Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
relations extérieures
Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome I »
Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Faxian, « Mémoire sur les pays bouddhiques »
Il s’agit du « Mémoire sur les pays bouddhiques » 1 (« Fo guo ji » 2) de Faxian 3. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 4. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 5 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- Autrefois traduit « Relation des royaumes bouddhiques ».
- En chinois « 佛國記 ». Autrefois transcrit « Foĕ kouĕ ki », « Foe kue ki », « Fo kouo ki » ou « Fo kuo chi ». Également connu sous le titre de « 法顯傳 » (« Fa xian zhuan »), c’est-à-dire « Biographie de Faxian ». Autrefois transcrit « Fa-hien-tch’ouen », « Fa-hien tchouan » ou « Fa-hsien chuan ».
- En chinois 法顯. Parfois transcrit Fă Hian, Fah-hiyan, Fa-hein, Fa-hien ou Fa-hsien.
- Dans Lévy, « Les Pèlerins chinois en Inde ».
- Yijing.
Huili et Yancong, « Histoire de la vie de Xuanzang et de ses voyages dans l’Inde, depuis l’an 629 jusqu’en 645 »
Il s’agit de la « Biographie de Xuanzang », ou littéralement « Biographie du Maître des Trois Corbeilles de la Loi du monastère de la Grande Bienveillance » 1 (« Da ci en si san zang fa shi zhuan » 2) de Huili 3 et Yancong 4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- Autrefois traduit « Histoire de la vie de Hiouen-thsang », « Histoire du Maître de la Loi des Trois Corbeilles du couvent de la Grande Bienfaisance », « La Vie de Maître Sanzang du monastère de la Grande Bienveillance », « Biographie du Maître Tripiṭaka du temple de la Grande Compassion » ou « Biographie du Maître de la Loi des Trois Corbeilles du monastère de la Grande Compassion ».
- En chinois « 大慈恩寺三藏法師傳 ». Autrefois transcrit « Ta-ts’e-’en-sse-san-thsang-fa-sse-tch’ouen », « Ta-ts’eu-ngen-sseu san-tsang fa-che tchouan », « Ta-tz’u-en-szu san-tsang fa-shih chuan » ou « Ta-tz’u-en-ssu san-tsang fa-shih chuan ». Également connu sous le titre allongé de « 大唐大慈恩寺三藏法師傳 » (« Da Tang da ci en si san zang fa shi zhuan »), c’est-à-dire « Biographie du Maître des Trois Corbeilles de la Loi résidant au monastère de la Grande Bienveillance à l’époque des grands Tang ».
- En chinois 慧立. Parfois transcrit Hoeï-li, Houei-li, Kwui Li ou Hwui-li.
- En chinois 彥悰. Parfois transcrit Yen-thsang, Yen-thsong, Yen-ts’ong ou Yen Ts’ung.
- Dans Lévy, « Les Pèlerins chinois en Inde ».
- Yijing.
Xuanzang, « Mémoires sur les contrées occidentales. Tome II. Livres IX à XII »
Il s’agit des « Mémoires sur les contrées de l’Ouest 1 à l’époque des grands Tang » 2 (« Da Tang xi yu ji » 3) de Xuanzang 4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- L’Asie centrale et l’Inde, situées à l’Ouest de l’Empire chinois.
- Autrefois traduit « Mémoires sur les contrées occidentales, composés sous la dynastie des grands Thang ».
- En chinois « 大唐西域記 ». Autrefois transcrit « Ta-Thang-si-yu-ki », « Ta-Thang-hsi-yu-tchi » ou « Ta T’ang hsi-yü chi ». Également connu sous le titre abrégé de « 西域記 ». Autrefois transcrit « Hsi-yü-chih ».
- En chinois 玄奘. Parfois transcrit Hiuen-tchoang, Hiuen Tsiang, Hiouen-thsang, Hiuan-tsang, Hsuang-tsang, Hsüan-tsang, Hwen Thsang, Hüan Chwang, Yuan Chwang ou Zuanzang.
