Il s’agit d’« Atala » et autres œuvres de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
histoire
Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome I. [Chapitres 1-4] »
éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris
Il s’agit des « Mémoires historiques » (« Shi Ji » 1) de Sima Qian 2, illustre chroniqueur chinois (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses compatriotes placent au-dessus de tous en disant qu’autant le soleil l’emporte en éclat sur les autres astres, autant Sima Qian l’emporte en mérite sur les autres historiens ; et que les missionnaires européens surnomment l’« Hérodote de la Chine ». Fils d’un savant et savant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la dignité de « grand scribe » (« tai shi » 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son prédécesseur dans cet emploi, semblait l’avoir prévu ; car il avait fait voyager son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un immense héritage en cartes et en manuscrits. De plus, dès que Sima Qian prit possession de sa charge, la Bibliothèque impériale lui fut ouverte ; il alla s’y ensevelir. « De même qu’un homme qui porte une cuvette sur la tête ne peut pas lever les yeux vers le ciel, de même je rompis toute relation… car jour et nuit je ne pensais qu’à employer jusqu’au bout mes indignes capacités et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge », dit-il 4. Mais une disgrâce qu’il s’attira en prenant la défense d’un malheureux, ou plutôt un mot critique sur le goût de l’Empereur pour la magie 5, le fit tomber en disgrâce et le condamna à la castration. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de donner les deux cents onces d’argent pour se rédimer du supplice infamant. Ce malheur, qui assombrit tout le reste de sa vie, ne fut pas sans exercer une profonde influence sur sa pensée. Non seulement Sima Qian n’avait pas pu se racheter, mais personne n’avait osé prendre sa défense. Aussi loue-t-il fort dans ses « Mémoires historiques » tous « ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour aller au secours de l’homme de bien qui est en péril » 6. Il approuve souvent aussi des hommes qui avaient été calomniés et mis au ban de la société. Enfin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, aigri par la douleur, qui s’exprime dans ce cri : « Quand Zhufu Yan 7 [marchait sur] le chemin des honneurs, tous les hauts dignitaires l’exaltaient ; quand son renom fut abattu, et qu’il eut été mis à mort avec toute sa famille, les officiers parlèrent à l’envi de ses défauts ; c’est déplorable ! »
- En chinois « 史記 ». Autrefois transcrit « Che Ki », « Se-ki », « Sée-ki », « Ssé-ki », « Schi Ki », « Shi Ki » ou « Shih Chi ».
- En chinois 司馬遷. Autrefois transcrit Sy-ma Ts’ien, Sématsiene, Ssématsien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien.
- En chinois 太史. Autrefois transcrit « t’ai che ».
- « Lettre à Ren An » (« 報任安書 »).
- Sima Qian avait critiqué tous les imposteurs qui jouissaient d’un grand crédit à la Cour grâce aux fables qu’ils débitaient : tels étaient un magicien qui prétendait montrer les empreintes laissées par les pieds gigantesques d’êtres surnaturels ; un devin qui parlait au nom de la princesse des esprits, et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui ; un charlatan qui promettait l’immortalité ; etc.
- ch. CXXIV.
- En chinois 主父偃. Autrefois transcrit Tchou-fou Yen ou Chu-fu Yen. L’Empereur Wu avait nommé, auprès de chaque roi, des conseillers qui étaient en réalité des rapporteurs. Leur tâche était souvent périlleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa famille à cause des faits qu’il avait rapportés.
Hugo, « Les Misérables. Tome V »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome IV »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome III »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome II »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome I »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
« Divers Extraits du “Chu King” : maximes des anciens rois »
dans « Description géographique, historique, chronologique, politique de l’Empire de la Chine. Tome II » (XVIIIe siècle), p. 353-369
Il s’agit du « Shu Jing » 1 (« Canon des documents »), également connu sous le titre de « Shang Shu » 2 (« Documents des générations antérieures »). Nous ne connaissons la haute Antiquité des Chinois (XIe-VIIe siècle av. J.-C.) que par le « Shu Jing » ; c’est la première et la plus ancienne de leurs œuvres littéraires. Aussi, leurs Empereurs et leurs savants l’ont-ils appelée « La Source de la doctrine », « La Mer profonde de justice et de vérité », « Le Livre des Empereurs », « L’Art de régner », « Le Cri de l’Antiquité », « La Règle de tous les siècles », etc. Malgré ces titres élogieux et une infinité d’autres qui lui ont été donnés, nous ne devons pas y chercher une composition faite d’après les grands principes de l’art et de la méthode. « C’est [se tromper] et transporter ses idées dans le “Shu Jing” d’aujourd’hui que d’y vouloir trouver un plan suivi et analysé », explique le père Pierre-Martial Cibot 3. « Un chapitre ne tient point à un autre, et tous ensemble ne présentent qu’une suite d’extraits plus décousus encore et plus détachés les uns [que les autres]. Les faits que raconte le “Shu Jing”, la doctrine, la morale, la politique et la belle philosophie qu’il enseigne, en font tout le prix. » Quelle a pu être l’origine de ce monument décousu et détaché, il est vrai, mais irrécusable des traditions, des croyances et de la sagesse primitive de la Chine ancienne ? On raconte qu’autrefois, il y avait sans cesse à la Cour de l’Empereur, et presque à ses côtés, deux personnages distingués par leur mérite, par leurs bonnes mœurs et par leur gravité, et dont l’emploi consistait à être attentifs à la vie privée et aux actes publics du souverain, à ses déclarations de guerre, à ses ordonnances, à ses édits, à ses sentences, à ses discours. Ces deux témoins devaient mettre tout par écrit, l’un ne recueillant que les paroles, l’autre ne s’attachant qu’aux actions. Et comme ces paroles et ces actions n’étaient pas toutes de nature à devoir être transmises à la postérité, on en fit plus tard une anthologie. C’est là ce qu’on appelle le « Shu Jing ». « Les discours et faits rapportés fournissent comme des études de cas, des exemples connus par tous — ceux dont fera usage un Mencius par exemple pour distinguer la vraie piété filiale de ses contrefaçons, ou inculquer à ses disciples l’esprit qui doit guider l’observance rituelle. Jusqu’à un certain point, la pensée chinoise antique est une herméneutique du matériau [rassemblé] dans le “Shu Jing” », explique M. Benoît Vermander 4.
- En chinois « 書經 ». Autrefois transcrit « Xu Kin », « Shu-ching », « Shoo-king », « Shû King », « Schu-king », « Chou-kin », « Chou-king » ou « Chu King ».
- En chinois « 尚書 ». Autrefois transcrit « Chang-chou ».
- « Mémoires. Tome I », p. 68-69.
- « Comment lire les classiques chinois ? ».
Hugo, « Napoléon le Petit »
Il s’agit de « Napoléon le Petit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Le Rhin. Tome II »
Il s’agit du « Rhin » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
« Vie des pères du Jura »
éd. du Cerf, coll. Sources chrétiennes-Textes monastiques d’Occident, Paris
Il s’agit de la « Vie et Règle des saints pères Romain, Lupicin et Oyend, abbés des monastères du Jura » (« Vita vel Regula sanctorum patrum Romani, Lupicini et Eugendi, monasteriorum Jurensium abbatum »). L’Antiquité ne nous apprend rien de particulier sur l’auteur de cette « Vie », et nous ignorons jusqu’à son nom. Mais nous voyons, par les pages que nous possédons de lui, que c’était un moine laborieux et grave ; qu’à défaut de talent comme orateur et comme écrivain, il avait de la piété, beaucoup de bonne foi et un grand fonds de modestie. Ces qualités jointes à celle d’auteur contemporain, qui ne rapporte que ce qui s’est passé sous ses propres yeux ou presque, donnent du prix à son ouvrage et le rendent digne de créance. C’était, en effet, un disciple de saint Oyend de Condat 1 et il se trouva présent lorsque ce saint quitta la terre pour aller au ciel (510 apr. J.-C.). Il ne tarda pas, après cette mort, à mettre la main à son ouvrage, et pour le rédiger avec méthode, il fit précéder la vie de saint Oyend par celles de saint Romain et de saint Lupicin ; de sorte que le tout peut passer pour une histoire originale, quoiqu’abrégée, des monastères du Jura, en France, depuis leur premier établissement (435 apr. J.-C.). Voici le récit de cet établissement : « C’est dans sa trente-cinquième année environ qu’attiré par les retraites du désert, après avoir quitté sa mère, sa sœur et son frère, saint Romain pénétra dans les forêts du Jura proches de son domaine.
Quinte-Curce, « Œuvres complètes »
Il s’agit de l’« Histoire d’Alexandre le Grand » (« Historia Alexandri Magni ») 1, l’unique œuvre de Quinte-Curce 2 (Ier siècle apr. J.-C.). On dit que la lecture de « L’Iliade » charmait si fort Alexandre le Grand, qu’à peine arrivé en Asie Mineure, il s’arrêta sur la tombe d’Achille et s’écria : « Heureux jeune homme qui as trouvé un Homère pour chanter ta valeur ! » 3 Le célèbre conquérant peut toutefois se consoler de n’avoir pas eu, comme Achille, un Homère pour chantre de ses exploits, puisqu’il a trouvé, parmi les Latins, un historien de sa vie tel que Quinte-Curce. Ce biographe a l’avantage d’être un auteur de premier rang qui, indépendamment des multiples détails qu’il a puisés à des sources plus anciennes, nous montre une beauté de coloris, une inspiration d’ensemble, un relief que n’ont pas les autres historiens de la latinité : « Une page de Quinte-Curce vaut mieux que trente de Tacite », dit un critique 4. « J’en puis juger, car je l’ai autant manié qu’[un] homme de France ; j’en ai là-dedans un [exemplaire] où il n’y a ligne que je n’aie marquée… Quinte-Curce est le premier de la latinité : si poli, si… clair et intelligible. » J’ajouterai que Quinte-Curce est inégalable dans toutes les harangues et allocutions qu’il a prêtées aux héros de son ouvrage. À peine peut-on s’imaginer qu’elles sont de sa propre invention, et nous les trouvons si ajustées aux personnes qui les prononcent, qu’elles passent dans notre esprit pour une copie exécutée sur le véritable original de Callisthènes, d’Onésicrite, de Néarque ou de quelque autre parmi les chroniqueurs compagnons d’Alexandre. Celle-ci, par exemple :
« Alexandre fait asseoir ses amis tout près de lui, pour éviter de rouvrir, par quelque effort de voix, sa blessure à peine cicatrisée. Dans sa tente étaient Héphestion, Cratère et Érigyius, avec ses gardes… “Si nous passons le Tanaïs”, leur dit-il, “si… nous montrons que partout nous sommes invincibles, qui doutera alors que l’Europe même soit ouverte à nos conquêtes ? Ce serait se tromper que de mesurer la gloire qui nous attend, à l’espace que nous avons à franchir. Ce n’est qu’un fleuve ; mais si nous le passons, nous portons nos armes en Europe. Et de quel prix n’est-il pas pour nous, pendant que nous conquérons l’Asie… de réunir entre elles tout d’un coup, par une seule victoire, des contrées que la nature semble avoir séparées par de si lointains espaces ?” »
- Également connu sous le titre de « De la vie et des actions d’Alexandre le Grand » (« De rebus gestis Alexandri Magni »).
- En latin Quintus Curtius Rufus. Parfois transcrit Quinte Curse.
Hérodote, « L’Enquête. Tome II »
Il s’agit de l’« Enquête » (« Historiê » 1) d’Hérodote d’Halicarnasse 2, le premier des historiens grecs dont on possède les ouvrages. Car bien qu’on sache qu’Hécatée de Milet, Charon de Lampsaque, etc. avaient écrit des historiographies avant lui, la sienne néanmoins est la plus ancienne qui restait au temps de Cicéron, lequel a reconnu Hérodote pour le « père de l’histoire » 3, tout comme il l’a nommé ailleurs, à cause de sa préséance, le « prince » 4 des historiens.
Le sujet direct d’Hérodote est, comme il le dit dans sa préface, « les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les [Perses], et la raison du conflit qui mit ces deux peuples aux prises » ; mais des chapitres entiers sont consacrés aux diverses nations qui, de près ou de loin, avaient été en contact avec ces deux peuples : les Lydiens, les Mèdes, les Babyloniens soumis par Cyrus ; puis les Égyptiens conquis par Cambyse ; puis les Scythes attaqués par Darius ; puis les Indiens. Leurs histoires accessoires, leurs récits latéraux viennent se fondre dans le foisonnement de la narration principale, comme des cours d’eau qui viendraient grossir un torrent. Et ainsi, l’« Enquête » s’élargit, de proche en proche, et nous ouvre, pour la première fois, les annales de l’ensemble du monde habité, en cherchant à nous donner des leçons indirectes, quoique sensibles, sur notre condition humaine. C’est dans ces leçons ; c’est dans l’habile progression des épisodes destinée à tenir notre attention constamment en éveil ; c’est dans la moralité qui se fait sentir de toute part — et ce que j’entends par « moralité », ce n’est pas seulement ce qui concerne la morale, mais ce qui est capable de consacrer la mémoire des morts et d’exciter l’émulation des vivants — c’est là, dis-je, qu’on voit la grandeur d’Hérodote, marchant sur les traces d’Homère
- En grec « Ἱστορίη ». On rencontre aussi la graphie « Ἱστορία » (« Historia »). Avant de devenir le nom d’un genre, l’« histoire » dans son sens primitif était une enquête sérieuse et approfondie, une recherche intelligente de la vérité.
- En grec Ἡρόδοτος ὁ Ἁλικαρνασσεύς.