Icône Mot-clef18ᵉ siècle

Parny, « Œuvres complètes. Tome I. La Guerre des dieux • Les Déguisements de Vénus »

éd. L’Harmattan, coll. Les Introuvables, Paris

éd. L’Harmattan, coll. Les In­trou­vables, Pa­ris

Il s’agit d’Évariste-é, che­va­lier de Parny, poète et créole qui doit la meilleure par­tie de sa re­nom­mée à ses «Élé­gies» éro­tiques et ses « ma­dé­casses» (XVIIIe siècle). Cha­teau­briand les sa­vait par cœur, et il écri­vit à l’ dont les vers fai­saient ses dé­lices pour lui de­man­der la per­mis­sion de le voir : «Parny me ré­pon­dit po­li­ment; je me ren­dis chez lui, rue de Cléry. Je trou­vai un homme as­sez jeune en­core, de très bon ton, grand, maigre, le vi­sage mar­qué de pe­tite vé­role. Il me ren­dit ma vi­site; je le pré­sen­tai à mes sœurs. Il ai­mait peu la et il en fut bien­tôt chassé par la … Je n’ai point connu d’écrivain qui fût plus sem­blable à ses ou­vrages : poète et créole, il ne lui fal­lait que le de l’Inde, une fon­taine, un pal­mier et une femme. Il re­dou­tait le bruit, cher­chait à glis­ser dans la sans être aperçu… et n’était trahi dans son obs­cu­rité que par… sa lyre» 1. Mais le pre­mier trait dis­tinc­tif du «seul poète élé­giaque que la ait en­core pro­duit», comme l’appelait Cha­teau­briand 2, était sa et sa sym­pa­thie. Sen­sible par­tout aux mal­heurs de l’, Parny dé­plo­rait le sort de l’Inde af­fa­mée, ra­va­gée par la po­li­tique de l’Angleterre, et ce­lui des dans les de la France dont la nour­ri­ture était «saine et as­sez abon­dante», mais qui avaient la pioche à la main de­puis quatre heures du ma­tin jusqu’au cou­cher du  : «Non, je ne sau­rais me plaire», écri­vait-il 3 de l’île de , qui était son île na­tale — «non, je ne sau­rais me plaire dans un pays où mes re­gards ne peuvent tom­ber que sur le spec­tacle de la ser­vi­tude, où le bruit des fouets et des chaînes étour­dit mon oreille et re­ten­tit dans mon cœur. Je ne vois que des ty­rans et des , et je ne vois pas mon sem­blable. On troque tous les jours un homme contre un  : il est im­pos­sible que je m’accoutume à une bi­zar­re­rie si ré­vol­tante».

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. IV, ch. XII. Icône Haut
  2. «Es­sai his­to­rique sur les », liv. I, part. 1, ch. XXII. Icône Haut
  1. «Tome IV», p. 130. Icône Haut

« Anthologie de la poésie classique turque (dite du Divan) »

