éd. Publications orientalistes de France, Paris
Il s’agit du « Recueil de Murasaki-shikibu » (« Murasaki-shikibu shû » 1). Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le « Dit du genji » fait parfois oublier que son auteur était aussi comptée parmi les trente-six « génies de la poésie », autant pour les sept cent quatre-vingt-quatorze poèmes qu’elle attribue aux personnages de son roman, que pour ceux, plus personnels, que contient son « Recueil ».
« Il m’est arrivé parfois de rester assise parmi [les autres dames de la Cour], complètement désemparée. Ce n’est point tant que je craignisse la médisance, mais excédée, je finissais par avoir l’air tout à fait égarée, ce qui fait que l’une après l’autre maintenant me dit : “Vous cachiez bien votre jeu ! Quand tout le monde vous détestait, disant et pensant que vous étiez maniérée, distante, d’un abord peu amène, imbue de vos dits, prétentieuse et férue de poésie… voici qu’on vous trouve étrangement bonne personne, à croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre !” » 2 Tel est l’un des seuls passages de son « Journal » où la dame Murasaki-shikibu rapporte des propos sur son propre compte. C’est un passage révélateur. « Femme d’une nature renfermée » 3, elle était convaincue que les gens ne la comprenaient pas. Elle prenait peu de plaisir au commerce de la société et elle avait la réputation, assez exceptionnelle dans son cercle, d’être prude.
Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le « Dit du genji » fait parfois oublier que son auteur était aussi comptée parmi les trente-six « génies de la poésie »
À quel point la vie de la dame Murasaki-shikibu explique-t-elle son caractère ? Son père avait une réputation d’érudit, et d’autres membres de sa famille étaient des poètes de quelque notoriété. Elle-même montra de bonne heure du goût pour l’étude. Quand l’aîné de ses trois frères étudiait dans « Les Mémoires historiques » l’histoire chinoise, assise auprès de lui, elle écoutait sa lecture et retenait pour toujours ce qu’il avait déjà oublié. Le père soupirait : que n’était-elle un garçon ! Bientôt les classiques chinois n’eurent plus de secrets pour elle, non plus que les annales japonaises. Même plus tard, quand elle se laissa amener à la Cour comme dame d’honneur de l’Impératrice Akiko, elle consacrait aux livres tout le temps qui lui restait après l’accomplissement de ses devoirs : « Deux grands casiers sont bourrés de livres : l’un, rempli de recueils de poèmes anciens et de dits, est devenu un indescriptible nid de bestioles dont le grouillement hideux décourage quiconque de l’ouvrir ; quant à l’autre, qui renferme des écrits en chinois, depuis la disparition de celui qui avait pris la peine de les réunir, personne ne songe plus guère à y toucher. Aux heures d’ennui insurmontable, il m’arrive d’en sortir un ou deux, ce que voyant, mes suivantes s’attroupent : “C’est parce que Madame en agit de la sorte qu’elle n’a pas de chance dans la vie ! Est-ce des façons pour une femme… ?” Et quand je les entends ainsi chuchoter, j’ai envie de leur dire que, de toute manière, il est sans exemple que quelqu’un qui fût marqué par le destin eût vécu bien longtemps » 4.
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises du « Recueil de Murasaki-shikibu », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. René Sieffert.
「見し人の
煙となりし
夕より
名ぞむつましき
しほがまの浦」— Poème dans la langue originale
« De ce soir funeste
Quand disparut en fumée
Celui que j’aimais
Le nom de Shiogama 5
M’est devenu familier »
— Poème dans la traduction de M. Sieffert
« Depuis le soir
Où est parti en fumées
L’ami que nous aimions
Cher nous devient jusqu’au nom
Du rivage de Shiogama. »
— Poème dans la traduction du général Gaston Renondeau (dans « Anthologie de la poésie japonaise classique », éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris)
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- William George Aston, « Littérature japonaise » (éd. A. Colin, coll. Histoires des littératures, Paris) [Source : Colección digital de la Universidad Autónoma de Nuevo León (UANL)]
- Ivan Morris, « La Vie de Cour dans l’ancien Japon au temps du genji » (éd. Gallimard, Paris).
- En japonais « 紫式部集 ».
- « Journal ; traduit du japonais par René Sieffert », p. 101.
- id. p. 93.