Il s’agit d’une traduction partielle du « Kokin-waka-shû » 1 (« Recueil de poésies de jadis et naguère »), plus connu sous le titre abrégé de « Kokin-shû » 2 (« Recueil de jadis et naguère »), une des premières compilations de poèmes japonais. Alors que l’antique prose du Japon représente plus ou moins l’influence étrangère de la Chine, l’antique poésie, elle, a quelque chose de profondément indigène. De fait, le « Kokin-shû » et le « Man-yô-shû » peuvent être qualifiés d’anthologies nationales du Japon. Il faut reconnaître que la poésie a toujours tenu une très grande place dans l’âme japonaise, dont elle dévoile, pour ainsi dire, toute l’intimité. De règne en règne, les Empereurs japonais, aux premières fleurs de printemps comme aux dernières lunes d’automne, ont convoqué la suite de leurs courtisans, et sous l’inspiration des choses, se sont fait présenter des poèmes. Parmi ces courtisans, quelques-uns ont mis leur amour en parallèle avec la fumée du mont Fuji, d’autres se sont souvenus de la lointaine jeunesse du mont Otoko, d’autres, enfin, à voir la rosée sur l’herbe, l’écume sur l’eau, se sont lamentés sur leur propre impermanence. « La poésie du Yamato 3 a pour racine le cœur humain et pour feuilles des milliers de paroles », dit Ki no Tsurayuki dans sa sublime préface au « Kokin-shû », qui s’élève à des sommets jamais encore égalés dans la critique japonaise. « Le temps a beau aller ses étapes ; les choses passer ; les joies et les tristesses croiser leurs routes : quand le rythme est là, comment cette poésie pourrait-elle périr ? S’il est vrai que les aiguilles du pin durent sans choir ni périr ; que les empreintes des oiseaux pour longtemps se gravent 4 ; la poésie du Yamato [se maintiendra pour jamais] ».
poésie japonaise
Izumi-shikibu, « Poèmes de Cour »
Il s’agit d’Izumi-shikibu 1, femme sensuelle, aussi volage que belle, et qui avait méprisé les convenances de la Cour japonaise, au point de choquer un entourage qui pourtant, en fait de libertinage, n’avait pas beaucoup à apprendre (Xe-XIe siècle). Nombreux étaient les contemporains qui la tenaient pour le meilleur poète du temps ; la mémoire de la postérité, elle, n’a retenu que la liste de ses esclandres amoureux. Le poème qui suit, le plus célèbre de tout le « Recueil d’Izumi-shikibu » (« Izumi-shikibu shû » 2), n’a pas peu contribué à établir la fâcheuse réputation de son auteur par la violence de la passion qu’il trahit :
« Lorsque je pleurais
Indifférente au désordre
De mes noirs cheveux
Celui qui les démêlait
Ah ! combien je l’ai aimé » 3.
Cependant, il n’y a dans le « Recueil d’Izumi-shikibu » ni ordure ni obscénité, non plus que, d’une façon générale, dans la littérature de l’époque de Heian. La langue est presque invariablement décente, voire raffinée, et on y rencontrerait difficilement un vers propre à faire monter le rouge au front d’une jeune fille. « L’égale de Murasaki et de Sei-shônagon par la science et le talent, Izumi est de plus une ardente, une passionnée ; elle n’écrit pas seulement pour médire ou pour conter, mais pour calmer son angoisse, distraire sa passion et conserver le souvenir d’un trop court bonheur », dit le marquis Antoine de La Mazelière
- En japonais 和泉式部. Autrefois transcrit Izoumi Shikibou, Idzoumi Sikibou ou Izumi Šikibu.
- En japonais « 和泉式部集 ». Autrefois transcrit « Izumi Šikubu šú ».
- « Poèmes ; traduit du japonais par René Sieffert », p. 111.
Izumi-shikibu, « Poèmes »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Poètes du Japon-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit d’Izumi-shikibu 1, femme sensuelle, aussi volage que belle, et qui avait méprisé les convenances de la Cour japonaise, au point de choquer un entourage qui pourtant, en fait de libertinage, n’avait pas beaucoup à apprendre (Xe-XIe siècle). Nombreux étaient les contemporains qui la tenaient pour le meilleur poète du temps ; la mémoire de la postérité, elle, n’a retenu que la liste de ses esclandres amoureux. Le poème qui suit, le plus célèbre de tout le « Recueil d’Izumi-shikibu » (« Izumi-shikibu shû » 2), n’a pas peu contribué à établir la fâcheuse réputation de son auteur par la violence de la passion qu’il trahit :
« Lorsque je pleurais
Indifférente au désordre
De mes noirs cheveux
Celui qui les démêlait
Ah ! combien je l’ai aimé » 3.
