Icône Mot-clef17ᵉ siècle

Graffigny, « Correspondance. Tome I. Lettres 1-144 (1716-17 juin 1739) »

éd. Voltaire Foundation-Taylor Institution, Oxford

éd. Vol­taire Foun­da­tion-Tay­lor Ins­ti­tu­tion, Ox­ford

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance» de  1, femme de lettres fran­çaise (XVIIIe siècle), dont le bel es­prit et l’élégance du firent dirent à un  2 «qu’elle fai­sait in­fi­dé­lité à son sexe, en usur­pant les ta­lents du nôtre». Née Fran­çoise d’Happoncourt, elle fut ma­riée — ou pour mieux dire — sa­cri­fiée à Fran­çois Hu­guet de Graf­fi­gny, em­porté, ja­loux et ex­trê­me­ment violent. Dès les pre­mières an­nées de conju­gale, elle se vit ex­po­sée aux mé­pris et aux in­sultes; des , son mari en vint aux coups, et la chose fit tant d’éclat qu’étant par­ve­nue à la po­lice, il y eut ordre d’emprisonner cet homme bru­tal qui, si­tôt re­lâ­ché, fit suivre ses pre­miers ex­cès par quan­tité d’autres. Il lui ar­riva plu­sieurs fois de ter­ras­ser son épouse à coups de pied et de poing, et après une fausse couche qu’elle eut, de lui mettre l’épée nue sur l’estomac. La pauvre femme per­dit tous ses en bas âge et eut beau­coup à souf­frir; la lettre sui­vante le montre as­sez : «Mon cher père», y dit Graf­fi­gny 3, «je suis obli­gée dans l’extrémité où je me trouve de vous sup­plier de ne me point aban­don­ner et de m’envoyer au plus vite cher­cher par M. de Ra­ré­court, car je suis en grand dan­ger et suis toute bri­sée de coups. Je me jette à votre et vous prie que ce soit bien vite». Après avoir pen­dant de longues an­nées donné des preuves d’une pa­tience hé­roïque, elle par­vint à ob­te­nir une sé­pa­ra­tion ju­ri­dique. Li­bé­rée des hor­ribles chaînes qu’elle avait trop long­temps por­tées, elle vint à Pa­ris. Sa vie n’avait été qu’un tissu de mal­heurs et de désa­gré­ments, et ce fut dans ces mal­heurs qu’elle puisa le sen­ti­ment d’une im­mense tris­tesse, d’une de tous les ins­tants qui ca­rac­té­risa son «Lettres d’une Pé­ru­vienne» : «Il ne me reste», y dit-elle 4, «que la triste de [vous] peindre mes dou­leurs… Que j’ai de à [vous les] dire, à leur don­ner toutes les sortes d’existences qu’elles peuvent avoir! Je vou­drais les tra­cer sur le plus dur mé­tal, sur les murs de ma chambre, sur mes ha­bits, sur tout ce qui m’environne, et les ex­pri­mer dans toutes les langues». Mais ce ro­man et un ou deux autres qu’elle écri­vit n’égalèrent ja­mais tout à fait ce­lui de sa vie; et plus en­core que dans les «Lettres d’une Pé­ru­vienne», les lec­teurs trou­ve­ront de l’intérêt dans les mil­liers de lettres qui consti­tuent sa vé­ri­table «Cor­res­pon­dance».

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Gra­fi­gny, Gra­fi­gni et Graf­fi­gni. Icône Haut
  2. Étienne-Guillaume Co­lombe. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance. Tome I», p. 1. Icône Haut
  2. «Lettres d’une Pé­ru­vienne», p. 155. Icône Haut

Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Volume IV (1714-1715) »

éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain

éd. Pee­ters, coll. As­so­cia­tion pour la pro­mo­tion de l’ et de l’ orien­tales-Mé­moires, Lou­vain

