Il s’agit du « Diamant du Bouddha » (« Jûriki no kongôseki » 1) et autres contes de Kenji Miyazawa 2, écrivain japonais, très célèbre dans son pays, où il renouvela les œuvres pour la jeunesse, en mêlant le monde des hommes à celui des animaux ou des esprits ; en proposant une autre façon de percevoir la vie, avec un élan spontané vers les choses et avec une grande sympathie pour la nature, émotions qui faisaient défaut dans les productions modernes du Japon. « Ce que je raconte », dit Miyazawa, « je l’ai reçu des forêts, des champs et des lignes de chemin de fer, ou bien encore de l’arc-en-ciel et de la lumière de la lune. Vraiment, quand, seul, on traverse le crépuscule bleuté des forêts de hêtres et qu’en octobre, on se tient, tremblant, dans le vent de montagne, quoi qu’on fasse, on ne peut qu’avoir ces sensations. Vraiment, quoi qu’on fasse, il semble bien qu’on ne puisse que ressentir ces choses… Il y a certainement des passages qui vous sembleront incompréhensibles, mais ces passages, moi non plus, je ne les comprends pas. Ce que je souhaite profondément, c’est que ces courts récits, en fin de compte, soient pour vous une nourriture pure et véritable. » 3 Miyazawa était le fils aîné d’une famille de cinq enfants. La tradition aurait voulu qu’il succédât à son père, qui tenait à Hanamaki un commerce de vêtements d’occasion, et qui faisait aussi fonction d’usurier ; mais le dégoût de Miyazawa pour ce genre de métier et son penchant pour l’étude le détournèrent tout à fait de cette voie. L’opposition parfois violente qu’il manifesta contre son père, fut aggravée encore lorsqu’à dix-huit ans il découvrit « Le Lotus de la bonne loi », texte bouddhique qu’il ne cessera, dans la suite de sa vie, de copier, de réciter, d’appliquer avec ferveur : « Lorsque j’oublie mon existence dans le vent et la lumière, lorsque le monde s’est métamorphosé dans mon jardin, ou lorsque je suis transporté à l’idée que la galaxie tout entière est moi-même, quel bonheur ! » Aucun de ses proches ne partagera son zèle, à l’exception de sa sœur Toshiko. À la mort précoce de celle-ci, en 1922, Miyazawa entreprendra un long voyage jusqu’à l’île de Sakhaline, dans l’espoir de communiquer, en quelque sorte, avec cette défunte dont il gardera toujours les cendres auprès de lui
Très bons ouvrages
Miyazawa, « Train de nuit dans la Voie lactée : nouvelles »
Il s’agit du « Train de nuit dans la Voie lactée » (« Ginga tetsudô no yoru » 1) et autres contes de Kenji Miyazawa 2, écrivain japonais, très célèbre dans son pays, où il renouvela les œuvres pour la jeunesse, en mêlant le monde des hommes à celui des animaux ou des esprits ; en proposant une autre façon de percevoir la vie, avec un élan spontané vers les choses et avec une grande sympathie pour la nature, émotions qui faisaient défaut dans les productions modernes du Japon. « Ce que je raconte », dit Miyazawa, « je l’ai reçu des forêts, des champs et des lignes de chemin de fer, ou bien encore de l’arc-en-ciel et de la lumière de la lune. Vraiment, quand, seul, on traverse le crépuscule bleuté des forêts de hêtres et qu’en octobre, on se tient, tremblant, dans le vent de montagne, quoi qu’on fasse, on ne peut qu’avoir ces sensations. Vraiment, quoi qu’on fasse, il semble bien qu’on ne puisse que ressentir ces choses… Il y a certainement des passages qui vous sembleront incompréhensibles, mais ces passages, moi non plus, je ne les comprends pas. Ce