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Kumar, « Un Amour sans mesure »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de «Tyâg­pa­tra» 1Un sans me­sure», ou lit­té­ra­le­ment «La Lettre de dé­mis­sion») de M. Anandi Lal 2, plus connu sous le sur­nom de Jai­nen­dra Ku­mar 3 (XXe siècle). Pour cet écri­vain et pes­si­miste in­dien, dis­ciple de Gandhi, l’ est un être qui va ac­cu­mu­lant en lui-même la — de en dou­leur — jusqu’à en être rem­pli. C’est cette souf­france ac­cu­mu­lée qui donne à l’ une force et une puis­sante dont l’éclat res­plen­dit sur la noir­ceur du des­tin hu­main. «Hor­mis ce dou­lou­reux éclat, ce ne sont que té­nèbres… La souf­france de l’âme est le joyau qui fait vivre, c’est le sel de la », dit M. Ku­mar 4. La est donc du côté des humbles et des ré­si­gnés; elle est dans l’acceptation in­té­grale de cette souf­france en de­hors de la­quelle toute connais­sance est , toute pré­ten­tion est vain . Par son œuvre, M. Ku­mar veut sa­luer ceux qui ont ac­cepté li­bre­ment le poids du des­tin hu­main, qui l’ont porté sans se plaindre, qui ont souf­fert sans un mot, puis qui, le mo­ment venu, au terme de leurs tri­bu­la­tions, s’en sont al­lés de la même fa­çon : en si­lence. «Leur fin, qu’en pen­ser? Je ne dé­sire rien en pen­ser. Mais je peux quand même avoir cette , cette unique pen­sée, que leur [] ne peut pas, ne pourra ja­mais s’oublier, et que peut-être leur pu­reté est en elle-même as­sez par­faite pour for­cer les portes du pa­ra­dis à s’ouvrir de­vant eux», dit-il 5. «Dans un in­ci­sif, per­cu­tant… ses ro­mans ex­cellent à dé­peindre l’exacerbation des affres de la do­mes­tique d’une couche de la po­pu­la­tion in­dienne — la classe moyenne ur­baine — dont il est issu, en ac­cu­sant un tour vo­lon­tiers pro­vo­cant; ainsi dans “Su­nîtâ” 6, œuvre de 1935 qui fit scan­dale, où se trouve poussé jusqu’à l’extrême le prin­cipe gand­hien de ré­sis­tance pas­sive», ex­pliquent MM. Ro­bert Laf­font et Va­len­tino Bom­piani.

  1. En «त्यागपत्र». Par­fois trans­crit «Tyāg patr» ou «Tyā­ga­pa­tra». Icône Haut
  2. En hindi आनंदीलाल. Icône Haut
  3. En hindi जैनेंद्रकुमार. Icône Haut
  1. «Un Amour sans me­sure», p. 94. Icône Haut
  2. id. p. 95. Icône Haut
  3. En hindi «सुनीता», in­édit en . Par­fois trans­crit «Su­neeta». Icône Haut

« Chansons jaillies de l’âme du peuple [vietnamien] »

dans « Plaintes de la femme d’un guerrier » (éd. Sudestasie, Paris), p. 93-113

dans «Plaintes de la femme d’un guer­rier» (éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris), p. 93-113

Il s’agit d’une de la du . Long­temps dé­dai­gnée par les let­trés, parce qu’elle ne me­nait pas aux car­rières man­da­ri­nales, cette lit­té­ra­ture avait tou­jours été culti­vée par l’effort du . Ainsi donc, à côté de la lit­té­ra­ture of­fi­cielle, qui chan­tait en vers les hommes et les choses de la , il exis­tait une lit­té­ra­ture po­pu­laire, en grande par­tie orale, qui ex­pri­mait sous une forme tan­tôt naïve et simple, tan­tôt nar­quoise et vo­lon­tiers hu­mo­ris­tique, l’ po­pu­laire du Viêt-nam. «Tan­dis que les let­trés s’enfermaient dans leur tour d’ivoire et se plai­saient à com­po­ser des vers qui, ici, res­semblent bien aux vers la­tins, ou à com­men­ter les vieux clas­siques, le peuple tra­vaillait à for­mer la et à pro­duire cette riche lit­té­ra­ture po­pu­laire com­po­sée de dic­tons, de , de , de dis­tiques, de phrases, et ex­pres­sions plus ou moins as­so­nan­cées por­tant des al­lu­sions aux faits du passé ou aux cou­tumes lo­cales, et sur­tout de , de ces belles et douces chan­sons qui s’élèvent les nuits d’été du fond des paillotes ou de l’immensité des ri­zières et des étangs et semblent se ré­per­cu­ter dans l’ jusqu’à la cime fris­son­nante des bam­bous. Elles sont, ces chan­sons, d’un charme , d’une sua­vité pro­fonde. Qui­conque a en­tendu une fois chan­ter par des re­pi­queuses de du delta ton­ki­nois ou des sam­pa­nières de la ri­vière de Huê des chan­sons comme celle-ci :

Mon­tagne, ô mon­tagne, pour­quoi êtes-vous si haute?
Vous ca­chez le et vous me ca­chez le vi­sage de mon bien-aimé!

n’oubliera ja­mais cet ac­cent d’indéfinissable la­mar­ti­nienne qui ré­vèle le fonds de de la race, en même qu’il montre l’excellence de la langue ca­pable d’exprimer de tels », dit très bien Phạm Quỳnh

Đặng Trần Côn, Đoàn Thị Điểm et Hoàng Xuân Nhị, « Plaintes de la femme d’un guerrier »

éd. Sudestasie, Paris

éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris

Il s’agit des «Plaintes de la femme d’un guer­rier» 1Chinh phụ ngâm» 2), poème (XVIIIe siècle apr. J.-C.) où sont ex­pri­mées les dou­leurs d’une femme sé­pa­rée de son mari par la , en même que les dé­cep­tions éter­nelles d’une as­pi­rant aux simples joies de l’. Bien que ces «Plaintes» ne soient pas un an­ti­mi­li­ta­riste, elles prennent un tel ac­cent d’impuissant déses­poir, elles sont si sin­cères dans leur in­quié­tude, qu’elles sus­citent une aver­sion ins­tinc­tive contre la guerre. On ra­conte que cer­tains , en les en­ten­dant chan­ter, dé­ser­taient :

«Sur les champs de car­nage, la aven­tu­reuse du sol­dat
N’est que trop sem­blable à la des feuilles!
» 3

Écrites d’abord en clas­sique par Đặng Trần Côn, ces «Plaintes» furent en­suite adap­tées en viet­na­mien par une femme cé­lèbre, Đoàn Thị Điểm, et en­fin en par un écri­vain in­jus­te­ment ou­blié, M. . Tous les trois étaient Viet­na­miens; tous les trois vi­vaient des époques trou­blées, des époques qui ar­ra­chaient les jeunes gens à leurs foyers; et les scènes dé­chi­rantes dont ils étaient les té­moins, en­traient pour quelque chose dans leur . De Đặng Trần Côn, nous ne sa­vons rien de vrai­ment bien pré­cis, si­non qu’il com­posa son poème dans une pé­riode de luttes in­tes­tines entre les sei­gneurs du Nord et du Sud. Tout le le li­sait et l’admirait, et quelques-uns al­laient jusqu’à dire : «Toute son se ma­ni­feste dans ce long poème. L’auteur vi­vra en­core trois ans tout au plus» 4. Cette fut mal­heu­reu­se­ment réa­li­sée : Đặng Trần Côn mou­rut, en ef­fet, trois ans plus tard, poussé, semble-t-il, au . Quant à la poé­tesse Đoàn Thị Điểm, sur­nom­mée Hồng Hà («Re­flets-Roses»), nous n’avons d’autres ren­sei­gne­ments sur elle que ceux four­nis par son orai­son fu­nèbre : «En agi­tant son pin­ceau pour dé­crire les pay­sages, elle ex­prima des très pro­fonds… ca­pables d’émouvoir même les Im­mor­tels… Hé­las! elle n’avait pas de de­meure stable… Ma­riée seule­ment après la tren­taine, elle quitta la la qua­ran­taine pas­sée. Sa et sa phy­sio­no­mie res­tèrent in­con­nues; ses œuvres ar­tis­tiques — sans écho; elle par­tit sans aver­tir sa vieille mère. N’est-ce pas que le des­tin est bi­zarre? Le est-il donc in­juste?»

  1. Par­fois tra­duit «La Com­plainte de l’épouse du guer­rier», «Chant de la femme du com­bat­tant» ou «Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre». Icône Haut
  2. En chi­nois «征婦吟». Icône Haut
  1. p. 46. Icône Haut
  2. Dans Bùi Văn Lăng, «Pré­face à “Com­plainte de la femme d’un guer­rier”», p. II. Icône Haut

Graffigny, « Lettres d’une Péruvienne »

éd. Voltaire Foundation, coll. Vif, Oxford

éd. Vol­taire Foun­da­tion, coll. Vif, Ox­ford

Il s’agit des «Lettres d’une Pé­ru­vienne» de  1, femme de lettres fran­çaise (XVIIIe siècle), dont le bel es­prit et l’élégance du firent dirent à un  2 «qu’elle fai­sait in­fi­dé­lité à son sexe, en usur­pant les ta­lents du nôtre». Née Fran­çoise d’Happoncourt, elle fut ma­riée — ou pour mieux dire — sa­cri­fiée à Fran­çois Hu­guet de Graf­fi­gny, em­porté, ja­loux et ex­trê­me­ment violent. Dès les pre­mières an­nées de conju­gale, elle se vit ex­po­sée aux mé­pris et aux in­sultes; des , son mari en vint aux coups, et la chose fit tant d’éclat qu’étant par­ve­nue à la po­lice, il y eut ordre d’emprisonner cet homme bru­tal qui, si­tôt re­lâ­ché, fit suivre ses pre­miers ex­cès par quan­tité d’autres. Il lui ar­riva plu­sieurs fois de ter­ras­ser son épouse à coups de pied et de poing, et après une fausse couche qu’elle eut, de lui mettre l’épée nue sur l’estomac. La pauvre femme per­dit tous ses en bas âge et eut beau­coup à souf­frir; la lettre sui­vante le montre as­sez : «Mon cher père», y dit Graf­fi­gny 3, «je suis obli­gée dans l’extrémité où je me trouve de vous sup­plier de ne me point aban­don­ner et de m’envoyer au plus vite cher­cher par M. de Ra­ré­court, car je suis en grand dan­ger et suis toute bri­sée de coups. Je me jette à votre et vous prie que ce soit bien vite». Après avoir pen­dant de longues an­nées donné des preuves d’une pa­tience hé­roïque, elle par­vint à ob­te­nir une sé­pa­ra­tion ju­ri­dique. Li­bé­rée des hor­ribles chaînes qu’elle avait trop long­temps por­tées, elle vint à Pa­ris. Sa vie n’avait été qu’un tissu de mal­heurs et de désa­gré­ments, et ce fut dans ces mal­heurs qu’elle puisa le sen­ti­ment d’une im­mense tris­tesse, d’une de tous les ins­tants qui ca­rac­té­risa son «Lettres d’une Pé­ru­vienne» : «Il ne me reste», y dit-elle 4, «que la triste de [vous] peindre mes dou­leurs… Que j’ai de à [vous les] dire, à leur don­ner toutes les sortes d’existences qu’elles peuvent avoir! Je vou­drais les tra­cer sur le plus dur mé­tal, sur les murs de ma chambre, sur mes ha­bits, sur tout ce qui m’environne, et les ex­pri­mer dans toutes les langues». Mais ce ro­man et un ou deux autres qu’elle écri­vit n’égalèrent ja­mais tout à fait ce­lui de sa vie; et plus en­core que dans les «Lettres d’une Pé­ru­vienne», les lec­teurs trou­ve­ront de l’intérêt dans les mil­liers de lettres qui consti­tuent sa vé­ri­table «Cor­res­pon­dance».

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Gra­fi­gny, Gra­fi­gni et Graf­fi­gni. Icône Haut
  2. Étienne-Guillaume Co­lombe. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance. Tome I», p. 1. Icône Haut
  2. «Lettres d’une Pé­ru­vienne», p. 155. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome III »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «La Prin­cesse de Ba­by­lone» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome II »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «Can­dide» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome I »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «Mi­cro­mé­gas» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Sappho, « La Poésie »

éd. de l’Aire, coll. Le Chant du monde, Vevey

éd. de l’Aire, coll. Le Chant du , Ve­vey

Il s’agit de «La » («Melê» 1) de Sap­pho de Les­bos 2 (VIIe siècle av. J.-C.), la poé­tesse la plus re­nom­mée de toute la par ses vers et par ses amours, et l’une des seules de l’ dont la ait tra­versé les siècles. Stra­bon la consi­dère comme «un pro­dige» et pré­cise : «Je ne sache pas que, dans tout le cours des dont l’ a gardé le , au­cune femme ait pu, même de loin, sous le rap­port du ly­rique, ri­va­li­ser avec elle» 3. J’ajouterais aussi les mots que l’auteur du «Voyage du jeune Ana­char­sis en Grèce» met dans la bouche d’un ci­toyen de My­ti­lène et qui contiennent un ré­sumé élo­quent des hom­mages ren­dus par les Grecs au ta­lent de Sap­pho : «Elle a peint tout ce que la offre de plus riant. Elle l’a peint avec les les mieux as­sor­ties, et ces cou­leurs elle sait au be­soin tel­le­ment les nuan­cer, qu’il en ré­sulte tou­jours un heu­reux mé­lange d’ombres et de … Mais avec quelle force de gé­nie nous en­traîne-t-elle lorsqu’elle dé­crit les charmes, les trans­ports et l’ivresse de l’! Quels ta­bleaux! Quelle ! Do­mi­née, comme la Py­thie, par le qui l’agite, elle jette sur le pa­pier des ex­pres­sions en­flam­mées; ses y tombent comme une grêle de traits, comme une pluie de qui va tout consu­mer». Toutes ces qua­li­tés la firent sur­nom­mer la dixième des muses : «Les muses, dit-on, sont au nombre de neuf. Quelle er­reur! Voici en­core Sap­pho de Les­bos qui fait dix» 4. On ra­conte que Sap­pho épousa, fort jeune, le plus riche ha­bi­tant d’une île voi­sine, mais qu’elle en de­vint veuve aus­si­tôt. Le culte de la poé­sie fut dès ce mo­ment sa plus chère oc­cu­pa­tion. Elle réunit au­tour d’elle plu­sieurs , dont elle fit ses élèves ou ses amantes; car il faut sa­voir que son ar­deur amou­reuse, dont pré­tend qu’elle était «non moindre que le feu de l’Etna» («Ætnæo non mi­nor igne»), s’étendait sur les per­sonnes de son sexe. Il ne nous reste, du grand nombre de ses , , et épi­tha­lames, que quelques pe­tits frag­ments qui se trouvent dis­sé­mi­nés dans les an­ciens scho­liastes, et sur­tout une ode en­tière que Sap­pho fit à la louange d’une de ses maî­tresses.

  1. En «Μέλη». Icône Haut
  2. En grec Σαπφὼ ἡ Λεσϐία. «Mais son nom au­then­tique était Ψάπφω (Psap­phô), au té­moi­gnage de la poé­tesse elle-même et de mon­naies my­ti­lé­niennes. Des mon­naies d’Érésos ont la forme sim­pli­fiée Σαπφώ (Sap­phô) qui est de­ve­nue en grec la forme la plus com­mune et a abouti fi­na­le­ment à Σαφώ (Sa­phô)», dit Aimé Puech. Icône Haut
  1. En grec «ἡ Σαπφώ, θαυμαστόν τι χρῆμα· οὐ γὰρ ἴσμεν ἐν τῷ τοσούτῳ χρόνῳ τῷ μνημονευομένῳ φανεῖσάν τινα γυναῖκα ἐνάμιλλον οὐδὲ κατὰ μικρὸν ἐκείνῃ ποιήσεως χάριν». Icône Haut
  2. Pla­ton dans «An­tho­lo­gie grecque, d’après le ma­nus­crit pa­la­tin». Icône Haut

Chateaubriand, « Les Martyrs, ou le Triomphe de la religion chrétienne. Tome III »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mar­tyrs» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Les Martyrs, ou le Triomphe de la religion chrétienne. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mar­tyrs» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Les Martyrs, ou le Triomphe de la religion chrétienne. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mar­tyrs» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Pindare, « Olympiques • Pythiques • Néméennes • Isthmiques • Fragments »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de Pin­dare 1, poète (Ve siècle av. J.-C.). Pau­sa­nias rap­porte «qu’étant tout jeune et s’en al­lant à Thes­pies pen­dant les grandes cha­leurs, Pin­dare fut sur­pris du som­meil vers le mi­lieu de la jour­née, et que s’étant mis hors du che­min pour se re­po­ser, des abeilles vinrent faire leur miel sur ses lèvres; ce qui fut la pre­mière marque du que de­vait avoir Pin­dare à la » 2. Car cette mer­veille, qu’on dit être aussi ar­ri­vée par la suite à Pla­ton et à saint Am­broise, a tou­jours été ée comme le pré d’une ex­tra­or­di­naire ha­bi­leté dans le dis­cours. Plu­tarque cite Pin­dare plus d’une fois, et tou­jours avec éloge. Ho­race le pro­clame le pre­mier des ly­riques et se sert de cette com­pa­rai­son éner­gique 3 : «Comme des­cend de la mon­tagne la course d’un fleuve que les pluies ont en­flé par-des­sus ses rives fa­mi­lières; ainsi bouillonne et se pré­ci­pite, im­mense, Pin­dare à la bouche pro­fonde». On peut dire que Pin­dare était très dé­vot et très re­li­gieux en­vers les , et l’on en voit des preuves dans plu­sieurs de ses frag­ments, comme quand il dit «que l’ ne sau­rait, avec sa faible , pé­né­trer les des­seins des dieux» 4. Et un peu plus loin : «Les âmes des im­pies volent sous le , au­tour de la , en proie à de cruelles dou­leurs, sous le joug de maux in­évi­tables. Mais au ciel ha­bitent les âmes des dont la cé­lèbre, dans des , la grande di­vi­nité» 5. Pla­ton ap­pelle Pin­dare «di­vin» («theios» 6) et rap­porte quan­tité de té­moi­gnages de ce poète sur la sur­vi­vance de l’ hu­maine après la  : «Pin­dare dit que l’âme hu­maine est im­mor­telle; que tan­tôt elle s’éclipse (ce qu’il ap­pelle mou­rir), tan­tôt elle re­pa­raît, mais qu’elle ne pé­rit ja­mais; que pour cette , il faut me­ner la la plus sainte pos­sible, car “les âmes qui ont payé à Pro­ser­pine la dette de leurs an­ciennes fautes, elle les rend au bout de neuf ans à la lu­mière du » 7. Hé­las! ce beau ap­par­tient à quelque ode de Pin­dare que nous n’avons plus. De tant d’œuvres du fa­meux poète, il n’est resté, pour ainsi dire, que la por­tion la plus pro­fane. Ses hymnes à Ju­pi­ter, ses péans ou chants à Apol­lon, ses di­thy­rambes, ses hymnes à Cé­rès et au Pan, ses pro­so­dies ou chants de pro­ces­sion, ses hymnes pour les vierges, ses hy­por­chèmes ou chants mê­lés aux danses re­li­gieuses, ses en­thro­nismes ou chants d’inauguration sa­cer­do­tale, toute sa en­fin s’est per­due dès long­temps, dans la ruine même de l’ancien culte. Il ne s’est conservé que ses cé­lé­brant les quatre de la  : les jeux py­thiques ou de Delphes, les jeux isth­miques ou de Co­rinthe, ceux de Né­mée et ceux d’Olympie.

  1. En grec Πίνδαρος. Icône Haut
  2. « de la Grèce», liv. IX, ch. XXIII. Icône Haut
  3. «Odes», liv. IV, poème 2. Icône Haut
  4. p. 299. Icône Haut
  1. p. 310. Icône Haut
  2. En grec θεῖος. Icône Haut
  3. «Mé­non», 81b. Cor­res­pond à p. 310. Icône Haut

Alloula, « Les Sangsues • Le Pain • La Folie de Salim • Les Thermes du Bon-Dieu »

éd. Actes Sud, coll. Papiers, Arles

éd. Actes Sud, coll. Pa­piers, Arles

Il s’agit des «Thermes du Bon-» («Ham­mam Rabi» 1) et autres pièces de M.  2, dra­ma­turge (XXe siècle). «Ab­del­ka­der était pas­sionné de », dit M. Gil­bert Grand­guillaume 3, «et il fal­lait l’être pour s’y lan­cer dans les an­nées Bou­me­diene 4, une pé­riode où la po­lice mi­li­taire était om­ni­pré­sente, la cen­sure gé­né­ra­li­sée, l’ ta­tillonne et déjà cor­rom­pue… Nul ne sait qui a armé la main des deux ir­res­pon­sables qui l’ont as­sas­siné le 10 mars 1994 à Oran alors qu’il sor­tait de sa mai­son.» Ce jour-là, l’ a perdu un qui avait saisi le sens pro­fond de la , qui œu­vrait à don­ner à son pays un théâtre qui fût com­pris de tous et qui em­prun­tât ses formes aux tra­di­tions sé­cu­laires. Car, pa­ral­lè­le­ment au théâtre de type oc­ci­den­tal, qu’on consom­mait en salle fer­mée et dans les , les po­pu­la­tions ru­rales de l’Algérie conti­nuaient à pra­ti­quer un théâtre tra­di­tion­nel : ce­lui de la «» 5an­neau»). La re­pré­sen­ta­tion de ce théâ­tral se dé­rou­lait en plein air, gé­né­ra­le­ment les jours de mar­ché. Les spec­ta­teurs s’asseyaient à même le sol, épaule contre épaule, et for­maient ainsi un cercle al­lant de cinq à douze mètres de dia­mètre. À l’intérieur de ce cercle, évo­luait seul le «med­dah» 6conteur»), qui était à la fois l’acteur et l’auteur, in­ter­pré­tant à sa fa­çon toutes sortes de . Un ac­ces­soire or­di­naire — sa cape, ses chaus­sures ou une en­tre­po­sée au centre de l’ théâ­tral — de­ve­nait pour les au­di­teurs, sous l’emprise de son verbe ma­gique, une source em­poi­son­née, une bête fé­roce bles­sée ou une épouse aban­don­née. «Après l’indépendance na­tio­nale… les pre­mières trans­for­ma­tions pro­je­tèrent l’activité théâ­trale [vers les cam­pagnes]. Les re­pré­sen­ta­tions se don­naient en plein air, au grand jour, gra­tui­te­ment et sur toutes sortes d’espaces : cours d’écoles, chan­tiers de agri­coles en construc­tion, ré­fec­toires à l’intérieur d’usines… C’est pré­ci­sé­ment dans ce grand en­thou­siasme, dans ce grand dé­pla­ce­ment vers les masses la­bo­rieuses… que notre ac­ti­vité théâ­trale de type [oc­ci­den­tal] a ré­vélé ses li­mites. En ef­fet, les nou­veaux pay­sans ou d’origine pay­sanne avaient des com­por­te­ments cultu­rels propres face à la re­pré­sen­ta­tion théâ­trale. Les spec­ta­teurs s’asseyaient à même le sol, et for­maient na­tu­rel­le­ment une “halqa” au­tour de notre dis­po­si­tif scé­nique… Cer­tains spec­ta­teurs tour­naient fran­che­ment le dos à la de jeu pour mieux écou­ter le texte», dit M. Al­loula 7. Le mou­ve­ment théâ­tral de M. Al­loula, mal­gré ses li­mites et les obs­tacles qui ja­lon­nèrent son iti­né­raire, contri­bua ainsi pour une part ap­pré­ciable à la ar­tis­tique de l’Algérie.

  1. En «حمام ربي». Par­fois trans­crit «Ḥammām Rabbī». Icône Haut
  2. En arabe عبد القادر علولة. Icône Haut
  3. «Ab­del­ka­der Al­loula, un homme de culture al­gé­rienne», p. 10-11. Icône Haut
  4. Les an­nées 1970. Icône Haut
  1. En arabe حلقة. Icône Haut
  2. En arabe مداح. Icône Haut
  3. «La Re­pré­sen­ta­tion de type non aris­to­té­li­cien dans l’activité théâ­trale en Al­gé­rie», p. 126-128. Icône Haut