- Dans Lévy, « Les Pèlerins chinois en Inde ».
- Yijing.
Xuanzang, « Mémoires sur les contrées occidentales. Tome I. Livres I à VIII »
Il s’agit des « Mémoires sur les contrées de l’Ouest 1 à l’époque des grands Tang » 2 (« Da Tang xi yu ji » 3) de Xuanzang 4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- L’Asie centrale et l’Inde, situées à l’Ouest de l’Empire chinois.
- Autrefois traduit « Mémoires sur les contrées occidentales, composés sous la dynastie des grands Thang ».
- En chinois « 大唐西域記 ». Autrefois transcrit « Ta-Thang-si-yu-ki », « Ta-Thang-hsi-yu-tchi » ou « Ta T’ang hsi-yü chi ». Également connu sous le titre abrégé de « 西域記 ». Autrefois transcrit « Hsi-yü-chih ».
- En chinois 玄奘. Parfois transcrit Hiuen-tchoang, Hiuen Tsiang, Hiouen-thsang, Hiuan-tsang, Hsuang-tsang, Hsüan-tsang, Hwen Thsang, Hüan Chwang, Yuan Chwang ou Zuanzang.
- Dans Lévy, « Les Pèlerins chinois en Inde ».
- Yijing.
« Deux Chapitres extraits des mémoires de Yijing sur son voyage dans l’Inde »
Il s’agit d’une traduction partielle de la « Relation sur le bouddhisme, envoyée des mers du Sud » 1 (« Nan hai ji gui nei fa zhuan » 2) de Yijing 3. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 4. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 5 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- Autrefois traduit « Histoire de la loi intérieure, envoyée de la mer du Sud » ou « Mémoire sur la loi intérieure, envoyé des mers du Sud ».
- En chinois « 南海寄歸內法傳 ». Autrefois transcrit « Nan-haï-khi-koueï-neï-fa-tch’ouen », « Nan hai ki kouei nei fa tchouan », « Nan-hai-ki-koei-nei-fa-tchoan » ou « Nan-hai-chi-kuei-nai-fa-ch’uan ».
- En chinois 義淨. Parfois transcrit I-tsing, Yi-tsing, Y-tsing, I-tshing, Yi Ching ou I-ching.
Yijing, « Mémoire composé à l’époque de la grande dynastie T’ang sur les religieux éminents qui allèrent chercher la Loi dans les pays d’Occident »
Il s’agit de la « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest 1 à l’époque des grands Tang » 2 (« Da Tang xi yu qiu fa gao seng zhuan » 3) de Yijing 4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- L’Asie centrale et l’Inde, situées à l’Ouest de l’Empire chinois.
- Autrefois traduit « Récit de l’éminent moine T’ang qui voyagea vers la région occidentale en quête de la Loi » ou « Mémoire composé à l’époque de la grande dynastie T’ang sur les religieux éminents qui allèrent chercher la Loi dans les pays d’Occident ».
- En chinois « 大唐西域求法高僧傳 ». Autrefois transcrit « Ta-T’ang-si-yu-k’ieou-fa-kao-seng-tchoan », « Ta T’ang si yu k’ieou fa kao seng tchouan » ou « Ta T’ang hsi-yü ch’iu-fa kao-sêng ch’uan ». Également connu sous le titre abrégé de « 求法高僧傳 ». Autrefois transcrit « Khieou-fa-kao-seng-tch’ouen », « Kieou-fa-kao-seng-tchuen » ou « Kau-fa-kao-sang-chuen ».
Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Volume IV (1714-1715) »
éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain
Il s’agit du « Journal » d’Antoine Galland, orientaliste et numismate français (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui modifièrent le plus l’imagination littéraire, sinon profondément, du moins dans la fantaisie, je veux dire les « Mille et une Nuits ». Toute sa vie, Galland vécut seul, presque sans autres amis que ses livres — les seuls qui ne le déçurent jamais. Savant de premier ordre, il s’attachait à étudier les langues orientales et les médailles antiques, propres à jeter quelque lumière — si infime fût-elle — sur les annales du passé. Voyageur, il cherchait les traits négligés par ses devanciers. Souvent heureux dans ses recherches, simple et laborieux, il était, cependant, d’une certaine humeur dans la lecture de ses contemporains, qu’il ne pouvait souffrir d’y voir imprimées des erreurs sans prendre la plume pour les corriger. « J’y trouvai », écrit-il au sujet d’un livre 1, « des explications si fort hors du bon sens, que je fus contraint de cesser la lecture pour la reprendre le matin, de crainte que je n’en puisse dormir. Mais je fus plus d’une heure et demie à m’endormir, nonobstant les efforts que je pus faire pour chasser de mon esprit ces extravagances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se faisait néanmoins assez connaître ». Ses écrits restèrent toujours, pour le nombre et l’importance, au-dessous de son érudition. Un jour, il eut une discussion très vive à l’Académie des inscriptions ; dans une de ses répliques, on remarque ce passage qui montre l’étendue de son activité inlassable et sa haute rigueur : « Pythagore ne demandait à ses disciples que sept ans de silence pour s’instruire des principes de la philosophie avant que d’en écrire ou d’en vouloir juger. Sans que personne l’eût exigé, j’ai gardé un silence plus rigide et plus long dans l’étude des médailles. Ce silence a été de trente années. Pendant tout ce temps-là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres habiles, de lire et d’examiner leurs ouvrages ; j’ai encore manié et déchiffré plusieurs milliers de médailles grecques et latines, tant en France qu’en Syrie et en Palestine, à Smyrne, à Constantinople, à Alexandrie et dans les îles de l’Archipel »
Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Tome III (1712-1713) »
éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain
Il s’agit du « Journal » d’Antoine Galland, orientaliste et numismate français (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui modifièrent le plus l’imagination littéraire, sinon profondément, du moins dans la fantaisie, je veux dire les « Mille et une Nuits ». Toute sa vie, Galland vécut seul, presque sans autres amis que ses livres — les seuls qui ne le déçurent jamais. Savant de premier ordre, il s’attachait à étudier les langues orientales et les médailles antiques, propres à jeter quelque lumière — si infime fût-elle — sur les annales du passé. Voyageur, il cherchait les traits négligés par ses devanciers. Souvent heureux dans ses recherches, simple et laborieux, il était, cependant, d’une certaine humeur dans la lecture de ses contemporains, qu’il ne pouvait souffrir d’y voir imprimées des erreurs sans prendre la plume pour les corriger. « J’y trouvai », écrit-il au sujet d’un livre 1, « des explications si fort hors du bon sens, que je fus contraint de cesser la lecture pour la reprendre le matin, de crainte que je n’en puisse dormir. Mais je fus plus d’une heure et demie à m’endormir, nonobstant les efforts que je pus faire pour chasser de mon esprit ces extravagances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se faisait néanmoins assez connaître ». Ses écrits restèrent toujours, pour le nombre et l’importance, au-dessous de son érudition. Un jour, il eut une discussion très vive à l’Académie des inscriptions ; dans une de ses répliques, on remarque ce passage qui montre l’étendue de son activité inlassable et sa haute rigueur : « Pythagore ne demandait à ses disciples que sept ans de silence pour s’instruire des principes de la philosophie avant que d’en écrire ou d’en vouloir juger. Sans que personne l’eût exigé, j’ai gardé un silence plus rigide et plus long dans l’étude des médailles. Ce silence a été de trente années. Pendant tout ce temps-là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres habiles, de lire et d’examiner leurs ouvrages ; j’ai encore manié et déchiffré plusieurs milliers de médailles grecques et latines, tant en France qu’en Syrie et en Palestine, à Smyrne, à Constantinople, à Alexandrie et dans les îles de l’Archipel »
Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Tome II (1710-1711) »
éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain
Il s’agit du « Journal » d’Antoine Galland, orientaliste et numismate français (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui modifièrent le plus l’imagination littéraire, sinon profondément, du moins dans la fantaisie, je veux dire les « Mille et une Nuits ». Toute sa vie, Galland vécut seul, presque sans autres amis que ses livres — les seuls qui ne le déçurent jamais. Savant de premier ordre, il s’attachait à étudier les langues orientales et les médailles antiques, propres à jeter quelque lumière — si infime fût-elle — sur les annales du passé. Voyageur, il cherchait les traits négligés par ses devanciers. Souvent heureux dans ses recherches, simple et laborieux, il était, cependant, d’une certaine humeur dans la lecture de ses contemporains, qu’il ne pouvait souffrir d’y voir imprimées des erreurs sans prendre la plume pour les corriger. « J’y trouvai », écrit-il au sujet d’un livre 1, « des explications si fort hors du bon sens, que je fus contraint de cesser la lecture pour la reprendre le matin, de crainte que je n’en puisse dormir. Mais je fus plus d’une heure et demie à m’endormir, nonobstant les efforts que je pus faire pour chasser de mon esprit ces extravagances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se faisait néanmoins assez connaître ». Ses écrits restèrent toujours, pour le nombre et l’importance, au-dessous de son érudition. Un jour, il eut une discussion très vive à l’Académie des inscriptions ; dans une de ses répliques, on remarque ce passage qui montre l’étendue de son activité inlassable et sa haute rigueur : « Pythagore ne demandait à ses disciples que sept ans de silence pour s’instruire des principes de la philosophie avant que d’en écrire ou d’en vouloir juger. Sans que personne l’eût exigé, j’ai gardé un silence plus rigide et plus long dans l’étude des médailles. Ce silence a été de trente années. Pendant tout ce temps-là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres habiles, de lire et d’examiner leurs ouvrages ; j’ai encore manié et déchiffré plusieurs milliers de médailles grecques et latines, tant en France qu’en Syrie et en Palestine, à Smyrne, à Constantinople, à Alexandrie et dans les îles de l’Archipel »
Gontcharov, « La Frégate “Pallas” »
éd. L’Âge d’homme, coll. Classiques slaves, Lausanne
Il s’agit de « La Frégate “Pallas” » (« Fregat “Pallada” » 1), une série de lettres et d’impressions écrites par Ivan Gontcharov pendant son voyage autour du monde (1852-1855). À la grande surprise de ses amis qui le savaient le plus casanier des hommes, Gontcharov accepta de fuir l’horizon gris et poussiéreux de Saint-Pétersbourg, et de rejoindre un voyage diplomatique visant à devancer les Anglo-Saxons en ouvrant l’Extrême-Orient au commerce russe. Le père d’« Oblomov », le romancier de la paresse, de la nonchalance congénitale, le campagnard « né au milieu des terres et n’ayant jamais vu la mer » 2, le voilà donc à bord d’une frégate prête à lever l’ancre ! Ce voyage inattendu était en fait la réalisation d’un vieux rêve, inspiré par les récits de marins entendus dans son enfance ; c’était aussi une sorte de coup de tête, le premier et le dernier qu’on connaisse à l’actif de Gontcharov. Lui-même, une fois que la frégate eut quitté le port, s’étonna de son audace et mesura enfin l’énormité de son entreprise. Il se sentit faiblir et pensa déjà au retour, assailli de mille appréhensions : le mal de mer, les climats tropicaux, les fièvres malignes, les tempêtes… Ah, les tempêtes ! « Je me réveillais », dit-il 3, « tremblant et en sueur ; car un navire, après tout, aussi solide soit-il, aussi adapté à son élément, qu’est-ce