Mot-clef18ᵉ siècle

Schiller, «Les Brigands : drame en cinq actes»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Bri­gands» («Die Räu­ber») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller et Gœthe, «Correspondance (1794-1805). Tome II»

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe» («Brief­wech­sel zwi­schen Schil­ler und Goethe»). Il est dif­fi­cile d’apprécier la ren­contre, le choc sym­pa­thique, l’alliance se­reine et fé­conde de deux gé­nies tels que l’auteur de «Faust» et l’auteur de «Wal­len­stein», à moins de connaître exac­te­ment leur an­ti­pa­thie de dé­part. Écou­tons-les se ju­ger l’un l’autre, au mo­ment où, ar­ri­vés tous deux à l’apogée de leur re­nom­mée par des che­mins concur­rents et pa­ral­lèles, ils te­naient l’admiration de l’Allemagne en sus­pens : «Je dé­tes­tais Schil­ler, parce que son ta­lent vi­gou­reux, mais sans ma­tu­rité, avait dé­chaîné à tra­vers l’Allemagne, comme un tor­rent im­pé­tueux, tous les pa­ra­doxes mo­raux et dra­ma­tiques dont je m’étais ef­forcé de pu­ri­fier mon in­tel­li­gence», di­sait Gœthe. «Je se­rais mal­heu­reux si je me ren­con­trais sou­vent avec Gœthe. Il n’a pas un seul mo­ment d’expansion, même avec ses amis les plus in­times. Il an­nonce son exis­tence par les bien­faits, mais à la ma­nière des dieux, sans se don­ner lui-même», di­sait Schil­ler. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très dif­fé­rents et très op­po­sés. «Ja­mais deux hommes ne sont par­tis de si loin pour se ren­con­trer», dit un cri­tique 1. Gœthe était un réa­liste, tourné vers la na­ture ex­té­rieure en spec­ta­teur im­mo­bile et pai­sible; Schil­ler, au contraire, était un idéa­liste, ne voyant le monde qu’à tra­vers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vi­brant et plus en­traî­nant qu’il n’apparaissait à la plu­part des gens. Bien­tôt pour­tant, ces deux âmes al­laient unir leurs sen­ti­ments et leurs pen­sées; ces deux es­prits al­laient se com­plé­ter, s’enrichir mu­tuel­le­ment, prendre un même es­sor vers de nou­velles ré­gions de la lit­té­ra­ture, et s’insuffler une se­conde jeu­nesse; tout cela à un âge où ils étaient plei­ne­ment for­més l’un et l’autre. «On peut com­prendre par là toute la va­leur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seule­ment des confi­dences pleines de charme et d’intérêt; elles forment un vé­ri­table cours de lit­té­ra­ture, où les ques­tions les plus im­por­tantes de l’art et de la poé­sie sont trai­tées avec la lar­geur de vue et le sen­ti­ment pro­fond qui n’appartiennent qu’au gé­nie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le se­cret de leur art; qui nous ini­tient à leurs plus in­times pré­oc­cu­pa­tions, et nous font en­trer ainsi dans ce qu’a de plus pro­fond leur es­prit par­ti­cu­lier, d’abord, et en­suite l’esprit de leur race», dit un tra­duc­teur

  1. Adolphe Bos­sert. Haut

Schiller et Gœthe, «Correspondance (1794-1805). Tome I»

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe» («Brief­wech­sel zwi­schen Schil­ler und Goethe»). Il est dif­fi­cile d’apprécier la ren­contre, le choc sym­pa­thique, l’alliance se­reine et fé­conde de deux gé­nies tels que l’auteur de «Faust» et l’auteur de «Wal­len­stein», à moins de connaître exac­te­ment leur an­ti­pa­thie de dé­part. Écou­tons-les se ju­ger l’un l’autre, au mo­ment où, ar­ri­vés tous deux à l’apogée de leur re­nom­mée par des che­mins concur­rents et pa­ral­lèles, ils te­naient l’admiration de l’Allemagne en sus­pens : «Je dé­tes­tais Schil­ler, parce que son ta­lent vi­gou­reux, mais sans ma­tu­rité, avait dé­chaîné à tra­vers l’Allemagne, comme un tor­rent im­pé­tueux, tous les pa­ra­doxes mo­raux et dra­ma­tiques dont je m’étais ef­forcé de pu­ri­fier mon in­tel­li­gence», di­sait Gœthe. «Je se­rais mal­heu­reux si je me ren­con­trais sou­vent avec Gœthe. Il n’a pas un seul mo­ment d’expansion, même avec ses amis les plus in­times. Il an­nonce son exis­tence par les bien­faits, mais à la ma­nière des dieux, sans se don­ner lui-même», di­sait Schil­ler. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très dif­fé­rents et très op­po­sés. «Ja­mais deux hommes ne sont par­tis de si loin pour se ren­con­trer», dit un cri­tique 1. Gœthe était un réa­liste, tourné vers la na­ture ex­té­rieure en spec­ta­teur im­mo­bile et pai­sible; Schil­ler, au contraire, était un idéa­liste, ne voyant le monde qu’à tra­vers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vi­brant et plus en­traî­nant qu’il n’apparaissait à la plu­part des gens. Bien­tôt pour­tant, ces deux âmes al­laient unir leurs sen­ti­ments et leurs pen­sées; ces deux es­prits al­laient se com­plé­ter, s’enrichir mu­tuel­le­ment, prendre un même es­sor vers de nou­velles ré­gions de la lit­té­ra­ture, et s’insuffler une se­conde jeu­nesse; tout cela à un âge où ils étaient plei­ne­ment for­més l’un et l’autre. «On peut com­prendre par là toute la va­leur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seule­ment des confi­dences pleines de charme et d’intérêt; elles forment un vé­ri­table cours de lit­té­ra­ture, où les ques­tions les plus im­por­tantes de l’art et de la poé­sie sont trai­tées avec la lar­geur de vue et le sen­ti­ment pro­fond qui n’appartiennent qu’au gé­nie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le se­cret de leur art; qui nous ini­tient à leurs plus in­times pré­oc­cu­pa­tions, et nous font en­trer ainsi dans ce qu’a de plus pro­fond leur es­prit par­ti­cu­lier, d’abord, et en­suite l’esprit de leur race», dit un tra­duc­teur

