Icône CatégorieTrès bons ouvrages

Akutagawa, « Une Vague Inquiétude »

éd. du Rocher, coll. Nouvelle, Monaco

éd. du Ro­cher, coll. , Mo­naco

Il s’agit d’«Un » («Gi­waku» 1) et autres nou­velles d’ 2. L’œuvre de cet écri­vain, dis­crè­te­ment in­tel­lec­tuelle, tein­tée d’une in­sou­ciante, cache as­sez , sous une ap­pa­rence lé­gère et élé­gante, quelque chose de ner­veux, d’obsédant, un sourd ma­laise, une «vague in­quié­tude» («bo­nyari-shita fuan» 3), se­lon les mots mêmes par les­quels Aku­ta­gawa tien­dra à dé­fi­nir le mo­tif de son . Pour­tant, de tous les , nul n’était mieux dis­posé qu’Akutagawa à trou­ver re­fuge dans l’art. Il se dé­cri­vait comme avide de lec­ture, ju­ché sur l’échelle d’une li­brai­rie, toi­sant de là-haut les pas­sants qui lui pa­rais­saient étran­ge­ment pe­tits et aussi tel­le­ment mi­sé­rables : «La hu­maine ne vaut pas même une ligne de Bau­de­laire!», di­sait-il 4. Très tôt, il avait com­pris que rien de sé­dui­sant ne se fait sans qu’y col­la­bore une . L’œuvre d’art, plu­tôt qu’à la pré­cieuse, se com­pare à la flamme qui a be­soin d’un ali­ment vi­vant. Et Aku­ta­gawa mit son à s’en faire la vic­time vo­lon­taire. Comme il écrira dans la «Lettre adres­sée à un vieil ami» («Aru kyûyû e okuru shuki» 5) im­mé­dia­te­ment avant sa  : «Dans cet état ex­trême où je suis, la me semble plus émou­vante que ja­mais. Peut-être ri­ras-tu de la contra­dic­tion dans la­quelle je me trouve, qui, tout en ai­mant la beauté de la na­ture, dé­cide de me sup­pri­mer. Mais la na­ture est belle parce qu’elle se re­flète dans mon ul­time » Et Ya­su­nari Ka­wa­bata de com­men­ter : «Le plus sou­vent ma­la­dif et af­fai­bli, [l’artiste] s’enflamme au der­nier mo­ment avant de s’éteindre tout à fait. C’est quelque chose de tra­gique en » 6. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que c’est jus­te­ment ce «quelque chose de tra­gique» qui exerce sa puis­sante fas­ci­na­tion sur l’ et sur l’imaginaire des lec­teurs d’Akutagawa. «Ces der­niers sentent que leurs pré­oc­cu­pa­tions pro­fondes — ou plu­tôt… “exis­ten­tielles” — se trouvent sai­sies et par­ta­gées par l’auteur qui, en les pré­ci­sant et en les am­pli­fiant jusqu’à une sorte de han­tise, les pro­jette sur un fond im­pré­gné d’un “spleen” qui lui est par­ti­cu­lier», dit M. Ari­masa Mori

  1. En ja­po­nais «疑惑». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 芥川龍之介. Au­tre­fois trans­crit Riu­noské Aku­ta­gawa, Akou­ta­gawa Ryu­no­souké, Akou­ta­gaoua Ryou­no­souké ou Akou­ta­gava Ryou­no­souke. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «ぼんやりした不安». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «人生は一行のボオドレエルにも若かない». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «或旧友へ送る手記». Icône Haut
  3. «Ro­mans et Nou­velles», p. 26. Icône Haut

