Icône Mot-clefcontes littéraires

Voltaire, « Contes et Romans. Tome I »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «Mi­cro­mé­gas» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Musée le Grammairien, « Les Amours de Léandre et de Héro : poème »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Amours de Léandre et de Héro» («Ta kath’ Hêrô kai Lean­dron» 1), poème de trois cent qua­rante vers, pe­tit chef-d’œuvre hel­lé­nis­tique qui se res­sent de l’époque de (Ve siècle apr. J.-C.), et que Her­mann Kö­chly dé­fi­nit comme «la der­nière rose du jar­din dé­cli­nant des lettres grecques» («ul­ti­mam emo­rien­tis Græ­ca­rum lit­te­ra­rum horti ro­sam»). En ef­fet, si quel­que­fois un ton simple, naïf et tou­chant élève ce poème jusqu’à ceux des an­ciens Grecs, ces peintres si vrais de la , quel­que­fois aussi des traces évi­dentes tra­hissent une ori­gine tar­dive, tant dans la teinte trop sen­ti­men­tale que dans les or­ne­ments trop re­cher­chés, par les­quels l’auteur a peint les amours et la bru­tale de ses deux hé­ros. Ima­gi­ne­rait-on qu’un poète du d’Ho­mère eût pu écrire comme Mu­sée : «Que de grâces brillent sur sa per­sonne! Les An­ciens ont compté trois Grâces : quelle er­reur! L’ riant de Héro pé­tille de cent grâces» 2. Mais à tra­vers ces ai­mables dé­fauts cir­cule une vague et ar­dente sen­si­bi­lité, une va­po­reuse qui an­nonce par avance le des an­nées 1800. Si By­ron a tra­versé l’Hellespont à la nage, c’est parce que Léandre l’avait fait pour les beaux yeux de celle qu’il ai­mait. Le lec­teur ne sait peut-être pas la lé­gende à l’origine des «Amours de Léandre et de Héro». La voici : Héro était une prê­tresse à Ses­tos, et Léandre un jeune d’Abydos, deux si­tuées en face l’une de l’autre sur les bords de l’Hellespont, là où le ca­nal est le moins large. Pour al­ler voir Héro, Léandre tra­ver­sait tous les soirs l’Hellespont à la nage; un flam­beau al­lumé par son amante sur une tour éle­vée lui ser­vait de phare. Hé­las! Léandre se noya un soir d’orage. Héro, dé­cou­vrant le len­de­main ma­tin son re­jeté sur la grève, se pré­ci­pita du haut de la tour où elle guet­tait son amant et se tua au­près lui. Tel est, en sa pri­mi­tive sim­pli­cité, le fait di­vers sur le­quel un dé­nommé Mu­sée le Gram­mai­rien 3 a fait son poème. Ce fait di­vers est fort an­cien. Vir­gile et Ovide le connais­saient; Stra­bon, qui écri­vait sur la à la même époque où Vir­gile et se dis­tin­guaient par leurs vers — Stra­bon, dis-je, dans sa d’Abydos et de Ses­tos, fait men­tion ex­presse de la tour de Héro; en­fin, Mar­tial y puise le su­jet de deux de ses , dont l’une 4 a été ma­gis­tra­le­ment tra­duite par Vol­taire :

«Léandre conduit par l’
En na­geant di­sait aux  :
“Lais­sez- ga­gner les ri­vages,
Ne me noyez qu’à mon re­tour”
»

  1. En «Τὰ καθ’ Ἡρὼ καὶ Λέανδρον». Icône Haut
  2. p. 11. Icône Haut
  1. En grec Μουσαῖος ὁ Γραμματικός. Icône Haut
  2. «Épi­grammes», XXVb. Icône Haut

