Icône Mot-clef19ᵉ siècle

le capitaine Dillon, « Voyage aux îles de la mer du Sud, en 1827 et 1828, et Relation de la découverte du sort de La Pérouse. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Voyage aux de la du Sud, en 1827 et 1828» du ca­pi­taine  1 et les re­cherches, cou­ron­nées de , qu’il fit sur l’île de Va­ni­koro pour trou­ver une trace des fré­gates de La Pé­rouse. Le nom de La Pé­rouse est bien cé­lèbre, si­non au point de vue scien­ti­fique, du moins au point de vue dra­ma­tique, si j’ose dire. La Pé­rouse avait été en­voyé par Louis XVI pour un voyage de cir­cum­na­vi­ga­tion; le roi avait é l’itinéraire de sa propre main. Et par un pa­ral­lèle étrange, la tra­gique dis­pa­ri­tion du bour­lin­gueur coïn­cida, à peu de mois près, avec l’effondrement de la . La Pé­rouse pé­rit vic­time des flots ou des sau­vages; et Louis XVI — des . La lé­gende veut qu’en mon­tant sur l’échafaud le 21 jan­vier 1793, le roi ait de­mandé à ses bour­reaux : «A-t-on des nou­velles de M. de La Pé­rouse?» On sait aujourd’hui le lieu du nau­frage des deux vais­seaux de l’expédition; et c’est au ca­pi­taine Dillon, né en Mar­ti­nique, qu’appartient l’ de cette dé­cou­verte. Per­sonne ne connais­sait peut-être mieux les îles du Pa­ci­fique Sud et les cou­tumes des in­su­laires que ce ca­pi­taine che­vronné qui, pen­dant plus de vingt an­nées, avait na­vi­gué et tra­fi­qué dans ces pa­rages. Le 15 mai 1826, son na­vire de , le Saint-Pa­trick, dans sa route de Val­pa­raiso (Chili) à , passa près de l’île de Ti­ko­pia, dans l’archipel des Sa­lo­mon. Sur les pi­rogues qui vinrent l’accoster se trou­vait le Prus­sien Mar­tin Bu­shart 2 que le ca­pi­taine Dillon avait ja­dis dé­posé sur cette île, et qui lui mon­tra, au qua­trième ou cin­quième verre de rhum, la poi­gnée d’une épée qu’il avait ache­tée, une épée d’officier, sur la­quelle étaient gra­vés des ca­rac­tères. In­ter­rogé à cet égard, Bu­shart ré­pon­dit que cette épée pro­ve­nait du nau­frage de deux bâ­ti­ments, dont les dé­bris exis­taient en­core de­vant Va­ni­koro. De ce ré­cit, le ca­pi­taine Dillon in­féra que c’étaient les fré­gates de La Pé­rouse et per­suada Bu­shart à l’accompagner dans son en­quête. Ar­rivé à Cal­cutta, il fit part de ses soup­çons dans une lettre qu’il sou­mit à l’ du se­cré­taire en chef du du , Charles Lu­shing­ton. La voici 3 : «Mon­sieur, étant convaincu que vous êtes animé de l’esprit de phi­lan­thro­pie qui a tou­jours mar­qué la conduite du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, je n’ai pas be­soin d’excuse pour ap­pe­ler votre at­ten­tion sur cer­taines cir­cons­tances qui me pa­raissent re­la­tives à l’infortuné na­vi­ga­teur comte de La Pé­rouse, dont le sort est de­meuré in­connu de­puis près d’un demi-siècle…» La Com­pa­gnie des Indes orien­tales dé­cida qu’un na­vire, le Re­search, irait en­quê­ter sous les ordres du ca­pi­taine Dillon; elle af­fecta mille rou­pies à l’achat des pré­sents à faire aux in­di­gènes et plaça à bord un di­plo­mate fran­çais, Eu­gène Chai­gneau, qui consta­te­rait la dé­cou­verte.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Dillon. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Bus­sart, Bus­shardt, Bu­chart, Bu­chert et Bu­schert. Icône Haut
  1. p. 39. Icône Haut

Vigny, « Correspondance (1816-1863) »

