Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique » 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard 2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb » 3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir » 4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
17ᵉ siècle
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome III »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique » 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard 2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb » 3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir » 4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome II »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique » 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard 2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb » 3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir » 4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome I »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique » 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard 2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb » 3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir » 4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
« Jean Tarin, recteur de l’Université de Paris (1590-1666) : notice biographique »
Il s’agit de Jean Tarin, helléniste français, recteur de l’Université de Paris, lecteur royal en éloquence grecque et latine 1. Il a laissé une édition et traduction latine d’Isocrate, signées modestement « I. T. B. A. » (« Jean Tarin de Beaufort en Anjou ») ou « I. T. A. » (« Jean Tarin d’Anjou »), et qui sont restées, pour cette raison, inconnues des deux ou trois historiens qui ont parlé de lui. Tarin était fils d’un meunier et naquit en l’an 1590. Dès son enfance, se sentant un goût très prononcé pour les études, il pressa vivement sa famille de l’envoyer à l’école ; mais il ne put rien obtenir de ses parents, qui y étaient opposés. Cependant, peu après la fondation d’un collège de jésuites à La Flèche, il vint s’y présenter comme étudiant, pieds nus, n’ayant autre chose qu’une chemise sur les épaules et un sac plein de noix et de pièces de pain. Il fut mis, par compassion, entre les balayeurs des classes du collège ; de là, il fut marmiton des pensionnaires, puis laquais d’un des pères. Fut-il maltraité ? En tout cas, il vouera par la suite à la Compagnie de Jésus une haine profonde, que celle-ci lui rendra bien, si l’on en juge par le portrait peu flatteur qu’a tracé de lui le père François Garasse : « [C’est] un homme de néant, nommé Tarin », dit le père 2, « à demi géant, qui porte un visage de cyclope et une voix de taureau, par laquelle il tonnait contre nous… ; il est de fort bas lieu, fils d’un meunier de Rochefort [lisez Beaufort] ». Son éducation achevée avec tous les prix, Tarin s’en vint à Paris, où il s’accosta d’un autre paria de la Compagnie de Jésus, qui lui ouvrit grand les portes du professorat. N’ayant pas tardé à montrer l’excellence de son esprit, il acquit la réputation d’« un abîme de science et un des savants hommes du monde » : « Plût à Dieu que je susse autant de grec et de latin que [lui] », dit un de ses contemporains 3. Sa réputation fut portée jusqu’au roi Louis XIII, qui, l’ayant fait lecteur royal, lui proposa plusieurs évêchés ; mais Tarin, qui ne se croyait pas appelé à l’état ecclésiastique, refusa de se rendre à cette offre et il prit le parti du mariage. Il fut plus d’une fois recteur de l’Université de Paris, dont il défendit toujours les droits avec force et fermeté. Une anecdote illustre ce que je viens de dire : Un jour, étant à un acte de philosophie, il avait, comme c’était son droit, pris la place d’honneur, lorsque de hauts prélats arrivèrent et voulurent la lui faire quitter ou en prendre une au-dessus de lui. « La terre que vous foulez ici aux pieds, ô illustres princes d’Église, est à moi, et je ne souffrirai point que vous fouliez aussi de la sorte ma dignité ! » (« Terra hæc, quam conculcatis, o illustrissimi Ecclesiæ principes, mea est ; nec patiar meam dignitatem sic a vobis contaminari ! »), leur dit-il. Et il fit cesser l’acte.
- On appelait « lecteurs royaux » les professeurs du Collège royal, l’actuel Collège de France.
- « Mémoires », p. 104.
le père Porée, « Le Paresseux : comédie »
dans « Théâtre européen, nouvelle collection. Théâtre latin moderne » (XIXe siècle), p. 1-42
Il s’agit de la comédie « Le Paresseux » (« Otiosus ») du père Charles Porée, jésuite français d’expression latine, le professeur le plus admiré de son temps (XVIIIe siècle). Le professorat ne fut jamais pour le père Porée ce qu’il était pour la plupart de ses collègues — un passe-temps provisoire, destiné à occuper le religieux pendant ses premières années de sacerdoce. On trouve au contraire en sa personne un modèle de ces pédagogues perpétuels, ces « magistri perpetui », qui se vouent pour la vie à l’éducation de la jeunesse, sans chercher d’autre emploi pour les facultés de leur esprit. Sitôt sa formation religieuse terminée, le père Porée fut chargé d’une classe ; quarante-huit ans après, quand la mort vint le surprendre, elle le trouva encore à son poste au collège Louis-le-Grand. Durant toutes ces décennies, il ne sortit presque jamais du collège, tranchant ainsi avec les habitudes mondaines des Bouhours, des Rapin, des La Rue, dont il se montra pourtant le digne successeur. Non seulement il enseignait l’amour des belles-lettres à ses élèves, mais encore il vivait avec eux, il démêlait leurs dispositions, il parlait à leur cœur, il savait à l’avance leurs vertus, leurs vices, et quand enfin il les rendait à la société qui les lui avait confiés, il pouvait dire sur quels hommes elle pouvait compter. Ses élèves demeuraient ses amis, et tous se faisaient un devoir de le consulter dans les grandes occasions de la vie et de suivre son avis. Voltaire fut de leur nombre, et le père Porée, qui avait deviné et encouragé ses premiers succès, disait parfois, en entendant parler de son irréligion : « C’est ma gloire et ma honte ». Mais au fond de lui, il aimait trop les talents littéraires et il en était trop bon juge pour ne pas être flatté d’avoir contribué à ceux d’un tel élève. On cite souvent la lettre écrite par Voltaire après la mort du père Porée, et où le disciple fait de son maître cet éloge : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l’étude et la vertu plus aimable. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j’aurais voulu qu’il eût été établi 1 dans Paris comme dans Athènes que l’on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu souvent les entendre… Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu en [son collège], qu’ai-je vu chez [lui] ? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée. Toutes ses heures partagées entre les soins qu’[il] nous donnait et les exercices de sa profession austère »
le père Porée, « Le Joueur : comédie »
dans « Théâtre européen, nouvelle collection. Théâtre latin moderne » (XIXe siècle), p. 43-76
Il s’agit de la comédie « Le Joueur » (« Aleator ») du père Charles Porée, jésuite français d’expression latine, le professeur le plus admiré de son temps (XVIIIe siècle). Le professorat ne fut jamais pour le père Porée ce qu’il était pour la plupart de ses collègues — un passe-temps provisoire, destiné à occuper le religieux pendant ses premières années de sacerdoce. On trouve au contraire en sa personne un modèle de ces pédagogues perpétuels, ces « magistri perpetui », qui se vouent pour la vie à l’éducation de la jeunesse, sans chercher d’autre emploi pour les facultés de leur esprit. Sitôt sa formation religieuse terminée, le père Porée fut chargé d’une classe ; quarante-huit ans après, quand la mort vint le surprendre, elle le trouva encore à son poste au collège Louis-le-Grand. Durant toutes ces décennies, il ne sortit presque jamais du collège, tranchant ainsi avec les habitudes mondaines des Bouhours, des Rapin, des La Rue, dont il se montra pourtant le digne successeur. Non seulement il enseignait l’amour des belles-lettres à ses élèves, mais encore il vivait avec eux, il démêlait leurs dispositions, il parlait à leur cœur, il savait à l’avance leurs vertus, leurs vices, et quand enfin il les rendait à la société qui les lui avait confiés, il pouvait dire sur quels hommes elle pouvait compter. Ses élèves demeuraient ses amis, et tous se faisaient un devoir de le consulter dans les grandes occasions de la vie et de suivre son avis. Voltaire fut de leur nombre, et le père Porée, qui avait deviné et encouragé ses premiers succès, disait parfois, en entendant parler de son irréligion : « C’est ma gloire et ma honte ». Mais au fond de lui, il aimait trop les talents littéraires et il en était trop bon juge pour ne pas être flatté d’avoir contribué à ceux d’un tel élève. On cite souvent la lettre écrite par Voltaire après la mort du père Porée, et où le disciple fait de son maître cet éloge : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l’étude et la vertu plus aimable. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j’aurais voulu qu’il eût été établi 1 dans Paris comme dans Athènes que l’on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu souvent les entendre… Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu en [son collège], qu’ai-je vu chez [lui] ? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée. Toutes ses heures partagées entre les soins qu’[il] nous donnait et les exercices de sa profession austère »