Homère, « Odyssée »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «L’Odyssée» 1 d’ 2. «Le chantre des ex­ploits hé­roïques, l’interprète des , le se­cond dont s’éclairait la , la lu­mière des muses, la tou­jours jeune du en­tier, Ho­mère, il est là, étran­ger, sous le sable de ce ri­vage», dit une épi­gramme fu­né­raire 3. On sait qu’Alexandre de Ma­cé­doine por­tait tou­jours avec lui une co­pie des chants d’Homère, et qu’il consa­crait à la garde de ce tré­sor une cas­sette pré­cieuse, en­ri­chie d’ et de pier­re­ries, trou­vée parmi les ef­fets du roi Da­rius. Alexandre mou­rut; l’immense Em­pire qu’il avait ras­sem­blé pour un ins­tant tomba en ruines; mais par­tout où avaient volé les se­mences de la grecque, les chants d’Homère avaient fait le voyage mys­té­rieux. Par­tout, sur les bords de la Mé­di­ter­ra­née, on par­lait , on écri­vait avec les lettres grecques, et nulle part da­van­tage que dans cette ville à l’embouchure du Nil, qui por­tait le nom de son fon­da­teur : Alexan­drie. «C’est là que se fai­saient les pré­cieuses co­pies des chants, là que s’écrivaient ces , dont la plu­part ont péri six ou sept siècles plus tard avec la fa­meuse bi­blio­thèque d’Alexandrie, que fit brû­ler le ca­life Omar, ce bien­fai­teur des éco­liers», dit Frie­drich Spiel­ha­gen 4. Les Ro­mains re­cueillirent, au­tant qu’il était pos­sible à un guer­rier et igno­rant, l’héritage du grec. Et c’était Ho­mère qu’on met­tait entre les mains du jeune comme élé­ment de son , et dont il conti­nuait plus tard l’étude dans les hautes écoles d’Athènes. Si Es­chyle dit que ses tra­gé­dies ne sont que «les re­liefs des grands fes­tins d’Homère» 5, on peut le dire avec en­core plus de des Ro­mains, qui s’invitent chez Ho­mère et re­viennent avec quelque croûte à gru­ger, un mor­ceau de car­ti­lage des mets qu’on a ser­vis.

  1. En grec «Ὀδύσσεια». Icône Haut
  2. En grec Ὅμηρος. Icône Haut
  3. En grec «Ἡρώων κάρυκ’ ἀρετᾶς, μακάρων δὲ προφήταν, Ἑλλάνων βιοτᾷ δεύτερον ἀέλιον, Μουσῶν φέγγος Ὅμηρον, ἀγήραντον στόμα κόσμου παντός, ἁλιρροθία, ξεῖνε, κέκευθε κόνις». An­ti­pa­ter de Si­don dans «An­tho­lo­gie grecque, d’après le ma­nus­crit pa­la­tin». Icône Haut
  1. «Ho­mère», p. 513. Icône Haut
  2. En grec «τεμάχη τῶν Ὁμήρου μεγάλων δείπνων». Athé­née, «Ban­quet des sa­vants». Icône Haut

Homère, « Iliade »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «L’Iliade» 1 d’ 2. «Le chantre des ex­ploits hé­roïques, l’interprète des , le se­cond dont s’éclairait la , la lu­mière des muses, la tou­jours jeune du en­tier, Ho­mère, il est là, étran­ger, sous le sable de ce ri­vage», dit une épi­gramme fu­né­raire 3. On sait qu’Alexandre de Ma­cé­doine por­tait tou­jours avec lui une co­pie des chants d’Homère, et qu’il consa­crait à la garde de ce tré­sor une cas­sette pré­cieuse, en­ri­chie d’ et de pier­re­ries, trou­vée parmi les ef­fets du roi Da­rius. Alexandre mou­rut; l’immense Em­pire qu’il avait ras­sem­blé pour un ins­tant tomba en ruines; mais par­tout où avaient volé les se­mences de la grecque, les chants d’Homère avaient fait le voyage mys­té­rieux. Par­tout, sur les bords de la Mé­di­ter­ra­née, on par­lait , on écri­vait avec les lettres grecques, et nulle part da­van­tage que dans cette ville à l’embouchure du Nil, qui por­tait le nom de son fon­da­teur : Alexan­drie. «C’est là que se fai­saient les pré­cieuses co­pies des chants, là que s’écrivaient ces , dont la plu­part ont péri six ou sept siècles plus tard avec la fa­meuse bi­blio­thèque d’Alexandrie, que fit brû­ler le ca­life Omar, ce bien­fai­teur des éco­liers», dit Frie­drich Spiel­ha­gen 4. Les Ro­mains re­cueillirent, au­tant qu’il était pos­sible à un guer­rier et igno­rant, l’héritage du grec. Et c’était Ho­mère qu’on met­tait entre les mains du jeune comme élé­ment de son , et dont il conti­nuait plus tard l’étude dans les hautes écoles d’Athènes. Si Es­chyle dit que ses tra­gé­dies ne sont que «les re­liefs des grands fes­tins d’Homère» 5, on peut le dire avec en­core plus de des Ro­mains, qui s’invitent chez Ho­mère et re­viennent avec quelque croûte à gru­ger, un mor­ceau de car­ti­lage des mets qu’on a ser­vis.

  1. En grec «Ἰλιάς». Icône Haut
  2. En grec Ὅμηρος. Icône Haut
  3. En grec «Ἡρώων κάρυκ’ ἀρετᾶς, μακάρων δὲ προφήταν, Ἑλλάνων βιοτᾷ δεύτερον ἀέλιον, Μουσῶν φέγγος Ὅμηρον, ἀγήραντον στόμα κόσμου παντός, ἁλιρροθία, ξεῖνε, κέκευθε κόνις». An­ti­pa­ter de Si­don dans «An­tho­lo­gie grecque, d’après le ma­nus­crit pa­la­tin». Icône Haut
  1. «Ho­mère», p. 513. Icône Haut
  2. En grec «τεμάχη τῶν Ὁμήρου μεγάλων δείπνων». Athé­née, «Ban­quet des sa­vants». Icône Haut

« La Reine exilée et son Fils : poème épique laotien narrant une des vies du Bouddha »

dans « Péninsule », vol. 18-19, p. 1-274

dans «Pé­nin­sule», vol. 18-19, p. 1-274

Il s’agit du «nāṅ Tēṅ an1» 1La Reine ée et son Fils», ou lit­té­ra­le­ment «La Dame Tēṅ an1»), un des ro­mans épiques du . Les Lao­tiens ont une pré­di­lec­tion mar­quée pour les longs ré­cits en vers, im­pré­gnés de , et re­le­vés par la et par l’agencement des . Ils les ap­pellent «bœ̄n2 văn­naḥ­gaḥtī» 2textes lit­té­raires»). Ils les lisent dans les réunions; ils les ré­citent pen­dant la aux jeunes ré­cem­ment ac­cou­chées, pour les em­pê­cher de suc­com­ber au som­meil et de de­ve­nir ainsi une proie fa­cile pour les mau­vais . Cer­tains de ces ro­mans épiques sont d’une lon­gueur ac­ca­blante : le «dāv2 kā­laḥ­ket» 3, par exemple, compte à peu près dix mille vers, et le «cāṃPā sī1 Tŏn2» 4 — en­vi­ron qua­torze mille. «Il faut croire que les pé­ri­pé­ties qui forment la trame du ré­cit en font to­lé­rer la lon­gueur», dit Louis Fi­not 5. «Pour­tant ni les ni les in­ci­dents du drame ne brillent par la va­riété : les mêmes fi­gures et les mêmes scènes se re­pré­sentent sans cesse avec une mo­no­to­nie qui las­se­rait le lec­teur le plus in­tré­pide, mais qui ne pa­raît pas dé­plaire aux âmes simples pour les­quelles des bardes ano­nymes ont com­posé ces en­fan­tines rhap­so­dies.» Je l’avoue : ces ro­mans épiques, en gé­né­ral fort mal­adroits, tra­cés pour la plu­part par des mains la­bo­rieuses, m’ont tou­ché. Je les ai ou­verts sou­vent avec dé­dain, et presque ja­mais je ne les ai fer­més sans être ému. La forme, à très peu d’exceptions près, en est dé­fec­tueuse, mais cela par ru­desse plu­tôt que par mau­vais goût. Ils res­pirent tant de sin­cé­rité, de sym­pa­thie, de bonne vo­lonté; on y trouve des si res­pec­tables dans leur naï­veté, que , qui étais dé­cidé à en , j’ai tou­jours fini par m’y plaire. Ja­mais je n’accueillerai par la raille­rie cette confes­sion hon­nête d’un poète :

«Moi, qui ai com­posé ce ré­cit ver­si­fié,
Je me suis en­fui au loin, tout comme la pe­tite [hé­roïne dont je vous parle]!
Car moi, votre ser­vi­teur, couche en so­li­taire;
Je suis bien seul, dans ma chambre, les bras pen­dant dans le vide…
De­puis que j’ai quitté ma mai­son pour al­ler chez les Thaï où je n’ai pas d’amis,
Je m’efforce d’écrire des vers pour me ré­chauf­fer le cœur.
Tout au fond de mon être… je me dis que je fi­ni­rai par ren­trer chez moi.
Ils sont évi­dem­ment bien éloi­gnés l’un de l’autre, la cité d’ et le pays na­tal!
»

  1. En «ນາງແຕງອ່ອນ». Par­fois trans­crit «Nang Tèng One», «Naṅ Teṅ On», «Nāng Tǣng ‘Ǭn», «Nang Taeng Oon» ou «Nang Taeng Aun». Icône Haut
  2. En lao­tien ພື້ນວັນນະຄະດີ. Icône Haut
  3. En lao­tien «ທ້າວກາລະເກດ», in­édit en . Icône Haut
  1. En lao­tien «ຈໍາປາສີ່ຕົ້ນ», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  2. «Re­cherches sur la », p. 116. Icône Haut