Akutagawa, « Rashômon et Autres Contes »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de «Ra­shô­mon» 1 et autres nou­velles d’ 2. L’œuvre de cet écri­vain, dis­crè­te­ment in­tel­lec­tuelle, tein­tée d’une in­sou­ciante, cache as­sez , sous une ap­pa­rence lé­gère et élé­gante, quelque chose de ner­veux, d’obsédant, un sourd ma­laise, une «vague in­quié­tude» («bo­nyari-shita fuan» 3), se­lon les mots mêmes par les­quels Aku­ta­gawa tien­dra à dé­fi­nir le mo­tif de son . Pour­tant, de tous les , nul n’était mieux dis­posé qu’Akutagawa à trou­ver re­fuge dans l’art. Il se dé­cri­vait comme avide de lec­ture, ju­ché sur l’échelle d’une li­brai­rie, toi­sant de là-haut les pas­sants qui lui pa­rais­saient étran­ge­ment pe­tits et aussi tel­le­ment mi­sé­rables : «La hu­maine ne vaut pas même une ligne de Bau­de­laire!», di­sait-il 4. Très tôt, il avait com­pris que rien de sé­dui­sant ne se fait sans qu’y col­la­bore une . L’œuvre d’art, plu­tôt qu’à la pré­cieuse, se com­pare à la flamme qui a be­soin d’un ali­ment vi­vant. Et Aku­ta­gawa mit son à s’en faire la vic­time vo­lon­taire. Comme il écrira dans la «Lettre adres­sée à un vieil ami» («Aru kyûyû e okuru shuki» 5) im­mé­dia­te­ment avant sa  : «Dans cet état ex­trême où je suis, la me semble plus émou­vante que ja­mais. Peut-être ri­ras-tu de la contra­dic­tion dans la­quelle je me trouve, qui, tout en ai­mant la beauté de la na­ture, dé­cide de me sup­pri­mer. Mais la na­ture est belle parce qu’elle se re­flète dans mon ul­time » Et Ya­su­nari Ka­wa­bata de com­men­ter : «Le plus sou­vent ma­la­dif et af­fai­bli, [l’artiste] s’enflamme au der­nier mo­ment avant de s’éteindre tout à fait. C’est quelque chose de tra­gique en » 6. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que c’est jus­te­ment ce «quelque chose de tra­gique» qui exerce sa puis­sante fas­ci­na­tion sur l’ et sur l’imaginaire des lec­teurs d’Akutagawa. «Ces der­niers sentent que leurs pré­oc­cu­pa­tions pro­fondes — ou plu­tôt… “exis­ten­tielles” — se trouvent sai­sies et par­ta­gées par l’auteur qui, en les pré­ci­sant et en les am­pli­fiant jusqu’à une sorte de han­tise, les pro­jette sur un fond im­pré­gné d’un “spleen” qui lui est par­ti­cu­lier», dit M. Ari­masa Mori

  1. En «羅生門». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 芥川龍之介. Au­tre­fois trans­crit Riu­noské Aku­ta­gawa, Akou­ta­gawa Ryu­no­souké, Akou­ta­gaoua Ryou­no­souké ou Akou­ta­gava Ryou­no­souke. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «ぼんやりした不安». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «人生は一行のボオドレエルにも若かない». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «或旧友へ送る手記». Icône Haut
  3. «Ro­mans et Nou­velles», p. 26. Icône Haut

fille de Sugawara no Takasue, « Le Journal de Sarashina »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Journaux poétiques de l’époque de Héian-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Les Jour­naux poé­tiques de l’époque de Héian-Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Jour­nal de Sa­ra­shina». Ce genre d’ in­times qui tient tant de place dans la lit­té­ra­ture fé­mi­nine du , je veux dire le «nikki» («jour­nal»), fut inau­guré (chose étrange!) par un , Ki no Tsu­rayuki 1, poète et , qui ve­nait d’exercer, pen­dant cinq ans, les fonc­tions de pré­fet de la pro­vince de Tosa. Dans son «Tosa nikki» 2Jour­nal de Tosa»), ré­digé en 935 apr. J.-C., il ra­con­tait dans une prose ex­quise, en­tre­mê­lée de poé­sies, son voyage de re­tour à la ca­pi­tale. Mais le prin­ci­pal in­té­rêt de son jour­nal était ailleurs : tout le se­cret en était, en ef­fet, dans la pre­mière phrase, où l’auteur fai­sait le choix de l’, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «on­nade» 3main de femme»), par op­po­si­tion à l’ chi­noise, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «oto­kode» 4main d’homme»). C’est non seule­ment en «on­nade» qu’il écri­vit son jour­nal, mais aussi dans la même que pra­ti­quaient les , dé­mon­trant de la sorte que cette langue par­ve­nait à ex­pri­mer par­fai­te­ment, si­non les concepts abs­traits de l’écriture chi­noise, du moins les mou­ve­ments dé­li­cats du cœur, com­muns à toute l’ : «[D’un pays à l’autre], le certes dif­fère», dit le «Jour­nal de Tosa» 5, «mais puisque pa­reil à coup sûr est le clair de lune, pour­quoi n’en se­rait-il de même du cœur hu­main?» Les dames de la Cour ja­po­naise ne tar­dèrent pas à en­tendre cette le­çon, et cloî­trées comme elles étaient dans leurs chambres, où elles avaient as­sez de loi­sir pour lire et pour son­ger à leurs mal­heurs, elles se mirent à no­ter leurs tristes pen­sées sous forme de jour­nal. La des dont elles étaient suf­fo­quées, et qu’elles ne pou­vaient pas dire à haute , éclata bien­tôt en un d’artifice comme on n’en vit ja­mais de sem­blable dans la lit­té­ra­ture uni­ver­selle. Se sui­virent à quelques an­nées d’intervalle : le «Ka­gerô (no) nikki» 6Jour­nal d’une éphé­mère»); le « nikki» 7Jour­nal de Mu­ra­saki-shi­kibu»); l’« nikki» 8Jour­nal d’Izumi-shikibu»); le «Sa­ra­shina nikki» 9Jour­nal de Sa­ra­shina»); le «Jô­jin-ajari (no) haha no shû» 10Jour­nal de la mère du ré­vé­rend Jô­jin»); en­fin le «Sa­nuki no suke (no) nikki» 11Jour­nal de la dame d’ Sa­nuki»).