« Théâtre jésuite néo-latin et Antiquité : sur le “Brutus” de Charles Porée (1708) »
éd. École française de Rome, coll. de l’École française de Rome, Rome
Il s’agit de la tragédie « Brutus » du père Charles Porée, jésuite français d’expression latine, le professeur le plus admiré de son temps (XVIIIe siècle). Le professorat ne fut jamais pour le père Porée ce qu’il était pour la plupart de ses collègues — un passe-temps provisoire, destiné à occuper le religieux pendant ses premières années de sacerdoce. On trouve au contraire en sa personne un modèle de ces pédagogues perpétuels, ces « magistri perpetui », qui se vouent pour la vie à l’éducation de la jeunesse, sans chercher d’autre emploi pour les facultés de leur esprit. Sitôt sa formation religieuse terminée, le père Porée fut chargé d’une classe ; quarante-huit ans après, quand la mort vint le surprendre, elle le trouva encore à son poste au collège Louis-le-Grand. Durant toutes ces décennies, il ne sortit presque jamais du collège, tranchant ainsi avec les habitudes mondaines des Bouhours, des Rapin, des La Rue, dont il se montra pourtant le digne successeur. Non seulement il enseignait l’amour des belles-lettres à ses élèves, mais encore il vivait avec eux, il démêlait leurs dispositions, il parlait à leur cœur, il savait à l’avance leurs vertus, leurs vices, et quand enfin il les rendait à la société qui les lui avait confiés, il pouvait dire sur quels hommes elle pouvait compter. Ses élèves demeuraient ses amis, et tous se faisaient un devoir de le consulter dans les grandes occasions de la vie et de suivre son avis. Voltaire fut de leur nombre, et le père Porée, qui avait deviné et encouragé ses premiers succès, disait parfois, en entendant parler de son irréligion : « C’est ma gloire et ma honte ». Mais au fond de lui, il aimait trop les talents littéraires et il en était trop bon juge pour ne pas être flatté d’avoir contribué à ceux d’un tel élève. On cite souvent la lettre écrite par Voltaire après la mort du père Porée, et où le disciple fait de son maître cet éloge : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l’étude et la vertu plus aimable. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j’aurais voulu qu’il eût été établi 1 dans Paris comme dans Athènes que l’on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu souvent les entendre… Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu en [son collège], qu’ai-je vu chez [lui] ? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée. Toutes ses heures partagées entre les soins qu’[il] nous donnait et les exercices de sa profession austère »
le père Porée, « “De theatro”, Discours sur les spectacles »
éd. Société de littératures classiques, coll. des Rééditions de textes du XVIIe siècle, Toulouse
Il s’agit du « Discours sur les spectacles » (« De theatro ») du père Charles Porée, jésuite français d’expression latine, le professeur le plus admiré de son temps (XVIIIe siècle). Le professorat ne fut jamais pour le père Porée ce qu’il était pour la plupart de ses collègues — un passe-temps provisoire, destiné à occuper le religieux pendant ses premières années de sacerdoce. On trouve au contraire en sa personne un modèle de ces pédagogues perpétuels, ces « magistri perpetui », qui se vouent pour la vie à l’éducation de la jeunesse, sans chercher d’autre emploi pour les facultés de leur esprit. Sitôt sa formation religieuse terminée, le père Porée fut chargé d’une classe ; quarante-huit ans après, quand la mort vint le surprendre, elle le trouva encore à son poste au collège Louis-le-Grand. Durant toutes ces décennies, il ne sortit presque jamais du collège, tranchant ainsi avec les habitudes mondaines des Bouhours, des Rapin, des La Rue, dont il se montra pourtant le digne successeur. Non seulement il enseignait l’amour des belles-lettres à ses élèves, mais encore il vivait avec eux, il démêlait leurs dispositions, il parlait à leur cœur, il savait à l’avance leurs vertus, leurs vices, et quand enfin il les rendait à la société qui les lui avait confiés, il pouvait dire sur quels hommes elle pouvait compter. Ses élèves demeuraient ses amis, et tous se faisaient un devoir de le consulter dans les grandes occasions de la vie et de suivre son avis. Voltaire fut de leur nombre, et le père Porée, qui avait deviné et encouragé ses premiers succès, disait parfois, en entendant parler de son irréligion : « C’est ma gloire et ma honte ». Mais au fond de lui, il aimait trop les talents littéraires et il en était trop bon juge pour ne pas être flatté d’avoir contribué à ceux d’un tel élève. On cite souvent la lettre écrite par Voltaire après la mort du père Porée, et où le disciple fait de son maître cet éloge : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l’étude et la vertu plus aimable. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j’aurais voulu qu’il eût été établi 1 dans Paris comme dans Athènes que l’on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu souvent les entendre… Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu en [son collège], qu’ai-je vu chez [lui] ? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée. Toutes ses heures partagées entre les soins qu’[il] nous donnait et les exercices de sa profession austère »