éd. Ayyıldız, Ankara

éd. Ayyıldız, An­kara

Il s’agit d’une de la ot­to­mane. Dès la fixa­tion des Turcs en Ana­to­lie, deux poé­sies s’affrontent, dont la pre­mière fi­nira par l’emporter à l’époque ot­to­mane, mais dont la se­conde triom­phera en­tiè­re­ment dans la mo­derne : d’un côté, celle des sei­gneurs et des ci­ta­dins, dont le but sera de trans­po­ser en un bourré d’ et de les ma­nières lit­té­raires de ces deux grandes langues mu­sul­manes, dans des vers fon­dés sur la quan­tité longue et brève des syl­labes; de l’autre, celle des pay­sans et des no­mades, peut-être moins , mais doués d’un sens plus vif de leur ma­ter­nelle, sou­vent nour­ris de po­pu­laires, qui en­tre­pren­dront d’exprimer leur sen­si­bi­lité et leur se­lon le na­tio­nal, dans des vers fon­dés sur le seul nombre des syl­labes. Les pres­ti­gieux, au XIVe siècle, du sei­gneur turc Oth­man, qui sou­met avec le se­cours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lan­cer à la conquête des Bal­kans et du Proche-, ont pour consé­quence iné­luc­table, en même qu’une cen­tra­li­sa­tion du pou­voir, à la Cour de tous les de re­nom, qui de­viennent ainsi «des pro­fes­sion­nels et cour­ti­sans, aris­to­crates et pé­dants, vi­vant en vase clos et de fa­çon ar­ti­fi­cielle, cou­pés du reste de la » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sul­tan So­li­man coïn­cide, comme de juste, la ma­tu­rité de la poé­sie ot­to­mane, in­car­née par Bâkî 2. Poète de gé­nie, Bâkî doit à son seul ta­lent une brillante ré­pu­ta­tion et une haute for­tune; car s’il dé­bute sa comme fils d’un pauvre muez­zin, il fi­nit sa comme vi­zir. «Ses — courts poèmes ly­riques de ton gé­né­ra­le­ment lé­ger — où ce grave ec­clé­sias­tique chante l’ et le en des termes qui nous sur­prennent, mais dont les com­men­ta­teurs or­tho­doxes as­surent qu’ils sont sym­bo­liques, sont parmi les plus cé­lèbres» 3. Je leur pré­fère, ce­pen­dant, la clas­sique de son «Orai­son fu­nèbre du sul­tan So­li­man» 4, la­quelle évoque avec un grand art cette pé­riode où l’ était sans le plus puis­sant du

  1. Louis Ba­zin, «». Icône Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Bâqî ou Ba­qui. Icône Haut
  1. Louis Ba­zin, «Lit­té­ra­ture turque». Icône Haut
  2. En turc «Mer­siye-i sul­tân Sü­ley­mân». Icône Haut

Nguyễn Du, « Kim-Vân-Kiêu »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit du «Kim-Vân-Kiều» 1 (XIXe siècle), poème de plus de trois mille vers qui montrent l’ viet­na­mienne dans toute sa sen­si­bi­lité, sa pu­reté et son ab­né­ga­tion, et qui comptent parmi les plus re­mar­quables du . «Il faut sus­pendre son souffle, il faut mar­cher avec pré­cau­tion pour être en me­sure de sai­sir [leur] beauté, tel­le­ment ils sont gra­cieux, jo­lis, gran­dioses, splen­dides», dit un écri­vain mo­derne 2. Leur au­teur, Nguyễn Du 3, laissa la ré­pu­ta­tion d’un mé­lan­co­lique et ta­ci­turne. Man­da­rin mal­gré lui, il rem­plis­sait les de sa charge aussi bien ou même mieux que les autres, mais il resta, au fond, étran­ger aux am­bi­tions. Son grand fut de se re­ti­rer dans la de son vil­lage; son grand fut de ca­cher ses ta­lents : «Que ceux qui ont du ta­lent ne se glo­ri­fient donc pas de leur ta­lent!», dit-il 4. «Le mot “tài” [ta­lent] rime avec le mot “tai” [mal­heur].» Au cours de la ma­la­die qui lui fut fa­tale, Nguyễn Du re­fusa tout mé­di­ca­ment, et lorsqu’il ap­prit que ses pieds étaient déjà gla­cés, il dé­clara dans un sou­pir : «C’est bien ainsi!» Ce furent ses der­nières pa­roles. Le mé­rite in­com­pa­rable du «Kim-Vân-Kiều» n’a pas échappé à l’attention de Phạm Quỳnh, ce­lui des cri­tiques viet­na­miens du siècle der­nier qui a mon­tré le plus d’érudition et de jus­tesse dans ses opi­nions lit­té­raires, dont une, en par­ti­cu­lier, est de­ve­nue cé­lèbre : «Qu’avons-nous à craindre, qu’avons-nous à être in­quiets : le “Kiều” res­tant, notre reste; notre langue res­tant, notre pays reste»