Cependant, il n’y a dans le « Recueil d’Izumi-shikibu » ni ordure ni obscénité, non plus que, d’une façon générale, dans la littérature de l’époque de Heian. La langue est presque invariablement décente, voire raffinée, et on y rencontrerait difficilement un vers propre à faire monter le rouge au front d’une jeune fille. « L’égale de Murasaki et de Sei-shônagon par la science et le talent, Izumi est de plus une ardente, une passionnée ; elle n’écrit pas seulement pour médire ou pour conter, mais pour calmer son angoisse, distraire sa passion et conserver le souvenir d’un trop court bonheur », dit le marquis Antoine de La Mazelière
- En japonais 和泉式部. Autrefois transcrit Izoumi Shikibou, Idzoumi Sikibou ou Izumi Šikibu.
- En japonais « 和泉式部集 ». Autrefois transcrit « Izumi Šikubu šú ».
- « Poèmes ; traduit du japonais par René Sieffert », p. 111.
« Chants de palefreniers, “Saïbara” »
éd. Publications orientalistes de France, coll. D’étranges pays-Poèmes, Paris
Il s’agit des « Saibara » 1 (« Chants de palefreniers »). Ce genre japonais est mentionné pour la première fois dans les « Chroniques véridiques des trois ères » (« Nihon sandai jitsuroku » 2), au chapitre relatif à l’année 859 apr. J.-C. Il y est dit que la princesse Hiroi, morte cette année-là, était fort célèbre à l’époque de sa jeunesse pour ses interprétations de « Saibara ». Jusqu’à nos jours, les philologues japonais ont proposé une dizaine d’explications possibles pour ce terme, noté à l’aide de trois caractères chinois dont le sens littéral est « airs pour encourager les chevaux ». Selon l’interprétation traditionnelle 3, il s’agirait de chansons populaires que les palefreniers chantaient en menant à la capitale les bêtes de somme. D’autres estiment que ce nom ne fait que traduire l’esprit de la première chanson du recueil, intitulée précisément : « Va, mon coursier ». Enfin, tout récemment, M. Usuda Jingorô découvrait, dans un document conservé à la bibliothèque de la Maison Impériale, la preuve de l’existence d’une mélodie d’origine chinoise, aujourd’hui perdue, dont le titre « Saibaraku » s’écrivait au moyen des mêmes idéogrammes. En tout cas, l’on se convaincra aisément, à la simple lecture, qu’il s’agit bien de chansons populaires, respirant l’humeur enjouée et la naïveté un peu grasse et bon enfant de l’âme paysanne. Curieusement, ces chansons ont connu leur vogue autour de l’an 1000 apr. J.-C., c’est-à-dire à l’apogée de cette Cour raffinée qui a fait naître notamment le « Dit du genji », le chef-d’œuvre inégalé des lettres japonaises. Les personnages de ce dit chantent des « Saibara » en toute occasion : lors des banquets officiels du palais, aussi bien qu’en privé ; ils les fredonnent en déambulant par les couloirs, et en usent, hommes et femmes, comme d’un langage convenu pour leurs échanges épistolaires. Mieux encore : quatre chapitres de ce dit — « La Branche du prunier » (ch. XXXII), « La Rivière aux bambous » (ch. XLIV), « Les Cheveux noués » (ch. XLVII) et « Le Pavillon » (ch. L) — empruntent leurs titres mêmes à des chansons populaires de ce genre. « L’on pourrait croire », dit très bien M. René Sieffert, « que tous ces princes et courtisans, soumis perpétuellement au carcan d’une étiquette méticuleuse, trouvaient dans l’allégresse qui anime la presque totalité de ces chansons… un exutoire aux contraintes d’une vie réglée dans ses moindres détails. »
Murasaki-shikibu, « Poèmes »
éd. Publications orientalistes de France, Paris
Il s’agit du « Recueil de Murasaki-shikibu » (« Murasaki-shikibu shû » 1). Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le « Dit du genji » fait parfois oublier que son auteur était aussi comptée parmi les trente-six « génies de la poésie », autant pour les sept cent quatre-vingt-quatorze poèmes qu’elle attribue aux personnages de son roman, que pour ceux, plus personnels, que contient son « Recueil ».
« Il m’est arrivé parfois de rester assise parmi [les autres dames de la Cour], complètement désemparée. Ce n’est point tant que je craignisse la médisance, mais excédée, je finissais par avoir l’air tout à fait égarée, ce qui fait que l’une après l’autre maintenant me dit : “Vous cachiez bien votre jeu ! Quand tout le monde vous détestait, disant et pensant que vous étiez maniérée, distante, d’un abord peu amène, imbue de vos dits, prétentieuse et férue de poésie… voici qu’on vous trouve étrangement bonne personne, à croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre !” » 2 Tel est l’un des seuls passages de son « Journal » où la dame Murasaki-shikibu rapporte des propos sur son propre compte. C’est un passage révélateur. « Femme d’une nature renfermée » 3, elle était convaincue que les gens ne la comprenaient pas. Elle prenait peu de plaisir au commerce de la société et elle avait la réputation, assez exceptionnelle dans son cercle, d’être prude.