que je souhaite profondément, c’est que ces courts récits, en fin de compte, soient pour vous une nourriture pure et véritable. » 3 Miyazawa était le fils aîné d’une famille de cinq enfants. La tradition aurait voulu qu’il succédât à son père, qui tenait à Hanamaki un commerce de vêtements d’occasion, et qui faisait aussi fonction d’usurier ; mais le dégoût de Miyazawa pour ce genre de métier et son penchant pour l’étude le détournèrent tout à fait de cette voie. L’opposition parfois violente qu’il manifesta contre son père, fut aggravée encore lorsqu’à dix-huit ans il découvrit « Le Lotus de la bonne loi », texte bouddhique qu’il ne cessera, dans la suite de sa vie, de copier, de réciter, d’appliquer avec ferveur : « Lorsque j’oublie mon existence dans le vent et la lumière, lorsque le monde s’est métamorphosé dans mon jardin, ou lorsque je suis transporté à l’idée que la galaxie tout entière est moi-même, quel bonheur ! » Aucun de ses proches ne partagera son zèle, à l’exception de sa sœur Toshiko. À la mort précoce de celle-ci, en 1922, Miyazawa entreprendra un long voyage jusqu’à l’île de Sakhaline, dans l’espoir de communiquer, en quelque sorte, avec cette défunte dont il gardera toujours les cendres auprès de lui
Attar, « “Pend-namèh”, ou le Livre des conseils »
Il s’agit du « Livre des conseils » (« Pend namèh » 1) attribué à Férid-eddin Attar 2 (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Je considère Attar comme le meilleur poète mystique de la Perse. Certes, le nombre des Persans qui se sont distingués dans le genre est si considérable, et plusieurs d’entre eux ont acquis tant de gloire, que cette opinion peut paraître hasardée. Sous le rapport du choix des pensées et de la grâce de l’expression, Djélâl-ed-dîn Roûmî ne lui est en rien inférieur ; mais de toutes les idées de ce célèbre disciple, je défierais d’en trouver une qui n’appartienne pas à Attar. Et Roûmî lui-même confesse cette lourde dette quand il dit : « Attar a parcouru les sept cités de l’Amour, tandis que j’en suis toujours au tournant d’une ruelle » 3 ; et encore : « Attar fut l’âme du mysticisme, et Sanaï fut ses yeux ; je ne fais que suivre leurs traces » 4. Férid-eddin exerça d’abord la profession de parfumeur, ainsi que l’indique son surnom d’Attar (« qui fabrique ou qui vend des parfums »). Il avait une boutique très élégante, qui attirait les regards du public et qui flattait aussi bien les yeux que l’odorat. Un jour qu’il était assis sur le devant de sa boutique avec l’apparence d’un homme important, un fou, ou pour mieux dire, un religieux très avancé dans la vie spirituelle 5, vint à sa porte, jeta un regard sur les marchandises qui étaient étalées, puis poussa un profond soupir. Attar, étonné, le pria de passer son chemin. « Tu as raison », lui répondit l’inconnu, « le voyage de l’éternité est facile pour moi. Je ne suis pas embarrassé dans ma marche, car je n’ai au monde que mon froc. Il n’en est malheureusement pas ainsi de toi, qui possèdes tant de précieuses marchandises. Songe donc à te préparer à ce voyage. »
- En persan « پندنامه ». Parfois transcrit « Pand-nāmeh », « Pandnâme », « Pendname », « Pand-nāma » ou « Pand-nāmah ».
- En persan فریدالدین عطار. Parfois transcrit Farîdoddîn’Attâr, Féryd-eddyn Atthar, Farīd al-Dīn ‘Aṭṭār, Feriduddin Attar, Fariduddine Attar, Faridaddin Attar ou Farîd-ud-Dîn ‘Attâr.
- En persan
« هفت شهر عشق راعطار گشت
ماهنوز اندر خم یک کوچهایم ».