Il s’agit du «Jour­nal» d’, orien­ta­liste et nu­mis­mate (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui mo­di­fièrent le plus l’ lit­té­raire, si­non pro­fon­dé­ment, du moins dans la , je veux dire les «Mille et une Nuits». Toute sa , Gal­land vé­cut seul, presque sans autres amis que ses — les seuls qui ne le dé­çurent ja­mais. Sa­vant de pre­mier ordre, il s’attachait à étu­dier les langues orien­tales et les mé­dailles an­tiques, propres à je­ter quelque lu­mière — si in­fime fût-elle — sur les an­nales du passé. Voya­geur, il cher­chait les traits né­gli­gés par ses de­van­ciers. Sou­vent heu­reux dans ses re­cherches, simple et la­bo­rieux, il était, ce­pen­dant, d’une cer­taine hu­meur dans la lec­ture de ses contem­po­rains, qu’il ne pou­vait souf­frir d’y voir im­pri­mées des er­reurs sans prendre la plume pour les cor­ri­ger. «J’y trou­vai», écrit-il au su­jet d’un livre 1, «des ex­pli­ca­tions si fort hors du bon sens, que je fus contraint de ces­ser la lec­ture pour la re­prendre le ma­tin, de crainte que je n’en puisse dor­mir. Mais je fus plus d’une heure et de­mie à m’endormir, non­obs­tant les ef­forts que je pus faire pour chas­ser de mon es­prit ces ex­tra­va­gances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se fai­sait néan­moins as­sez connaître». Ses res­tèrent tou­jours, pour le nombre et l’importance, au-des­sous de son éru­di­tion. Un jour, il eut une dis­cus­sion très vive à l’Académie des ; dans une de ses ré­pliques, on re­marque ce pas­sage qui montre l’étendue de son ac­ti­vité in­las­sable et sa haute ri­gueur : «Py­tha­gore ne de­man­dait à ses dis­ciples que sept ans de si­lence pour s’instruire des prin­cipes de la avant que d’en écrire ou d’en vou­loir ju­ger. Sans que per­sonne l’eût exigé, j’ai gardé un si­lence plus ri­gide et plus long dans l’étude des mé­dailles. Ce si­lence a été de trente an­nées. Pen­dant tout ce -là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres ha­biles, de lire et d’examiner leurs ou­vrages; j’ai en­core ma­nié et dé­chif­fré plu­sieurs mil­liers de mé­dailles grecques et la­tines, tant en qu’en et en , à Smyrne, à , à Alexan­drie et dans les de l’Archipel»

  1. «Jour­nal», 4 juin 1711. Icône Haut

Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Tome III (1712-1713) »

éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain

éd. Pee­ters, coll. As­so­cia­tion pour la pro­mo­tion de l’ et de l’ orien­tales-Mé­moires, Lou­vain

Il s’agit du «Jour­nal» d’, orien­ta­liste et nu­mis­mate (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui mo­di­fièrent le plus l’ lit­té­raire, si­non pro­fon­dé­ment, du moins dans la , je veux dire les «Mille et une Nuits». Toute sa , Gal­land vé­cut seul, presque sans autres amis que ses — les seuls qui ne le dé­çurent ja­mais. Sa­vant de pre­mier ordre, il s’attachait à étu­dier les langues orien­tales et les mé­dailles an­tiques, propres à je­ter quelque lu­mière — si in­fime fût-elle — sur les an­nales du passé. Voya­geur, il cher­chait les traits né­gli­gés par ses de­van­ciers. Sou­vent heu­reux dans ses re­cherches, simple et la­bo­rieux, il était, ce­pen­dant, d’une cer­taine hu­meur dans la lec­ture de ses contem­po­rains, qu’il ne pou­vait souf­frir d’y voir im­pri­mées des er­reurs sans prendre la plume pour les cor­ri­ger. «J’y trou­vai», écrit-il au su­jet d’un livre 1, «des ex­pli­ca­tions si fort hors du bon sens, que je fus contraint de ces­ser la lec­ture pour la re­prendre le ma­tin, de crainte que je n’en puisse dor­mir. Mais je fus plus d’une heure et de­mie à m’endormir, non­obs­tant les ef­forts que je pus faire pour chas­ser de mon es­prit ces ex­tra­va­gances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se fai­sait néan­moins as­sez connaître». Ses res­tèrent tou­jours, pour le nombre et l’importance, au-des­sous de son éru­di­tion. Un jour, il eut une dis­cus­sion très vive à l’Académie des ; dans une de ses ré­pliques, on re­marque ce pas­sage qui montre l’étendue de son ac­ti­vité in­las­sable et sa haute ri­gueur : «Py­tha­gore ne de­man­dait à ses dis­ciples que sept ans de si­lence pour s’instruire des prin­cipes de la avant que d’en écrire ou d’en vou­loir ju­ger. Sans que per­sonne l’eût exigé, j’ai gardé un si­lence plus ri­gide et plus long dans l’étude des mé­dailles. Ce si­lence a été de trente an­nées. Pen­dant tout ce -là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres ha­biles, de lire et d’examiner leurs ou­vrages; j’ai en­core ma­nié et dé­chif­fré plu­sieurs mil­liers de mé­dailles grecques et la­tines, tant en qu’en et en , à Smyrne, à , à Alexan­drie et dans les de l’Archipel»

  1. «Jour­nal», 4 juin 1711. Icône Haut

Galland, « Journal, [pendant] la période parisienne. Tome II (1710-1711) »

éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain

éd. Pee­ters, coll. As­so­cia­tion pour la pro­mo­tion de l’ et de l’ orien­tales-Mé­moires, Lou­vain

Il s’agit du «Jour­nal» d’, orien­ta­liste et nu­mis­mate (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui mo­di­fièrent le plus l’ lit­té­raire, si­non pro­fon­dé­ment, du moins dans la , je veux dire les «Mille et une Nuits». Toute sa , Gal­land vé­cut seul, presque sans autres amis que ses — les seuls qui ne le dé­çurent ja­mais. Sa­vant de pre­mier ordre, il s’attachait à étu­dier les langues orien­tales et les mé­dailles an­tiques, propres à je­ter quelque lu­mière — si in­fime fût-elle — sur les an­nales du passé. Voya­geur, il cher­chait les traits né­gli­gés par ses de­van­ciers. Sou­vent heu­reux dans ses re­cherches, simple et la­bo­rieux, il était, ce­pen­dant, d’une cer­taine hu­meur dans la lec­ture de ses contem­po­rains, qu’il ne pou­vait souf­frir d’y voir im­pri­mées des er­reurs sans prendre la plume pour les cor­ri­ger. «J’y trou­vai», écrit-il au su­jet d’un livre 1, «des ex­pli­ca­tions si fort hors du bon sens, que je fus contraint de ces­ser la lec­ture pour la re­prendre le ma­tin, de crainte que je n’en puisse dor­mir. Mais je fus plus d’une heure et de­mie à m’endormir, non­obs­tant les ef­forts que je pus faire pour chas­ser de mon es­prit ces ex­tra­va­gances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se fai­sait néan­moins as­sez connaître». Ses res­tèrent tou­jours, pour le nombre et l’importance, au-des­sous de son éru­di­tion. Un jour, il eut une dis­cus­sion très vive à l’Académie des ; dans une de ses ré­pliques, on re­marque ce pas­sage qui montre l’étendue de son ac­ti­vité in­las­sable et sa haute ri­gueur : «Py­tha­gore ne de­man­dait à ses dis­ciples que sept ans de si­lence pour s’instruire des prin­cipes de la avant que d’en écrire ou d’en vou­loir ju­ger. Sans que per­sonne l’eût exigé, j’ai gardé un si­lence plus ri­gide et plus long dans l’étude des mé­dailles. Ce si­lence a été de trente an­nées. Pen­dant tout ce -là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres ha­biles, de lire et d’examiner leurs ou­vrages; j’ai en­core ma­nié et dé­chif­fré plu­sieurs mil­liers de mé­dailles grecques et la­tines, tant en qu’en et en , à Smyrne, à , à Alexan­drie et dans les de l’Archipel»