éd. Calmann-Lévy, Paris

éd. Cal­mann-Lévy, Pa­ris

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Gogol, « Œuvres complètes »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit des «Âmes mortes» («Miort­vyïé dou­chi» 1) et autres œuvres de Ni­co­las Go­gol 2. L’un des in­for­ma­teurs du vi­comte de Vogüé pour «Le », un vieil de lettres 3, té­moi­gnant du fait que Go­gol était de­venu le mo­dèle de la prose, comme Pou­ch­kine — ce­lui de la , avait dé­claré en  : «Nous sommes tous sor­tis du “Man­teau” de Go­gol» 4. Cette for­mule a bien plu. Elle a été en­suite tra­duite par plu­sieurs jour­naux russes, tant elle est de­ve­nue connue et «la chose de tous». On connaît moins Go­gol lui-même qui, à plu­sieurs égards, était un homme privé et mys­té­rieux. On peut le dire, il y avait en lui quelque chose du dé­mon. Un pou­voir sur­na­tu­rel fai­sait étin­ce­ler ses yeux; il sem­blait par mo­ments que l’irrationnel et l’effrayant le pé­né­traient de part en part et im­pri­maient sur ses œuvres une marque in­ef­fa­çable. Si, par la suite, la s’est si­gna­lée par une cer­taine exal­ta­tion dé­ré­glée, tour­men­tée, une cer­taine contra­dic­tion in­té­rieure, une psy­chose guet­tant constam­ment, ca­chée au tour­nant; si elle a même fa­vo­risé ce type de ca­rac­tères, elle a suivi en tout cela l’exemple de Go­gol. Cet au­teur mi-russe, mi- avait une double et vi­vait dans un dé­dou­blé — le monde réel et le monde des lou­foques, ter­ri­fiants. Et non seule­ment ces deux mondes pa­ral­lèles se ren­con­traient, mais en­core ils se contor­sion­naient et se confon­daient d’une fa­çon ex­tra­va­gante dans son es­prit dé­li­rant, «comme deux pi­liers, qui se re­flètent dans l’, se livrent aux contor­sions les plus folles quand les re­mous de l’onde s’y prêtent» 5. C’est «Le Nez» («Nos» 6), ana­gramme du «Rêve» («Son» 7), où ce si par­ti­cu­lier de Go­gol s’est dé­ployé li­bre­ment pour la toute pre­mière fois. Que l’on pense au dé­but de la  : «À son im­mense stu­pé­fac­tion, il s’aperçut que la place que son nez de­vait oc­cu­per ne pré­sen­tait plus qu’une sur­face lisse! Tout alarmé, Ko­va­liov se fit ap­por­ter de l’eau et se frotta les yeux avec un es­suie-mains : le nez avait bel et bien dis­paru!» Voilà que toutes les fon­da­tions du réel va­cillent, mais le fonc­tion­naire go­go­lien est à peine conscient de ce qui lui ar­rive. Confronté à une ville ab­surde et fan­tas­ma­go­rique, un «Go­gol­grad» in­quié­tant, où le lui-même al­lume les lampes et éclaire les choses pour les mon­trer sous un as­pect illu­soire et trom­peur, ce pe­tit homme grugé, floué avance à tâ­tons dans la brume, en s’accrochant or­gueilleu­se­ment et pué­ri­le­ment à ses fonc­tions bu­reau­cra­tiques. «La ville a beau lui jouer les tours les plus pen­dables, le ber­ner ou le châ­trer mo­men­ta­né­ment, ce per­son­nage ca­mé­léo­nesque et in­si­gni­fiant ne re­nonce ja­mais à s’incruster, à s’enraciner, fût-ce dans l’inexistant. [Il] res­tera cha­touilleux sur son grade et ses pré­ro­ga­tives jusqu’à [sa] dis­so­lu­tion com­plète dans le non-être… In­changé, il ré­ap­pa­raî­tra chez un Kafka», dit très bien M. Georges Ni­vat.

  1. En russe «Мёртвые души». Par­fois trans­crit «Mjortwyje du­schi», «Mertwyja du­schi», «Mjortwye du­schi», «Mertwya du­schi», «Myort­vyye du­shi», «Miort­vyye du­shi», «Mjort­vye dusi», «Mert­vye duši», «Mèrt­vyia doû­chi», «Miort­via dou­chi», «Meurt­via dou­chi» ou «Mert­viia dou­chi». Icône Haut
  2. En russe Николай Гоголь. Par­fois trans­crit Ni­ko­laj Go­gol, Ni­ko­laï Go­gol ou Ni­co­laï Go­gol. Icône Haut
  3. Sans Dmi­tri Gri­go­ro­vitch, comme une re­marque à la page 208 du «» le laisse pen­ser : «M. Gri­go­ro­vitch, qui tient une place ho­no­rée dans les lettres…, m’a confirmé cette anec­dote». Icône Haut
  4. «Le Ro­man russe», p. 96. Icône Haut
  1. Na­bo­kov, «Ni­ko­laï Go­gol». Icône Haut
  2. En russe «Нос». Par­fois trans­crit «Noss». Icône Haut
  3. En russe «Сон». Icône Haut

