Icône Mot-clef20ᵉ siècle

Pamuk, « La Maison du silence : roman »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit du «La Mai­son du si­lence» («Ses­siz Ev») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

Nosaka, « Les Embaumeurs : roman »

éd. Actes Sud, coll. Lettres japonaises, Arles

éd. Actes Sud, coll. Lettres ja­po­naises, Arles

Il s’agit des «Em­bau­meurs» («To­mu­rai­shi­ta­chi» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «とむらい師たち». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut

Nosaka, « La Tombe des lucioles »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit de «La Tombe des lu­cioles» («Ho­taru no haka» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «火垂るの墓». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut

Nosaka, « Les Pornographes : roman »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit des «Por­no­graphes» («Ero­go­to­shi­ta­chi» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «エロ事師たち». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut

Nosaka, « Contes de guerre »

éd. du Seuil, Paris

éd. du Seuil, Pa­ris

Il s’agit des « de » («Sensô dô­wa­shû» 1) de M.  2, écri­vain de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de , a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde Guerre mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en , il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa  : «J’ai tri­ché avec cette — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

  1. En ja­po­nais «戦争童話集». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Icône Haut
  1. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en . Icône Haut
  2. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Icône Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome III. Le Meilleur Karlsson du monde »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche , Pa­ris

Il s’agit du «Meilleur Karls­son du » («Karls­son på ta­ket smy­ger igen») de Mme , la grande dame de la lit­té­ra­ture pour , la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’ sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine 1, am­bas­sa­deur d’ à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux  : son «Karls­son sur le toit» et la ; ce à quoi elle ré­pli­qua : «Comme c’est étrange! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire!» 2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de , au mo­ment où l’ fai­sait main basse sur l’, sem­blable à «un monstre éfique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une vic­time» 3. Le cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre , Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient «joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été» 4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du monde dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les de de­main de­viennent des sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le de Mme Lind­gren tient à cette . L’ qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la seule est pos­sible. «Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant», dit-elle 5. De même que toute , dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la . Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : «: Li­berté! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse» 6.

  1. En Борис Дмитриевич Панкин. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut
  1. id. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome II. Le Retour de Karlsson sur le toit »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche , Pa­ris

Il s’agit du «Re­tour de Karls­son sur le toit» («Karls­son på ta­ket fly­ger igen») de Mme , la grande dame de la lit­té­ra­ture pour , la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’ sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine 1, am­bas­sa­deur d’ à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux  : son «Karls­son sur le toit» et la ; ce à quoi elle ré­pli­qua : «Comme c’est étrange! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire!» 2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de , au mo­ment où l’ fai­sait main basse sur l’, sem­blable à «un monstre éfique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une vic­time» 3. Le cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre , Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient «joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été» 4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les de de­main de­viennent des sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le de Mme Lind­gren tient à cette . L’ qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la seule est pos­sible. «Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant», dit-elle 5. De même que toute , dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la . Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : «: Li­berté! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse» 6.

  1. En Борис Дмитриевич Панкин. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut
  1. id. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome I. [Petit-Frère et Karlsson sur le toit] »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche , Pa­ris

Il s’agit de «Pe­tit-Frère et Karls­son sur le toit» («Lil­le­bror och Karls­son på ta­ket») de Mme , la grande dame de la lit­té­ra­ture pour , la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’ sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine 1, am­bas­sa­deur d’ à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux  : son «Karls­son sur le toit» et la ; ce à quoi elle ré­pli­qua : «Comme c’est étrange! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire!» 2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de , au mo­ment où l’ fai­sait main basse sur l’, sem­blable à «un monstre éfique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une vic­time» 3. Le cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre , Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient «joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été» 4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les de de­main de­viennent des sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le de Mme Lind­gren tient à cette . L’ qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la seule est pos­sible. «Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant», dit-elle 5. De même que toute , dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la . Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : «: Li­berté! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse» 6.

  1. En Борис Дмитриевич Панкин. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut
  1. id. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut

Sayyâb, « Le Golfe et le Fleuve : poèmes »

éd. Sindbad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-La Petite Bibliothèque de Sindbad, Arles

éd. Sind­bad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-La Pe­tite Bi­blio­thèque de Sind­bad, Arles

Il s’agit de M.  1, poète , qui a af­fran­chi la de deux mille ans de mé­trique pour la sou­mettre aux contraintes de la (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère; et son père s’étant re­ma­rié, il est re­cueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un pre­mier choc dont il ne se re­met­tra ja­mais, et le dé­but d’une dé­marche nos­tal­gique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abré­gée su­bi­te­ment par la ma­la­die. Cette dé­marche, c’est la de sa mère, et au-delà, celle de son pe­tit vil­lage na­tal de Djay­koûr 2 qu’il as­si­mile à l’authenticité, à la «[de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut» 3. Cette terre pa­rée de rires, de chants et de par­fums re­pré­sente pour M. Sayyâb une sorte d’ dont il n’a été éloi­gné que par «le choc mé­tal­lique de l’argent» et «la des ma­chines» 4. Comme Sind­bad le Ma­rin ou Ulysse sur son ba­teau, hanté par le du re­tour, M. Sayyâb s’imagine la em­bar­quer sur le crois­sant de lune et «pé­ré­gri­ner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port» 5. Comme Achille qui ai­me­rait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre , que de ré­gner sur les ombres, M. Sayyâb pré­fère être «un en­fant af­famé, en larmes dans la nuit d’, [plu­tôt que] ce qui n’eut ja­mais de la vie qu’un spec­tacle» 6. On voit que c’est en mé­lan­geant an­tique et mo­dernes que M. Sayyâb pro­duit l’alliage de sa poé­sie : «L’expression di­recte de ce qui n’est pas poé­sie», dit-il 7, «ne peut de­ve­nir . Où est alors la so­lu­tion? En ré­ponse, le poète ira vers le mythe, [les] qui ont gardé leur in­ten­sité et leur fraî­cheur; il s’en ser­vira comme ma­té­riaux pour bâ­tir les mondes qui dé­fie­ront la de l’ et de l’acier». En­fin, no­tons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le vil­lage : Pa­ris, le pa­ran­gon des , la cité des ci­tés, est un lieu du , où «des hommes pris de sortent leurs cou­teaux», où «l’air se crispe sous l’éclat de des pu­tains»; tan­dis que Djay­koûr est une source de l’innocence «avec un de dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant»

  1. En arabe بدر شاكر السياب. Au­tre­fois trans­crit Badr Šā­kir al-Sayyāb, Badr Sha­ker al-Sayyab, Badr Cha­kir al-Sayyab ou Badr Sha­kir as-Sayyab. Icône Haut
  2. En arabe جيكور. Par­fois trans­crit Ǧaykūr, Jay­kour ou Jay­kur. Icône Haut
  3. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Icône Haut
  4. Poème «L’Élégie de Djay­koûr». Icône Haut
  1. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Icône Haut
  2. Poème «Iq­bâl et la Nuit». Icône Haut
  3. Dans «Les Ca­hiers de l’Oronte», p. 90. Icône Haut

Sayyâb, « Les Poèmes de Djaykoûr »

éd. Fata Morgana, Saint-Clément-de-Rivière

éd. Fata Mor­gana, Saint-Clé­ment-de-Ri­vière

Il s’agit de M.  1, poète , qui a af­fran­chi la de deux mille ans de mé­trique pour la sou­mettre aux contraintes de la (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère; et son père s’étant re­ma­rié, il est re­cueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un pre­mier choc dont il ne se re­met­tra ja­mais, et le dé­but d’une dé­marche nos­tal­gique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abré­gée su­bi­te­ment par la ma­la­die. Cette dé­marche, c’est la de sa mère, et au-delà, celle de son pe­tit vil­lage na­tal de Djay­koûr 2 qu’il as­si­mile à l’authenticité, à la «[de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut» 3. Cette terre pa­rée de rires, de chants et de par­fums re­pré­sente pour M. Sayyâb une sorte d’ dont il n’a été éloi­gné que par «le choc mé­tal­lique de l’argent» et «la des ma­chines» 4. Comme Sind­bad le Ma­rin ou Ulysse sur son ba­teau, hanté par le du re­tour, M. Sayyâb s’imagine la em­bar­quer sur le crois­sant de lune et «pé­ré­gri­ner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port» 5. Comme Achille qui ai­me­rait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre , que de ré­gner sur les ombres, M. Sayyâb pré­fère être «un en­fant af­famé, en larmes dans la nuit d’, [plu­tôt que] ce qui n’eut ja­mais de la vie qu’un spec­tacle» 6. On voit que c’est en mé­lan­geant an­tique et mo­dernes que M. Sayyâb pro­duit l’alliage de sa poé­sie : «L’expression di­recte de ce qui n’est pas poé­sie», dit-il 7, «ne peut de­ve­nir . Où est alors la so­lu­tion? En ré­ponse, le poète ira vers le mythe, [les] qui ont gardé leur in­ten­sité et leur fraî­cheur; il s’en ser­vira comme ma­té­riaux pour bâ­tir les mondes qui dé­fie­ront la de l’ et de l’acier». En­fin, no­tons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le vil­lage : Pa­ris, le pa­ran­gon des , la cité des ci­tés, est un lieu du , où «des hommes pris de sortent leurs cou­teaux», où «l’air se crispe sous l’éclat de des pu­tains»; tan­dis que Djay­koûr est une source de l’innocence «avec un de dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant»