  1. Adolphe Bos­sert. Haut

Rákóczi, «L’Autobiographie d’un prince rebelle. Confession • Mémoires»

éd. Corvina, Budapest

éd. Cor­vina, Bu­da­pest

Il s’agit de la «Confes­sion d’un pé­cheur» («Confes­sio pec­ca­to­ris») et des «Mé­moires» de Fran­çois II Rákóczi 1, prince de Hon­grie, fervent ad­mi­ra­teur et ami de la France à tel point qu’en mou­rant il vou­lut que son cœur re­po­sât en terre fran­çaise (XVIIe-XVIIIe siècle). Rákóczi mé­rite le titre d’écrivain de langue fran­çaise; car c’est dans cette langue qu’il ex­prima les as­pi­ra­tions sé­cu­laires du peuple hon­grois : le grand amour de la li­berté et le dé­sir de voir la pa­trie dé­li­vrée du joug étran­ger. Lorsqu’en l’an 1707, la Hon­grie, me­na­cée d’une ger­ma­ni­sa­tion com­plète par l’Autriche, se ré­volta contre les Habs­bourg, Rákóczi fut poussé à la lutte à la fois par le fait d’une vo­lonté su­pé­rieure et par la sienne propre. Le peuple et, en même temps, le des­tin dont il avait hé­rité l’appelaient im­pé­rieu­se­ment à conduire ce com­bat qu’il sa­vait pour­tant in­égal. Il tourna ses re­gards vers Louis XIV qui lui en­voya, outre des se­cours en ar­gent, d’éminents stra­tèges et in­gé­nieurs qui don­nèrent à la Cour ma­gyare une al­lure ver­saillaise. La «Confes­sion» et les «Mé­moires» furent écrits en France, où ce prince mal­heu­reux vint se ré­fu­gier après l’échec de l’indépendance hon­groise. Il y sé­journa de l’an 1712 à 1717, d’abord comme hôte de Louis XIV, à Ver­sailles, puis comme ré­sident du couvent des ca­mal­dules, à Gros­bois. Il as­sista aux re­pré­sen­ta­tions des pièces de Ra­cine et Mo­lière, il vi­sita les ga­le­ries, il fit la connais­sance de Saint-Si­mon qui dit du couvent des ca­mal­dules «que Rákóczi n’y voyait presque per­sonne, vi­vait très fru­ga­le­ment dans une grande pé­ni­tence, au pain et à l’eau une ou deux fois la se­maine, et as­sidu à tous les of­fices du jour et de la nuit». Peu d’hommes pleu­rèrent la mort du Roi-So­leil avec plus de sin­cé­rité que Rákóczi. Cette mort mar­qua, d’ailleurs, la perte de son der­nier es­poir, et même si, sur l’invitation du Sul­tan turc, il se ren­dit à Constan­ti­nople pour or­ga­ni­ser une ar­mée ap­pe­lée à re­com­men­cer la guerre contre l’Autriche, les cir­cons­tances ne lui per­mirent pas de réa­li­ser son grand rêve, et il mou­rut dans l’émigration et dans l’obscurité.

  1. En hon­grois II Rákóczi Fe­renc. Au­tre­fois trans­crit Ra­gokzy, Ra­koczy, Ra­gotzi, Ra­gotsy, Ra­gotski ou Ra­gotsky. Haut

Lessing, «Choix des plus belles fables»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Fables» («Fa­beln») de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «Ernst et Falk : causeries pour francs-maçons»

éd. Dervy, coll. Petite Bibliothèque de la franc-maçonnerie, Paris

éd. Dervy, coll. Pe­tite Bi­blio­thèque de la franc-ma­çon­ne­rie, Pa­ris

Il s’agit d’«Ernst et Falk : cau­se­ries pour francs-ma­çons» («Ernst und Falk : Ges­präche für Frei­mau­rer») de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Mikes, «Lettres de Turquie»