  1. Par­fois trans­crit «Kim-Van-Kiéou» ou «Kim Ven Kièou». Outre cette ap­pel­la­tion com­mu­né­ment em­ployée, le «Kim-Vân-Kiều» porte en­core di­vers titres, se­lon les édi­tions, tels que : «Truyện Kiều» (« de Kiều») ou «Đoạn Trường Tân Thanh» («Le Cœur brisé, ver­sion»). Icône Haut
  2. M. Hoài Thanh. Icône Haut
  1. Au­tre­fois trans­crit Nguyên Zou. À ne pas confondre avec Nguyễn Dữ, l’auteur du «Vaste Re­cueil de lé­gendes mer­veilleuses», qui vé­cut deux siècles plus tôt. Icône Haut
  2. p. 173. Icône Haut

Akinari, « Contes de pluie et de lune, “Ugetsu-monogatari” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de fan­tas­tiques d’Akinari Ueda 1, la la plus at­ta­chante de la du XVIIIe siècle. Fils d’une cour­ti­sane et d’un père in­connu, le jeune Aki­nari mena quelque une dis­so­lue, avant de ren­con­trer le phi­lo­logue Katô Umaki 2, de sé­jour à Ôsaka. Il se mit aus­si­tôt à l’école de ce­lui qui de­vint pour lui le maître et l’ami. Ce fut une  : «Le maître pas­sait ses heures de loi­sir près de ma de­meure. Au ha­sard des ques­tions que je lui po­sais sur des mots an­ciens, nous en vînmes à par­ler du “Dit du genji”. Je lui po­sai çà et là quelques ques­tions, puis je co­piai en du texte ma tra­duc­tion en termes vul­gaires; comme je lui ex­po­sais en outre ma propre fa­çon de com­prendre, il sou­rit avec un signe d’approbation… Je lui de­man­dai sept ans des ren­sei­gne­ments par lettres» 3. Le ré­sul­tat de cette liai­son fut d’élever peu à peu les ho­ri­zons d’Akinari; de le dé­tour­ner des fa­ciles qu’il avait ob­te­nus jusque-là pour le conduire à cet art vé­ri­table qu’il conquerra, la plume à la main, dans son «Ugetsu-mo­no­ga­tari» 4Dit de pluie et de lune»). Par «ugetsu», c’est-à-dire «pluie et lune», Aki­nari fait al­lu­sion au calme après la pluie, quand la lune se couvre de brumes — temps pour les spectres et les dé­mons qui peuplent ses contes. Par «mo­no­ga­tari», c’est-à-dire «dit», Aki­nari in­dique qu’il re­noue par son grand , par sa ma­nière noble et agréable de s’exprimer, avec les lettres an­ciennes de la et du . «L’originalité, dans l’“Ugetsu-monogatari”, ré­side, en ef­fet, dans le style d’Akinari, même quand il tra­duit, même lorsqu’il com­pose — comme c’est le cas pour la “Mai­son dans les ro­seaux” — des pa­ra­graphes en­tiers avec des frag­ments gla­nés dans les clas­siques les mieux connus de tous. Dans le se­cond cas, le plai­sir du lec­teur est par­fait : il y re­trouve à pro­fu­sion les al­lu­sions lit­té­raires dont il est friand, mais il les re­trouve dans un agen­ce­ment nou­veau qui leur rend une in­ten­sité in­at­ten­due, de telle sorte que, sous le pin­ceau d’Akinari, les pon­cifs les plus écu­lés se chargent d’une si­gni­fi­ca­tion », dit M. 

  1. En ja­po­nais 上田秋成. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 加藤美樹. Icône Haut
  1. Dans Hum­bert­claude, «Es­sai sur la vie et l’œuvre de Ueda Aki­nari». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «雨月物語». Icône Haut