Nosaka, « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés : récits »
Il s’agit de « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés » (« Honegami tôge hotoke-kazura » 1) de M. Akiyuki Nosaka 2, écrivain japonais de talent, mais qui, harcelé par le sentiment de culpabilité, a semé dans presque toutes les pages de ses récits l’obscénité la plus grotesque et la plus animale. Ce sentiment de culpabilité est né en lui au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand il a vu mourir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute décharnée après des mois de famine : « Quand je pense comment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne parvenait plus à relever la tête ni même à pleurer, comment elle mourut seule, comment enfin il ne restait que des cendres après sa crémation, je me rends compte que j’avais été trop préoccupé par ma propre survie. Dans les horreurs de la famine, j’avais mangé ses parts de nourriture » 3. Son travail d’écrivain s’est entièrement construit sur cette expérience qu’il a cependant travestie, narrée en se faisant plaisir à lui-même, dans « La Tombe des lucioles ». Car, en vérité, il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du récit. Il était cruel : c’est en mangeant le dû de sa sœur qu’il a survécu, et c’est en refoulant cette cruauté qu’il a écrit « La Tombe des lucioles » qui lui a permis par la suite de gagner sa vie : « J’ai triché avec cette souffrance — la plus grande, je crois, qui se puisse imaginer — celle d’[un parent plongé] dans l’incapacité de nourrir son enfant. Et moi qui suis plutôt d’un naturel allègre, j’en garde une dette, une blessure profonde, même si les souvenirs à la longue s’estompent » 4. C’est cette blessure infectée, saturée d’odeurs nauséabondes, que M. Nosaka ouvre au soleil dans ses récits et qu’il met sous le nez de son public, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche encore amère des absinthes humaines : Regardez !
- Akiyuki Nosaka, « 五十歩の距離 » (« La Distance de cinquante pas »), inédit en français.
- Philippe Pons, « “Je garde une blessure profonde” : un entretien avec le romancier ».
Nosaka, « Le Dessin au sable et l’Apparition vengeresse qui mit fin au sortilège : récit »
Il s’agit du « Dessin au sable et l’Apparition vengeresse qui mit fin au sortilège » (« Sunae shibari gonichi kaidan » 1) de M. Akiyuki Nosaka 2, écrivain japonais de talent, mais qui, harcelé par le sentiment de culpabilité, a semé dans presque toutes les pages de ses récits l’obscénité la plus grotesque et la plus animale. Ce sentiment de culpabilité est né en lui au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand il a vu mourir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute décharnée après des mois de famine : « Quand je pense comment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne parvenait plus à relever la tête ni même à pleurer, comment elle mourut seule, comment enfin il ne restait que des cendres après sa crémation, je me rends compte que j’avais été trop préoccupé par ma propre survie. Dans les horreurs de la famine, j’avais mangé ses parts de nourriture » 3. Son travail d’écrivain s’est entièrement construit sur cette expérience qu’il a cependant travestie, narrée en se faisant plaisir à lui-même, dans « La Tombe des lucioles ». Car, en vérité, il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du récit. Il était cruel : c’est en mangeant le dû de sa sœur qu’il a survécu, et c’est en refoulant cette cruauté qu’il a écrit « La Tombe des lucioles » qui lui a permis par la suite de gagner sa vie : « J’ai triché avec cette souffrance — la plus grande, je crois, qui se puisse imaginer — celle d’[un parent plongé] dans l’incapacité de nourrir son enfant. Et moi qui suis plutôt d’un naturel allègre, j’en garde une dette, une blessure profonde, même si les souvenirs à la longue s’estompent » 4. C’est cette blessure infectée, saturée d’odeurs nauséabondes, que M. Nosaka ouvre au soleil dans ses récits et qu’il met sous le nez de son public, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche encore amère des absinthes humaines : Regardez !
- En japonais « 砂絵呪縛後日怪談 ». Parfois transcrit « Sunae shibari gonichi no kaidan », « Sunae shibari gojitsu no kaidan » ou « Sunae jubaku gojitsu kaidan ».
- En japonais 野坂昭如.
- Akiyuki Nosaka, « 五十歩の距離 » (« La Distance de cinquante pas »), inédit en français.
- Philippe Pons, « “Je garde une blessure profonde” : un entretien avec le romancier ».
Heredia, « Œuvres poétiques complètes. Tome I. Les Trophées »
éd. Les Belles Lettres, coll. Les Textes français, Paris
Il s’agit des « Trophées » de José-Maria de Heredia 1, poète de l’école du Parnasse (XIXe siècle). On nomme parnassiens le groupe d’écrivains français qui se constitua autour de la revue « Le Parnasse contemporain », et qui se proposa comme but l’admiration de l’antique : « Que j’entende parler de l’Égypte ou de l’Inde, aussitôt mon esprit s’agite pour franchir l’horizon qui m’emprisonne ; que le nom de la Grèce soit prononcé, et voilà mon imagination partie : je vogue sur la mer Ionienne, je débarque au Pirée, et je revois l’un après l’autre ces sentiers si souvent parcourus sur le char des poètes en compagnie des héros ou des dieux » 2. L’impression que fit l’Antiquité sur ces écrivains fut très profonde. Mécontents du monde industriel où les poètes devenaient d’heure en heure plus inutiles, et où l’art restait présent par charité et comme un décor insignifiant, les parnassiens coururent en troupe vers les temples ruinés de l’Antiquité. Ils s’attachèrent à elle ; ils se firent ses serviteurs ; ils se montrèrent injustes pour tout ce qui ne la touchait pas : « Allons respectueusement demander des leçons à la muse ionienne ! C’est… une richesse si grande que d’avoir, à l’abri des… émotions fiévreuses de l’art mélancolique et tourmenté de nos époques modernes, un refuge dans le monde jeune et serein de la poésie antique. Plaignons ceux dont la pensée ne pénètre jamais dans cette région à la fois héroïque et paisible où se meuvent les poètes, les guerriers et les sages ! » 3 Heredia et Leconte de Lisle furent les derniers représentants de cette école ; ils en furent aussi les plus fidèles, car ils en appliquèrent la doctrine avec le plus de fermeté et d’imperturbable confiance, sans défaillance. C’est que pour ces deux créoles — natifs l’un de Cuba, l’autre de la Réunion — l’Antiquité se mêle et se confond avec l’île natale, immensément agrandie par leur imagination, augmentée de tout pays où la nature, belle et robuste, a déployé des énergies primitives, que ce soit au pied de l’Himalaya ou dans les vallons de la Grèce, dans les champs siciliens ou sous le soleil égyptien. « Il n’est pas besoin d’être un grand psychologue pour comprendre que [l’exotisme] souvent affiché par [Heredia et Leconte de Lisle] n’est en réalité qu’une espèce d’exorcisme, d’incantation, pour échapper [au souvenir] du départ, de l’exil, de la rupture avec la terre natale », dit avec raison M. Edgard Pich
- À ne pas confondre avec José María Heredia y Heredia, cousin germain de Heredia et auteur de l’ode au « Niagara ».
- Victor de Laprade, « Questions d’art et de morale ».
Erfan, « Le Dernier Poète du monde : nouvelles »
Il s’agit du « Dernier Poète du monde » de M. Ali Erfan, écrivain iranien de langue française. Né à Ispahan en 1946, il fait partie de ces hommes de théâtre, ces cinéastes, ces artistes que l’évolution politique de leur pays a menés à la prison et à l’exil. Quand son deuxième film a été projeté, le ministre de la Culture iranien, présent dans la salle, a déclaré à la fin : « Le seul mur blanc sur lequel on n’a pas encore versé le sang des impurs, c’est l’écran de cinéma. Si on exécute ce traître, et que cet écran devient rouge, tous les cinéastes comprendront qu’on ne peut pas jouer avec les intérêts du peuple musulman » 1. Il a quitté alors l’Iran pour poursuivre une carrière d’écrivain à Paris. Bien que cette carrière soit loin d’être finie, je m’autorise, dès à présent, à résumer les principales et différentes qualités de M. Erfan et comme les éléments constitutifs de son génie. 1º Le goût de l’intrigue troublante, rapide, sombre. « Mon récit », dit M. Erfan, « sera rapide comme l’ange de la mort lorsqu’il surgit par la fenêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des tyrans et disparaît aussitôt par le même chemin, en emportant l’âme d’un poète » 2. 2º La nostalgie de la patrie, de la langue natale, de l’enfance. Chaque fois qu’il entreprend d’écrire, M. Erfan cherche le temps de sa première jeunesse. Il goûte l’extase de la mémoire, le plaisir de retrouver les choses perdues et oubliées dans la langue natale. Et comme cette mémoire retrouvée ne raconte pas ce qui s’est passé réellement, mais ce qui aurait pu se passer, c’est elle le véritable écrivain ; et M. Erfan est son premier lecteur : « Maintenant, je connais [la langue française]. Mais je ne veux pas parler… Madame dit : “Mon chéri, dis : jasmin”. Je ne veux pas. Je veux prononcer le nom de la fleur qui était dans notre maison. Comment s’appelait-elle ? Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas ? Cette grande fleur qui poussait au coin de la cour. Qui montait, qui tournait. Elle grimpait par-dessus la porte de notre maison, et elle retombait dans la rue… Comment s’appelait-elle ? Elle sentait bon. Madame dit encore : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure… » 3 3º L’absence de philosophie morale, d’idéal, de sentiment religieux. Si M. Erfan n’a pas la joie de croire, c’est là son défaut, ou plutôt son malheur, mais un malheur tenant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Erfan a vu commettre au nom d’une religion dont les préceptes ont été dénaturés et détournés de leur propos et de leur véritable signification : « Il ouvrit sans hâte l’un des épais dossiers [de la République islamique], en retira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “Enfermez cette femme dans un sac de jute et jetez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Violez la fillette de douze ans malgré son repentir et, entre ses jambes, tirez son foie” »
Hara, « Hiroshima, fleurs d’été : récits »
Il s’agit de la trilogie « Natsu no hana » 1 (« Fleurs d’été ») de M. Tamiki Hara 2, écrivain japonais, un des irradiés de Hiroshima, qui décrivit cette ville disparue sans laisser de traces, sinon une couche plate de décombres, de choses tordues, crevées, humiliées. M. Hara naquit à Hiroshima en 1905. Enfant, on le voyait à l’écart, sombre, taciturne, un peu sauvage. Il vivait en dedans de soi et pour soi. Les jeux même de son âge ne le tentaient pas ; il avait de la maladresse quand il fallait s’y prêter, et ses camarades finirent par le laisser à son caractère difficile et à son originalité. Jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, il vécut dans une sorte d’isolement dont il ne parvint à se soustraire qu’en épousant Mlle Sadae Nagai, native elle aussi de Hiroshima. Sadae devint son lien avec le monde ; elle parlait en son nom et l’assistait à chaque pas. Il rêvait déjà d’une heureuse vieillesse auprès d’elle ; mais le sort lui enviait ce bonheur, et Sadae tomba gravement malade de la tuberculose : « Lorsque ma sœur fut admise à l’hôpital, Hara passait la voir tous les deux jours », dit le frère de Sadae 3. « Beau temps ou mauvais temps, il ne manquait jamais sa visite… Je ne doute pas qu’il serait venu tous les jours si c’était possible, mais il avait un travail… Dans la chambre d’hôpital, il ne disait presque rien. Il s’assoyait simplement au chevet de sa femme, en la dévisageant fixement ou en épluchant un fruit ». Le 4 août 1945, M. Hara partit mettre sur la tombe de sa femme un bouquet de « fleurs d’été » (d’où le titre) ; le surlendemain, la bombe atomique était larguée. Et « dans le grand silence de la ville alors désertée », pour reprendre un mot de M. Albert Camus 4, il fit vœu de ne plus vivre pour soi, mais pour donner voix aux victimes de la plus formidable rage de destruction dont les hommes eussent fait preuve.
- Dans Eiji Kokai, « Hara Tamiki : shijin no shi » (« Tamiki Hara : la mort d’un poète »), inédit en français.
- « La Peste », ch. II. Lors du formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information déclenchèrent au sujet de la bombe atomique, le plus indigné des éditorialistes français fut M. Camus, auteur d’un papier paru le 8 août 1945 à la une de « Combat » : « Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques ».
Botev, « Œuvres choisies »
Il s’agit de l’œuvre de Hristo Botev 1, révolutionnaire bulgare et poète de premier ordre, mort sous les coups des Turcs en 1876. Il n’a laissé qu’une vingtaine de poèmes, mais qui se sont envolés en chantant tout au-dessus de la Bulgarie, dont ils sont devenus le soleil qui l’illumine — elle et les esprits libres travaillant à sa libération. M. Ilia Béchkov écrit à Paris : « Pourquoi chantons-nous les chansons de Botev, tandis que des frissons parcourent notre corps ? Qu’avons-nous reçu de ses faibles mains pour que notre gratitude envers lui devienne si grande, et que nous soyons si impuissants devant elle ?… Sans Botev, il n’y a pas de Bulgarie ! Sur cette terre d’esclaves, il est devenu le ciel… Même dans les jours les plus nuageux et les plus orageux, la terre bulgare aura son soleil — Botev ! » 2 C’est qu’à travers ses poèmes, Botev a légué aux générations futures un testament de liberté et de justice à réaliser — testament si riche d’idéals qu’il forme un trésor intarissable et se renouvelant toujours où les Bulgares puisent encore aujourd’hui. L’époque de Botev peut se résumer en quelques mots : esclavage national, oppression politique, lutte sociale. La grande conscience qu’a Botev du terrible et du tragique de cette époque se répand à travers toute son œuvre. Déjà ses premiers poèmes tracent un tableau saisissant des malheurs populaires : les chaînes grondent sourdement ; la sueur des fronts coule sur les pierres tombales ; la croix s’enfonce en plein milieu des chairs vives du peuple 3 ; la rouille ronge les os. Dans « À mon premier amour » 4, Botev condamne résolument toute indifférence devant ces malheurs et tout retranchement dans un bonheur privé, détaché du destin collectif :
« Ta voix est belle, tu es jeune,
Mais entends-tu chanter les bois ?
Entends-tu sangloter les pauvres ?
…Toi chante donc un chant pareil,
Un chant de douleur, jeune fille :
Comment le frère vend le frère,
Comment dépérit la jeunesse,
Chante les larmes de la veuve,
Les petits enfants sans foyer !
Chante ou tais-toi, ou bien va-t’en ! »
- En bulgare Христо Ботев (ou Ботьов). Autrefois transcrit Christo Boteff (ou Botyoff), Christo Botev (ou Botyov), Khristo Botev (ou Botyov) ou Hristo Botjov.
- « За Ботев » (« À propos de Botev »), inédit en français.
Pham Duy Khiêm, « La Jeune Femme de Nam Xuong »
Il s’agit de « La Jeune Femme de Nam Xuong » de M. Pham Duy Khiêm 1, écrivain vietnamien d’expression française. Né en 1908, orphelin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses efforts assidus de remporter, au lycée Albert-Sarraut de Hanoï, tous les prix d’excellence. Après le baccalauréat classique, qu’il fut le premier Vietnamien à passer, il partit en France terminer ses études, en pauvre boursier. Sa situation d’étudiant sans foyer, originaire des colonies, eut un contrecoup affectif à travers un amour impossible avec une jeune Parisienne nommée Sylvie. Sous le pseudonyme de Nam Kim, il évoqua avec beaucoup de sensibilité dans « Nam et Sylvie » la naissance de cette passion qui paraissait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour déboucha surtout sur un attachement immuable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne rentra au Viêt-nam qu’avec une lourde appréhension, presque une angoisse, qu’il faut être né sur un sol étranger pour comprendre : « Aucun homme », dit-il 2, « ne peut, sans une certaine mélancolie, s’éloigner pour toujours peut-être d’un lieu où il a beaucoup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Paris. Si par la même occasion il se sépare de ses années d’étudiant et de sa jeunesse, ce n’est pas une tristesse vague qu’il ressent, mais un déchirement secret ». À la veille de la Seconde Guerre, par un geste que plusieurs de ses compatriotes prirent très mal et que peu d’entre eux imitèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée française. Ses amis lui écrivirent pour lui en demander les raisons ; il les exposa dans « La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine » : « Il y a péril, un homme se lève — pourquoi lui demander des raisons ? C’est plutôt à ceux qui se tiennent cois à fournir les raisons qu’ils auraient pour s’abstenir », dit-il 3. « Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie militaire ; mais nous sommes en guerre, et je ne saurais demeurer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et Annam. Il s’agit seulement de savoir la place d’un [homme] comme moi, en ce moment. Elle est ici ; et je dois l’occuper, quelque dangereuse qu’elle soit ».
Pham Duy Khiêm, « Légendes des terres sereines »
éd. Mercure de France, Paris
Il s’agit des « Légendes des terres sereines » de M. Pham Duy Khiêm 1, écrivain vietnamien d’expression française. Né en 1908, orphelin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses efforts assidus de remporter, au lycée Albert-Sarraut de Hanoï, tous les prix d’excellence. Après le baccalauréat classique, qu’il fut le premier Vietnamien à passer, il partit en France terminer ses études, en pauvre boursier. Sa situation d’étudiant sans foyer, originaire des colonies, eut un contrecoup affectif à travers un amour impossible avec une jeune Parisienne nommée Sylvie. Sous le pseudonyme de Nam Kim, il évoqua avec beaucoup de sensibilité dans « Nam et Sylvie » la naissance de cette passion qui paraissait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour déboucha surtout sur un attachement immuable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne rentra au Viêt-nam qu’avec une lourde appréhension, presque une angoisse, qu’il faut être né sur un sol étranger pour comprendre : « Aucun homme », dit-il 2, « ne peut, sans une certaine mélancolie, s’éloigner pour toujours peut-être d’un lieu où il a beaucoup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Paris. Si par la même occasion il se sépare de ses années d’étudiant et de sa jeunesse, ce n’est pas une tristesse vague qu’il ressent, mais un déchirement secret ». À la veille de la Seconde Guerre, par un geste que plusieurs de ses compatriotes prirent très mal et que peu d’entre eux imitèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée française. Ses amis lui écrivirent pour lui en demander les raisons ; il les exposa dans « La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine » : « Il y a péril, un homme se lève — pourquoi lui demander des raisons ? C’est plutôt à ceux qui se tiennent cois à fournir les raisons qu’ils auraient pour s’abstenir », dit-il 3. « Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie militaire ; mais nous sommes en guerre, et je ne saurais demeurer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et Annam. Il s’agit seulement de savoir la place d’un [homme] comme moi, en ce moment. Elle est ici ; et je dois l’occuper, quelque dangereuse qu’elle soit ».