- En japonais « 紫式部集 ».
- « Journal ; traduit du japonais par René Sieffert », p. 101.
Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome II. Impermanence »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit du « Dit du genji » (« Genji monogatari » 1) de la dame Murasaki-shikibu 2, roman qui marque le sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise. « De tous les trésors du Japon, le “Dit du genji” est de loin le plus précieux. » 3 On suppose que ce roman monumental fut composé vers 1004 apr. J.-C. Une jolie légende associe sa composition au temple d’Ishiyama 4, à l’extrémité méridionale du lac Biwa. En ce site divin, la dame Murasaki-shikibu se retira, dit-on, loin de la Cour : chaque nuit, accoudée à sa table, elle contemplait le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchissait la lune étincelante et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrivait, d’un pinceau tranquille et inspiré, ses plus belles pages. Aujourd’hui encore, si vous visitez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous montreront la chambre où le « Dit du genji » fut écrit, et l’encrier même dont la romancière se servit — preuves qui, si elles ne satisfont pas les historiens rigoureux, sont bien suffisantes pour convaincre les visiteurs ordinaires. « Le “Dit du genji” est une chose inexplicable », dit un Empereur japonais 5. « Il ne peut être l’ouvrage d’une personne ordinaire. » Comment, en effet, expliquer ce chef-d’œuvre complexe où, sur un fond d’exquises observations empruntées à tout ce que la vie galante de la Cour, les brillantes fêtes du Palais, les rencontres intimes entre cavaliers et dames, mais aussi les rivages de l’exil ou la paix religieuse d’un ermitage, peuvent offrir de plus charmant à une romancière, on voit se détacher une constellation de quelque trois cents personnages, dont l’unité est assurée par la présence centrale d’un don Juan au cœur sensible — le « genji » 6 ? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces personnages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mutuellement leurs émotions ? Quoi qu’il en soit, convenons avec M. René Sieffert 7 « qu’il s’agit là… du roman psychologique le plus étonnant, par sa subtilité et sa pénétration, qui ait jamais été écrit dans aucune langue ».
- En japonais « 源氏物語 ». Autrefois transcrit « Gen-zi mono-gatari », « Ghenzi monogatari », « Guendji monogatari », « Ghenndji monoghatari », « Guenji-monogatari », « Ghennji monogatari » ou « Ghén’ji-monogatari ».
- En japonais 紫式部. Autrefois transcrit Mourasaki Chikibou, Mouraçaki Shikibou ou Mourasaki Sikibou.
- Ichijô Kaneyoshi, « Kachô yosei » (« Images de fleurs et d’oiseaux »), inédit en français.
- En japonais 石山寺.
Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome I. Magnificence »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit du « Dit du genji » (« Genji monogatari » 1) de la dame Murasaki-shikibu 2, roman qui marque le sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise. « De tous les trésors du Japon, le “Dit du genji” est de loin le plus précieux. » 3 On suppose que ce roman monumental fut composé vers 1004 apr. J.-C. Une jolie légende associe sa composition au temple d’Ishiyama 4, à l’extrémité méridionale du lac Biwa. En ce site divin, la dame Murasaki-shikibu se retira, dit-on, loin de la Cour : chaque nuit, accoudée à sa table, elle contemplait le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchissait la lune étincelante et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrivait, d’un pinceau tranquille et inspiré, ses plus belles pages. Aujourd’hui encore, si vous visitez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous montreront la chambre où le « Dit du genji » fut écrit, et l’encrier même dont la romancière se servit — preuves qui, si elles ne satisfont pas les historiens rigoureux, sont bien suffisantes pour convaincre les visiteurs ordinaires. « Le “Dit du genji” est une chose inexplicable », dit un Empereur japonais 5. « Il ne peut être l’ouvrage d’une personne ordinaire. » Comment, en effet, expliquer ce chef-d’œuvre complexe où, sur un fond d’exquises observations empruntées à tout ce que la vie galante de la Cour, les brillantes fêtes du Palais, les rencontres intimes entre cavaliers et dames, mais aussi les rivages de l’exil ou la paix religieuse d’un ermitage, peuvent offrir de plus charmant à une romancière, on voit se détacher une constellation de quelque trois cents personnages, dont l’unité est assurée par la présence centrale d’un don Juan au cœur sensible — le « genji » 6 ? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces personnages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mutuellement leurs émotions ? Quoi qu’il en soit, convenons avec M. René Sieffert 7 « qu’il s’agit là… du roman psychologique le plus étonnant, par sa subtilité et sa pénétration, qui ait jamais été écrit dans aucune langue ».
