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Hugo, « Les Misérables. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mi­sé­rables» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut

Voltaire, « Correspondance. Tome I. 1704-1738 »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance» de Vol­taire, la meilleure, la plus dé­li­cieuse de toutes les cor­res­pon­dances; celle qui fut à elle seule l’esprit de l’ (XVIIIe siècle). «En re­com­man­dant la lec­ture de Vol­taire», dit un  1, «j’avoue mes pré­fé­rences. S’il fal­lait sa­cri­fier quelque chose de lui, je don­ne­rais les tra­gé­dies et les co­mé­dies pour gar­der les pe­tits vers; s’il fal­lait sa­cri­fier en­core quelque chose, je don­ne­rais plu­tôt les his­toires, toutes char­mantes qu’elles sont, que les ro­mans; …mais en­fin il y a une chose que je ne me dé­ci­de­rais ja­mais à li­vrer, c’est la “Cor­res­pon­dance”». En ef­fet, de tous les genres lit­té­raires dont s’occupa Vol­taire, ce­lui où il fut le plus ori­gi­nal; ce­lui où il eut un ton que per­sonne ne lui avait donné, et que tout le vou­lut imi­ter; ce­lui, en­fin, où il do­mina, de l’aveu même des ja­loux qui consentent quel­que­fois à re­con­naître un mé­rite una­ni­me­ment re­connu, c’est le genre épis­to­laire. On y trouve l’ensemble et la de tous les styles; on y trouve la fa­ci­lité brillante d’un es­prit aussi su­pé­rieur aux su­jets qu’il traite, qu’aux gens à qui il s’adresse : «Quel se joue dans ses poé­sies et ses plai­san­te­ries et ses lettres im­mor­telles! , tout ce qu’on ad­mire dans les deux pre­mières se re­trouve dans les lettres avec une in­épui­sable abon­dance : vers fa­ciles, raille­ries char­mantes à pro­pos de tous les et de tous les évé­ne­ments qui ont passé, dans ce siècle agité, de­vant cet es­prit cu­rieux… Ce qu’il peut se suc­cé­der, pen­dant plus de soixante ans, d’amours, de haines, de plai­sirs, de dou­leurs, de co­lères, dans une sin­gu­liè­re­ment im­pres­sion­nable et mo­bile, est ex­primé là au vif… chaque sen­ti­ment en­tier oc­cu­pant toute l’âme, comme s’il de­vait du­rer éter­nel­le­ment, puis ef­facé tout à coup par un autre…; va­riété in­épui­sable des su­jets qui passent sous cette plume lé­gère; sé­duc­tions d’un es­prit en­chan­teur qui veut plaire et in­vente pour plaire les tours les plus dé­li­cats, tou­jours ai­mable, tou­jours nou­veau. Tout cela forme un des spec­tacles les plus at­trayants qu’on puisse avoir en ce monde», dit le même cri­tique. De tous les hommes cé­lèbres dont on a im­primé les lettres après leur , Vol­taire est le pre­mier qui ait écrit à la fois en écri­vain et en du monde, et qui ait mon­tré qu’il est aussi na­tu­rel­le­ment l’un que l’autre. Son ta­lent, qui peut être in­égal dans ses grands ou­vrages, est tou­jours par­fait dans ses , quand sa plume court avec une ra­pi­dité, une né­gli­gence, qui n’appartiennent qu’à lui.

  1. Er­nest Ber­sot. Icône Haut

« Élégies de Chu, “Chu ci” »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit des «Élé­gies de Chu» («Chu ci» 1), re­cueil de vingt-cinq ou poé­sies ly­riques, dont les plus cé­lèbres furent com­po­sées par Qu Yuan 2 (IIIe siècle av. J.-C.) et par son dis­ciple Song Yu 3 (IIe siècle av. J.-C.). Au point de vue de la forme, les «Élé­gies de Chu» se dis­tinguent par le re­tour in­va­riable d’une sorte d’interjection plain­tive, «xi!» 4, qui se ré­pète tous les deux vers. Quant au fond, elles n’ont d’autre but que ce­lui d’exhaler des plaintes, et de re­pro­cher au roi de Chu la faute qu’il com­mit en congé­diant Qu Yuan. On ra­conte que ce mal­heu­reux poète avait une conduite exem­plaire; c’est pour­quoi il aima mieux mou­rir que de res­ter dans l’entourage cor­rompu du roi. Il s’en éloi­gna donc, et par­venu aux bords de la ri­vière Mi Luo 5, il erra long­temps se par­lant à lui-même : il avait dé­noué ses che­veux en signe de et les lais­sait tom­ber sur son vi­sage amai­gri. Un pê­cheur le ren­con­trant dans cet état lui dit : «N’es-tu pas ce­lui que l’on croyait un des plus grands de l’Empire? Com­ment donc en es-tu ré­duit à une pa­reille si­tua­tion?» Qu Yuan ré­pon­dit : «Le en­tier est dans le désordre; seul, j’ai conservé ma pu­reté. Tous se sont as­sou­pis dans l’ivresse; moi seul, je suis resté vi­gi­lant. Voilà pour­quoi je suis é». Le pê­cheur dit : «Le vé­ri­table ne se laisse em­bar­ras­ser par au­cune chose et sait vivre avec son siècle. Si le monde en­tier est dans le désordre, pour­quoi ne sais-tu pas t’en ac­com­mo­der?…» Qu Yuan ré­pon­dit : «J’ai en­tendu dire que ce­lui qui vient de se pu­ri­fier dans un bain, prend soin de se­couer la pous­sière de son bon­net et de chan­ger de . Quel vou­drait donc, quand il est pur, se lais­ser souiller au contact de ce qui ne l’est pas? J’aime mieux cher­cher la dans les eaux de cette ri­vière et ser­vir de pâ­ture aux pois­sons…» Il écri­vit alors un der­nier poème, et ser­rant une grosse contre sa poi­trine, il se pré­ci­pita dans la ri­vière Mi Luo.

  1. En chi­nois «楚辭». Au­tre­fois trans­crit «Tsou-tse», «Tch’ou ts’eu» ou «Chu tzu». Icône Haut
  2. En chi­nois 屈原. Au­tre­fois trans­crit Kiu-youen, K’iu-yuen, K’iu Yuan, K’üh Yüan, Chhu Yuan ou Ch’ü Yüan. Icône Haut
  3. En chi­nois 宋玉. Au­tre­fois trans­crit Soung-yo ou Sung Yü. Icône Haut
  1. En chi­nois . Icône Haut
  2. En chi­nois 汩羅. Cette ri­vière, dans le Hu­nan, est for­mée par la confluence de la Mi et de la Luo. Icône Haut

« L’Œuvre de la poétesse vietnamienne Hồ-Xuân-Hương »

éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Textes et Documents sur l’Indochine-Textes nôm, Paris

éd. École fran­çaise d’Extrême-, coll. Textes et Do­cu­ments sur l’-Textes nôm, Pa­ris

Il s’agit de Hồ Xuân Hương, poé­tesse non confor­miste viet­na­mienne (XIXe siècle). Sa bouillon­nante de sève, son es­piègle et in­sou­ciant, l’habileté de ses com­po­si­tions dont le sens est gé­né­ra­le­ment double — un sens ma­ni­feste, peu cri­ti­quable au point de vue de la , et un sens pa­ral­lèle, en fi­li­grane, d’un ex­trême —, son goût et son ta­lent en­fin dans l’emploi de la po­pu­laire, suf­fisent pour que les Viet­na­miens la ché­rissent comme la ga­mine la plus spi­ri­tuelle de leur . «On au­rait dit une fille qui, re­trous­sant sa jupe, bar­bo­te­rait dans une mare», dit un  1. La lé­gende ra­conte 2 que ses pa­rents mou­rurent de bonne heure, et qu’elle et sa sœur se par­ta­gèrent l’héritage, qui était consi­dé­rable. Hồ Xuân Hương, avec sa part, construi­sit un riche jar­din où se voyaient trois beaux pa­villons. Ce jar­din était en­touré de vi­viers; et de­vant les pa­villons, il y avait toutes sortes d’arbustes taillés et de pierres re­cou­vertes d’. Là, elle te­nait des concours poé­tiques et pro­po­sait de choi­sir pour mari ce­lui qui réus­si­rait à la vaincre. Ce­pen­dant, au­cun ne le put. Quoique ses vers li­cen­cieux soient condam­nés una­ni­me­ment par les , Hồ Xuân Hương y est pous­sée non par un pen­chant vers de mau­vaises mœurs, mais par la tour­nure même de son es­prit lit­té­raire, comme ja­dis la poé­tesse Sap­pho dans ses su­blimes com­po­si­tions. Si l’on pé­nètre au fond des choses, ne dé­couvre-t-on pas, chez cette femme de lettres, une à la fois sou­ve­raine, saine, ro­buste, d’une fré­mis­sante :

«Mon est comme le fruit du ja­quier sur l’arbre.
Son écorce est ru­gueuse, sa pulpe épaisse;
Sei­gneur, si vous l’aimez, plan­tez-y votre coin,
Mais, je vous prie, ne le pal­pez pas pour qu’il vous en­glue les mains
»

  1. Nguyễn Đức Bính. Icône Haut
  1. « de Hồ Xuân Hương» dans «Contes et Lé­gendes an­na­mites». Icône Haut

Blaga, « Manole, Maître bâtisseur : drame en cinq actes »

éd. Librairie bleue, coll. Théâtre, Troyes

éd. Li­brai­rie bleue, coll. , Troyes

Il s’agit de «Ma­nole, Maître bâ­tis­seur» («Meș­te­rul Ma­nole») de , poète, dra­ma­turge et phi­lo­sophe , dont l’œuvre se ré­sume en un vers : «Je crois que l’éternité est née au vil­lage» 1. Né en 1895 au vil­lage de Lan­crăm, dont le nom, dit-il, rap­pelle «la des larmes» («su­ne­tele la­cri­mei»), fils d’un prêtre or­tho­doxe, Blaga fit son en­trée à l’Académie rou­maine sans pro­non­cer, comme de cou­tume, l’éloge de son pré­dé­ces­seur. Son dis­cours de ré­cep­tion fut un éloge du vil­lage , comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de «L’Âme du vil­lage» («Su­fle­tul sa­tu­lui»), les pay­sages cam­pa­gnards, les che­mins de et de boue sont «le seuil du » («prag de lume»), le vil­lage-idée d’où partent les vastes ho­ri­zons de la créa­tion ar­tis­tique et . Les re­gards rê­veurs des pay­sans sondent l’univers, se per­dant dans l’. L’ de la ville au contraire vit «dans le , la re­la­ti­vité, le concret , dans une tris­tesse constante et dans une su­per­fi­cia­lité lu­cide». Cet éloge de l’ du vil­lage comme creu­set, comme âme de la est dou­blé de l’ de­vant le mys­tère de ce que Blaga ap­pelle «le Grand » («Ma­rele Ano­nim»), c’est-à-dire . Face à cette an­goisse-là, la so­lu­tion qu’il ébauche, en s’inspirant des ro­man­tiques al­le­mands, passe par le de l’individu en tant qu’individu au pro­fit d’une col­lec­tive, ano­nyme et spon­ta­née. Puisque les grandes ques­tions du monde res­tent sans ré­ponse, la se­rait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :

«Re­garde, c’est le soir», dit Blaga 2.
«L’âme du vil­lage pal­pite près de nous
Comme une odeur ti­mide d’herbe cou­pée,
Comme une chute de fu­mée des avant-toits de paille…
»

  1. En rou­main «Eu cred că veș­ni­cia s-a năs­cut la sat». Icône Haut
  1. Dans Constan­tin Cio­praga, «La Per­son­na­lité de la ». Icône Haut

Blaga, « Poèmes »

éd. Minerva, Bucarest

éd. Mi­nerva, Bu­ca­rest

Il s’agit des «Poèmes» («Poeme») de , poète, dra­ma­turge et phi­lo­sophe , dont l’œuvre se ré­sume en un vers : «Je crois que l’éternité est née au vil­lage» 1. Né en 1895 au vil­lage de Lan­crăm, dont le nom, dit-il, rap­pelle «la des larmes» («su­ne­tele la­cri­mei»), fils d’un prêtre or­tho­doxe, Blaga fit son en­trée à l’Académie rou­maine sans pro­non­cer, comme de cou­tume, l’éloge de son pré­dé­ces­seur. Son dis­cours de ré­cep­tion fut un éloge du vil­lage , comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de «L’Âme du vil­lage» («Su­fle­tul sa­tu­lui»), les pay­sages cam­pa­gnards, les che­mins de et de boue sont «le seuil du » («prag de lume»), le vil­lage-idée d’où partent les vastes ho­ri­zons de la créa­tion ar­tis­tique et . Les re­gards rê­veurs des pay­sans sondent l’univers, se per­dant dans l’. L’ de la ville au contraire vit «dans le , la re­la­ti­vité, le concret , dans une tris­tesse constante et dans une su­per­fi­cia­lité lu­cide». Cet éloge de l’ du vil­lage comme creu­set, comme âme de la est dou­blé de l’ de­vant le mys­tère de ce que Blaga ap­pelle «le Grand » («Ma­rele Ano­nim»), c’est-à-dire . Face à cette an­goisse-là, la so­lu­tion qu’il ébauche, en s’inspirant des ro­man­tiques al­le­mands, passe par le de l’individu en tant qu’individu au pro­fit d’une col­lec­tive, ano­nyme et spon­ta­née. Puisque les grandes ques­tions du monde res­tent sans ré­ponse, la se­rait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :

«Re­garde, c’est le soir», dit Blaga 2.
«L’âme du vil­lage pal­pite près de nous
Comme une odeur ti­mide d’herbe cou­pée,
Comme une chute de fu­mée des avant-toits de paille…
»

  1. En rou­main «Eu cred că veș­ni­cia s-a năs­cut la sat». Icône Haut
  1. Dans Constan­tin Cio­praga, «La Per­son­na­lité de la ». Icône Haut

Blaga, « Poèmes choisis »

éd. Grai și Suflet, coll. Ianus, Bucarest

éd. Grai și Su­flet, coll. Ia­nus, Bu­ca­rest

Il s’agit des «Poèmes choi­sis» («Poeme alese») de , poète, dra­ma­turge et phi­lo­sophe , dont l’œuvre se ré­sume en un vers : «Je crois que l’éternité est née au vil­lage» 1. Né en 1895 au vil­lage de Lan­crăm, dont le nom, dit-il, rap­pelle «la des larmes» («su­ne­tele la­cri­mei»), fils d’un prêtre or­tho­doxe, Blaga fit son en­trée à l’Académie rou­maine sans pro­non­cer, comme de cou­tume, l’éloge de son pré­dé­ces­seur. Son dis­cours de ré­cep­tion fut un éloge du vil­lage , comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de «L’Âme du vil­lage» («Su­fle­tul sa­tu­lui»), les pay­sages cam­pa­gnards, les che­mins de et de boue sont «le seuil du » («prag de lume»), le vil­lage-idée d’où partent les vastes ho­ri­zons de la créa­tion ar­tis­tique et . Les re­gards rê­veurs des pay­sans sondent l’univers, se per­dant dans l’. L’ de la ville au contraire vit «dans le , la re­la­ti­vité, le concret , dans une tris­tesse constante et dans une su­per­fi­cia­lité lu­cide». Cet éloge de l’ du vil­lage comme creu­set, comme âme de la est dou­blé de l’ de­vant le mys­tère de ce que Blaga ap­pelle «le Grand » («Ma­rele Ano­nim»), c’est-à-dire . Face à cette an­goisse-là, la so­lu­tion qu’il ébauche, en s’inspirant des ro­man­tiques al­le­mands, passe par le de l’individu en tant qu’individu au pro­fit d’une col­lec­tive, ano­nyme et spon­ta­née. Puisque les grandes ques­tions du monde res­tent sans ré­ponse, la se­rait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :

«Re­garde, c’est le soir», dit Blaga 2.
«L’âme du vil­lage pal­pite près de nous
Comme une odeur ti­mide d’herbe cou­pée,
Comme une chute de fu­mée des avant-toits de paille…
»

  1. En rou­main «Eu cred că veș­ni­cia s-a năs­cut la sat». Icône Haut
  1. Dans Constan­tin Cio­praga, «La Per­son­na­lité de la ». Icône Haut

Li Qing zhao, « Œuvres poétiques complètes »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de Li Qing zhao 1, poé­tesse chi­noise (XIIe siècle apr. J.-C.). Née dans une man­da­ri­nale culti­vée, elle épousa à dix-huit ans un jeune col­lec­tion­neur, Zhao Ming cheng 2. L’union fut par­faite, les deux époux par­ta­geant une pas­sion com­mune pour la cal­li­gra­phie et la au mi­lieu des ob­jets d’art, dont dix chambres de leur mai­son étaient rem­plies. Mais l’invasion des Jürčen 3 fit brû­ler ce tré­sor et obli­gea les deux époux à se ré­fu­gier au Sud du fleuve  : «Les ha­bi­tants», ra­conte Li Qing zhao 4, «s’enfuient, de l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord. Les mon­ta­gnards pro­jettent d’entrer dans les . Les ci­ta­dins pensent à ga­gner les et les fo­rêts. Aux heures de midi, on voit sta­tion­ner de longues files de . Il n’y a plus per­sonne qui ne soit sans abri». Quatre ans plus tard, Li Qing zhao per­dait son mari et fut ré­duite à me­ner une in­stable sans trou­ver le re­pos. Aussi, si ses pre­mières œuvres re­flètent la pé­riode heu­reuse de sa vie, celles qui suivent l’exode vers le Sud et la de l’époux ex­priment la . Eh bien! ce n’est que dans ces der­nières œuvres, com­po­sées sur la route et au mi­lieu des ha­sards, que Li Qing zhao montre des qua­li­tés propres à une grande poé­tesse, et j’ose dire que ses souf­frances, ses plaintes, ses larmes sont la moi­tié de son . Pour s’en convaincre, il suf­fit de consi­dé­rer son poème com­posé sur l’air de «Sheng sheng man» 5Chaque note est lente»). Les trois pre­miers vers («Je tâ­tonne à gauche, je cherche à droite. fraîche, so­li­tude froide. Mon cœur erre et se perd dans tant d’ombres, pâles, sombres.») sont ci­tés en­core de nos jours pour illus­trer une grande dé­tresse. Quant au dé­but du vers sui­vant («La su­bite cède au »), il est de­venu un pour ex­pri­mer une si­tua­tion chan­geante. En­fin, les deux der­niers vers («Dans un tel état, com­ment en fi­nir avec ce seul mot ter­rible : “tris­tesse”?») sont dé­cla­més par les gens ins­truits pour évo­quer des mal­heurs qui s’accumulent.

  1. En 李清照. Par­fois trans­crit Li Ts’ing-tchao, Li-tsing-chao, Li Ch’ing-chao ou Li Quingz­hao. Icône Haut
  2. En chi­nois 趙明誠. Icône Haut
  3. Les ac­tuels Mand­chous. Icône Haut
  1. «Post­face au “Ca­ta­logue des sur et sur bronze (金石錄)” de Zhao Ming cheng». Icône Haut
  2. En chi­nois «声声慢». Icône Haut

Cioran, « Œuvres »

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit de M. Emil Cio­ran 1, in­tel­lec­tuel d’expression fran­çaise (XXe siècle). Com­ment peut-on être ? com­ment peut-on dis­po­ser d’une si sub­tile et ne pas réus­sir à ex­pri­mer les si­gni­fi­ca­tions de l’ d’aujourd’hui?, se de­man­dait M. Cio­ran. Il lui sem­blait que le ac­tuel était ter­ri­ble­ment in­té­res­sant, et son seul re­gret était de ne pas pou­voir y par­ti­ci­per da­van­tage — à cause de lui-même, ou plu­tôt de son des­tin d’intellectuel rou­main : «Qui­conque est doué du sens de l’», dit-il 2, «ad­met­tra que… les Rou­mains ont vécu dans une in­exis­tence per­ma­nente». Mais ar­rivé en , M. Cio­ran fut sur­pris de voir que la France même, au­tre­ment douée et pla­cée, ne par­ti­ci­pait plus aux choses, ni même ne leur as­si­gnait un nom. Il lui sem­blait pour­tant que la vo­ca­tion pre­mière de cette était de com­prendre les autres et de leur faire com­prendre. Mais de­puis des dé­cen­nies, la France cher­chait des au lieu d’en don­ner : «J’étais allé loin pour cher­cher le , et le so­leil, en­fin trouvé, m’était hos­tile. Et si j’allais me je­ter du haut de la fa­laise? Pen­dant que je fai­sais des consi­dé­ra­tions plu­tôt sombres, tout en re­gar­dant ces pins, ces ro­chers, ces vagues, je sen­tis sou­dain à quel point j’étais rivé à ce bel uni­vers mau­dit», dit-il 3. Si, dans son œuvre de langue rou­maine, M. Cio­ran ne ces­sait de dé­plo­rer la si­tua­tion des sans des­tin, des cultures mi­neures, tou­jours res­tées ano­nymes, ses ou­vrages de langue fran­çaise offrent une vi­sion tout aussi pes­si­miste des cultures ma­jeures ayant eu ja­dis une am­bi­tion et un de trans­for­mer le monde, ar­ri­vées dé­sor­mais à une phase de dé­clin, à la per­pé­tua­tion d’une «race de sous-hommes, res­quilleurs de l’» 4. Et les unes et les autres marchent — courent même — vers un dé­sastre réel, et non vers quelque idéale . Et M. Cio­ran de conclure : «Le “pro­grès” est l’équivalent mo­derne de la Chute, la ver­sion pro­fane de la dam­na­tion» 5.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’E. M. Cio­ran. Fas­ciné par les ini­tiales d’E. M. Fors­ter, Cio­ran les adopta pour lui-même. Il di­sait qu’Emil tout court, c’était un pré­nom vul­gaire, un pré­nom de coif­feur. Icône Haut
  2. « et Des­tin». Icône Haut
  3. «Aveux et Ana­thèmes». Icône Haut
  1. «Pré­cis de dé­com­po­si­tion». Icône Haut
  2. «La Chute dans le ». Icône Haut

« Amour et Politique dans la Chine ancienne : cent poèmes de Li Shangyin (812-858) »

éd. de Boccard, Paris

éd. de Boc­card, Pa­ris

Il s’agit de Li Shang yin 1, de son vrai nom Yi shan 2, poète sym­bo­liste de la fin des Tang (IXe siècle apr. J.-C.). «Au­cun poème , par dé­fi­ni­tion, ne peut se ré­duire à son sens lit­té­ral.» 3 Cette ne s’est ja­mais mieux fait sen­tir que dans les poèmes de Li Shang yin. Le moindre de ses vers a be­soin de pour être bien com­pris. Les sont peu connus. L’action où ils sont en­ga­gés est aussi obs­cure pour les gens du que pour les éru­dits. L’ du lec­teur, au lieu de s’attacher tout en­tière aux idées qui animent le poète, cherche à de­vi­ner le sens des sym­boles. Que si­gni­fie, par exemple :

«Lorsque le cé­leste des Han eut en­gen­dré Pu­shao,
La lu­zerne et la gre­nade furent plan­tées par­tout dans les fau­bourgs.
Les jar­dins du ne sur­ent que conser­ver le bec du phé­nix;
Les chars de la suite n’ont plus dressé les longues plumes du fai­san…
Qui avait prévu que Su Wu, de­venu vieux, re­vien­drait au pays?
À Mou­ling, sur les pins et les cy­près, la pluie tombe en sif­flant, lu­gubre
» 4?

  1. En chi­nois 李商隱. Au­tre­fois trans­crit Li-chang-yn, Li Chang-yin ou Li Shang ying. Icône Haut
  2. En chi­nois 義山. Au­tre­fois trans­crit Yi-chan. Icône Haut
  1. M. An­dré Mar­ko­wicz. Icône Haut
  2. p. 225. Icône Haut

Lucrèce, « Œuvres complètes. De la Nature des choses »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «De re­rum Na­tura» («De la des choses») de Lu­crèce 1, poète qui avait l’ambition de pé­né­trer dans les se­crets de l’univers et de nous y faire pé­né­trer avec lui; de fouiller dans cet pour mon­trer que tout phé­no­mène , tout ce qui s’accomplit au­tour de nous est la consé­quence de simples, par­fai­te­ment im­muables; d’établir, en­fin, d’une puis­sante fa­çon les atomes comme pre­miers prin­cipes de la na­ture, en fai­sant table rase des fic­tions re­li­gieuses et des su­per­sti­tions (Ier siècle av. J.-C.). Ni le titre ni le su­jet du «De re­rum Na­tura» ne sont de Lu­crèce; ils ap­par­tiennent pro­pre­ment à Épi­cure. Lu­crèce, tout charmé par les dé­cou­vertes que ce sa­vant avait faites dans son «Peri phy­seôs» 2De la Na­ture»), a joint aux sys­tèmes de ce pen­seur l’agrément et la force des ex­pres­sions; il a en­duit, comme il dit, la amère des connais­sances avec «la jaune li­queur du doux miel» de la  : «Et certes, je ne me cache pas», ajoute-t-il 3, «qu’il est dif­fi­cile de rendre claires, dans des vers la­tins, les obs­cures dé­cou­vertes des Grecs — sur­tout main­te­nant qu’il va fal­loir créer tant de termes nou­veaux, à cause de l’indigence de notre et de la nou­veauté du su­jet. Mais ton mé­rite et le plai­sir que me pro­met une si tendre, me per­suadent d’entreprendre le plus pé­nible tra­vail et m’engagent à veiller dans le calme des nuits, cher­chant par quelles pa­roles, par quels vers en­fin je pour­rai faire luire à tes yeux une vive lu­mière qui t’aide à voir sous toutes leurs faces nos mys­té­rieux pro­blèmes».

  1. En la­tin Ti­tus Lu­cre­tius Ca­rus. Icône Haut
  2. En grec «Περὶ φύσεως». Icône Haut
  1. p. 65. Icône Haut

Tao Yuan ming, « L’Homme, la Terre, le Ciel : enfin je m’en retourne »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit des poèmes de Yuan ming 1, let­tré , grand chantre de la rus­tique (IVe-Ve siècle apr. J.-C.). Issu d’une illustre li­gnée tom­bée dans l’obscurité et le be­soin, il rê­vait d’une vie simple, mais qui lui ap­par­tînt réel­le­ment, une vie consa­crée à ses poèmes et à son jar­din de chry­san­thèmes : «Cueillant des chry­san­thèmes à la haie de l’Est, le cœur libre, j’aperçois la mon­tagne du Sud. Dans tout cela ré­side une si­gni­fi­ca­tion pro­fonde. Sur le point de l’exprimer, j’ai déjà ou­blié les mots», dit-il dans un pas­sage re­mar­quable. Sa était pauvre : la­bou­rer et culti­ver ne suf­fi­sait pas à la nour­rir. La mai­son était pleine de jeunes , mais la jarre — vide de grains. Ses amis le pres­saient de prendre quelque poste loin­tain et fi­nirent par l’en per­sua­der. Tao Yuan ming avait à peine pris ses fonc­tions que, nos­tal­gique, il avait déjà en­vie de s’en re­tour­ner. Pour­quoi? Sa était spon­ta­née; elle re­fu­sait de se plier pour être conte­nue. Lan­guis­sant, bou­le­versé, il eut pro­fon­dé­ment de tra­hir le prin­cipe de sa vie — ce­lui de ne pas se mê­ler aux obli­ga­tions du . Il dé­cida d’attendre la fin de l’année pour aus­si­tôt em­bal­ler ses et par­tir la , tel un oi­seau échappé de sa cage :

«Les champs et le jar­din doivent déjà être en­va­his par les herbes,
Pour­quoi ne m’en suis-je pas re­tourné plus tôt?…
Aujourd’hui j’ai , hier j’avais tort…
J’interroge des pas­sants pour trou­ver le bon che­min
À l’aube, je re­grette que la lu­mière soit à peine claire
Dès que j’aperçois mon humble hutte,
Joyeux, aus­si­tôt je me mets à cou­rir
Le jeune ser­vi­teur vient m’accueillir,
Mes jeunes en­fants at­tendent à la porte…
Te­nant la main des en­fants j’entre dans la mai­son
Il y a un pot rem­pli de
Je prends le pot, me sers et bois seul
À contem­pler les dans la cour 2 se ré­jouit mon vi­sage».

  1. En chi­nois 陶淵明. Au­tre­fois trans­crit T’ao Yuen-ming ou T’au Yüan-ming. Éga­le­ment connu sous le nom de Tao Qian (陶潛). Au­tre­fois trans­crit T’ao Ts’ien, T’au Ts’ien ou T’ao Ch’ien. Icône Haut
  1. Tao Yuan ming avait planté une al­lée de cinq saules à côté de sa mai­son. C’était là, si l’on veut, son ly­cée; il s’y pro­me­nait. De là lui est venu son nom de pin­ceau de «Wu­liu Xian­sheng» (五柳先生), c’est-à-dire «Mon­sieur Cinq-saules». Par­fois tra­duit «Sieur aux Cinq Saules», «le Doc­teur des Cinq Saules», «l’ aux Cinq Saules», «le Maître des Cinq Saules» ou «Let­tré aux Cinq Saules». Icône Haut

Jayadeva, « “Gita govinda”, Le Chant du berger : poème »

dans « Théologie hindoue » (XIXᵉ siècle), p. 244-266

dans « hin­doue» (XIXe siècle), p. 244-266

Il s’agit du «Gîta go­vinda» 1Le Chant du bou­vier»), pièce à la fois chan­tée et dan­sée en l’ de Kṛṣṇa. Ce que l’on sait sur Jaya­deva 2, qui est l’auteur de cette pièce (XIIe siècle apr. J.-C.), se borne à des . On ra­conte qu’à la de ses pa­rents, le poète se mit en route vers le de Ja­gan­nâ­tha avec l’intention d’y ado­rer Kṛṣṇa. En che­min, ce­pen­dant, il tomba d’inanition, ac­ca­blé par la du . Un bou­vier, qui gar­dait son trou­peau aux alen­tours, l’aperçut et vint le se­cou­rir en lui of­frant du lait caillé. Lorsque Jaya­deva ar­riva en­fin au temple, quelle ne fut pas sa sur­prise quand il vit, à la place de la sta­tue de Ja­gan­nâ­tha, le jeune qu’il ve­nait de quit­ter! Com­pre­nant à l’instant que son sau­veur était en Kṛṣṇa, il en conçut l’idée du «Gîta go­vinda». On pré­tend éga­le­ment que le poète hé­si­tait un jour à écrire un vers sus­cep­tible de , et avant de prendre une dé­ci­sion, il pré­para la page, puis des­cen­dit se bai­gner à la ri­vière. Pen­dant ce , Kṛṣṇa lui-même ayant pris les traits de Jaya­deva, écri­vit sur la page le vers qui avait em­bar­rassé Jaya­deva, laissa le ou­vert et se re­tira. Lorsque Jaya­deva re­vint et qu’il vit cela, il fut étonné et in­ter­ro­gea sa femme à ce su­jet. Elle lui dit : «Vous êtes re­venu et avez écrit ce vers : quel autre que vous au­rait tou­ché à votre car­net?» 3 Jaya­deva, très tou­ché par cet évé­ne­ment, alla dans la fo­rêt, où il vit un arbre éton­nant : sur chaque feuille de cet arbre étaient des du «Gîta go­vinda».

  1. En «गीत गोविन्द». Au­tre­fois trans­crit «Geet go­vinda», «Geeta go­vinda», «Gi­ta­go­winda», «Ghita go­vinda» ou «Guîta go­vinda». Icône Haut
  2. En sans­crit जयदेव. Au­tre­fois trans­crit Jai­dev, Jaya­dev, Dscha­ja­de­vas ou Djaya­déva. Icône Haut
  1. Dans , « de la lit­té­ra­ture hin­doui et hin­dous­tani, 2e édi­tion. Tome II», p. 72. Icône Haut