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« Le Monument poétique de Heian : le “Kokinshû”. Tome I. Préface de Ki no Tsurayuki »

éd. P. Geuthner, coll. Yoshino, Paris

éd. P. Geuth­ner, coll. Yo­shino, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du «Ko­kin--shû» 1Re­cueil de poé­sies de ja­dis et na­guère»), plus connu sous le titre abrégé de «Ko­kin-shû» 2Re­cueil de ja­dis et na­guère»), une des pre­mières com­pi­la­tions de poèmes . Alors que l’antique prose du re­pré­sente plus ou moins l’ de la , l’antique , elle, a quelque chose de pro­fon­dé­ment in­di­gène. De fait, le «Ko­kin-shû» et le «Man-yô-shû» peuvent être qua­li­fiés d’anthologies na­tio­nales du Ja­pon. Il faut re­con­naître que la poé­sie a tou­jours tenu une très grande place dans l’ ja­po­naise, dont elle dé­voile, pour ainsi dire, toute l’intimité. De règne en règne, les ja­po­nais, aux pre­mières de prin­temps comme aux der­nières lunes d’automne, ont convo­qué la suite de leurs cour­ti­sans, et sous l’ des choses, se sont fait pré­sen­ter des poèmes. Parmi ces cour­ti­sans, quelques-uns ont mis leur en pa­ral­lèle avec la fu­mée du mont Fuji, d’autres se sont sou­ve­nus de la loin­taine du mont Otoko, d’autres, en­fin, à voir la ro­sée sur l’herbe, l’écume sur l’, se sont la­men­tés sur leur propre im­per­ma­nence. «La poé­sie du Ya­mato 3 a pour ra­cine le cœur hu­main et pour feuilles des mil­liers de pa­roles», dit Ki no Tsu­rayuki dans sa pré­face au «Ko­kin-shû», qui s’élève à des som­mets ja­mais en­core éga­lés dans la ja­po­naise. «Le a beau al­ler ses étapes; les choses pas­ser; les joies et les tris­tesses croi­ser leurs routes : quand le est là, com­ment cette poé­sie pour­rait-elle pé­rir? S’il est vrai que les ai­guilles du pin durent sans choir ni pé­rir; que les em­preintes des pour long­temps se gravent 4; la poé­sie du Ya­mato [se main­tien­dra pour ja­mais]».

  1. En ja­po­nais «古今和歌集». Au­tre­fois trans­crit «Ko­kinn Ouaka Chou». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «古今集». Au­tre­fois trans­crit «Ko­kinn­chou» ou «Ko­kin­ciou». Icône Haut
  1. Pour le Ja­pon, le nom du Ya­mato est comme ce­lui de la Gaule pour la . Icône Haut
  2. Al­lu­sion à la lé­gende qui veut que Cang Jie (倉頡) ait in­venté les ca­rac­tères en ob­ser­vant des em­preintes d’oiseaux dans la boue. Icône Haut

Izumi-shikibu, « Poèmes de Cour »

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit d’ 1, femme sen­suelle, aussi vo­lage que belle, et qui avait mé­prisé les conve­nances de la Cour ja­po­naise, au point de cho­quer un en­tou­rage qui pour­tant, en fait de li­ber­ti­nage, n’avait pas beau­coup à ap­prendre (Xe-XIe siècle). Nom­breux étaient les contem­po­rains qui la te­naient pour le meilleur poète du ; la de la pos­té­rité, elle, n’a re­tenu que la liste de ses es­clandres amou­reux. Le poème qui suit, le plus cé­lèbre de tout le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» («Izumi-shi­kibu shû» 2), n’a pas peu contri­bué à éta­blir la fâ­cheuse ré­pu­ta­tion de son au­teur par la de la pas­sion qu’il tra­hit :

«Lorsque je pleu­rais
In­dif­fé­rente au désordre
De mes che­veux
Ce­lui qui les dé­mê­lait
Ah! com­bien je l’ai aimé
» 3.