Shiki, « Un Lit de malade six pieds de long (5 mai-17 septembre 1902) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Japon-Série Non fiction, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. -Sé­rie Non , Pa­ris

Il s’agit du «Un Lit de ma­lade six pieds de long» («Byô­shô ro­ku­shaku» 1) de Ma­saoka Shiki, de son vrai nom Ma­saoka Tsu­ne­nori 2, poète . Il ne fut pas, je crois, un grand au­teur; mais on ne peut lui nier d’avoir re­nou­velé l’intérêt pour le haïku, dont il fit à la fois une arme of­fen­sive et un ferme bou­clier dans sa lutte contre la tu­ber­cu­lose qui al­lait l’emporter à trente-cinq ans. Il cra­cha du dès 1889, ce qui lui ins­pira le pseu­do­nyme de Shiki 3le Cou­cou»), oi­seau qui, quand il chante, laisse ap­pa­raître sa gorge rou­geoyante. Sa pre­mière ten­ta­tive lit­té­raire fut un au titre ro­man­tique, «La Ca­pi­tale de la lune» («Tsuki no miyako» 4), qu’il alla mon­trer à Kôda Ro­han. Ce der­nier, au faîte de sa gloire, mon­tra une telle ab­sence d’enthousiasme, que Shiki se li­vra au dé­cou­ra­ge­ment et au déses­poir et re­nonça tout à fait au ro­man; mais étant un être im­pul­sif, il prit alors une dé­ci­sion qui al­lait chan­ger le reste de sa , puisque c’est au cours de cette an­née 1892 qu’il dé­cida, d’une part, de se consa­crer en­tiè­re­ment au haïku et, d’autre part, d’accepter un poste au jour­nal «Ni­hon» («Ja­pon») en tant que de . Dans une co­lonne de ce quo­ti­dien, il dé­ve­loppa pen­dant une dé­cen­nie ses sur les an­ciens. Sa fut in­flexible jusqu’à la du­reté, vé­hé­mente jusqu’à la . Il est même per­mis de se de­man­der s’il n’était pas en proie à quelque dé­mence lorsqu’il af­fir­mait «que Ki no Tsu­rayuki en tant que poète était nul, et le “Ko­kin-shû” — une af­freuse»; ou bien «que les vers de Ba­shô conte­naient le meilleur et le pire». En même que ces ar­ticles théo­riques, Shiki pro­dui­sit ses propres et in­vita ses lec­teurs à en faire tout au­tant : «Shiki s’[engagea] dans un tra­vail, au fond, de poé­sie col­lec­tive qui mé­rite d’être rap­pelé… Il de­mande aux lec­teurs d’envoyer leurs textes. Il les pu­blie, les cri­tique. D’emblée, la créa­tion n’est pas chose unique, mais cha­cun a le — et doit — com­po­ser dix, vingt, trente haï­kus dans la même jour­née, et avec les mêmes mots, les mêmes images… Ce qui donne des cen­taines de poèmes qui se­ront pu­bliés dans le jour­nal… En l’ de cinq ans, on verra ainsi se consti­tuer des di­zaines de groupes, pour ainsi dire dans toutes les ré­gions du Ja­pon», ex­plique M. Jean-Jacques Ori­gas 5. Aus­si­tôt après la de Shiki, ces groupes se virent re­lé­gués dans l’oubli; mais ils furent, un temps, le creu­set de l’avant-gardisme et de la ré­no­va­tion du haïku.

  1. En ja­po­nais «病牀六尺». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 正岡常規. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 子規. Par­fois trans­crit Chiki ou Šiki. Re­mar­quez que l’idéogramme se re­trouve à la fois dans Tsu­ne­nori et dans Shiki. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «月の都». Titre em­prunté au «Conte du cou­peur de bam­bous». Icône Haut
  2. «Une », p. 159. Icône Haut

« Vörösmarty : le poète de la Renaissance hongroise »