  1. En arabe بدر شاكر السياب. Au­tre­fois trans­crit Badr Šā­kir al-Sayyāb, Badr Sha­ker al-Sayyab, Badr Cha­kir al-Sayyab ou Badr Sha­kir as-Sayyab. Icône Haut
  2. En arabe جيكور. Par­fois trans­crit Ǧaykūr, Jay­kour ou Jay­kur. Icône Haut
  3. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Icône Haut
  4. Poème «L’Élégie de Djay­koûr». Icône Haut
  1. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Icône Haut
  2. Poème «Iq­bâl et la Nuit». Icône Haut
  3. Dans «Les Ca­hiers de l’Oronte», p. 90. Icône Haut

Nakahara, « Poèmes »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit des «Poèmes» de M. Na­ka­hara Chûya 1, poète (XXe siècle) que ses com­pa­triotes sur­nomment «le Rim­baud du » («Ni­hon no Rim­baud» 2). Son at­ten­tion s’est concen­trée ex­clu­si­ve­ment sur la fran­çaise du mo­derne : celle des sym­bo­listes, des da­daïstes, des sur­réa­listes, des en gé­né­ral; celle de Rim­baud en par­ti­cu­lier. Cette poé­sie était son do­maine de pré­di­lec­tion : il la li­sait, la co­piait, la dis­cu­tait avec ses amis et la tra­dui­sait en au­to­di­dacte, qui ne de­vait sa connais­sance de la fran­çaise qu’à lui-même. «Je ne pense pas qu’il existe quoi que ce soit dans ce bas monde en de­hors de l’univers de cette poé­sie», di­sait-il 3. Et d’abord, il par­ta­geait avec Rim­baud le goût de la marche. Chez l’un comme chez l’autre, cette ac­ti­vité était étroi­te­ment liée à la créa­tion . À l’âge où Rim­baud était parti pour la pre­mière fois de sa ville na­tale, Na­ka­hara avait quitté la sienne. Il ar­pen­tait les rues de Kyôto et de Tô­kyô, en em­por­tant tou­jours avec lui du pa­pier et des en­ve­loppes tim­brées, pour pou­voir cou­cher sur pa­pier chaque idée si­tôt qu’elle émer­geait de son es­prit et l’envoyer im­mé­dia­te­ment par la poste à ses amis. Il ai­mait par­ti­cu­liè­re­ment les pro­me­nades noc­turnes au clair de lune : «Je me suis re­connu», di­sait-il 4, «je suis adepte de l’école du noc­turne (mal­gré l’étrangeté de cette ex­pres­sion). Si cette for­mule ne convient pas, je suis adepte de l’école du clair de lune. Elle est vrai­ment bé­né­fique. Il n’y a rien de meilleur. Ja­mais de ma ce sen­ti­ment ne me quit­tera.» C’était, au fond, un qui dé­dai­gnait la lit­té­ra­ture et son au pro­fit de la pleine et de l’ im­mé­diate; et on peut dire, avec un ja­po­nais 5, que «la conver­sa­tion ainsi que les lettres étaient les vrais -d’œuvre de M. Na­ka­hara; ses [“Poèmes”] ne sont en fin de compte que des re­frains dé­nués de sens se rat­ta­chant aux der­niers mots de sa conver­sa­tion». En ef­fet, en­traîné par ses mo­dèles , M. Na­ka­hara s’est trop laissé al­ler à des cu­rio­si­tés poé­tiques, en cher­chant tou­jours le for­tuit ou le dé­sin­volte, en de­hors de tout contrôle exercé par la , en l’absence de toute pré­oc­cu­pa­tion fi­nale. Cette lit­té­raire, qu’on di­sait mo­der­niste, n’est plus et ne peut plus être une avant-garde; elle est en­té­ri­née, pas­sée.

  1. En ja­po­nais 中原中也. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 日本のランボー. Icône Haut
  3. Lettre du 21 avril 1937. Icône Haut
  1. Lettre du 9 juin 1937. Icône Haut
  2. M. Ka­wa­kami Tet­su­tarô. Icône Haut

García Márquez, « Cent Ans de solitude : roman »

éd. du Seuil, coll. Points, Paris

éd. du Seuil, coll. Points, Pa­ris

Il s’agit de «Cent Ans de » («Cien Años de so­le­dad») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’ la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut

García Márquez, « Douze Contes vagabonds »

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «Douze » («Doce Cuen­tos per­egri­nos») de M.  (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’ la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à , les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la , l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines -tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la , des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Icône Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Icône Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Icône Haut