le père Porée, « Discours sur la satire »
éd. H. Champion, coll. L’Âge des lumières, Paris
Il s’agit du « Discours sur la satire » (« De satyra ») du père Charles Porée, jésuite français d’expression latine, le professeur le plus admiré de son temps (XVIIIe siècle). Le professorat ne fut jamais pour le père Porée ce qu’il était pour la plupart de ses collègues — un passe-temps provisoire, destiné à occuper le religieux pendant ses premières années de sacerdoce. On trouve au contraire en sa personne un modèle de ces pédagogues perpétuels, ces « magistri perpetui », qui se vouent pour la vie à l’éducation de la jeunesse, sans chercher d’autre emploi pour les facultés de leur esprit. Sitôt sa formation religieuse terminée, le père Porée fut chargé d’une classe ; quarante-huit ans après, quand la mort vint le surprendre, elle le trouva encore à son poste au collège Louis-le-Grand. Durant toutes ces décennies, il ne sortit presque jamais du collège, tranchant ainsi avec les habitudes mondaines des Bouhours, des Rapin, des La Rue, dont il se montra pourtant le digne successeur. Non seulement il enseignait l’amour des belles-lettres à ses élèves, mais encore il vivait avec eux, il démêlait leurs dispositions, il parlait à leur cœur, il savait à l’avance leurs vertus, leurs vices, et quand enfin il les rendait à la société qui les lui avait confiés, il pouvait dire sur quels hommes elle pouvait compter. Ses élèves demeuraient ses amis, et tous se faisaient un devoir de le consulter dans les grandes occasions de la vie et de suivre son avis. Voltaire fut de leur nombre, et le père Porée, qui avait deviné et encouragé ses premiers succès, disait parfois, en entendant parler de son irréligion : « C’est ma gloire et ma honte ». Mais au fond de lui, il aimait trop les talents littéraires et il en était trop bon juge pour ne pas être flatté d’avoir contribué à ceux d’un tel élève. On cite souvent la lettre écrite par Voltaire après la mort du père Porée, et où le disciple fait de son maître cet éloge : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l’étude et la vertu plus aimable. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j’aurais voulu qu’il eût été établi 1 dans Paris comme dans Athènes que l’on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu souvent les entendre… Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu en [son collège], qu’ai-je vu chez [lui] ? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée. Toutes ses heures partagées entre les soins qu’[il] nous donnait et les exercices de sa profession austère »
« Poètes turcs des XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles »
Il s’agit d’une anthologie de la poésie ottomane. Dès la fixation des Turcs en Anatolie, deux poésies s’affrontent, dont la première finira par l’emporter à l’époque ottomane, mais dont la seconde triomphera entièrement dans la Turquie moderne : d’un côté, celle des seigneurs et des citadins, dont le but sera de transposer en un turc bourré d’arabe et de persan les manières littéraires de ces deux grandes langues musulmanes, dans des vers fondés sur la quantité longue et brève des syllabes ; de l’autre, celle des paysans et des nomades, peut-être moins savants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue maternelle, souvent nourris de chansons populaires, qui entreprendront d’exprimer leur sensibilité et leur pensée selon le génie national, dans des vers fondés sur le seul nombre des syllabes. Les succès prestigieux, au XIVe siècle, du seigneur turc Othman, qui soumet avec le secours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans et du Proche-Orient, ont pour conséquence inéluctable, en même temps qu’une centralisation du pouvoir, la réunion à la Cour de tous les poètes de renom, qui deviennent ainsi « des écrivains professionnels et courtisans, aristocrates et pédants, vivant en vase clos et de façon artificielle, coupés du reste de la nation » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sultan Soliman coïncide, comme de juste, la maturité de la poésie ottomane, incarnée par Bâkî 2. Poète de génie, Bâkî doit à son seul talent une brillante réputation et une haute fortune ; car s’il débute sa vie comme fils d’un pauvre muezzin, il finit sa carrière comme vizir. « Ses ghazels — courts poèmes lyriques de ton généralement léger — où ce grave ecclésiastique chante l’amour et le vin en des termes qui nous surprennent, mais dont les commentateurs orthodoxes assurent qu’ils sont symboliques, sont parmi les plus célèbres » 3. Je leur préfère, cependant, la perfection classique de son « Oraison funèbre du sultan Soliman » 4, laquelle évoque avec un grand art cette période où l’Empire ottoman était sans doute le plus puissant du monde
- Louis Bazin, « Littérature turque ».
- Autrefois transcrit Bâqî ou Baqui.
« La Muse ottomane, ou Chefs-d’œuvre de la poésie turque »
Il s’agit d’une anthologie de la poésie ottomane. Dès la fixation des Turcs en Anatolie, deux poésies s’affrontent, dont la première finira par l’emporter à l’époque ottomane, mais dont la seconde triomphera entièrement dans la Turquie moderne : d’un côté, celle des seigneurs et des citadins, dont le but sera de transposer en un turc bourré d’arabe et de persan les manières littéraires de ces deux grandes langues musulmanes, dans des vers fondés sur la quantité longue et brève des syllabes ; de l’autre, celle des paysans et des nomades, peut-être moins savants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue maternelle, souvent nourris de chansons populaires, qui entreprendront d’exprimer leur sensibilité et leur pensée selon le génie national, dans des vers fondés sur le seul nombre des syllabes. Les succès prestigieux, au XIVe siècle, du seigneur turc Othman, qui soumet avec le secours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans et du Proche-Orient, ont pour conséquence inéluctable, en même temps qu’une centralisation du pouvoir, la réunion à la Cour de tous les poètes de renom, qui deviennent ainsi « des écrivains professionnels et courtisans, aristocrates et pédants, vivant en vase clos et de façon artificielle, coupés du reste de la nation » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sultan Soliman coïncide, comme de juste, la maturité de la poésie ottomane, incarnée par Bâkî 2. Poète de génie, Bâkî doit à son seul talent une brillante réputation et une haute fortune ; car s’il débute sa vie comme fils d’un pauvre muezzin, il finit sa carrière comme vizir. « Ses ghazels — courts poèmes lyriques de ton généralement léger — où ce grave ecclésiastique chante l’amour et le vin en des termes qui nous surprennent, mais dont les commentateurs orthodoxes assurent qu’ils sont symboliques, sont parmi les plus célèbres » 3. Je leur préfère, cependant, la perfection classique de son « Oraison funèbre du sultan Soliman » 4, laquelle évoque avec un grand art cette période où l’Empire ottoman était sans doute le plus puissant du monde
- Louis Bazin, « Littérature turque ».
- Autrefois transcrit Bâqî ou Baqui.
Marie de l’Incarnation, « Écrits spirituels et historiques. Tome IV »
éd. D. de Brouwer-L’Action sociale, Paris-Québec
Il s’agit de la « Correspondance » et autres écrits de la mère Marie de l’Incarnation 1, la première en date, comme la première en génie, parmi les femmes missionnaires venues évangéliser le Canada (XVIIe siècle apr. J.-C.). Certes, ses écrits furent composés sans souci d’agrément littéraire. Mais ils viennent d’une femme de caractère qui était, en vérité, une nature d’exception et qui, en associant son âme directement à Dieu, fit l’économie d’une dépendance par rapport aux hommes. Sa piété courageuse et son saint enthousiasme étaient suffisamment connus pour que Bossuet l’ait appelée « la Thérèse de nos jours et du Nouveau Monde » 2. « Au Canada, ses œuvres sont un trésor de famille », explique dom Albert Jamet. « Mais les Français de l’ancienne France doivent savoir que ses œuvres sont toutes leurs aussi, et au même titre. Peut-être s’en sont-ils trop désintéressés. “En France”, notait Sainte-Beuve 3, “nous ne nous montrons pas toujours assez soigneux ou fiers de nos richesses.” À Tours, où elle naquit en 1599, Marie de l’Incarnation fut élevée aux sublimes états d’oraison qui la font aller de pair avec les plus hauts contemplatifs de tous les temps et de tous les pays. À Québec, où elle arriva en 1639, c’est une œuvre française qu’elle fit durant les trente-deux années qui lui restaient encore à vivre. Par là, ses écrits sont le bien et l’honneur indivis des deux France. »
- À ne pas confondre avec Barbe Acarie, née Barbe Avrillot, qui entra également en religion sous le nom de Marie de l’Incarnation. Elle vécut un siècle plus tôt.
- « Instruction sur les états d’oraison », liv. IX. Bossuet a écrit ailleurs à une correspondante : « J’ai vu, depuis peu, la vie de la mère Marie de l’Incarnation… Tout y est admirable, et je vous renverrai bientôt [des] extraits pour vous en servir » (« Lettres à la sœur Cornuau », lettre CIII).