dans « Cosmopolis », vol. 10, p. 115-128

dans «Cos­mo­po­lis», vol. 10, p. 115-128

Il s’agit de Mi­chel Vörös­marty (Mihály Vörös­marty 1), le pre­mier poète com­plet dont la ait pu s’enorgueillir (XIXe siècle). Après avoir ré­sisté aux in­va­sions étran­gères pen­dant une bonne par­tie de son , la Hon­grie avait senti s’user ses forces; la lé­thar­gie l’avait sai­sie, et elle avait éprouvé une es­pèce de lent en­gour­dis­se­ment dont elle ne de­vait s’éveiller qu’avec les guerres na­po­léo­niennes, après une longue pé­riode de ger­ma­ni­sa­tion et d’anéantissement. «L’instant fut unique. L’activité se ré­ta­blit spon­ta­né­ment, im­pa­tiente de s’exercer; de tous cô­tés, des hommes sur­girent, cher­chant la voie , la bonne orien­ta­tion, l’acte conforme au hon­grois» 2. Un nom do­mine cette pé­riode : Mi­chel Vörös­marty. Grand ré­for­ma­teur de la et créa­teur d’une émi­nem­ment na­tio­nale, ar­tiste noble et pa­triote ar­dent, Vörös­marty ou­vrit le che­min que les Petœfi et les Arany al­laient suivre. À vingt-cinq ans, il acheva son pre­mier chef-d’œuvre : «La Fuite de Zalán» 3Zalán Futása»), cé­lé­brant en dix chants la vic­toire my­thique des Hon­grois dans les d’Alpár et la fuite de Zalán, le chef des Slaves et des Bul­gares 4. En voici le dé­but : «Gloire de nos aïeux, où t’attardes-tu dans la brume noc­turne? On vit s’écrouler [les] siècles, et so­li­taire, tu erres sous leurs dé­combres dans la pro­fon­deur, avec un éclat [qui va] s’affaiblissant» 5. Cette épo­pée fonda la gloire de Vörös­marty; elle re­tra­çait, dans un brillant , les ex­ploits des an­cêtres et leurs luttes pour la conquête du pays. La langue neuve et la na­tio­nale va­lurent au poète l’admiration de ses com­pa­triotes. En 1848, il su­bit les consé­quences de cette gloire. Élu membre de la diète, il prit part à la Ré­vo­lu­tion, et après la ca­tas­trophe de Vilá­gos, qui vit la Hon­grie suc­com­ber sous les forces de la et de l’Autriche, il dut er­rer en se ca­chant dans des huttes de fo­res­tiers : «Nos pa­triam fu­gi­mus» («Nous autres, nous fuyons la pa­trie» 6), écri­vit-il sur la porte d’une ca­bane mi­sé­rable l’ayant abrité une .

  1. Au­tre­fois trans­crit Mi­chel Vœrœs­marty. Icône Haut
  2. «Un Poète hon­grois : Vörös­marty», p. 8. Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «La Dé­faite de Zalán». Icône Haut
  1. La chro­nique «Gesta Hun­ga­ro­rum» («Geste des Hon­grois», in­édit en ), qui a servi de source à Vörös­marty, dit : «Le grand “khan”, prince de , grand-père du prince Zalán, s’était em­paré de la qui se trouve entre la Theisse et le Da­nube… et il avait fait ha­bi­ter là des Slaves et des Bul­gares» («Ter­ram, quæ ja­cet in­ter This­ciam et Da­nu­bium, præoc­cu­pa­vis­set sibi “kea­nus” ma­gnus, dux Bul­ga­rie, avus Sa­lani du­cis… et fe­cis­set ibi ha­bi­tare Scla­vos et Bul­ga­ros»). Icône Haut
  2. «Un Poète hon­grois : Vörös­marty», p. 8. Icône Haut
  3. Vir­gile, «Bu­co­liques», poème I, v. 4. Icône Haut

Volney, « Considérations sur la guerre actuelle des Turcs »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Consi­dé­ra­tions sur la ac­tuelle des Turcs» de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur , plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la des y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par , soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la so­li­taire et ta­ci­turne, et son n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La et l’ lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 1, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des où l’ se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la vivre parmi les ruines; j’interrogerai les an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la des so­cié­tés et le des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la  : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une  : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 2. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’ en , il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

  1. «Les Ruines», p. 19. Icône Haut
  1. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Icône Haut

Volney, « Leçons d’histoire, prononcées à l’École normale en l’an III de la République française »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Le­çons d’» de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur , plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la des y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par , soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la so­li­taire et ta­ci­turne, et son n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La et l’ lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 1, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des où l’ se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la vivre parmi les ruines; j’interrogerai les an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la des so­cié­tés et le des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la  : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une  : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 2. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’ en , il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

  1. «Les Ruines», p. 19. Icône Haut
  1. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome IX. Les Consultations du Docteur-Noir, part. 2. Daphné »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Daphné» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome VIII. Théâtre, part. 2. Quitte pour la peur • Le More De Venise • Shylock »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Quitte pour la » et autres œuvres d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome VII. Théâtre, part. 1. Chatterton • La Maréchale d’Ancre »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «La Ma­ré­chale d’Ancre» et autres œuvres d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome VI. Journal d’un poète »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit du «Jour­nal d’un poète» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome V. Les Consultations du Docteur-Noir, part. 1. Stello »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Stello» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome IV. Servitude et Grandeur militaires »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Ser­vi­tude et Gran­deur mi­li­taires» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut