Il s’agit des «Poésies» d’Émile Nelligan, le plus grand poète québécois, le seul qui soit honoré de notices dans les dictionnaires étrangers (XIXesiècle). Les biographes s’accordent à le décrire comme un mince adolescent, à la figure pâle, qui allait le regard perdu dans les nuages, les doigts souillés d’encre, la redingote en désordre, et parmi tout cela, l’air fier. Il prétendait que ses vers s’envoleraient un jour vers la France, d’où ils reviendraient sous la forme d’un beau livre, avec les bravos de tout Montréal. «C’est un drôle de garçon», disaient les uns; «un peu poseur», trouvaient les autres1. Mais sa fierté n’était qu’une façade; elle cachait une sensibilité exaspérée, tantôt débordante d’enthousiasme, tantôt assombrie d’une nerveuse mélancolie:
«C’est le règne du rire amer et de la rage De se savoir poète et l’objet du mépris, De se savoir un cœur et de n’être compris Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage!…
Les cloches ont chanté; le vent du soir odore. Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots, Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore, Oh! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots!»
éd. Presses universitaires de France, coll. Épiméthée, Paris
Il s’agit de fragments d’un rouleau que le philosophe grec Héraclite d’Éphèse1 déposa, au Vesiècle av. J.-C., dans le temple d’Artémis. On dispute sur la question de savoir si ce rouleau était un traité suivi, ou s’il consistait en pensées isolées, comme celles que le hasard des citations nous a conservées. Héraclite s’y exprimait, en tout cas, dans un style condensé, propre à étonner; il prenait à la fois le ton d’un prophète et le langage d’un philosophe; il tentait avec une rare audace de concilier l’unité («tout est un»2) et le changement («tout s’écoule»3). De là, cette épithète d’«obscur» si souvent accolée à son nom, mais qui ne me paraît pas moins exagérée, car: «Certes, la lecture d’Héraclite est d’un abord rude et difficile. La nuit est sombre, les ténèbres sont épaisses; mais si un initié te guide, tu verras clair dans ce livre plus qu’en plein soleil»4. À cette apparente obscurité s’ajoutait chez Héraclite un fond de hauteur et de fierté qui lui faisait mépriser presque tous les hommes. Il dédaignait même la société des savants, et ce dédain était porté si loin, qu’il leur criait des injures. Pour autant, il n’était pas un homme insensible, et quand il s’affligeait des malheurs qui forment l’existence humaine, les larmes lui montaient aux yeux. La tradition rapporte qu’Héraclite mourut dans le temple d’Artémis où «il s’était retiré et jouait aux osselets avec des enfants»5. Selon Friedrich Nietzsche, s’il est vrai que l’on a vu ce sage participer aux jeux bruyants des enfants, c’est qu’il pensait, en les observant, à ce que personne n’a pensé à cette occasion: il pensait au jeu du grand Enfant universel, c’est-à-dire Dieu: «Héraclite», dit Nietzsche6, «n’a pas eu besoin des hommes, même pas pour accroître ses connaissances. Tout ce qu’on pouvait éventuellement apprendre en questionnant les hommes et tout ce que les autres sages s’étaient efforcés d’obtenir… lui importait peu. Il parlait sans en faire grand cas de ces hommes qui interrogent, qui collectionnent, bref, de ces “historiens”. “Je me suis cherché”7, disait-il de lui-même en employant le mot qui définit l’interprétation d’un oracle; comme s’il était le seul, lui et personne d’autre, à véritablement réaliser et accomplir le précepte delphique “Connais-toi toi-même”.»
éd. de l’Aube, coll. Regards croisés, La Tour d’Aigues
Il s’agit de «Ma femme est une sainte» de M.Ali Erfan, écrivain iranien de langue française. Né à Ispahan en 1946, il fait partie de ces hommes de théâtre, ces cinéastes, ces artistes que l’évolution politique de leur pays a menés à la prison et à l’exil. Quand son deuxième film a été projeté, le ministre de la Culture iranien, présent dans la salle, a déclaré à la fin: «Le seul mur blanc sur lequel on n’a pas encore versé le sang des impurs, c’est l’écran de cinéma. Si on exécute ce traître, et que cet écran devient rouge, tous les cinéastes comprendront qu’on ne peut pas jouer avec les intérêts du peuple musulman»1. Il a quitté alors l’Iran pour poursuivre une carrière d’écrivain à Paris. Bien que cette carrière soit loin d’être finie, je m’autorise, dès à présent, à résumer les principales et différentes qualités de M.Erfan et comme les éléments constitutifs de son génie. 1º Le goût de l’intrigue troublante, rapide, sombre. «Mon récit», dit M.Erfan, «sera rapide comme l’ange de la mort lorsqu’il surgit par la fenêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des tyrans et disparaît aussitôt par le même chemin, en emportant l’âme d’un poète»2. 2º La nostalgie de la patrie, de la langue natale, de l’enfance. Chaque fois qu’il entreprend d’écrire, M.Erfan cherche le temps de sa première jeunesse. Il goûte l’extase de la mémoire, le plaisir de retrouver les choses perdues et oubliées dans la langue natale. Et comme cette mémoire retrouvée ne raconte pas ce qui s’est passé réellement, mais ce qui aurait pu se passer, c’est elle le véritable écrivain; et M.Erfan est son premier lecteur: «Maintenant, je connais [la langue française]. Mais je ne veux pas parler… Madame dit: “Mon chéri, dis: jasmin”. Je ne veux pas. Je veux prononcer le nom de la fleur qui était dans notre maison. Comment s’appelait-elle? Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas? Cette grande fleur qui poussait au coin de la cour. Qui montait, qui tournait. Elle grimpait par-dessus la porte de notre maison, et elle retombait dans la rue… Comment s’appelait-elle? Elle sentait bon. Madame dit encore: “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure…»3 3º L’absence de philosophie morale, d’idéal, de sentiment religieux. Si M.Erfan n’a pas la joie de croire, c’est là son défaut, ou plutôt son malheur, mais un malheur tenant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M.Erfan a vu commettre au nom d’une religion dont les préceptes ont été dénaturés et détournés de leur propos et de leur véritable signification: «Il ouvrit sans hâte l’un des épais dossiers [de la République islamique], en retira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria: “Enfermez cette femme dans un sac de jute et jetez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Violez la fillette de douze ans malgré son repentir et, entre ses jambes, tirez son foie”»
Il s’agit des œuvres complètes de M.David Mandessi Diop, poète de la négritude, farouche défenseur de la cause africaine (XXesiècle). Né en France, d’un père sénégalais et d’une mère camerounaise, M.Diop faisait de ses poèmes de vraies armes de combat dans une période de lutte contre le colonialisme européen. En 1956, il publiait dans la revue «Présence africaine» un pamphlet intitulé «Autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples noirs», lequel devait servir plus tard de préface à son recueil de poèmes «Coups de pilon». Dans ce pamphlet, M.Diop décrivait la francophonie avec un pessimisme tragique, car tout succès des littératures d’expression française lui semblait être un succès de «la colonisation qui, lorsqu’elle ne parvient plus à maintenir ses sujets en esclavage, en fait des intellectuels dociles aux modes littéraires occidentales»1. On saisit alors le déchirement de M.Diop qui, privé de l’usage des langues africaines et coupé de ses terres ancestrales, était convaincu qu’en écrivant dans une langue qui n’était pas celle de ses aïeux, il ne pouvait réellement traduire le chant profond du continent africain:
«Afrique, mon Afrique… Je ne t’ai jamais connue Mais mon regard est plein de ton sang Ton beau sang noir à travers les champs répandu Le sang de ta sueur La sueur de ton travail Le travail de l’esclavage L’esclavage de tes enfants…»
«Ah! la lumière! la lumière toujours! la lumière partout! Le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire.» —Victor Hugo
«Qui connaît les autres et lui-même doit aussi reconnaître que l’Orient et l’Occident sont désormais inséparables. J’admets que l’on se berce en rêvant entre les deux mondes: aller et venir du couchant au levant soit donc pour le mieux!» —Johann Wolfgang von Gœthe
«Miracle du livre et de l’informatique. Dieu parle toutes les langues, chacun écrit la sienne. L’ordinateur rapproche, mélange, brouille les pistes. Et nous voici à l’aube d’un autre millénaire qui se moque des distances et se nourrit de tous les héritages.» —M.le père Guy-Aphraate Deleury
«Le mystère contenu dans ce proverbe: “Celui qui aime un peuple en fait partie” s’est réalisé pour moi…» —Chems-ed-dîn Aḥmed Aflâkî
«Une synthèse originale — vivante surtout — de deux humanités, de deux mondes: de l’Orient et de l’Occident, c’est ce que j’ai résolu d’être, c’est ce que je m’efforce d’être, c’est ce que je suis en train d’être.» —M.Hoàng Xuân Nhị
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