« La forêt se mit à pleurer : chansons populaires bulgares »
Il s’agit d’une anthologie des chansons traditionnelles de la Bulgarie, chansons qui restent encore de nos jours — malgré la modernisation à marche forcée — une réalité musicale vivante dans ce pays, une part sacrée de la vie quotidienne du peuple. Humbles comme la plaine du Danube, massives comme les Rhodopes ou comme le Balkan et durables comme eux, ces chansons ont habillé et habillent encore la parole de l’homme bulgare, afin qu’elle soit préservée à travers les âges, afin que pas un mot ne soit perdu. Les enfants les entonnent tout comme leurs mères ; les aînés tout comme leurs petits-enfants, avec la voix unie du peuple. Dans ce chant pur, dans cette parole sage, joies et douleurs nationales, confessions et espérances populaires se réunissent en une seule, pareilles aux ruisseaux et aux rivières qui se fondent dans la mer. C’est pourquoi les chanteurs et chanteuses chantent avec révérence et simplicité, insistant sur chaque vers, moins pour se divertir et divertir les autres, que pour exprimer le respect et la gratitude du peuple entier. Seul un fils ingrat, seul un homme sans pitié peut détourner ses oreilles, son cœur et son esprit des chansons traditionnelles, attendu qu’elles sont une source parfaite non seulement de musicalité, mais également d’exigence morale et d’intégrité. « Avec un mot méchant, on ne fait pas de chansons ! » (« Ot locha douma pessen né stava ! » 1). Voilà la maxime morale et l’intégrité d’esprit avec lesquelles le peuple a défini ces chansons, qu’il a conservées avec tant de soin et tant de tendresse. Elles témoignent, ces chansons, d’un travail artistique ininterrompu, poursuivi à travers de longs siècles ; d’un génie collectif toujours fécond et étonnamment puissant ; de dons manifestes, même aux heures les plus sombres des oppressions turque et grecque qui pesaient sur les Bulgares — l’une, la turque, s’attaquant « à leur vie, à l’honneur de leurs femmes, à leurs biens », l’autre, la grecque, s’en prenant « à leur langue, à leur école, à leur Église, à leur nationalité »
« Les Mille Monts de lune : poèmes [bouddhiques] de Corée »
Il s’agit d’une anthologie de poèmes bouddhiques de la Corée (VIIe-XXe siècle). « Écrire un poème fut une des façons de pratiquer la méditation. Écrire “sans paroles et sans pensées” 1 est le principe de cette poésie bouddhique », dit Mme Ok-sung Ann-Baron 2. « De nombreux moines-poètes écrivaient dans cet esprit avec une grande sobriété de moyens. C’est ce ton sobre, brut qui donne cette atmosphère si particulière à cette poésie — celui d’un monolithe sculpté avec des outils rudimentaires. » Les moines bouddhistes coréens écartent tout raffinement de leur poésie. Ils ne prennent pour modèle que la nature, éternelle compagne de leur solitude. Hommes peu expansifs, ils sentent pourtant avec beaucoup de profondeur ; car plus le sentiment est profond, moins il tend à s’exprimer. Cette timidité apparente, qu’on prend souvent pour de la froideur, tient à leur pudeur intérieure, qui leur fait croire qu’un cœur ne doit se confier qu’à lui-même. De là, cette exquise réserve, ce quelque chose de voilé, de discret — aussi éloigné de la rhétorique de la passion, trop commune aux poésies profanes, que celle de la religion. « Le lecteur occidental y goûtera le charme des évocations bucoliques, la beauté des ermitages ou l’atmosphère toute de paix et de puissante beauté qui émane [des] vers », dit M. Tanguy L’Aminot 3. Les divers genres de poèmes bouddhiques de la Corée sont : 1º « Odosi » 4, composés à la suite de l’Éveil ; 2º « Sŏllisi » 5, qui expriment la contemplation ; 3º « Sangŏsi » 6, qui chantent la vie dans la montagne ; 4º « Imjongsi » 7, écrits à la veille de la mort ; enfin 5º « Sŏnchwisi » 8, qui reflètent la méditation.
- En coréen « 무언무심 ».
- « Préface à “Ivresse de brumes, griserie de nuages : poésie bouddhique coréenne” », p. 12.
- « Compte rendu sur “Ivresse de brumes, griserie de nuages” », p. 460.
- En coréen 오도시.