- En japonais « 源氏物語 ». Autrefois transcrit « Gen-zi mono-gatari », « Ghenzi monogatari », « Guendji monogatari », « Ghenndji monoghatari », « Guenji-monogatari », « Ghennji monogatari » ou « Ghén’ji-monogatari ».
- En japonais 紫式部. Autrefois transcrit Mourasaki Chikibou, Mouraçaki Shikibou ou Mourasaki Sikibou.
- Ichijô Kaneyoshi, « Kachô yosei » (« Images de fleurs et d’oiseaux »), inédit en français.
- En japonais 石山寺.
« Contes d’Ise, “Ise monogatari” »
éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit d’une traduction de l’« Ise monogatari » 1 (« Récits d’Ise »). Ce recueil de cent vingt-cinq anecdotes est le résultat d’une activité très remarquable à laquelle les Japonais se livraient autrefois (Xe siècle apr. J.-C.), laquelle consistait à situer tel ou tel poème, en en donnant l’histoire, en en faisant connaître la destination, le but, l’humeur, en indiquant en un mot toutes les circonstances de sa composition, quitte à enjoliver, à inventer. En ce temps-là, la poésie faisait bel et bien partie de l’art du quotidien. Que ce fût pour envoyer un cadeau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conversation, pour exprimer des condoléances ou encore une prière aux dieux, tout le monde avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. « Mais quand tout le monde est poète », dit M. René Sieffert 2, « les bons poètes n’en sont que plus rares et que plus prisés, et l’on ne manquera pas de guetter et de relever la moindre parole de quiconque se sera fait une réputation en la matière. Et surtout, l’on se délectera à en parler, à se répéter et à commenter l’histoire de chaque poème. » Dès l’anthologie « Man-yô-shû », les vers étaient inséparables d’une narration en prose, qui les situait. Il suffisait d’agrandir cette narration, d’en soigner la forme, d’en faire un conte ou une nouvelle galante, par exemple, pour obtenir un genre nouveau : l’« uta-monogatari » 3 (le « récit centré autour d’un poème »). C’est précisément cette tradition de l’« uta-monogatari » qui atteint sa perfection dans le « Yamato monogatari » et dans l’« Ise monogatari ». Un siècle plus tard, le mélange de cette tradition avec celle du journal intime aboutira, sous le pinceau de la dame Murasaki-shikibu, au sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise : le « Dit du genji ».
- En japonais « 伊勢物語 ». Autrefois transcrit « Icé monogatari » ou « Içé monogatari ».
- « Préface aux “Contes de Yamato” », p. 10.
« Contes de Yamato »
éd. Publications orientalistes de France, coll. Contes et Romans du Moyen Âge-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit d’une traduction du « Yamato monogatari » 1 (« Récits de Yamato »). Ce recueil de cent soixante-treize anecdotes est le résultat d’une activité très remarquable à laquelle les Japonais se livraient autrefois (Xe siècle apr. J.-C.), laquelle consistait à situer tel ou tel poème, en en donnant l’histoire, en en faisant connaître la destination, le but, l’humeur, en indiquant en un mot toutes les circonstances de sa composition, quitte à enjoliver, à inventer. En ce temps-là, la poésie faisait bel et bien partie de l’art du quotidien. Que ce fût pour envoyer un cadeau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conversation, pour exprimer des condoléances ou encore une prière aux dieux, tout le monde avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. « Mais quand tout le monde est poète », dit M. René Sieffert 2, « les bons poètes n’en sont que plus rares et que plus prisés, et l’on ne manquera pas de guetter et de relever la moindre parole de quiconque se sera fait une réputation en la matière. Et surtout, l’on se délectera à en parler, à se répéter et à commenter l’histoire de chaque poème. » Dès l’anthologie « Man-yô-shû », les vers étaient inséparables d’une narration en prose, qui les situait. Il suffisait d’agrandir cette narration, d’en soigner la forme, d’en faire un conte ou une nouvelle galante, par exemple, pour obtenir un genre nouveau : l’« uta-monogatari » 3 (le « récit centré autour d’un poème »). C’est précisément cette tradition de l’« uta-monogatari » qui atteint sa perfection dans le « Yamato monogatari » et dans l’« Ise monogatari ». Un siècle plus tard, le mélange de cette tradition avec celle du journal intime aboutira, sous le pinceau de la dame Murasaki-shikibu, au sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise : le « Dit du genji ».