« L’Engoulevent blanc »

dans « Le Roman classique lao » (éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Publications de l’École française d’Extrême-Orient, Paris)

dans «Le clas­sique lao» (éd. École fran­çaise d’Extrême-, coll. Pu­bli­ca­tions de l’École fran­çaise d’Extrême-Orient, Pa­ris)

Il s’agit du «dāv2 nŏk kaḥpā phœ̄eak» 1L’Engoulevent blanc»), un des ro­mans épiques du . Les Lao­tiens ont une pré­di­lec­tion mar­quée pour les longs ré­cits en vers, im­pré­gnés de , et re­le­vés par la et par l’agencement des . Ils les ap­pellent «bœ̄n2 văn­naḥ­gaḥtī» 2textes lit­té­raires»). Ils les lisent dans les réunions; ils les ré­citent pen­dant la aux jeunes ré­cem­ment ac­cou­chées, pour les em­pê­cher de suc­com­ber au som­meil et de de­ve­nir ainsi une proie fa­cile pour les mau­vais . Cer­tains de ces ro­mans épiques sont d’une lon­gueur ac­ca­blante : le «dāv2 kā­laḥ­ket» 3, par exemple, compte à peu près dix mille vers, et le «cāṃPā sī1 Tŏn2» 4 — en­vi­ron qua­torze mille. «Il faut croire que les pé­ri­pé­ties qui forment la trame du ré­cit en font to­lé­rer la lon­gueur», dit Louis Fi­not 5. «Pour­tant ni les ni les in­ci­dents du drame ne brillent par la va­riété : les mêmes fi­gures et les mêmes scènes se re­pré­sentent sans cesse avec une mo­no­to­nie qui las­se­rait le lec­teur le plus in­tré­pide, mais qui ne pa­raît pas dé­plaire aux âmes simples pour les­quelles des bardes ano­nymes ont com­posé ces en­fan­tines rhap­so­dies.» Je l’avoue : ces ro­mans épiques, en gé­né­ral fort mal­adroits, tra­cés pour la plu­part par des mains la­bo­rieuses, m’ont tou­ché. Je les ai ou­verts sou­vent avec dé­dain, et presque ja­mais je ne les ai fer­més sans être ému. La forme, à très peu d’exceptions près, en est dé­fec­tueuse, mais cela par ru­desse plu­tôt que par mau­vais goût. Ils res­pirent tant de sin­cé­rité, de sym­pa­thie, de bonne vo­lonté; on y trouve des si res­pec­tables dans leur naï­veté, que , qui étais dé­cidé à en , j’ai tou­jours fini par m’y plaire. Ja­mais je n’accueillerai par la raille­rie cette confes­sion hon­nête d’un poète :

«Moi, qui ai com­posé ce ré­cit ver­si­fié,
Je me suis en­fui au loin, tout comme la pe­tite [hé­roïne dont je vous parle]!
Car moi, votre ser­vi­teur, couche en so­li­taire;
Je suis bien seul, dans ma chambre, les bras pen­dant dans le vide…
De­puis que j’ai quitté ma mai­son pour al­ler chez les Thaï où je n’ai pas d’amis,
Je m’efforce d’écrire des vers pour me ré­chauf­fer le cœur.
Tout au fond de mon être… je me dis que je fi­ni­rai par ren­trer chez moi.
Ils sont évi­dem­ment bien éloi­gnés l’un de l’autre, la cité d’ et le pays na­tal!
»

  1. En «ທ້າວນົກກະບາເຜືອກ». Par­fois trans­crit «Thao Nok Kaba Phueak» ou «Thao Nok Kaba Phüak». Icône Haut
  2. En lao­tien ພື້ນວັນນະຄະດີ. Icône Haut
  3. En lao­tien «ທ້າວກາລະເກດ», in­édit en . Icône Haut
  1. En lao­tien «ຈໍາປາສີ່ຕົ້ນ», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  2. «Re­cherches sur la », p. 116. Icône Haut

Pangkham, « Sinsay : chef-d’œuvre de la littérature lao »

éd. Liang Ziang Chong Chareon, Bangkok

éd. Liang Ziang Chong Cha­reon, Bang­kok

Il s’agit du «sin jai» 1, un des ro­mans épiques du . Les Lao­tiens ont une pré­di­lec­tion mar­quée pour les longs ré­cits en vers, im­pré­gnés de , et re­le­vés par la et par l’agencement des . Ils les ap­pellent «bœ̄n2 văn­naḥ­gaḥtī» 2textes lit­té­raires»). Ils les lisent dans les réunions; ils les ré­citent pen­dant la aux jeunes ré­cem­ment ac­cou­chées, pour les em­pê­cher de suc­com­ber au som­meil et de de­ve­nir ainsi une proie fa­cile pour les mau­vais . Cer­tains de ces ro­mans épiques sont d’une lon­gueur ac­ca­blante : le «dāv2 kā­laḥ­ket» 3, par exemple, compte à peu près dix mille vers, et le «cāṃPā sī1 Tŏn2» 4 — en­vi­ron qua­torze mille. «Il faut croire que les pé­ri­pé­ties qui forment la trame du ré­cit en font to­lé­rer la lon­gueur», dit Louis Fi­not 5. «Pour­tant ni les ni les in­ci­dents du drame ne brillent par la va­riété : les mêmes fi­gures et les mêmes scènes se re­pré­sentent sans cesse avec une mo­no­to­nie qui las­se­rait le lec­teur le plus in­tré­pide, mais qui ne pa­raît pas dé­plaire aux âmes simples pour les­quelles des bardes ano­nymes ont com­posé ces en­fan­tines rhap­so­dies.» Je l’avoue : ces ro­mans épiques, en gé­né­ral fort mal­adroits, tra­cés pour la plu­part par des mains la­bo­rieuses, m’ont tou­ché. Je les ai ou­verts sou­vent avec dé­dain, et presque ja­mais je ne les ai fer­més sans être ému. La forme, à très peu d’exceptions près, en est dé­fec­tueuse, mais cela par ru­desse plu­tôt que par mau­vais goût. Ils res­pirent tant de sin­cé­rité, de sym­pa­thie, de bonne vo­lonté; on y trouve des si res­pec­tables dans leur naï­veté, que , qui étais dé­cidé à en , j’ai tou­jours fini par m’y plaire. Ja­mais je n’accueillerai par la raille­rie cette confes­sion hon­nête d’un poète :

«Moi, qui ai com­posé ce ré­cit ver­si­fié,
Je me suis en­fui au loin, tout comme la pe­tite [hé­roïne dont je vous parle]!
Car moi, votre ser­vi­teur, couche en so­li­taire;
Je suis bien seul, dans ma chambre, les bras pen­dant dans le vide…
De­puis que j’ai quitté ma mai­son pour al­ler chez les Thaï où je n’ai pas d’amis,
Je m’efforce d’écrire des vers pour me ré­chauf­fer le cœur.
Tout au fond de mon être… je me dis que je fi­ni­rai par ren­trer chez moi.
Ils sont évi­dem­ment bien éloi­gnés l’un de l’autre, la cité d’ et le pays na­tal!
»

  1. En «ສິນໄຊ». Par­fois trans­crit «Sin­say», «Sin­sai», «Sin Xay» ou «Sine Xay». Outre cette ap­pel­la­tion com­mu­né­ment em­ployée, le «sin jai» porte en­core di­vers titres, se­lon les édi­tions, tels que : «săṅkh silP jăy» («ສັງຂສິລປຊັຍ») ou «săṅ sin jai» («ສັງສິນໄຊ»). Par­fois trans­crit « Sin­xaï». Icône Haut
  2. En lao­tien ພື້ນວັນນະຄະດີ. Icône Haut
  3. En lao­tien «ທ້າວກາລະເກດ», in­édit en . Icône Haut
  1. En lao­tien «ຈໍາປາສີ່ຕົ້ນ», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  2. «Re­cherches sur la », p. 116. Icône Haut

Nosaka, « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés : récits »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit de «La Vigne des morts sur le col des dé­char­nés» («Ho­ne­gami tôge ho­toke-ka­zura» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «骨餓身峠死人葛». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut

Nosaka, « Le Dessin au sable et l’Apparition vengeresse qui mit fin au sortilège : récit »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit du « au sable et l’Apparition ven­ge­resse qui mit fin au sor­ti­lège» («Su­nae shi­bari go­ni­chi kai­dan» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «砂絵呪縛後日怪談». Par­fois trans­crit «Su­nae shi­bari go­ni­chi no kai­dan», «Su­nae shi­bari go­jitsu no kai­dan» ou «Su­nae ju­baku go­jitsu kai­dan». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut