Icône CatégorieTrès bons ouvrages

Doubnov, « Histoire moderne du peuple juif (1789-1938) »

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Judaïsme, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de l’« uni­ver­selle du » 1Vsé­mir­naïa is­to­ria ié­vreïs­kogo na­roda» 2) de  3, l’un des plus émi­nents (XIXe-XXe siècle). La de cet his­to­rio­graphe, né du des po­gromes russes et dans les camps de la bar­ba­rie na­zie, est celle de toute une gé­né­ra­tion de Juifs de l’ orien­tale. Qu’au mi­lieu du car­nage et «du fond du gouffre», comme il dit lui-même 4, cet ait songé à des tra­vaux his­to­riques de si grande en­ver­gure, cela peut pa­raître étrange. Mais cela té­moigne sim­ple­ment de la pé­ren­nité du ju­daïsme, de sa vi­va­cité dans la mort. Doub­nov avait une hau­teur de , une élé­va­tion de pen­sées, une piété qui l’obligeaient à cher­cher l’indestructible au mi­lieu des des­truc­tions; il di­sait comme Ar­chi­mède au sol­dat  : «Ne dé­range pas mes cercles!» «Que de fois», dit Doub­nov 5, «la cau­sée par les brû­lants sou­cis quo­ti­diens a été apai­sée par mes ar­dents du mo­ment où un gran­diose édi­fice 6 s’élèverait, et où ces mil­liers de faits et de com­bi­nai­sons se mê­le­raient en un vif dé­pei­gnant huit cents ans de la vie de notre peuple en Eu­rope orien­tale!» Des té­moins rap­portent que même après son ar­res­ta­tion par les agents de la Ges­tapo, ma­lade et gre­lot­tant de , Doub­nov n’arrêta pas son tra­vail : avec le stylo qui lui avait servi pen­dant tant d’années, il rem­plit un de notes. Juste avant d’être abattu d’un coup de re­vol­ver, on le vit mar­chant et ré­pé­tant : «Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, ra­con­tez, bonnes gens, écri­vez!» 7 De ceux à qui s’adressaient ces pa­roles, presque au­cun ne sur­vé­cut. «Les pen­sées sont comme les ou les fruits, comme le blé et tout ce qui pousse et gran­dit de la . Elles ont be­soin de temps et d’un lieu pour être se­mées, elles ont be­soin d’un hi­ver pour prendre des forces et d’un prin­temps pour sor­tir et s’épanouir. Il y a les de l’hiver et les his­to­riens du prin­temps… Doub­nov est un his­to­rien de l’hiver», dit M. Marc-Alain Ouak­nin

  1. Par­fois tra­duit «L’Histoire mon­diale du peuple juif». Icône Haut
  2. En «Всемирная история еврейского народа». Par­fois trans­crit «Vse­mir­naia is­to­riia evreis­kogo na­roda», «Vse­mir­naja is­to­rija evre­js­kogo na­roda», «Vse­mir­naja is­to­rija je­vre­js­kogo na­roda» ou «Vse­mir­naya is­to­riya evreys­kogo na­roda». Icône Haut
  3. En russe Семён Дубнов ou Шимон Дубнов. Par­fois trans­crit Se­myon Dub­now, Si­meon Dub­now, Shi­meon Dub­now, Shi­mon Dub­nov ou Semën Dub­nov. Le nom de Doub­nov, confor­mé­ment à une pra­tique bien éta­blie chez les Juifs, lui vient de la ville dont ses an­cêtres étaient ori­gi­naires : Doubno (Дубно), en . Icône Haut
  4. «Le Livre de ma vie : sou­ve­nirs et ré­flexions, ma­té­riaux pour l’histoire de mon temps», p. 737. Icône Haut
  1. id. p. 359. Icône Haut
  2. La gran­diose somme en dix vo­lumes, « du peuple juif», sur la­quelle Doub­nov ne cessa de tra­vailler de 1901 jusqu’à son . Icône Haut
  3. Dans So­phie Er­lich-Doub­nov, «La Vie de Si­mon Dub­nov», p. 25. Icône Haut

Doubnov, « Lettres sur le judaïsme ancien et nouveau »

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Judaïsme, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-, Pa­ris

Il s’agit de «Lettres sur le ju­daïsme an­cien et nou­veau» 1Pisma o sta­rom i no­vom ié­vreïstvé» 2) de  3, l’un des plus émi­nents (XIXe-XXe siècle). La de cet his­to­rio­graphe, né du des po­gromes russes et dans les camps de la bar­ba­rie na­zie, est celle de toute une gé­né­ra­tion de Juifs de l’ orien­tale. Qu’au mi­lieu du car­nage et «du fond du gouffre», comme il dit lui-même 4, cet ait songé à des tra­vaux his­to­riques de si grande en­ver­gure, cela peut pa­raître étrange. Mais cela té­moigne sim­ple­ment de la pé­ren­nité du ju­daïsme, de sa vi­va­cité dans la mort. Doub­nov avait une hau­teur de , une élé­va­tion de pen­sées, une piété qui l’obligeaient à cher­cher l’indestructible au mi­lieu des des­truc­tions; il di­sait comme Ar­chi­mède au sol­dat  : «Ne dé­range pas mes cercles!» «Que de fois», dit Doub­nov 5, «la cau­sée par les brû­lants sou­cis quo­ti­diens a été apai­sée par mes ar­dents du mo­ment où un gran­diose édi­fice 6 s’élèverait, et où ces mil­liers de faits et de com­bi­nai­sons se mê­le­raient en un vif dé­pei­gnant huit cents ans de la vie de notre en Eu­rope orien­tale!» Des té­moins rap­portent que même après son ar­res­ta­tion par les agents de la Ges­tapo, ma­lade et gre­lot­tant de , Doub­nov n’arrêta pas son tra­vail : avec le stylo qui lui avait servi pen­dant tant d’années, il rem­plit un de notes. Juste avant d’être abattu d’un coup de re­vol­ver, on le vit mar­chant et ré­pé­tant : «Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, ra­con­tez, bonnes gens, écri­vez!» 7 De ceux à qui s’adressaient ces pa­roles, presque au­cun ne sur­vé­cut. «Les pen­sées sont comme les ou les fruits, comme le blé et tout ce qui pousse et gran­dit de la . Elles ont be­soin de temps et d’un lieu pour être se­mées, elles ont be­soin d’un hi­ver pour prendre des forces et d’un prin­temps pour sor­tir et s’épanouir. Il y a les de l’hiver et les his­to­riens du prin­temps… Doub­nov est un his­to­rien de l’hiver», dit M. Marc-Alain Ouak­nin

  1. Par­fois tra­duit «Lettres sur le vieux et sur le nou­veau ju­daïsme», «Lettres sur le ju­daïsme an­cien et mo­derne» ou «Lettres sur l’ancien et le nou­veau ju­daïsme». Icône Haut
  2. En «Письма о старом и новом еврействе». Par­fois trans­crit «Pis’ma o sta­rom i no­vom evreist­vie», «Pis’ma o sta­rom i no­vom evre­jstve», «Pisma o sta­rom i no­vom evreiistve», «Pisma o sta­rom i no­vom ye­vreyst­vie», «Pisma o sta­rom i no­vom je­vreistve», «Pisma o sta­rom i no­vom ye­vreist­vye», «Pis’ma o sta­rom i no­vom evreistve», «Pisma o sta­rom i no­vom evreystve» ou «Pisma o sta­rom i no­vom ye­vreistve». Icône Haut
  3. En russe Семён Дубнов ou Шимон Дубнов. Par­fois trans­crit Se­myon Dub­now, Si­meon Dub­now, Shi­meon Dub­now, Shi­mon Dub­nov ou Semën Dub­nov. Le nom de Doub­nov, confor­mé­ment à une pra­tique bien éta­blie chez les Juifs, lui vient de la ville dont ses an­cêtres étaient ori­gi­naires : Doubno (Дубно), en . Icône Haut
  4. «Le Livre de ma vie : sou­ve­nirs et ré­flexions, ma­té­riaux pour l’ de mon temps», p. 737. Icône Haut
  1. id. p. 359. Icône Haut
  2. La gran­diose somme en dix vo­lumes, « du peuple », sur la­quelle Doub­nov ne cessa de tra­vailler de 1901 jusqu’à son . Icône Haut
  3. Dans So­phie Er­lich-Doub­nov, «La Vie de Si­mon Dub­nov», p. 25. Icône Haut

« Simon-Samuel Frug [ou Siméon Froug] »

dans « Histoire de la littérature judéo-allemande » (éd. Jouve, Paris)

dans « de la lit­té­ra­ture ju­déo-al­le­mande» (éd. Jouve, Pa­ris)

Il s’agit de « des morts» et autres poé­sies de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

Froug, « Le Chant du travail • La Coupe »

dans « Anthologie juive : des origines à nos jours » (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

dans « juive : des à nos jours» (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

Il s’agit du «Chant du tra­vail» et «La Coupe» de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

Froug, « Poésies. “Pianto” • La Harpe magique »

dans « Revue des études franco-russes », 1906, p. 466-470

dans «Re­vue des études franco-russes», 1906, p. 466-470

Il s’agit de «“Pianto”» et «La Harpe ma­gique» de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

Froug, « Le Mortier : pages de mon enfance »

dans « Anthologie des conteurs yiddish » (éd. F. Rieder et Cie, Paris), p. 79-97

dans « des » (éd. F. Rie­der et Cie, Pa­ris), p. 79-97

Il s’agit du «Mor­tier : pages de mon en­fance» de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en yid­dish, une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

« Réponse de Hsi K’ang [ou Ji Kang] à la réfutation par Hsiang Tseu-ts’i [ou Xiang Ziqi] de son essai sur l’art de nourrir le principe vital »

dans « Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois : polémiques du IIIᵉ siècle » (éd. de l’Encyclopédie des nuisances, Paris), p. 75-92

dans «Éloge de l’anarchie par deux ex­cen­triques  : po­lé­miques du IIIe siècle» (éd. de l’Encyclopédie des nui­sances, Pa­ris), p. 75-92

Il s’agit de la «Ré­ponse à la ré­fu­ta­tion (par Xiang Ziqi) de l’essai sur l’art de nour­rir le prin­cipe vi­tal» 1Da (Xiang Ziqi) nan yang­sheng lun» 2) de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent ïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Ré­ponse à la ré­fu­ta­tion du sur l’entretien du prin­cipe vi­tal», «Ré­ponse à la ré­fu­ta­tion du traité sur l’art de nour­rir sa », «Ré­ponse à la de l’essai “Nour­rir la vie”» ou «Ré­ponse à la cri­tique du “Nour­rir la vie”». Icône Haut
  2. En chi­nois «答(向子期)難養生論». Au­tre­fois trans­crit «Ta nan yang cheng louen». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

Ji Kang, « Essai sur l’art de nourrir le principe vital »

dans « Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois : polémiques du IIIᵉ siècle » (éd. de l’Encyclopédie des nuisances, Paris), p. 65-70

dans «Éloge de l’anarchie par deux ex­cen­triques  : po­lé­miques du IIIe siècle» (éd. de l’Encyclopédie des nui­sances, Pa­ris), p. 65-70

Il s’agit de l’«Es­sai sur l’art de nour­rir le prin­cipe vi­tal» 1Yang­sheng lun» 2) de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent ïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit « sur l’entretien du prin­cipe vi­tal», «Traité sur l’art de nour­rir sa », «Nour­rir la vie» ou «Nour­rir le prin­cipe vi­tal». Icône Haut
  2. En chi­nois «養生論». Au­tre­fois trans­crit «Yang cheng louen». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

Ji Kang, « Réfutation de l’essai sur le caractère inné du goût pour l’étude »

dans « Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois : polémiques du IIIᵉ siècle » (éd. de l’Encyclopédie des nuisances, Paris), p. 59-62

dans «Éloge de l’anarchie par deux ex­cen­triques  : po­lé­miques du IIIe siècle» (éd. de l’Encyclopédie des nui­sances, Pa­ris), p. 59-62

Il s’agit de la «Ré­fu­ta­tion de l’essai sur le ca­rac­tère inné du goût pour l’étude» 1Nan zi­ran haoxue lun» 2) de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent ïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Ré­fu­ta­tion du sur le goût spon­tané pour l’étude», « de l’essai sur l’amour na­tu­rel de l’étude», «Cri­tique de l’essai “Ai­mer les études est na­tu­rel”» ou «Cri­tique de l’essai “Il est na­tu­rel d’aimer les études”». Icône Haut
  2. En chi­nois «難自然好學論». Au­tre­fois trans­crit «Nan tzu-jan hao hsüeh lun» ou «Nan tseu-jan hao hio louen». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

« Une Voix pour l’évasion : Tsi K’ang [ou Ji Kang] et sa lettre de rupture »

éd. Fata Morgana, coll. Les Immémoriaux, Saint-Clément-de-Rivière

éd. Fata Mor­gana, coll. Les Im­mé­mo­riaux, Saint-Clé­ment-de-Ri­vière

Il s’agit de la «Lettre de rup­ture avec Shan Juyuan [ou Shan ]» 1Yu Shan Juyuan [Tao] jue­jiao shu» 2) de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent taoïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Lettre de rup­ture avec Chan Kiu-yuan [ou Chan T’ao]» ou «Lettre de re­fus à Shan Juyuan [ou Shan Tao]». Icône Haut
  2. En «與山巨源[濤]絕交書». Au­tre­fois trans­crit «Yü Shan Chü-yüan [T’ao] chüeh-chiao shu». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

« La Poésie de Ji Kang »

dans « Journal asiatique », vol. 248, p. 107-177 & 323-378

dans «Jour­nal asia­tique», vol. 248, p. 107-177 & 323-378

Il s’agit d’« au ca­chot» 1You­fen shi» 2) et autres poèmes de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent ïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Rage de mon ca­chot», «Rage en mon ca­chot», «Rage au ca­chot», «Rage d’un pri­son­nier», «Tris­tesse obs­cure», «Ran­cœur se­crète» ou «Noire Exas­pé­ra­tion». Icône Haut
  2. En «幽憤詩». Au­tre­fois trans­crit «Yu-fên-shih» ou «Yeou-fen che». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

Doubnov, « Histoire du hassidisme : une étude fondée sur des sources directes, des documents imprimés et des manuscrits »

éd. du Cerf, coll. Histoires-Judaïsmes, Paris

éd. du Cerf, coll. His­toires-Ju­daïsmes, Pa­ris

Il s’agit de l’« du  : une étude fon­dée sur des di­rectes, des do­cu­ments im­pri­més et des » («Tol­dot ha’chasidut : al ye­sod me­ko­rot ri­sho­nim, nid­pa­sim ve’kitvei-yad» 1) de  2, l’un des plus émi­nents juifs (XIXe-XXe siècle). La de cet his­to­rio­graphe, né du des po­gromes russes et dans les camps de la bar­ba­rie na­zie, est celle de toute une gé­né­ra­tion de Juifs de l’ orien­tale. Qu’au mi­lieu du car­nage et «du fond du gouffre», comme il dit lui-même 3, cet ait songé à des tra­vaux his­to­riques de si grande en­ver­gure, cela peut pa­raître étrange. Mais cela té­moigne sim­ple­ment de la pé­ren­nité du , de sa vi­va­cité dans la mort. Doub­nov avait une hau­teur de , une élé­va­tion de pen­sées, une piété qui l’obligeaient à cher­cher l’indestructible au mi­lieu des des­truc­tions; il di­sait comme Ar­chi­mède au sol­dat  : «Ne dé­range pas mes cercles!» «Que de fois», dit Doub­nov 4, «la cau­sée par les brû­lants sou­cis quo­ti­diens a été apai­sée par mes ar­dents du mo­ment où un gran­diose édi­fice 5 s’élèverait, et où ces mil­liers de faits et de com­bi­nai­sons se mê­le­raient en un vif dé­pei­gnant huit cents ans de la vie de notre en Eu­rope orien­tale!» Des té­moins rap­portent que même après son ar­res­ta­tion par les agents de la Ges­tapo, ma­lade et gre­lot­tant de , Doub­nov n’arrêta pas son tra­vail : avec le stylo qui lui avait servi pen­dant tant d’années, il rem­plit un de notes. Juste avant d’être abattu d’un coup de re­vol­ver, on le vit mar­chant et ré­pé­tant : «Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, ra­con­tez, bonnes gens, écri­vez!» 6 De ceux à qui s’adressaient ces pa­roles, presque au­cun ne sur­vé­cut. «Les pen­sées sont comme les ou les fruits, comme le blé et tout ce qui pousse et gran­dit de la . Elles ont be­soin de temps et d’un lieu pour être se­mées, elles ont be­soin d’un hi­ver pour prendre des forces et d’un prin­temps pour sor­tir et s’épanouir. Il y a les his­to­riens de l’hiver et les his­to­riens du prin­temps… Doub­nov est un his­to­rien de l’hiver», dit M. Marc-Alain Ouak­nin

  1. En «תולדות החסידות : על יסוד מקורות ראשונים, נדפסים וכתבי-יד». Par­fois trans­crit «To­le­dot ha ha­si­dut : al je­sod me­ko­rot ris­zo­nim, nid­pa­sim we­kitwe-jad» ou «Tol­dot ha’hassidut : al ye­sod me­ko­rot ri­sho­nim, nid­pa­sim u’ktav yad». Icône Haut
  2. En Семён Дубнов ou Шимон Дубнов. Par­fois trans­crit Se­myon Dub­now, Si­meon Dub­now, Shi­meon Dub­now, Shi­mon Dub­nov ou Semën Dub­nov. Le nom de Doub­nov, confor­mé­ment à une pra­tique bien éta­blie chez les Juifs, lui vient de la ville dont ses an­cêtres étaient ori­gi­naires : Doubno (Дубно), en . Icône Haut
  3. «Le Livre de ma vie : sou­ve­nirs et ré­flexions, ma­té­riaux pour l’histoire de mon temps», p. 737. Icône Haut
  1. id. p. 359. Icône Haut
  2. La gran­diose somme en dix vo­lumes, « du peuple », sur la­quelle Doub­nov ne cessa de tra­vailler de 1901 jusqu’à son . Icône Haut
  3. Dans So­phie Er­lich-Doub­nov, «La Vie de Si­mon Dub­nov», p. 25. Icône Haut

Abaï, « Poésie et Prose »

éd. eL, Almaty

éd. eL, Al­maty

Il s’agit d’Abaï Kou­nan­baïouly 1, dit Abaï Kou­nan­baïev 2, poète éclairé et hu­ma­niste, in­tel­lec­tuel mu­sul­man, tra­duc­teur de Pou­ch­kine, Ler­mon­tov et Kry­lov, père des lettres ka­za­khes (XIXe siècle). En 1956, Louis Ara­gon fon­dait la col­lec­tion «Lit­té­ra­tures so­vié­tiques» chez Gal­li­mard; et parmi les œuvres choi­sies se trou­vait le de Mou­kh­tar Aoué­zov, «Abaï». Dans son pré­am­bule, Ara­gon gra­ti­fiait le lec­teur fran­co­phone de quelques aper­çus sur le Ka­za­khs­tan; et le ro­man d’Aouézov l’entraînait au cœur de la steppe, chez les To­bykty 3, la tribu d’Abaï, dont il re­tra­çait la . Ce double tra­vail re­nou­ve­lait l’intérêt pour un poète qui avait ou­vert les yeux des Ka­za­khs sur les choses du et sus­ci­tait les pre­mières tra­duc­tions des œuvres d’Abaï. Mais peut-être de­vrais-je moins par­ler d’Aragon et d’Aouézov que du poète ka­zakh qui est mon su­jet. Abaï nais­sait en 1845. L’année sui­vante, le Ka­za­khs­tan était rat­ta­ché à la . Le était ré­duit au der­nier de­gré de la mi­sère; il ne s’était pas en­core dé­li­vré des chaînes de l’ féo­dal, que déjà il tom­bait sous le joug cruel du tsa­risme . Âme d’intellectuel, cœur de poète, Abaï com­pren­dra les mal­heurs de ses com­pa­triotes, et épris des idéaux de , de , il brû­lera du de les ré­pandre au­tour de lui. Il dé­bu­tera plein d’empressement, d’espérance. Hé­las! que de dés­illu­sions, que d’amères dé­cep­tions l’attendront dans la suite. Toute sa jeune éner­gie, toute sa ro­buste se consu­mera au mi­lieu de l’indifférence gé­né­rale. Et ar­rivé au seuil de la , «privé de forces» 4, il dé­cou­vrira que rien n’a changé; qu’il a trop man­qué de sou­tiens; que ses bons conseils ont laissé de marbre «tant de lé­gions de [gens] en­li­sés dans leurs ha­bi­tudes» 5 «proies fa­ciles» 6 de cor­rom­pus, de ma­gis­trats mal­hon­nêtes, de mol­lahs ignares ou bien de leur propre veu­le­rie et né­gli­gence. Il criera son déses­poir, sa spi­ri­tuelle, ses vaines luttes contre l’inertie de son siècle dans ses poé­sies de ma­tu­rité et sur­tout dans «Le Livre des dits» 7, ou lit­té­ra­le­ment «Les Pa­roles noires» («Kara söz­deri» 8), sorte de tes­ta­ment en prose. Pui­sant aux turco-per­sanes et russes, faite de sueur et de ka­za­khs, son œuvre lit­té­raire se dres­sera, so­li­taire, dans le de la steppe comme l’un de ces «cèdres du Li­ban al­tiers et é», l’un de ces «chênes du Ba­chân» cé­lé­brés dans la  9.

  1. En ka­zakh Абай Құнанбайұлы. Au­tre­fois trans­crit Ku­nan­baïuly ou Ku­nan­baiuli. On ren­contre aussi la gra­phie Ибраһим (Ibra­him), Abaï étant la dé­for­ma­tion de ce pré­nom mu­sul­man. Au­tre­fois trans­crit Ibra­gim, Ibro­ghim ou Ibra­ghim. Icône Haut
  2. En russe Абай Кунанбаев. Par­fois trans­crit Kou­nan­baev, Ku­nan­baev, Qu­nan­baev, Ku­nan­baiev, Ku­nan­bayev, Kou­nan­bayev, Qu­nan­ba­jev ou Ku­nan­ba­jev. Icône Haut
  3. En ka­zakh Тобықты. Icône Haut
  4. p. 91. Icône Haut
  5. p. 74. Icône Haut
  1. p. 23. Icône Haut
  2. Au­tre­fois tra­duit «Ré­flexions en prose», «Ser­mons» ou «Pa­roles édi­fiantes». Icône Haut
  3. En ka­zakh «Қара сөздері». On ren­contre aussi la gra­phie «Қара сөз» («Kara söz»). Par­fois trans­crit «Qara söz». Icône Haut
  4. «Livre d’Isaïe», II, 13; «Za­cha­rie», XI, 1-2; «Livre d’Ézéchiel», XXVII, 5-6; etc. Icône Haut