  1. En 紀貫之. Au­tre­fois trans­crit Tsou­rayouki. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «土佐日記». Au­tre­fois trans­crit «Toça nikki» ou «Tossa nikki». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 女手. Par­fois trans­crit «won­nade». Icône Haut
  4. En ja­po­nais 男手. Par­fois trans­crit «wo­to­kode» ou «wo­toko no te». Icône Haut
  5. p. 36-37. Icône Haut
  6. En ja­po­nais «蜻蛉日記». Au­tre­fois trans­crit «Ka­gherô nikki». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «紫式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Mou­ra­çaki Shi­ki­bou niki» ou «Mou­ra­saki Shi­ki­bou nikki». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Izoumi-shi­ki­bou nikki». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «更級日記». Icône Haut
  4. En ja­po­nais «成尋阿闍梨母集». Icône Haut
  5. En ja­po­nais «讃岐典侍日記», in­édit en . Au­tre­fois trans­crit «Sa­nouki no souké no nikki». Icône Haut

Tsurayuki, « Le Journal de Tosa »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Tama, Cergy

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Tama, Cergy

Il s’agit du «Jour­nal de Tosa». Ce genre d’ in­times qui tient tant de place dans la lit­té­ra­ture fé­mi­nine du , je veux dire le «nikki» («jour­nal»), fut inau­guré (chose étrange!) par un , Ki no Tsu­rayuki 1, poète et , qui ve­nait d’exercer, pen­dant cinq ans, les fonc­tions de pré­fet de la pro­vince de Tosa. Dans son «Tosa nikki» 2Jour­nal de Tosa»), ré­digé en 935 apr. J.-C., il ra­con­tait dans une prose ex­quise, en­tre­mê­lée de poé­sies, son voyage de re­tour à la ca­pi­tale. Mais le prin­ci­pal in­té­rêt de son jour­nal était ailleurs : tout le se­cret en était, en ef­fet, dans la pre­mière phrase, où l’auteur fai­sait le choix de l’ ja­po­naise, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «on­nade» 3main de femme»), par op­po­si­tion à l’écriture chi­noise, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «oto­kode» 4main d’homme»). C’est non seule­ment en «on­nade» qu’il écri­vit son jour­nal, mais aussi dans la même que pra­ti­quaient les , dé­mon­trant de la sorte que cette langue par­ve­nait à ex­pri­mer par­fai­te­ment, si­non les concepts abs­traits de l’écriture chi­noise, du moins les mou­ve­ments dé­li­cats du cœur, com­muns à toute l’ : «[D’un pays à l’autre], le certes dif­fère», dit le «Jour­nal de Tosa» 5, «mais puisque pa­reil à coup sûr est le clair de lune, pour­quoi n’en se­rait-il de même du cœur hu­main?» Les dames de la Cour ja­po­naise ne tar­dèrent pas à en­tendre cette le­çon, et cloî­trées comme elles étaient dans leurs chambres, où elles avaient as­sez de loi­sir pour lire et pour son­ger à leurs mal­heurs, elles se mirent à no­ter leurs tristes pen­sées sous forme de jour­nal. La des dont elles étaient suf­fo­quées, et qu’elles ne pou­vaient pas dire à haute , éclata bien­tôt en un d’artifice comme on n’en vit ja­mais de sem­blable dans la lit­té­ra­ture uni­ver­selle. Se sui­virent à quelques an­nées d’intervalle : le «Ka­gerô (no) nikki» 6Jour­nal d’une éphé­mère»); le « nikki» 7Jour­nal de Mu­ra­saki-shi­kibu»); l’« nikki» 8Jour­nal d’Izumi-shikibu»); le «Sa­ra­shina nikki» 9Jour­nal de Sa­ra­shina»); le «Jô­jin-ajari (no) haha no shû» 10Jour­nal de la mère du ré­vé­rend Jô­jin»); en­fin le «Sa­nuki no suke (no) nikki» 11Jour­nal de la dame d’ Sa­nuki»).

  1. En 紀貫之. Au­tre­fois trans­crit Tsou­rayouki. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «土佐日記». Au­tre­fois trans­crit «Toça nikki» ou «Tossa nikki». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 女手. Par­fois trans­crit «won­nade». Icône Haut
  4. En ja­po­nais 男手. Par­fois trans­crit «wo­to­kode» ou «wo­toko no te». Icône Haut
  5. p. 36-37. Icône Haut
  6. En ja­po­nais «蜻蛉日記». Au­tre­fois trans­crit «Ka­gherô nikki». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «紫式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Mou­ra­çaki Shi­ki­bou niki» ou «Mou­ra­saki Shi­ki­bou nikki». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Izoumi-shi­ki­bou nikki». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «更級日記». Icône Haut
  4. En ja­po­nais «成尋阿闍梨母集». Icône Haut
  5. En ja­po­nais «讃岐典侍日記», in­édit en . Au­tre­fois trans­crit «Sa­nouki no souké no nikki». Icône Haut

Izumi-shikibu, « Poèmes de Cour »

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit d’ 1, femme sen­suelle, aussi vo­lage que belle, et qui avait mé­prisé les conve­nances de la Cour ja­po­naise, au point de cho­quer un en­tou­rage qui pour­tant, en fait de li­ber­ti­nage, n’avait pas beau­coup à ap­prendre (Xe-XIe siècle). Nom­breux étaient les contem­po­rains qui la te­naient pour le meilleur poète du ; la de la pos­té­rité, elle, n’a re­tenu que la liste de ses es­clandres amou­reux. Le poème qui suit, le plus cé­lèbre de tout le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» («Izumi-shi­kibu shû» 2), n’a pas peu contri­bué à éta­blir la fâ­cheuse ré­pu­ta­tion de son au­teur par la de la pas­sion qu’il tra­hit :

«Lorsque je pleu­rais
In­dif­fé­rente au désordre
De mes che­veux
Ce­lui qui les dé­mê­lait
Ah! com­bien je l’ai aimé
» 3.

Ce­pen­dant, il n’y a dans le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» ni or­dure ni obs­cé­nité, non plus que, d’une fa­çon gé­né­rale, dans la lit­té­ra­ture de l’époque de Heian. La est presque in­va­ria­ble­ment dé­cente, voire raf­fi­née, et on y ren­con­tre­rait dif­fi­ci­le­ment un vers propre à faire mon­ter le rouge au front d’une jeune fille. «L’égale de Mu­ra­saki et de Sei-shô­na­gon par la science et le ta­lent, Izumi est de plus une ar­dente, une pas­sion­née; elle n’écrit pas seule­ment pour mé­dire ou pour conter, mais pour cal­mer son , dis­traire sa pas­sion et conser­ver le d’un trop court », dit le mar­quis An­toine de La Ma­ze­lière

  1. En 和泉式部. Au­tre­fois trans­crit Izoumi Shi­ki­bou, Id­zoumi Si­ki­bou ou Izumi Ši­kibu. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部集». Au­tre­fois trans­crit «Izumi Ši­kubu šú». Icône Haut
  1. «Poèmes; tra­duit du ja­po­nais par », p. 111. Icône Haut