éd. H. Champion, coll. Bibliothèque d’études de l’Europe centrale-Série Littérature, Paris

éd. H. Cham­pion, coll. Bi­blio­thèque d’études de l’Europe cen­trale-Sé­rie Lit­té­ra­ture, Pa­ris

Il s’agit des «Lettres de Tur­quie» («Törö­kországi le­ve­lek») de Clé­ment Mikes 1, épis­to­lier hon­grois des Lu­mières. Né à Za­gon, dans l’actuelle Rou­ma­nie, élève des jé­suites, Mikes en­tra à l’âge de dix-sept ans au ser­vice du prince Fran­çois II Rákóczi. Il gra­vit ra­pi­de­ment les éche­lons, ai­mant son maître au point qu’après l’échec de la guerre d’indépendance me­née contre les Habs­bourg, il l’accompagna dans son exil en Po­logne, en France, en Bul­ga­rie, mais sur­tout en Tur­quie. Pour di­ver­tir les en­nuis de ses loin­tains sé­jours, il adressa à une tante qu’on n’a pu iden­ti­fier, et qui est sans doute ima­gi­naire, une sé­rie de «Lettres de Tur­quie». Les dé­tails sur l’insurrection de Rákóczi, le ta­bleau de la vie des émi­grés hon­grois, les cou­tumes et mœurs des Em­pires de son temps — tout cela mêlé avec ses propres pen­sées, sa ré­si­gna­tion stoïque, en même temps que sa dou­lou­reuse at­tente d’un re­tour dans ses foyers, fait de Mikes un des vir­tuoses de la prose hon­groise du XVIIIe siècle. On trouve com­biné dans son œuvre l’art épis­to­laire d’une Sé­vi­gné (dont il était le lec­teur as­sidu) avec la ma­nière quelque peu sèche des mé­moires, chère aux Hon­grois. «Comme la lettre est fic­tive… elle offre à l’auteur — beau­coup plus que le conte, le ser­mon, le ro­man, ou même les mé­moires — un champ illi­mité à l’expression de ses idées et de ses sen­ti­ments, à une sin­cé­rité presque ab­so­lue. Le fait que l’auteur vit en émi­gra­tion mul­ti­plie les pos­si­bi­li­tés de la forme épis­to­laire et crée une sorte de ten­sion à la fois au­then­tique et tra­gique entre l’auteur et la des­ti­na­taire, celle-ci n’étant pas “la com­tesse E. P.”, mais bien la pa­trie que Mikes vou­drait tant re­voir, mais qui lui res­tera à tout ja­mais in­ac­ces­sible», dit M. István Ne­meskürty 2. Outre ses «Lettres», on pos­sède de Mikes des tra­duc­tions d’ouvrages de piété fran­çais, avec le sous-titre : «En terre étran­gère, d’une langue étran­gère».

  1. En hon­grois Mikes Ke­le­men. Haut
  1. «His­toire de la lit­té­ra­ture hon­groise», p. 100. Haut

Lessing, «Dramaturgie de Hambourg»

éd. Klincksieck, coll. Germanistique, Paris

éd. Klinck­sieck, coll. Ger­ma­nis­tique, Pa­ris

Il s’agit de la «Dra­ma­tur­gie de Ham­bourg» («Ham­bur­gische Dra­ma­tur­gie») de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «Du Laocoon, ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Lao­coon, ou Des li­mites res­pec­tives de la poé­sie et de la pein­ture» («Lao­koon, oder Über die Gren­zen der Ma­le­rei und Poe­sie») de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «Théâtre complet. Tome III»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Phi­lo­tas» et autres pièces de théâtre de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «Théâtre complet. Tome II»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Minna de Barn­helm» («Minna von Barn­helm») et autres pièces de théâtre de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «Théâtre complet. Tome I»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Na­than le Sage» («Na­than der Weise») et autres pièces de théâtre de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut

Lessing, «L’Éducation du genre humain, “Die Erziehung des Menschengeschlechts”»

éd. Aubier-Montaigne, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris

éd. Au­bier-Mon­taigne, coll. bi­lingue des clas­siques étran­gers, Pa­ris

Il s’agit de «L’Éducation du genre hu­main» 1Die Er­zie­hung des Men­schen­ges­chlechts») de Got­thold Ephraim Les­sing, écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le gé­nie al­le­mand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les écri­vains al­le­mands, est ce­lui que je ché­ris le plus» 2 a cer­tai­ne­ment le droit d’être consi­déré comme l’un des pères de cette Al­le­magne triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 3, «[même] les écri­vains du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être chefs ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, cri­tique, tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la vé­rité. Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 4, et il eut même plus de joie à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si Dieu», dit Les­sing 5, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa li­berté per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’âme de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 6. En re­li­gion, il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande fa­mille hu­maine, une franc-ma­çon­ne­rie de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la vertu que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des adap­ta­tions de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du grec; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse An­ti­quité, em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un théâtre ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des vues neuves, des aper­çus fé­conds.

  1. Par­fois tra­duit «L’Éducation de l’humanité». Haut
  2. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Haut
  3. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Haut
  1. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Haut
  2. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en fran­çais. Haut
  3. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Haut