Ce­pen­dant, il n’y a dans le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» ni or­dure ni obs­cé­nité, non plus que, d’une fa­çon gé­né­rale, dans la lit­té­ra­ture de l’époque de Heian. La est presque in­va­ria­ble­ment dé­cente, voire raf­fi­née, et on y ren­con­tre­rait dif­fi­ci­le­ment un vers propre à faire mon­ter le rouge au front d’une jeune fille. «L’égale de Mu­ra­saki et de Sei-shô­na­gon par la science et le ta­lent, Izumi est de plus une ar­dente, une pas­sion­née; elle n’écrit pas seule­ment pour mé­dire ou pour conter, mais pour cal­mer son , dis­traire sa pas­sion et conser­ver le d’un trop court », dit le mar­quis An­toine de La Ma­ze­lière

  1. En 和泉式部. Au­tre­fois trans­crit Izoumi Shi­ki­bou, Id­zoumi Si­ki­bou ou Izumi Ši­kibu. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部集». Au­tre­fois trans­crit «Izumi Ši­kubu šú». Icône Haut
  1. «Poèmes; tra­duit du ja­po­nais par », p. 111. Icône Haut

Izumi-shikibu, « Poèmes »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Poètes du Japon-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. du -Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit d’ 1, femme sen­suelle, aussi vo­lage que belle, et qui avait mé­prisé les conve­nances de la Cour ja­po­naise, au point de cho­quer un en­tou­rage qui pour­tant, en fait de li­ber­ti­nage, n’avait pas beau­coup à ap­prendre (Xe-XIe siècle). Nom­breux étaient les contem­po­rains qui la te­naient pour le meilleur poète du ; la de la pos­té­rité, elle, n’a re­tenu que la liste de ses es­clandres amou­reux. Le poème qui suit, le plus cé­lèbre de tout le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» («Izumi-shi­kibu shû» 2), n’a pas peu contri­bué à éta­blir la fâ­cheuse ré­pu­ta­tion de son au­teur par la de la pas­sion qu’il tra­hit :

«Lorsque je pleu­rais
In­dif­fé­rente au désordre
De mes che­veux
Ce­lui qui les dé­mê­lait
Ah! com­bien je l’ai aimé
» 3.

Ce­pen­dant, il n’y a dans le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» ni or­dure ni obs­cé­nité, non plus que, d’une fa­çon gé­né­rale, dans la lit­té­ra­ture de l’époque de Heian. La est presque in­va­ria­ble­ment dé­cente, voire raf­fi­née, et on y ren­con­tre­rait dif­fi­ci­le­ment un vers propre à faire mon­ter le rouge au front d’une jeune fille. «L’égale de Mu­ra­saki et de Sei-shô­na­gon par la science et le ta­lent, Izumi est de plus une ar­dente, une pas­sion­née; elle n’écrit pas seule­ment pour mé­dire ou pour conter, mais pour cal­mer son , dis­traire sa pas­sion et conser­ver le d’un trop court », dit le mar­quis An­toine de La Ma­ze­lière

  1. En 和泉式部. Au­tre­fois trans­crit Izoumi Shi­ki­bou, Id­zoumi Si­ki­bou ou Izumi Ši­kibu. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部集». Au­tre­fois trans­crit «Izumi Ši­kubu šú». Icône Haut
  1. «Poèmes; tra­duit du ja­po­nais par », p. 111. Icône Haut

« Chants de palefreniers, “Saïbara” »

éd. Publications orientalistes de France, coll. D’étranges pays-Poèmes, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. D’étranges pays-Poèmes, Pa­ris