Izumi-shikibu, « Poèmes »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Poètes du Japon-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. du -Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit d’ 1, femme sen­suelle, aussi vo­lage que belle, et qui avait mé­prisé les conve­nances de la Cour ja­po­naise, au point de cho­quer un en­tou­rage qui pour­tant, en fait de li­ber­ti­nage, n’avait pas beau­coup à ap­prendre (Xe-XIe siècle). Nom­breux étaient les contem­po­rains qui la te­naient pour le meilleur poète du ; la de la pos­té­rité, elle, n’a re­tenu que la liste de ses es­clandres amou­reux. Le poème qui suit, le plus cé­lèbre de tout le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» («Izumi-shi­kibu shû» 2), n’a pas peu contri­bué à éta­blir la fâ­cheuse ré­pu­ta­tion de son au­teur par la de la pas­sion qu’il tra­hit :

«Lorsque je pleu­rais
In­dif­fé­rente au désordre
De mes che­veux
Ce­lui qui les dé­mê­lait
Ah! com­bien je l’ai aimé
» 3.

Ce­pen­dant, il n’y a dans le «Re­cueil d’Izumi-shikibu» ni or­dure ni obs­cé­nité, non plus que, d’une fa­çon gé­né­rale, dans la lit­té­ra­ture de l’époque de Heian. La est presque in­va­ria­ble­ment dé­cente, voire raf­fi­née, et on y ren­con­tre­rait dif­fi­ci­le­ment un vers propre à faire mon­ter le rouge au front d’une jeune fille. «L’égale de Mu­ra­saki et de Sei-shô­na­gon par la science et le ta­lent, Izumi est de plus une ar­dente, une pas­sion­née; elle n’écrit pas seule­ment pour mé­dire ou pour conter, mais pour cal­mer son , dis­traire sa pas­sion et conser­ver le d’un trop court », dit le mar­quis An­toine de La Ma­ze­lière

  1. En 和泉式部. Au­tre­fois trans­crit Izoumi Shi­ki­bou, Id­zoumi Si­ki­bou ou Izumi Ši­kibu. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部集». Au­tre­fois trans­crit «Izumi Ši­kubu šú». Icône Haut
  1. «Poèmes; tra­duit du ja­po­nais par », p. 111. Icône Haut

« Chants de palefreniers, “Saïbara” »

éd. Publications orientalistes de France, coll. D’étranges pays-Poèmes, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. D’étranges pays-Poèmes, Pa­ris

Il s’agit des «Sai­bara» 1Chants de pa­le­fre­niers»). Ce genre est men­tionné pour la pre­mière fois dans les «Chro­niques vé­ri­diques des trois ères» («Ni­hon san­dai jit­su­roku» 2), au cha­pitre re­la­tif à l’année 859 apr. J.-C. Il y est dit que la prin­cesse Hi­roi, morte cette an­née-là, était fort cé­lèbre à l’époque de sa pour ses in­ter­pré­ta­tions de «Sai­bara». Jusqu’à nos jours, les phi­lo­logues ja­po­nais ont pro­posé une di­zaine d’explications pos­sibles pour ce terme, noté à l’aide de trois ca­rac­tères dont le sens lit­té­ral est «airs pour en­cou­ra­ger les che­vaux». Se­lon l’ tra­di­tion­nelle 3, il s’agirait de po­pu­laires que les pa­le­fre­niers chan­taient en me­nant à la ca­pi­tale les bêtes de somme. D’autres es­timent que ce nom ne fait que tra­duire l’esprit de la pre­mière chan­son du re­cueil, in­ti­tu­lée pré­ci­sé­ment : «Va, mon cour­sier». En­fin, tout ré­cem­ment, M. Usuda Jin­gorô dé­cou­vrait, dans un do­cu­ment conservé à la bi­blio­thèque de la Mai­son Im­pé­riale, la preuve de l’ d’une mé­lo­die d’origine chi­noise, aujourd’hui per­due, dont le titre «Sai­ba­raku» s’écrivait au moyen des mêmes idéo­grammes. En tout cas, l’on se convain­cra ai­sé­ment, à la simple lec­ture, qu’il s’agit bien de chan­sons po­pu­laires, res­pi­rant l’humeur en­jouée et la naï­veté un peu grasse et bon en­fant de l’ pay­sanne. Cu­rieu­se­ment, ces chan­sons ont connu leur vogue au­tour de l’an 1000 apr. J.-C., c’est-à-dire à l’apogée de cette Cour raf­fi­née qui a fait naître no­tam­ment le «Dit du genji», le chef-d’œuvre in­égalé des lettres ja­po­naises. Les de ce dit chantent des «Sai­bara» en toute oc­ca­sion : lors des of­fi­ciels du , aussi bien qu’en privé; ils les fre­donnent en dé­am­bu­lant par les cou­loirs, et en usent, hommes et , comme d’un convenu pour leurs échanges épis­to­laires. Mieux en­core : quatre cha­pitres de ce dit — «La Branche du pru­nier» (ch. XXXII), «La Ri­vière aux bam­bous» (ch. XLIV), «Les Che­veux noués» (ch. XLVII) et «Le Pa­villon» (ch. L) — em­pruntent leurs titres mêmes à des chan­sons po­pu­laires de ce genre. «L’on pour­rait croire», dit très bien M. , «que tous ces princes et cour­ti­sans, sou­mis per­pé­tuel­le­ment au car­can d’une éti­quette mé­ti­cu­leuse, trou­vaient dans l’allégresse qui anime la presque to­ta­lité de ces chan­sons… un exu­toire aux contraintes d’une ré­glée dans ses moindres dé­tails.»

  1. En ja­po­nais «催馬楽». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «日本三代実録». Icône Haut
  1. In­ter­pré­ta­tion énon­cée par Ichijô Ka­neyo­shi. Icône Haut

« Le Conte du coupeur de bambous »

dans « Bulletin de la Maison franco-japonaise », sér. 2, vol. 2, p. 123-199

dans «Bul­le­tin de la Mai­son franco-ja­po­naise», sér. 2, vol. 2, p. 123-199

Il s’agit du «Conte du cou­peur de bam­bous» 1Ta­ké­tori mo­no­ga­tari» 2), consi­déré comme le plus an­cien des «mo­no­ga­tari» (IXe siècle apr. J.-C.). Ce nom gé­né­rique de «mo­no­ga­tari», que l’on tra­duit sou­vent par «», doit être pris ici dans le sens pri­mi­tif de «chose contée». En l’occurrence, il s’agit d’un vé­ri­table conte de fées, même s’il pré, par en­droits, cette fi­nesse de cœur et cette douce qui ca­rac­té­ri­se­ront la lit­té­ra­ture ro­ma­nesque du . Le «Conte du cou­peur de bam­bous» oc­cupe une cin­quan­taine de pages et ap­pa­raît comme une jux­ta­po­si­tion, as­sez ha­bi­le­ment réa­li­sée, de plu­sieurs ré­cits dont cha­cun pour­rait être consi­déré comme com­plet en , si ne les re­liait la pré­sence de la même fi­gure cen­trale de Ka­guya-himé («Claire prin­cesse»). Chaque connaît les pé­ri­pé­ties de cette mi­nus­cule fillette, haute comme la main, qu’un vieillard trouve dans le creux d’un bam­bou qu’il vient de cou­per. Il l’adopte et il l’élève avec soin, et en seule­ment trois mois, elle de­vient une jeune femme dont la beauté at­tire tous les re­gards. Il lui donne le nom de Ka­guya-himé en de la lu­mière mys­té­rieuse qu’elle ré­pand au­tour d’elle. Tous les hommes du pays, à force d’entendre ré­pé­ter : «Cette Ka­guya-himé, que ne fe­rait-on pour ob­te­nir sa main!» 3, ac­courent pour la voir. Sa main est de­man­dée par cinq pré­ten­dants, à qui elle im­pose des tra­vaux her­cu­léens qu’aucun d’eux ne peut me­ner à terme; elle re­fuse jusqu’à l’anneau de l’Empereur, et bien­tôt, elle dé­clare à son père adop­tif qu’elle est une ha­bi­tante de la Lune, ban­nie sur la pour cer­taine faute, et que, son d’épreuve étant écoulé, elle va re­tour­ner dans son an­cien sé­jour. En vain le vieillard se ré­pand en pro­tes­ta­tions pour la re­te­nir, en vain l’Empereur fait pla­cer une garde de deux mille hommes au­tour de sa mai­son; elle est em­por­tée dans un char vo­lant en­voyé par son père cé­leste. Elle laisse, en par­tant, des lettres d’adieu à son vieux pro­tec­teur et lui re­met un élixir d’.

  1. Par­fois tra­duit «Le Tailleur de bam­bous» ou «Conte du cueilleur de bam­bous». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «竹取物語». Le «Dit du genji» donne le titre plus com­plet de «竹取翁の物語» («Conte du vieillard, cou­peur de bam­bous»). Par­fois en­core, on l’appelle, du nom de son per­son­nage prin­ci­pal, «かぐや姫の物語» («Conte de Ka­guya-himé»). Icône Haut
  1. p. 142. Icône Haut

Murasaki-shikibu, « Poèmes »

éd. Publications orientalistes de France, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , Pa­ris

Il s’agit du «Re­cueil de » («Mu­ra­saki-shi­kibu shû» 1). Le chef-d’œuvre de la prose qu’est le «Dit du genji» fait par­fois ou­blier que son au­teur était aussi comp­tée parmi les trente-six «gé­nies de la », au­tant pour les sept cent quatre-vingt-qua­torze poèmes qu’elle at­tri­bue aux de son , que pour ceux, plus per­son­nels, que contient son «Re­cueil».

«Il m’est ar­rivé par­fois de res­ter as­sise parmi [les autres dames de la Cour], com­plè­te­ment désem­pa­rée. Ce n’est point tant que je crai­gnisse la mé­di­sance, mais ex­cé­dée, je fi­nis­sais par avoir l’air tout à fait éga­rée, ce qui fait que l’une après l’autre main­te­nant me dit : “Vous ca­chiez bien votre jeu! Quand tout le vous dé­tes­tait, di­sant et pen­sant que vous étiez ma­nié­rée, dis­tante, d’un abord peu amène, im­bue de vos dits, pré­ten­tieuse et fé­rue de poé­sie… voici qu’on vous trouve étran­ge­ment bonne per­sonne, à croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre!”» 2 Tel est l’un des seuls pas­sages de son «Jour­nal» où la dame Mu­ra­saki-shi­kibu rap­porte des pro­pos sur son propre compte. C’est un pas­sage ré­vé­la­teur. «Femme d’une ren­fer­mée» 3, elle était convain­cue que les gens ne la com­pre­naient pas. Elle pre­nait peu de plai­sir au de la et elle avait la ré­pu­ta­tion, as­sez ex­cep­tion­nelle dans son cercle, d’être prude.

  1. En «紫式部集». Icône Haut
  2. «Jour­nal; tra­duit du ja­po­nais par », p. 101. Icône Haut
  1. id. p. 93. Icône Haut

Marie de l’Incarnation, « Écrits spirituels et historiques. Tome II »

éd. D. de Brouwer-L’Action sociale, Paris-Québec

éd. D. de Brouwer-L’Action so­ciale, Pa­ris-

Il s’agit de la «Re­traite de 1634» et autres de la mère Ma­rie de l’Incarnation 1, la pre­mière en date, comme la pre­mière en , parmi les ve­nues évan­gé­li­ser le (XVIIe siècle apr. J.-C.). Certes, ses écrits furent com­po­sés sans souci d’agrément lit­té­raire. Mais ils viennent d’une femme de ca­rac­tère qui était, en , une d’exception et qui, en as­so­ciant son di­rec­te­ment à , fit l’économie d’une dé­pen­dance par rap­port aux hommes. Sa piété cou­ra­geuse et son saint en­thou­siasme étaient suf­fi­sam­ment connus pour que Bos­suet l’ait ap­pe­lée «la Thé­rèse de nos jours et du Nou­veau » 2. «Au Ca­nada, ses œuvres sont un tré­sor de », ex­plique dom Al­bert Ja­met. «Mais les de l’ancienne doivent sa­voir que ses œuvres sont toutes leurs aussi, et au même titre. Peut-être s’en sont-ils trop dés­in­té­res­sés. “En France”, no­tait Sainte-Beuve 3, “nous ne nous mon­trons pas tou­jours as­sez soi­gneux ou fiers de nos ri­chesses.” À Tours, où elle na­quit en 1599, Ma­rie de l’Incarnation fut éle­vée aux su­blimes états d’oraison qui la font al­ler de pair avec les plus hauts contem­pla­tifs de tous les et de tous les pays. À Qué­bec, où elle ar­riva en 1639, c’est une œuvre fran­çaise qu’elle fit du­rant les trente-deux an­nées qui lui res­taient en­core à vivre. Par là, ses écrits sont le bien et l’ in­di­vis des deux France.»

  1. À ne pas confondre avec Barbe Aca­rie, née Barbe Avrillot, qui en­tra éga­le­ment en sous le nom de Ma­rie de l’Incarnation. Elle vé­cut un siècle plus tôt. Icône Haut
  2. «Ins­truc­tion sur les états d’oraison», liv. IX. Bos­suet a écrit ailleurs à une cor­res­pon­dante : «J’ai vu, de­puis peu, la de la mère Ma­rie de l’Incarnation… Tout y est ad­mi­rable, et je vous ren­ver­rai bien­tôt [des] ex­traits pour vous en ser­vir» («Lettres à la sœur Cor­nuau», lettre CIII). Icône Haut
  1. «Port-Royal», liv. I. Icône Haut

Marie de l’Incarnation, « Écrits spirituels et historiques. Tome I »

éd. D. de Brouwer-L’Action sociale, Paris-Québec

éd. D. de Brouwer-L’Action so­ciale, Pa­ris-

Il s’agit de la «Re­la­tion de 1633» et autres de la mère Ma­rie de l’Incarnation 1, la pre­mière en date, comme la pre­mière en , parmi les ve­nues évan­gé­li­ser le (XVIIe siècle apr. J.-C.). Certes, ses écrits furent com­po­sés sans souci d’agrément lit­té­raire. Mais ils viennent d’une femme de ca­rac­tère qui était, en , une d’exception et qui, en as­so­ciant son di­rec­te­ment à , fit l’économie d’une dé­pen­dance par rap­port aux hommes. Sa piété cou­ra­geuse et son saint en­thou­siasme étaient suf­fi­sam­ment connus pour que Bos­suet l’ait ap­pe­lée «la Thé­rèse de nos jours et du Nou­veau » 2. «Au Ca­nada, ses œuvres sont un tré­sor de », ex­plique dom Al­bert Ja­met. «Mais les de l’ancienne doivent sa­voir que ses œuvres sont toutes leurs aussi, et au même titre. Peut-être s’en sont-ils trop dés­in­té­res­sés. “En France”, no­tait Sainte-Beuve 3, “nous ne nous mon­trons pas tou­jours as­sez soi­gneux ou fiers de nos ri­chesses.” À Tours, où elle na­quit en 1599, Ma­rie de l’Incarnation fut éle­vée aux su­blimes états d’oraison qui la font al­ler de pair avec les plus hauts contem­pla­tifs de tous les et de tous les pays. À Qué­bec, où elle ar­riva en 1639, c’est une œuvre fran­çaise qu’elle fit du­rant les trente-deux an­nées qui lui res­taient en­core à vivre. Par là, ses écrits sont le bien et l’ in­di­vis des deux France.»

  1. À ne pas confondre avec Barbe Aca­rie, née Barbe Avrillot, qui en­tra éga­le­ment en sous le nom de Ma­rie de l’Incarnation. Elle vé­cut un siècle plus tôt. Icône Haut
  2. «Ins­truc­tion sur les états d’oraison», liv. IX. Bos­suet a écrit ailleurs à une cor­res­pon­dante : «J’ai vu, de­puis peu, la de la mère Ma­rie de l’Incarnation… Tout y est ad­mi­rable, et je vous ren­ver­rai bien­tôt [des] ex­traits pour vous en ser­vir» («Lettres à la sœur Cor­nuau», lettre CIII). Icône Haut
  1. «Port-Royal», liv. I. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome I. Poésies »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit des «Poé­sies» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Sagard, « Le Grand Voyage du pays des Hurons, situé ès derniers confins de la Nouvelle-France, dite Canada »

XVIIᵉ siècle

XVIIe siècle

Il s’agit de la re­la­tion «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» du frère , mis­sion­naire , qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le au , il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du . Il en a tiré deux  : «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» et « du Ca­nada», qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant «à l’apostolique» 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit «de rendre le tri­but à la [de vo­mir]» tout au long des trois mois et six jours de qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de . De là, «ayant tra­versé d’île en île» en pe­tit ca­not, il prit au pays des Hu­rons tant é «par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard 2, en­vi­ron midi, [alors] que le don­nait à plomb» 3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent «l’aise et le conten­te­ment» qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : «J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner…; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir» 4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. «Telle a été l’action bien­fai­sante de la dans ses pos­ses­sions d’. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos l’adoucissaient et l’humanisaient», dit Xa­vier Mar­mier

  1. «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons», p. 7. Icône Haut
  2. Le 20 août. Icône Haut
  1. id. p. 81. Icône Haut
  2. id. p. 87-88. Icône Haut