèle ses de­voirs et qui l’associe à l’œuvre ma­gni­fi­que­ment belle, sou­ve­rai­ne­ment juste de la créa­tion : «Je m’accommode de tout ce qui peut t’accommoder, ô !… Tout est fruit, pour , de ce que pro­duisent tes sai­sons, ô ! Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi» 7. Et aussi : «Ma cité et ma pa­trie, en tant qu’Antonin, c’est ; en tant qu’, c’est le monde» 8. Comme Ham­let de­vant le crâne, Marc Au­rèle se met à rê­ver sur ce que sont de­ve­nus les os d’Alexandre et de son mu­le­tier; il a des tri­via­li­tés sha­kes­pea­riennes pour peindre l’instabilité et l’inanité des choses : «Dans un ins­tant, tu ne se­ras plus que cendre ou sque­lette, et un nom — ou plus même un nom… — un vain bruit, un écho! Ce dont on fait tant de cas dans la vie, c’est du vide, pour­ri­ture, mes­qui­ne­ries, chiens qui s’entre-mordent» 9.

  1. En Mar­cus Au­re­lius An­to­ni­nus. Au­tre­fois trans­crit Marc An­to­nin. Icône Haut
  2. Pla­ton, «», 473c-473d. Icône Haut
  3. liv. III, ch. XI. Icône Haut
  4. En grec «Τὰ εἰς ἑαυτόν». Icône Haut
  5. «Marc-Au­rèle et la Fin du monde an­tique», p. 262. Icône Haut
  1. En grec «πόλις φίλη Διός». Icône Haut
  2. liv. IV, ch. XXIII. Icône Haut
  3. liv. VI, ch. XLIV. Icône Haut
  4. liv. V, ch. XXXIII. Icône Haut

Ibn Rushd (Averroès), « Traité décisif (“Façl el-maqâl”) sur l’accord de la religion et de la philosophie • L’Appendice (“Dhamîma”) »

éd. Carbonel, coll. Bibliothèque arabe-française, Alger

éd. Car­bo­nel, coll. Bi­blio­thèque -fran­çaise, Al­ger

Il s’agit de l’«Ac­cord de la et de la », ou lit­té­ra­le­ment «(Livre du) dé­ci­sif sur l’accord de la re­li­gion et de la phi­lo­so­phie» 1(K.) faṣl al-ma­qâl wa-ta­q­rîr mâ bayna l-sharî‘a wa-l-ḥikma min al-it­tiṣâl» 2), et de l’«Ap­pen­dice» («Ḍamîma» 3) d’Ibn Ru­shd 4 (XIIe siècle apr. J.-C.). De tous les que l’ donna à l’, ce­lui qui laissa le plus de traces dans la des peuples, grâce à ses re­mar­quables sur les d’Aris­tote, fut Ibn Ru­shd, éga­le­ment connu sous les cor­rom­pus d’Aben-Rost, Aver­roïs, Aver­rhoës ou Aver­roès 5. Dans son na­tale, ce coin pri­vi­lé­gié du , le goût des et des belles choses avait éta­bli au Xe siècle une dont notre époque mo­derne peut à peine of­frir un exemple. «Chré­tiens, juifs, par­laient la même , chan­taient les mêmes poé­sies, par­ti­ci­paient aux mêmes études lit­té­raires et . Toutes les bar­rières qui sé­parent les hommes étaient tom­bées; tous tra­vaillaient d’un même ac­cord à l’œuvre de la com­mune», dit Re­nan. Abû Ya‘ḳûb Yû­suf 6, ca­life de l’Andalousie et contem­po­rain d’Ibn Ru­shd, fut le prince le plus let­tré de son . L’illustre phi­lo­sophe Ibn Tho­faïl ob­tint à sa Cour une grande et en pro­fita pour y at­ti­rer les de re­nom. Ce fut d’après le vœu ex­primé par Yû­suf et sur les ins­tances d’Ibn Tho­faïl qu’Ibn Ru­shd en­tre­prit de com­men­ter . Ja­mais ce der­nier n’avait reçu de soins aussi éten­dus, aussi sin­cères et dé­voués que ceux que lui pro­di­guera Ibn Ru­shd. L’ ne sera plus ; il sera arabe. «Mais la cause fa­tale qui a étouffé chez les mu­sul­mans les plus beaux germes de dé­ve­lop­pe­ment in­tel­lec­tuel, le fa­na­tisme re­li­gieux, pré­pa­rait déjà la ruine [de la phi­lo­so­phie]», dit Re­nan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du contre les études ra­tion­nelles se dé­chaîne sur toute la sur­face du monde mu­sul­man. Bien­tôt il suf­fira de dire d’un  : «Un tel tra­vaille à la phi­lo­so­phie ou donne des le­çons d’», pour que les gens du peuple lui ap­pliquent im­mé­dia­te­ment le nom d’«im­pie», de «mé­créant», etc.; et que, si par mal­heur il per­sé­vère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa mai­son.