Il s’agit des «Sai­bara» 1Chants de pa­le­fre­niers»). Ce genre est men­tionné pour la pre­mière fois dans les «Chro­niques vé­ri­diques des trois ères» («Ni­hon san­dai jit­su­roku» 2), au cha­pitre re­la­tif à l’année 859 apr. J.-C. Il y est dit que la prin­cesse Hi­roi, morte cette an­née-là, était fort cé­lèbre à l’époque de sa pour ses in­ter­pré­ta­tions de «Sai­bara». Jusqu’à nos jours, les phi­lo­logues ja­po­nais ont pro­posé une di­zaine d’explications pos­sibles pour ce terme, noté à l’aide de trois ca­rac­tères dont le sens lit­té­ral est «airs pour en­cou­ra­ger les che­vaux». Se­lon l’ tra­di­tion­nelle 3, il s’agirait de po­pu­laires que les pa­le­fre­niers chan­taient en me­nant à la ca­pi­tale les bêtes de somme. D’autres es­timent que ce nom ne fait que tra­duire l’esprit de la pre­mière chan­son du re­cueil, in­ti­tu­lée pré­ci­sé­ment : «Va, mon cour­sier». En­fin, tout ré­cem­ment, M. Usuda Jin­gorô dé­cou­vrait, dans un do­cu­ment conservé à la bi­blio­thèque de la Mai­son Im­pé­riale, la preuve de l’ d’une mé­lo­die d’origine chi­noise, aujourd’hui per­due, dont le titre «Sai­ba­raku» s’écrivait au moyen des mêmes idéo­grammes. En tout cas, l’on se convain­cra ai­sé­ment, à la simple lec­ture, qu’il s’agit bien de chan­sons po­pu­laires, res­pi­rant l’humeur en­jouée et la naï­veté un peu grasse et bon en­fant de l’ pay­sanne. Cu­rieu­se­ment, ces chan­sons ont connu leur vogue au­tour de l’an 1000 apr. J.-C., c’est-à-dire à l’apogée de cette Cour raf­fi­née qui a fait naître no­tam­ment le «Dit du genji», le chef-d’œuvre in­égalé des lettres ja­po­naises. Les de ce dit chantent des «Sai­bara» en toute oc­ca­sion : lors des of­fi­ciels du , aussi bien qu’en privé; ils les fre­donnent en dé­am­bu­lant par les cou­loirs, et en usent, hommes et , comme d’un convenu pour leurs échanges épis­to­laires. Mieux en­core : quatre cha­pitres de ce dit — «La Branche du pru­nier» (ch. XXXII), «La Ri­vière aux bam­bous» (ch. XLIV), «Les Che­veux noués» (ch. XLVII) et «Le Pa­villon» (ch. L) — em­pruntent leurs titres mêmes à des chan­sons po­pu­laires de ce genre. «L’on pour­rait croire», dit très bien M. , «que tous ces princes et cour­ti­sans, sou­mis per­pé­tuel­le­ment au car­can d’une éti­quette mé­ti­cu­leuse, trou­vaient dans l’allégresse qui anime la presque to­ta­lité de ces chan­sons… un exu­toire aux contraintes d’une ré­glée dans ses moindres dé­tails.»

  1. En ja­po­nais «催馬楽». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «日本三代実録». Icône Haut
  1. In­ter­pré­ta­tion énon­cée par Ichijô Ka­neyo­shi. Icône Haut

Murasaki-shikibu, « Poèmes »

éd. Publications orientalistes de France, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , Pa­ris

Il s’agit du «Re­cueil de » («Mu­ra­saki-shi­kibu shû» 1). Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le «Dit du genji» fait par­fois ou­blier que son au­teur était aussi comp­tée parmi les trente-six «gé­nies de la », au­tant pour les sept cent quatre-vingt-qua­torze poèmes qu’elle at­tri­bue aux de son , que pour ceux, plus per­son­nels, que contient son «Re­cueil».

«Il m’est ar­rivé par­fois de res­ter as­sise parmi [les autres dames de la Cour], com­plè­te­ment désem­pa­rée. Ce n’est point tant que je crai­gnisse la mé­di­sance, mais ex­cé­dée, je fi­nis­sais par avoir l’air tout à fait éga­rée, ce qui fait que l’une après l’autre main­te­nant me dit : “Vous ca­chiez bien votre jeu! Quand tout le vous dé­tes­tait, di­sant et pen­sant que vous étiez ma­nié­rée, dis­tante, d’un abord peu amène, im­bue de vos dits, pré­ten­tieuse et fé­rue de poé­sie… voici qu’on vous trouve étran­ge­ment bonne per­sonne, à croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre!”» 2 Tel est l’un des seuls pas­sages de son «Jour­nal» où la dame Mu­ra­saki-shi­kibu rap­porte des pro­pos sur son propre compte. C’est un pas­sage ré­vé­la­teur. «Femme d’une ren­fer­mée» 3, elle était convain­cue que les gens ne la com­pre­naient pas. Elle pre­nait peu de plai­sir au de la et elle avait la ré­pu­ta­tion, as­sez ex­cep­tion­nelle dans son cercle, d’être prude.

  1. En «紫式部集». Icône Haut
  2. «Jour­nal; tra­duit du ja­po­nais par », p. 101. Icône Haut
  1. id. p. 93. Icône Haut

Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome II. Impermanence »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Dit du genji» («Genji mo­no­ga­tari» 1) de la dame  2, qui marque le som­met le plus haut at­teint par la lit­té­ra­ture ja­po­naise. «De tous les du , le “Dit du genji” est de loin le plus pré­cieux.» 3 On sup­pose que ce ro­man mo­nu­men­tal fut com­posé vers 1004 apr. J.-C. Une jo­lie lé­gende as­so­cie sa com­po­si­tion au d’Ishiyama 4, à l’extrémité mé­ri­dio­nale du lac Biwa. En ce site di­vin, la dame Mu­ra­saki-shi­kibu se re­tira, dit-on, loin de la Cour : chaque , ac­cou­dée à sa table, elle contem­plait le lac Biwa dont la nappe ar­gen­tée ré­flé­chis­sait la lune étin­ce­lante et, la des choses en­trant dans son cœur, elle écri­vait, d’un pin­ceau tran­quille et ins­piré, ses plus belles pages. Aujourd’hui en­core, si vous vi­si­tez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous mon­tre­ront la chambre où le «Dit du genji» fut écrit, et l’encrier même dont la ro­man­cière se ser­vit — preuves qui, si elles ne sa­tis­font pas les ri­gou­reux, sont bien suf­fi­santes pour convaincre les vi­si­teurs or­di­naires. «Le “Dit du genji” est une chose in­ex­pli­cable», dit un Em­pe­reur  5. «Il ne peut être l’ouvrage d’une per­sonne or­di­naire.» Com­ment, en ef­fet, ex­pli­quer ce chef-d’œuvre com­plexe où, sur un fond d’exquises ob­ser­va­tions em­prun­tées à tout ce que la ga­lante de la Cour, les brillantes du , les ren­contres in­times entre et dames, mais aussi les ri­vages de l’ ou la re­li­gieuse d’un er­mi­tage, peuvent of­frir de plus char­mant à une ro­man­cière, on voit se dé­ta­cher une constel­la­tion de quelque trois cents , dont l’ est as­su­rée par la pré­sence cen­trale d’un Juan au cœur sen­sible — le «genji» 6? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces per­son­nages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mu­tuel­le­ment leurs ? Quoi qu’il en soit, conve­nons avec M.  7 «qu’il s’agit là… du ro­man psy­cho­lo­gique le plus éton­nant, par sa sub­ti­lité et sa pé­né­tra­tion, qui ait ja­mais été écrit dans au­cune ».

  1. En ja­po­nais «源氏物語». Au­tre­fois trans­crit «Gen-zi mono-ga­tari», «Ghenzi mo­no­ga­tari», «Guendji mo­no­ga­tari», «Ghenndji mo­no­gha­tari», «Guenji-mo­no­ga­tari», «Ghennji mo­no­ga­tari» ou «Ghén’ji-monogatari». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 紫式部. Au­tre­fois trans­crit Mou­ra­saki Chi­ki­bou, Mou­ra­çaki Shi­ki­bou ou Mou­ra­saki Si­ki­bou. Icône Haut
  3. Ichijô Ka­neyo­shi, «Ka­chô yo­sei» («Images de et d’»), in­édit en . Icône Haut
  4. En ja­po­nais 石山寺. Icône Haut
  1. L’Empereur Jun­toku. Icône Haut
  2. «Genji» est un titre ho­no­ri­fique ac­cordé à un fils ou à une fille d’Empereur à qui est re­fu­sée la qua­lité d’héritier ou d’héritière. Icône Haut
  3. Dans Phi­lippe Pons, «“Le Dit du genji”, un fleuve sans fin : un en­tre­tien». Icône Haut

Murasaki-shikibu, « Le Dit du genji. Tome I. Magnificence »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Dit du genji» («Genji mo­no­ga­tari» 1) de la dame  2, qui marque le som­met le plus haut at­teint par la lit­té­ra­ture ja­po­naise. «De tous les du , le “Dit du genji” est de loin le plus pré­cieux.» 3 On sup­pose que ce ro­man mo­nu­men­tal fut com­posé vers 1004 apr. J.-C. Une jo­lie lé­gende as­so­cie sa com­po­si­tion au d’Ishiyama 4, à l’extrémité mé­ri­dio­nale du lac Biwa. En ce site di­vin, la dame Mu­ra­saki-shi­kibu se re­tira, dit-on, loin de la Cour : chaque , ac­cou­dée à sa table, elle contem­plait le lac Biwa dont la nappe ar­gen­tée ré­flé­chis­sait la lune étin­ce­lante et, la des choses en­trant dans son cœur, elle écri­vait, d’un pin­ceau tran­quille et ins­piré, ses plus belles pages. Aujourd’hui en­core, si vous vi­si­tez le temple d’Ishiyama, les bonzes vous mon­tre­ront la chambre où le «Dit du genji» fut écrit, et l’encrier même dont la ro­man­cière se ser­vit — preuves qui, si elles ne sa­tis­font pas les ri­gou­reux, sont bien suf­fi­santes pour convaincre les vi­si­teurs or­di­naires. «Le “Dit du genji” est une chose in­ex­pli­cable», dit un Em­pe­reur  5. «Il ne peut être l’ouvrage d’une per­sonne or­di­naire.» Com­ment, en ef­fet, ex­pli­quer ce chef-d’œuvre com­plexe où, sur un fond d’exquises ob­ser­va­tions em­prun­tées à tout ce que la ga­lante de la Cour, les brillantes du , les ren­contres in­times entre et dames, mais aussi les ri­vages de l’ ou la re­li­gieuse d’un er­mi­tage, peuvent of­frir de plus char­mant à une ro­man­cière, on voit se dé­ta­cher une constel­la­tion de quelque trois cents , dont l’ est as­su­rée par la pré­sence cen­trale d’un Juan au cœur sen­sible — le «genji» 6? Et que dire des quelque huit cents poèmes que ces per­son­nages s’envoient les uns aux autres sous forme de billets pour se confier mu­tuel­le­ment leurs ? Quoi qu’il en soit, conve­nons avec M.  7 «qu’il s’agit là… du ro­man psy­cho­lo­gique le plus éton­nant, par sa sub­ti­lité et sa pé­né­tra­tion, qui ait ja­mais été écrit dans au­cune ».

  1. En ja­po­nais «源氏物語». Au­tre­fois trans­crit «Gen-zi mono-ga­tari», «Ghenzi mo­no­ga­tari», «Guendji mo­no­ga­tari», «Ghenndji mo­no­gha­tari», «Guenji-mo­no­ga­tari», «Ghennji mo­no­ga­tari» ou «Ghén’ji-monogatari». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 紫式部. Au­tre­fois trans­crit Mou­ra­saki Chi­ki­bou, Mou­ra­çaki Shi­ki­bou ou Mou­ra­saki Si­ki­bou. Icône Haut
  3. Ichijô Ka­neyo­shi, «Ka­chô yo­sei» («Images de et d’»), in­édit en . Icône Haut
  4. En ja­po­nais 石山寺. Icône Haut
  1. L’Empereur Jun­toku. Icône Haut
  2. «Genji» est un titre ho­no­ri­fique ac­cordé à un fils ou à une fille d’Empereur à qui est re­fu­sée la qua­lité d’héritier ou d’héritière. Icône Haut
  3. Dans Phi­lippe Pons, «“Le Dit du genji”, un fleuve sans fin : un en­tre­tien». Icône Haut

« Contes d’Ise, “Ise monogatari” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion de l’«Ise mo­no­ga­tari» 1Ré­cits d’Ise»). Ce re­cueil de cent vingt-cinq est le ré­sul­tat d’une ac­ti­vité très re­mar­quable à la­quelle les se li­vraient au­tre­fois (Xe siècle apr. J.-C.), la­quelle consis­tait à si­tuer tel ou tel poème, en en don­nant l’, en en fai­sant connaître la des­ti­na­tion, le but, l’humeur, en in­di­quant en un mot toutes les cir­cons­tances de sa com­po­si­tion, quitte à en­jo­li­ver, à in­ven­ter. En ce -là, la fai­sait bel et bien par­tie de l’art du quo­ti­dien. Que ce fût pour en­voyer un ca­deau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conver­sa­tion, pour ex­pri­mer des condo­léances ou en­core une prière aux , tout le avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. «Mais quand tout le monde est poète», dit M.  2, «les bons n’en sont que plus rares et que plus pri­sés, et l’on ne man­quera pas de guet­ter et de re­le­ver la moindre de qui­conque se sera fait une ré­pu­ta­tion en la . Et sur­tout, l’on se dé­lec­tera à en par­ler, à se ré­pé­ter et à com­men­ter l’histoire de chaque poème.» Dès l’ «Man-yô-shû», les vers étaient in­sé­pa­rables d’une en prose, qui les si­tuait. Il suf­fi­sait d’agrandir cette nar­ra­tion, d’en soi­gner la forme, d’en faire un conte ou une ga­lante, par exemple, pour ob­te­nir un genre nou­veau : l’«uta-mo­no­ga­tari» 3 (le «ré­cit cen­tré au­tour d’un poème»). C’est pré­ci­sé­ment cette tra­di­tion de l’«uta-mo­no­ga­tari» qui at­teint sa dans le «Ya­mato mo­no­ga­tari» et dans l’«Ise mo­no­ga­tari». Un siècle plus tard, le mé­lange de cette tra­di­tion avec celle du abou­tira, sous le pin­ceau de la dame , au som­met le plus haut at­teint par la  : le «Dit du genji».

  1. En ja­po­nais «伊勢物語». Au­tre­fois trans­crit «Icé mo­no­ga­tari» ou «Içé mo­no­ga­tari». Icône Haut
  2. «Pré­face aux de Ya­mato”», p. 10. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 歌物語. Au­tre­fois trans­crit «ou­ta­mo­no­ga­tari». Icône Haut

« Contes de Yamato »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Contes et Romans du Moyen Âge-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. et Ro­mans du -Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion du «Ya­mato mo­no­ga­tari» 1Ré­cits de Ya­mato»). Ce re­cueil de cent soixante-treize est le ré­sul­tat d’une ac­ti­vité très re­mar­quable à la­quelle les se li­vraient au­tre­fois (Xe siècle apr. J.-C.), la­quelle consis­tait à si­tuer tel ou tel poème, en en don­nant l’, en en fai­sant connaître la des­ti­na­tion, le but, l’humeur, en in­di­quant en un mot toutes les cir­cons­tances de sa com­po­si­tion, quitte à en­jo­li­ver, à in­ven­ter. En ce -là, la fai­sait bel et bien par­tie de l’art du quo­ti­dien. Que ce fût pour en­voyer un ca­deau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conver­sa­tion, pour ex­pri­mer des condo­léances ou en­core une prière aux , tout le avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. «Mais quand tout le monde est poète», dit M.  2, «les bons n’en sont que plus rares et que plus pri­sés, et l’on ne man­quera pas de guet­ter et de re­le­ver la moindre de qui­conque se sera fait une ré­pu­ta­tion en la . Et sur­tout, l’on se dé­lec­tera à en par­ler, à se ré­pé­ter et à com­men­ter l’histoire de chaque poème.» Dès l’ «Man-yô-shû», les vers étaient in­sé­pa­rables d’une en prose, qui les si­tuait. Il suf­fi­sait d’agrandir cette nar­ra­tion, d’en soi­gner la forme, d’en faire un conte ou une ga­lante, par exemple, pour ob­te­nir un genre nou­veau : l’«uta-mo­no­ga­tari» 3 (le «ré­cit cen­tré au­tour d’un poème»). C’est pré­ci­sé­ment cette tra­di­tion de l’«uta-mo­no­ga­tari» qui at­teint sa dans le «Ya­mato mo­no­ga­tari» et dans l’«Ise mo­no­ga­tari». Un siècle plus tard, le mé­lange de cette tra­di­tion avec celle du abou­tira, sous le pin­ceau de la dame , au som­met le plus haut at­teint par la lit­té­ra­ture ja­po­naise : le «Dit du genji».

  1. En ja­po­nais «大和物語». Icône Haut
  2. p. 10. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 歌物語. Au­tre­fois trans­crit «ou­ta­mo­no­ga­tari». Icône Haut