d’autre qu’un morceau de bois, une corbeille sur l’eau… ? » Puis, tant bien que mal, il put se persuader que l’homme moderne avait diminué les incertitudes des voyages et les dangers qui les accompagnaient. On n’était plus aux temps où Colomb et Vasco de Gama, du pont de leur navire, leur figure tournée vers le large, tentaient de sonder le mystère étendu devant leurs yeux. « L’homme de lettres qui voyage [aujourd’hui], bâille mollement ; regarde l’océan sans bornes avec indolence ; se demande s’il y a de bons hôtels au Brésil, des blanchisseuses sur les îles Sandwich, ou comment se rendre en Australie », dit Gontcharov. Et il conclut : « Les parties du monde se rapprochent : d’Europe en Amérique, il n’y a qu’un pas [grâce aux] progrès gigantesques de la navigation. Pressons-nous donc de nous mettre en route ; car la poésie des lointains voyages disparaît non de jour en jour, mais d’heure en heure ! Peut-être sommes-nous les derniers grands voyageurs au sens où l’étaient les Argonautes »
Hô Chi Minh (Nguyên Ai Quôc), « Le Procès de la colonisation française et Autres Textes de jeunesse »
éd. Le Temps des cerises, Pantin
Il s’agit du « Procès de la colonisation française », des « Revendications du peuple annamite » et autres textes de jeunesse d’Hô Chi Minh 1. Ainsi que l’a remarqué un biographe d’Hô Chi Minh 2, « tout ce qui touche à la vie du futur président de la République démocratique du Viêt-nam jusqu’en 1941 est fragmentaire, approximatif, controversé ». À ce jour, aucune étude systématique n’a été entreprise, aucune publication exhaustive n’a été faite sur la période parisienne du célèbre révolutionnaire vietnamien, période pourtant décisive en ce qui concerne sa formation idéologique — la vie dans un entresol de la rue du Marché-des-Patriarches, la fréquentation assidue de la Bibliothèque nationale, « où il s’installait de 10 à 17 heures, presque chaque jour » 3, les meetings guettés par la police, les articles pour « L’Humanité », « La Revue communiste », « Le Libertaire », etc., enfin, la fondation du « Paria », journal anticolonialiste, dont il fut à la fois le directeur et le plus fécond des contributeurs 4. Les dates mêmes de cette période sont pleines d’obscurités, si étrange que cela puisse paraître, s’agissant d’une des personnalités les plus en vue de tout le XXe siècle. Rejoignit-il Paris en 1917, comme le supposent la plupart de ses biographes, ou en 1919, année de ses premiers articles signés ? En tout cas, la première révélation qu’il eut en arrivant, c’est qu’en France aussi il y avait des ouvriers exploités — des gens qui pouvaient prendre parti pour le peuple vietnamien. C’est là que lui vint à l’esprit cette image de la sangsue capitaliste, si fameuse depuis « Le Procès » : « Le capitalisme est une sangsue ayant une ventouse appliquée sur le prolétariat de la métropole, et une autre sur le prolétariat des colonies. Si l’on veut tuer la bête, on doit couper les deux ventouses à la fois ». Alors, il s’attacha aux prolétaires français par le double lien de l’intérêt et de l’affection ; et le jour où, après de longues décennies, la séparation fatale, inévitable, se fit entre les colonisateurs et les colonisés, la France perdit en lui un sujet, mais conserva un ami, un allié, un confrère. « En se réclamant de la protection du peuple français », dit Hô Chi Minh dans « Les Revendications du peuple annamite », « le peuple annamite, bien loin de s’humilier, s’honore au contraire : car il sait que le peuple français représente la liberté et la justice, et ne renoncera jamais à son sublime idéal de fraternité universelle. En conséquence, en écoutant la voix des opprimés, le peuple français fera son devoir envers la France et envers l’humanité ».
- Également connu sous le surnom de Nguyên Ai Quôc. « Nguyên, c’est le patronyme le plus répandu en Annam… ; “Ai”, le préfixe qui signifie l’affection ; “Quôc”, la patrie », dit M. Jean Lacouture. Autrefois transcrit Nguyen Ai Quac.
- M. Jean Lacouture.
- Louis Roubaud, « Viêt-nam : la tragédie indochinoise ; suivi d’autres écrits sur le colonialisme ».
- Les contributeurs du « Paria » se composaient entièrement de militants originaires des colonies, qui venaient, bénévolement, après leurs heures de travail.