  1. Par­fois tra­duit «Exa­men et So­lu­tion de la ques­tion de l’accord entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie», «(Livre de la) dé­ci­sion de la ques­tion et de l’établissement de ce qui est entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie en fait d’accord», «(Livre du) dis­cours dé­ci­sif où l’on éta­blit la connexion exis­tant entre la et la phi­lo­so­phie», «La dé­ci­sive au su­jet du rap­port entre la phi­lo­so­phie et la re­li­gion» ou «(Le Livre du) dis­cours dé­ci­sif et de la dé­ter­mi­na­tion du rap­port entre la loi et la ». Icône Haut
  2. En arabe «(كتاب) فصل المقال وتقرير ما بين الشريعة والحكمة من الاتصال». Au­tre­fois trans­crit «(K.) faṣl al-maḳāl wa-taḳrīr mā bayna al-sharī‘a wa’l-ḥikma min al-it­tiṣāl», «(K.) fasl al-ma­qal wa-ta­q­rir ma baïna ‘ch-chari’a wa’l hikma min el-it­ti­çal», «(K.) faṣl el ma­qâl wa ta­q­rîr mâ baina’l šarî‘et wa’l ḥik­met min el it­tiṣâl» ou «(K.) façl el ma­qâl wa-ta­q­rîr ma baïn ech-charî‘a wa-l-hikma min el-it­ti­çâl». Icône Haut
  3. En arabe «ضميمة». Au­tre­fois trans­crit «Dha­mîma» ou «Dha­mî­mat». Icône Haut
  1. En arabe ابن رشد. Au­tre­fois trans­crit Ibn-Ro­sched, Ebn-Roëch, Ebn Ro­schd, Ibn-Ro­shd, Ibn Ro­chd ou Ibn Rušd. Icône Haut
  2. Par sub­sti­tu­tion d’Aven (Aben) à Ibn. Icône Haut
  3. En arabe أبو يعقوب يوسف. Au­tre­fois trans­crit Abu Ya­qub Yu­suf, Abou Ya‘qoûb Yoû­çof ou Abou-Ya’coub You­souf. Icône Haut

Aristote, « Grande Morale »

dans « Revue de l’Institut catholique de Paris », nº 23, p. 3-90

dans «Re­vue de l’Institut ca­tho­lique de Pa­ris», nº 23, p. 3-90

Il s’agit de la «Grande » («Êthika me­gala» 1) d’. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’ ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule . Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la , n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “” jusqu’à la “!»

  1. En «Ἠθικὰ μεγάλα». Icône Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Icône Haut

Aristote, « Éthique à Eudème »

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Montréal, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris-Montréal

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Mont­réal, coll. Bi­blio­thèque des textes phi­lo­so­phiques, Pa­ris-Mont­réal

Il s’agit de l’«Éthique à Eu­dème» («Êthika Eu­dê­mia» 1) d’. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’ ou de , in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule . Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la , n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “” jusqu’à la “!»

  1. En «Ἠθικὰ Εὐδήμια». Icône Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Icône Haut

Aristote, « Éthique de Nicomaque »

éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, Paris

éd. Gar­nier , coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris

Il s’agit de l’«Éthique à Ni­co­maque» («Êthika Ni­ko­ma­cheia» 1) d’. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’ ou de , in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule . Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la , n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “” jusqu’à la “!»

  1. En «Ἠθικὰ Νικομάχεια». Icône Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Icône Haut

García Márquez, « Cent Ans de solitude : roman »

éd. du Seuil, coll. Points, Paris

éd. du Seuil, coll. Points, Pa­ris

Il s’agit de «Cent Ans de » («Cien Años de so­le­dad») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « Douze Contes vagabonds »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «Douze » («Doce Cuen­tos per­egri­nos») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’ la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « Le Général dans son labyrinthe : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit du «Gé­né­ral dans son la­by­rinthe» («El Ge­ne­ral en su la­be­rinto») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « La Mala Hora : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «La Mala Hora» de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « L’Automne du patriarche : roman »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de «L’Automne du pa­triarche» («El Otoño del pa­triarca») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’ la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « Pas de lettre pour le colonel »

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de «Pas de lettre pour le co­lo­nel» («El co­ro­nel no tiene quien le es­criba») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « L’Amour aux temps du choléra : roman »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «L’ aux du cho­léra» («El Amor en los tiem­pos del có­lera») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut