Il s’agit de « La Jeune Femme de Nam Xuong » de M. Pham Duy Khiêm 1, écrivain vietnamien d’expression française. Né en 1908, orphelin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses efforts assidus de remporter, au lycée Albert-Sarraut de Hanoï, tous les prix d’excellence. Après le baccalauréat classique, qu’il fut le premier Vietnamien à passer, il partit en France terminer ses études, en pauvre boursier. Sa situation d’étudiant sans foyer, originaire des colonies, eut un contrecoup affectif à travers un amour impossible avec une jeune Parisienne nommée Sylvie. Sous le pseudonyme de Nam Kim, il évoqua avec beaucoup de sensibilité dans « Nam et Sylvie » la naissance de cette passion qui paraissait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour déboucha surtout sur un attachement immuable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne rentra au Viêt-nam qu’avec une lourde appréhension, presque une angoisse, qu’il faut être né sur un sol étranger pour comprendre : « Aucun homme », dit-il 2, « ne peut, sans une certaine mélancolie, s’éloigner pour toujours peut-être d’un lieu où il a beaucoup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Paris. Si par la même occasion il se sépare de ses années d’étudiant et de sa jeunesse, ce n’est pas une tristesse vague qu’il ressent, mais un déchirement secret ». À la veille de la Seconde Guerre, par un geste que plusieurs de ses compatriotes prirent très mal et que peu d’entre eux imitèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée française. Ses amis lui écrivirent pour lui en demander les raisons ; il les exposa dans « La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine » : « Il y a péril, un homme se lève — pourquoi lui demander des raisons ? C’est plutôt à ceux qui se tiennent cois à fournir les raisons qu’ils auraient pour s’abstenir », dit-il 3. « Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie militaire ; mais nous sommes en guerre, et je ne saurais demeurer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et Annam. Il s’agit seulement de savoir la place d’un [homme] comme moi, en ce moment. Elle est ici ; et je dois l’occuper, quelque dangereuse qu’elle soit ».
Très bons ouvrages
Pham Duy Khiêm, « Légendes des terres sereines »
Il s’agit des « Légendes des terres sereines » de M. Pham Duy Khiêm 1, écrivain vietnamien d’expression française. Né en 1908, orphelin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses efforts assidus de remporter, au lycée Albert-Sarraut de Hanoï, tous les prix d’excellence. Après le baccalauréat classique, qu’il fut le premier Vietnamien à passer, il partit en France terminer ses études, en pauvre boursier. Sa situation d’étudiant sans foyer, originaire des colonies, eut un contrecoup affectif à travers un amour impossible avec une jeune Parisienne nommée Sylvie. Sous le pseudonyme de Nam Kim, il évoqua avec beaucoup de sensibilité dans « Nam et Sylvie » la naissance de cette passion qui paraissait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour déboucha surtout sur un attachement immuable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne rentra au Viêt-nam qu’avec une lourde appréhension, presque une angoisse, qu’il faut être né sur un sol étranger pour comprendre : « Aucun homme », dit-il 2, « ne peut, sans une certaine mélancolie, s’éloigner pour toujours peut-être d’un lieu où il a beaucoup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Paris. Si par la même occasion il se sépare de ses années d’étudiant et de sa jeunesse, ce n’est pas une tristesse vague qu’il ressent, mais un déchirement secret ». À la veille de la Seconde Guerre, par un geste que plusieurs de ses compatriotes prirent très mal et que peu d’entre eux imitèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée française. Ses amis lui écrivirent pour lui en demander les raisons ; il les exposa dans « La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine » : « Il y a péril, un homme se lève — pourquoi lui demander des raisons ? C’est plutôt à ceux qui se tiennent cois à fournir les raisons qu’ils auraient pour s’abstenir », dit-il 3. « Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie militaire ; mais nous sommes en guerre, et je ne saurais demeurer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et Annam. Il s’agit seulement de savoir la place d’un [homme] comme moi, en ce moment. Elle est ici ; et je dois l’occuper, quelque dangereuse qu’elle soit ».
« La forêt se mit à pleurer : chansons populaires bulgares »
Il s’agit d’une anthologie des chansons traditionnelles de la Bulgarie, chansons qui restent encore de nos jours — malgré la modernisation à marche forcée — une réalité musicale vivante dans ce pays, une part sacrée de la vie quotidienne du peuple. Humbles comme la plaine du Danube, massives comme les Rhodopes ou comme le Balkan et durables comme eux, ces chansons ont habillé et habillent encore la parole de l’homme bulgare, afin qu’elle soit préservée à travers les âges, afin que pas un mot ne soit perdu. Les enfants les entonnent tout comme leurs mères ; les aînés tout comme leurs petits-enfants, avec la voix unie du peuple. Dans ce chant pur, dans cette parole sage, joies et douleurs nationales, confessions et espérances populaires se réunissent en une seule, pareilles aux ruisseaux et aux rivières qui se fondent dans la mer. C’est pourquoi les chanteurs et chanteuses chantent avec révérence et simplicité, insistant sur chaque vers, moins pour se divertir et divertir les autres, que pour exprimer le respect et la gratitude du peuple entier. Seul un fils ingrat, seul un homme sans pitié peut détourner ses oreilles, son cœur et son esprit des chansons traditionnelles, attendu qu’elles sont une source parfaite non seulement de musicalité, mais également d’exigence morale et d’intégrité. « Avec un mot méchant, on ne fait pas de chansons ! » (« Ot locha douma pessen né stava ! » 1). Voilà la maxime morale et l’intégrité d’esprit avec lesquelles le peuple a défini ces chansons, qu’il a conservées avec tant de soin et tant de tendresse. Elles témoignent, ces chansons, d’un travail artistique ininterrompu, poursuivi à travers de longs siècles ; d’un génie collectif toujours fécond et étonnamment puissant ; de dons manifestes, même aux heures les plus sombres des oppressions turque et grecque qui pesaient sur les Bulgares — l’une, la turque, s’attaquant « à leur vie, à l’honneur de leurs femmes, à leurs biens », l’autre, la grecque, s’en prenant « à leur langue, à leur école, à leur Église, à leur nationalité »
« Les Mille Monts de lune : poèmes [bouddhiques] de Corée »
Il s’agit d’une anthologie de poèmes bouddhiques de la Corée (VIIe-XXe siècle). « Écrire un poème fut une des façons de pratiquer la méditation. Écrire “sans paroles et sans pensées” 1 est le principe de cette poésie bouddhique », dit Mme Ok-sung Ann-Baron 2. « De nombreux moines-poètes écrivaient dans cet esprit avec une grande sobriété de moyens. C’est ce ton sobre, brut qui donne cette atmosphère si particulière à cette poésie — celui d’un monolithe sculpté avec des outils rudimentaires. » Les moines bouddhistes coréens écartent tout raffinement de leur poésie. Ils ne prennent pour modèle que la nature, éternelle compagne de leur solitude. Hommes peu expansifs, ils sentent pourtant avec beaucoup de profondeur ; car plus le sentiment est profond, moins il tend à s’exprimer. Cette timidité apparente, qu’on prend souvent pour de la froideur, tient à leur pudeur intérieure, qui leur fait croire qu’un cœur ne doit se confier qu’à lui-même. De là, cette exquise réserve, ce quelque chose de voilé, de discret — aussi éloigné de la rhétorique de la passion, trop commune aux poésies profanes, que celle de la religion. « Le lecteur occidental y goûtera le charme des évocations bucoliques, la beauté des ermitages ou l’atmosphère toute de paix et de puissante beauté qui émane [des] vers », dit M. Tanguy L’Aminot 3. Les divers genres de poèmes bouddhiques de la Corée sont : 1º « Odosi » 4, composés à la suite de l’Éveil ; 2º « Sŏllisi » 5, qui expriment la contemplation ; 3º « Sangŏsi » 6, qui chantent la vie dans la montagne ; 4º « Imjongsi » 7, écrits à la veille de la mort ; enfin 5º « Sŏnchwisi » 8, qui reflètent la méditation.
« Ivresse de brumes, griserie de nuages : poésie bouddhique coréenne »
Il s’agit d’une anthologie de poèmes bouddhiques de la Corée (XIIIe-XVIe siècle). « Écrire un poème fut une des façons de pratiquer la méditation. Écrire “sans paroles et sans pensées” 1 est le principe de cette poésie bouddhique », dit Mme Ok-sung Ann-Baron 2. « De nombreux moines-poètes écrivaient dans cet esprit avec une grande sobriété de moyens. C’est ce ton sobre, brut qui donne cette atmosphère si particulière à cette poésie — celui d’un monolithe sculpté avec des outils rudimentaires. » Les moines bouddhistes coréens écartent tout raffinement de leur poésie. Ils ne prennent pour modèle que la nature, éternelle compagne de leur solitude. Hommes peu expansifs, ils sentent pourtant avec beaucoup de profondeur ; car plus le sentiment est profond, moins il tend à s’exprimer. Cette timidité apparente, qu’on prend souvent pour de la froideur, tient à leur pudeur intérieure, qui leur fait croire qu’un cœur ne doit se confier qu’à lui-même. De là, cette exquise réserve, ce quelque chose de voilé, de discret — aussi éloigné de la rhétorique de la passion, trop commune aux poésies profanes, que celle de la religion. « Le lecteur occidental y goûtera le charme des évocations bucoliques, la beauté des ermitages ou l’atmosphère toute de paix et de puissante beauté qui émane [des] vers », dit M. Tanguy L’Aminot 3. Les divers genres de poèmes bouddhiques de la Corée sont : 1º « Odosi » 4, composés à la suite de l’Éveil ; 2º « Sŏllisi » 5, qui expriment la contemplation ; 3º « Sangŏsi » 6, qui chantent la vie dans la montagne ; 4º « Imjongsi » 7, écrits à la veille de la mort ; enfin 5º « Sŏnchwisi » 8, qui reflètent la méditation.
« Le Saule aux dix mille rameaux : anthologie de la poésie coréenne médiévale et classique »
Il s’agit de Pak Il-lo 1, Chŏng Ch’ŏl 2 et autres poètes classiques de la Corée (VIIe-XIXe siècle). Jadis, pour les Coréens, les préceptes de la morale chinoise — piété filiale, fidélité au suzerain, modération — constituaient la principale source de l’art d’écrire. Le style, la valeur littéraire étaient subordonnés à l’orthodoxie de la pensée. Un auteur soucieux des mœurs acquises, de l’ordre figé était toujours mis au-dessus d’un auteur brillant. Le fonctionnaire-lettré digne de ce nom se devait d’ignorer ou de désavouer ce qui ne venait pas des Anciens. L’originalité était condamnable, l’initiative — suspecte : il ne fallait ni idées neuves ni recherches inédites. « Il en résultait que, dès qu’un écrivain trouvait dans un ouvrage classique un passage ou une phrase correspondant à l’idée qu’il avait dans l’esprit, il n’avait garde de chercher une façon de dire personnelle : il transcrivait le passage ou la phrase, joyeux de se couvrir de l’autorité d’un Ancien » 3. Sauf exception, la poésie coréenne paraît donc peu originale, toujours imbue de l’esprit chinois, souvent une simple imitation. Telle qu’elle est cependant, bien inférieure aux poésies japonaise et vietnamienne qui ont su se ménager une part de fantaisie malgré les emprunts faits à l’étranger, elle l’emporte de beaucoup sur ce qu’ont produit les Mongols, les Mandchous et les autres élèves de la Chine. Voici les principaux genres de la poésie coréenne : 1º « Hyangga » 4 (« chants du terroir ») conservés dans le recueil « Choses qui nous sont parvenues de l’époque des Trois Royaumes » (« Samguk Yusa » 5) et qui représentent les premières œuvres rédigées en coréen ; 2º « Changga » 6 (« chansons longues ») remontant à la dynastie de Koryŏ ; 3º « Sijo » 7 (« airs populaires »), brefs poèmes de trois vers, la forme la plus emblématique de la poésie coréenne ; 4º « Kasa » 8 (« chants rythmés »), sorte de prose rythmée ; enfin 5º « Hansi » 9 (« poèmes en chinois »).
« Le Chant de la fidèle Chunhyang »
Il s’agit du « Chant de Chunhyang » (« Chunhyang-ga » 1) ou « Histoire de Chunhyang » (« Chunhyang-jŏn » 2), légende fort célèbre en Corée et chantée dans les réjouissances populaires. Elle traite de l’amour entre Chunhyang 3 (« Parfum de printemps »), fille d’une ancienne courtisane, et Mongryong 4 (« Rêve de dragon »), fils d’un noble gouverneur. Au moment où les fleurs commençaient à s’épanouir, le jeune Mongryong était occupé à lire dans la bibliothèque de son père. Ayant interrompu son travail pour se promener, il vit la jeune Chunhyang en train de faire de la balançoire : « Elle saisit la corde de ses délicates mains, monta sur la planche et s’envola… Vue de face, elle était l’hirondelle qui plonge pour attraper au vol un pétale de fleur de pêcher qui glisse sur le sol. De dos, elle semblait un papillon multicolore qui s’éloigne à la recherche de sa compagne » 5. Mongryong tomba aussitôt amoureux d’elle, et elle de lui. À cause de la différence dans leur condition et dans leur fortune, ils s’épousèrent en cachette. Sur ces entrefaites, le père de Mongryong fut appelé à la capitale, où son fils fut obligé de le suivre. Leur successeur, homme « brutal et emporté » 6, voulut acheter les faveurs de Chunhyang, mais celle-ci lui résista, fidèle à son lointain époux, si bien qu’elle fut torturée et emprisonnée. Je ne dirai rien de la fin de l’histoire, sinon qu’elle est heureuse. Le succès du « Chant de Chunhyang » lui vient de ce qu’il osait parler tout haut d’amour en cette Corée de l’ancien régime où les jeunes cœurs étouffaient sous le poids de l’autorité, et où le mariage était une affaire de raison, traitée entre pères, sans que les conjoints aient la moindre voix au chapitre. Certes, je l’avoue : l’intrigue est naïve, les caractères — vieillis, le style — maladroit ; mais, sous tout cela, on sent l’âme des grands poètes du peuple. Leurs sentiments bons et purs ont passé à travers cette œuvre. Ils l’ont vivifiée autrefois ; ils la soutiennent encore aujourd’hui, car le « Chant de Chunhyang » continue d’être représenté dans la ville de Namwon 7, qui est celle de la jeune héroïne. Il s’y tient chaque année un grand festival auquel participent les meilleurs « myeongchang » 8 (« maîtres chanteurs »). On dit que certains d’entre eux, « afin de donner à leur voix la perfection de l’expressivité… vont jusqu’à cracher du sang » 9 devant une foule qui les paie amplement en sanglots et en applaudissements.
Erfan, « Les Damnées du paradis et Autres Nouvelles »
Il s’agit des « Damnées du paradis » de M. Ali Erfan, écrivain iranien de langue française. Né à Ispahan en 1946, il fait partie de ces hommes de théâtre, ces cinéastes, ces artistes que l’évolution politique de leur pays a menés à la prison et à l’exil. Quand son deuxième film a été projeté, le ministre de la Culture iranien, présent dans la salle, a déclaré à la fin : « Le seul mur blanc sur lequel on n’a pas encore versé le sang des impurs, c’est l’écran de cinéma. Si on exécute ce traître, et que cet écran devient rouge, tous les cinéastes comprendront qu’on ne peut pas jouer avec les intérêts du peuple musulman » 1. Il a quitté alors l’Iran pour poursuivre une carrière d’écrivain à Paris. Bien que cette carrière soit loin d’être finie, je m’autorise, dès à présent, à résumer les principales et différentes qualités de M. Erfan et comme les éléments constitutifs de son génie. 1º Le goût de l’intrigue troublante, rapide, sombre. « Mon récit », dit M. Erfan, « sera rapide comme l’ange de la mort lorsqu’il surgit par la fenêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des tyrans et disparaît aussitôt par le même chemin, en emportant l’âme d’un poète » 2. 2º La nostalgie de la patrie, de la langue natale, de l’enfance. Chaque fois qu’il entreprend d’écrire, M. Erfan cherche le temps de sa première jeunesse. Il goûte l’extase de la mémoire, le plaisir de retrouver les choses perdues et oubliées dans la langue natale. Et comme cette mémoire retrouvée ne raconte pas ce qui s’est passé réellement, mais ce qui aurait pu se passer, c’est elle le véritable écrivain ; et M. Erfan est son premier lecteur : « Maintenant, je connais [la langue française]. Mais je ne veux pas parler… Madame dit : “Mon chéri, dis : jasmin”. Je ne veux pas. Je veux prononcer le nom de la fleur qui était dans notre maison. Comment s’appelait-elle ? Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas ? Cette grande fleur qui poussait au coin de la cour. Qui montait, qui tournait. Elle grimpait par-dessus la porte de notre maison, et elle retombait dans la rue… Comment s’appelait-elle ? Elle sentait bon. Madame dit encore : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure… » 3 3º L’absence de philosophie morale, d’idéal, de sentiment religieux. Si M. Erfan n’a pas la joie de croire, c’est là son défaut, ou plutôt son malheur, mais un malheur tenant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Erfan a vu commettre au nom d’une religion dont les préceptes ont été dénaturés et détournés de leur propos et de leur véritable signification : « Il ouvrit sans hâte l’un des épais dossiers [de la République islamique], en retira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “Enfermez cette femme dans un sac de jute et jetez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Violez la fillette de douze ans malgré son repentir et, entre ses jambes, tirez son foie” »
« Les Femmes de lettres birmanes »
Il s’agit d’une anthologie des femmes de lettres de la Birmanie (Myanmar). Au XIXe siècle encore, les livres de ce pays étaient formés de feuilles de palmier séchées et noircies, sur lesquelles les lettres étaient gravées avec un stylet de métal ou une pointe d’os, qui laissait une empreinte blanche : « Je languis », dit une poétesse birmane 1, « et ma tête s’incline comme une fleur sous les rayons du soleil. D’une pointe d’os, je grave des feuillets noircis ». Deux trous, traversant chaque feuille, servaient à les lier toutes ensemble pour former un volume, au moyen d’un cordon qui passait également à travers les deux planches qui faisaient office de couverture. Du reste, que l’humanité ait écrit sur des feuilles de palmier dès l’antiquité la plus reculée, nous en avons pour garant Pline l’Ancien, qui dit « qu’auparavant on ne connaissait pas le papier : on écrivit, d’abord, sur des feuilles de palmier » (« antea non fuisse chartarum usum : in palmarum foliis primo scriptitatum »). C’était là une matière facile à travailler, mais particulièrement périssable et plus sujette que toute autre aux atteintes de la chaleur et de l’humidité ; et si elle n’était pas préservée des insectes ou des rats, une bibliothèque entière pouvait, en peu de temps, être la proie de ces bestioles. La première Birmane dont les écrits aient passé jusqu’à nous est la princesse Yazadatoukalya 2 (XVIe siècle apr. J.-C.), qui se consolait d’être séparée de son amant en composant des « yedou » 3 (« poèmes des saisons »). Sous les descriptions saisonnières, on voit poindre une âme locale, née dans la puissante jungle des montagnes :
« En un lieu de la belle montagne couverte de forêts est construit un nid : palais et paradis. Régnant par sa gloire et par sa force, le perroquet, aux plumes et aux ailes d’émeraude, comprend et connaît tout sur la conduite des hommes… Toi, perroquet, précipite-toi à travers le vent, la pluie et les nuages, et va supplier [mon amant]. Dis-lui que son amoureuse l’attend impatiemment, pleine d’espoir, étendue sur sa couche inclinée, dans un vaste et magnifique royaume »
« Anthologie de la poésie classique turque (dite du Divan) »
Il s’agit d’une anthologie de la poésie ottomane. Dès la fixation des Turcs en Anatolie, deux poésies s’affrontent, dont la première finira par l’emporter à l’époque ottomane, mais dont la seconde triomphera entièrement dans la Turquie moderne : d’un côté, celle des seigneurs et des citadins, dont le but sera de transposer en un turc bourré d’arabe et de persan les manières littéraires de ces deux grandes langues musulmanes, dans des vers fondés sur la quantité longue et brève des syllabes ; de l’autre, celle des paysans et des nomades, peut-être moins savants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue maternelle, souvent nourris de chansons populaires, qui entreprendront d’exprimer leur sensibilité et leur pensée selon le génie national, dans des vers fondés sur le seul nombre des syllabes. Les succès prestigieux, au XIVe siècle, du seigneur turc Othman, qui soumet avec le secours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans et du Proche-Orient, ont pour conséquence inéluctable, en même temps qu’une centralisation du pouvoir, la réunion à la Cour de tous les poètes de renom, qui deviennent ainsi « des écrivains professionnels et courtisans, aristocrates et pédants, vivant en vase clos et de façon artificielle, coupés du reste de la nation » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sultan Soliman coïncide, comme de juste, la maturité de la poésie ottomane, incarnée par Bâkî 2. Poète de génie, Bâkî doit à son seul talent une brillante réputation et une haute fortune ; car s’il débute sa vie comme fils d’un pauvre muezzin, il finit sa carrière comme vizir. « Ses ghazels — courts poèmes lyriques de ton généralement léger — où ce grave ecclésiastique chante l’amour et le vin en des termes qui nous surprennent, mais dont les commentateurs orthodoxes assurent qu’ils sont symboliques, sont parmi les plus célèbres » 3. Je leur préfère, cependant, la perfection classique de son « Oraison funèbre du sultan Soliman » 4, laquelle évoque avec un grand art cette période où l’Empire ottoman était sans doute le plus puissant du monde
Gan Bao, « À la recherche des esprits : récits tirés du “Sou shen ji” »
Il s’agit d’une traduction partielle du « Sou shen ji » 1 (« À la recherche des esprits ») de Gan Bao 2, historien chinois porté vers l’étude de l’astrologie et des sciences occultes, et qui entendait « démontrer que la doctrine relative au surnaturel n’est pas une affabulation » 3 (IIIe-IVe siècle apr. J.-C.). On rapporte qu’encore enfant, Gan Bao fut témoin d’un drame de famille qui décida de sa vocation : Son père chérissait une servante jalousée par sa mère. Quand ce dernier mourut, son épouse la fit enterrer vivante dans la tombe du défunt. Mais plus de dix ans après ces faits tragiques, lorsqu’on ouvrit la tombe, on trouva la servante dans le même état où elle se trouvait au moment de l’enterrement ; on l’emporta donc, et le lendemain, elle revint à la vie. Elle raconta que son défunt amant lui donnait constamment à boire et à manger, lui témoignant une affection semblable à celle qu’il avait eue pour elle de son vivant. Ce fut à la suite de ces circonstances que Gan Bao se mit à recueillir tout ce qui avait trait aux fantômes, aux génies, aux bêtes métamorphosées, et d’une façon plus générale, au merveilleux. Gros de quatre cent soixante-quatre récits, son « Sou shen ji » compte parmi les recueils les plus importants dans la catégorie des « choses dont Confucius ne traitait pas », c’est-à-dire des choses fantastiques 4. « Gan Bao n’est pas qu’un merveilleux conteur de l’étrange, c’est aussi un grand écrivain au style concis et au vocabulaire riche », explique M. Rémi Mathieu 5. « Sa prose s’inspire bien entendu des grands classiques de l’Antiquité, mais la touche personnelle de l’auteur est présente tout au long de ces lignes, surtout à travers de longs poèmes, parfois difficiles à interpréter. » Une suite existe au recueil de Gan Bao, intitulée « Suite à la Recherche des esprits » (« Xu Sou shen ji » 6), en dix volumes.
- En chinois « 搜神記 ». Autrefois transcrit « Cheou chen ki », « Seou chen ki », « Seu-shen-ki », « Sou shen ki » ou « Sou shen chi ».
- En chinois 干寶. Autrefois transcrit Kan Pao.
- Dans Lu Xun, « Brève Histoire du roman chinois », p. 60.
- Référence aux « Entretiens de Confucius », VII, 21 : « Le Maître ne traitait ni des prodiges, ni de la violence, ni du désordre, ni des esprits ».
- « Gan Bao » dans « Dictionnaire universel des littératures ».
- En chinois « 續搜神記 », inédit en français.
Nelligan, « Poésies complètes »
Il s’agit des « Poésies » d’Émile Nelligan, le plus grand poète québécois, le seul qui soit honoré de notices dans les dictionnaires étrangers (XIXe siècle). Les biographes s’accordent à le décrire comme un mince adolescent, à la figure pâle, qui allait le regard perdu dans les nuages, les doigts souillés d’encre, la redingote en désordre, et parmi tout cela, l’air fier. Il prétendait que ses vers s’envoleraient un jour vers la France, d’où ils reviendraient sous la forme d’un beau livre, avec les bravos de tout Montréal. « C’est un drôle de garçon », disaient les uns ; « un peu poseur », trouvaient les autres 1. Mais sa fierté n’était qu’une façade ; elle cachait une sensibilité exaspérée, tantôt débordante d’enthousiasme, tantôt assombrie d’une nerveuse mélancolie :
« C’est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et l’objet du mépris,
De se savoir un cœur et de n’être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage !…
Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore.
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots ! »
Héraclite, « Fragments »
Il s’agit de fragments d’un rouleau que le philosophe grec Héraclite d’Éphèse 1 déposa, au Ve siècle av. J.-C., dans le temple d’Artémis. On dispute sur la question de savoir si ce rouleau était un traité suivi, ou s’il consistait en pensées isolées, comme celles que le hasard des citations nous a conservées. Héraclite s’y exprimait, en tout cas, dans un style condensé, propre à étonner ; il prenait à la fois le ton d’un prophète et le langage d’un philosophe ; il tentait avec une rare audace de concilier l’unité (« tout est un » 2) et le changement (« tout s’écoule » 3). De là, cette épithète d’« obscur » si souvent accolée à son nom, mais qui ne me paraît pas moins exagérée, car : « Certes, la lecture d’Héraclite est d’un abord rude et difficile. La nuit est sombre, les ténèbres sont épaisses ; mais si un initié te guide, tu verras clair dans ce livre plus qu’en plein soleil » 4. À cette apparente obscurité s’ajoutait chez Héraclite un fond de hauteur et de fierté qui lui faisait mépriser presque tous les hommes. Il dédaignait même la société des savants, et ce dédain était porté si loin, qu’il leur criait des injures. Pour autant, il n’était pas un homme insensible, et quand il s’affligeait des malheurs qui forment l’existence humaine, les larmes lui montaient aux yeux. La tradition rapporte qu’Héraclite mourut dans le temple d’Artémis où « il s’était retiré et jouait aux osselets avec des enfants » 5. Selon Friedrich Nietzsche, s’il est vrai que l’on a vu ce sage participer aux jeux bruyants des enfants, c’est qu’il pensait, en les observant, à ce que personne n’a pensé à cette occasion : il pensait au jeu du grand Enfant universel, c’est-à-dire Dieu : « Héraclite », dit Nietzsche 6, « n’a pas eu besoin des hommes, même pas pour accroître ses connaissances. Tout ce qu’on pouvait éventuellement apprendre en questionnant les hommes et tout ce que les autres sages s’étaient efforcés d’obtenir… lui importait peu. Il parlait sans en faire grand cas de ces hommes qui interrogent, qui collectionnent, bref, de ces “historiens”. “Je me suis cherché” 7, disait-il de lui-même en employant le mot qui définit l’interprétation d’un oracle ; comme s’il était le seul, lui et personne d’autre, à véritablement réaliser et accomplir le précepte delphique “Connais-toi toi-même”. »
- En grec Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος.
- En grec « ἓν πάντα εἶναι ». p. 23.
- En grec « πάντα ῥεῖ ». p. 467.
- En grec « Μὴ ταχὺς Ἡρακλείτου ἐπ’ ὀμφαλὸν εἴλεε βίϐλον τοὐφεσίου· μάλα τοι δύσϐατος ἀτραπιτός. Ὄρφνη καὶ σκότος ἐστὶν ἀλάμπετον· ἢν δέ σε μύστης εἰσαγάγῃ, φανεροῦ λαμπρότερ’ ἠελίου ». Anonyme dans « Anthologie grecque, d’après le manuscrit palatin ».
- Diogène Laërce, « Vies et Doctrines des philosophes illustres ».
- « La Philosophie à l’époque tragique des Grecs », p. 364.
- En grec « ἐδιζησάμην ἐμεωυτόν ». p. 229.