  1. «Jour­nal», 4 juin 1711. Icône Haut

Banârasî-dâs, « Histoire à demi : autobiographie d’un marchand jaïna du XVIIᵉ siècle »

éd. Presses Sorbonne nouvelle, Paris

éd. Presses Sor­bonne , Pa­ris

Il s’agit d’« à demi» («Ardha-ka­thâ­naka» 1), le pre­mier ré­cit au­to­bio­gra­phique de la lit­té­ra­ture et de la lit­té­ra­ture in­dienne en gé­né­ral. Ce fut en 1641 apr. J.-C. qu’un mar­chand et poète nommé Ba­nâ­rasî-dâs 2, âgé de cin­quante-cinq ans, ré­di­gea ce ré­cit en vers. Il l’intitula «His­toire à demi» en fai­sant al­lu­sion à la du­rée de idéale qui, se­lon la jaïna, est de cent dix ans. Les dé­bâcles com­mer­ciales et les échecs rythment vé­ri­ta­ble­ment la vie de cet qui, au fil de son ré­cit, se ré­vèle aussi mé­diocre mar­chand que pas­sable poète. Il dé­buta dans son mé­tier à l’âge de vingt et un ans. Son père ras­sem­bla les mar­chan­dises dont dis­po­sait la — des pierres pré­cieuses, deux grandes gourdes d’huile, vingt de beurre cla­ri­fié, des châles de Jaun­pur — et après avoir fait ve­nir son fils, Ba­nâ­rasî-dâs, il lui ex­pli­qua ses , di­sant : «Prends toutes ces af­faires. Va à Agra et vends les ar­ticles. Dé­sor­mais, le far­deau de la mai­son, c’est toi qui le prends sur les épaules. Il fau­dra que tu nour­risses toute la fa­mille» 3. Ces mots durent pe­ser bien lourd sur les épaules d’un jeune homme tout juste re­penti d’avoir passé le plus clair de son dans l’ des jeunes , où il avait «dé­laissé l’ fa­mi­lial et la pu­deur du » 4. Ayant chargé les mar­chan­dises sur une char­rette, il se ren­dit non sans à Agra. Il tâ­cha de vendre tout, sans vrai­ment en connaître la va­leur, et se fit lar­ge­ment es­cro­quer par les ache­teurs. Il don­nait à qui of­frait, ne sa­chant pas dis­cer­ner «qui était hon­nête, qui était mal­hon­nête» 5. Pire en­core, il avait at­ta­ché un étui de perles à la cein­ture de son pan­ta­lon : la cein­ture se cassa, et le pré­cieux étui fut perdu. Il avait aussi ca­ché des ru­bis dans la dou­blure de son pan­ta­lon : il le mit à sé­cher au ; des pas­sèrent et l’emportèrent. Il tomba dans la ban­que­route pour la pre­mière fois. Ce ne fut pas la der­nière. À chaque fois, il se consola, se consi­dé­rant heu­reux dans son mal­heur : «Le et le mal­heur», dit-il 6, «sont vus comme deux choses [dif­fé­rentes par] l’ignorant. Dans la for­tune et l’infortune, le sa­vant [au contraire] se tient d’une seule ma­nière. Il est comme un so­leil qui ne dé­lais­se­rait pas la ; comme un so­leil cou­chant qui ne dé­lais­se­rait pas la splen­deur du jour». Telle est sans la le­çon la plus utile de ce ré­cit.

  1. En hindi «अर्ध-कथानक». Par­fois trans­crit «Ard­ha­ka­tha­nak». Icône Haut
  2. En hindi बनारसीदास. Par­fois trans­crit Banā­rasīdāsa. Icône Haut
  3. p. 89. Icône Haut
  1. p. 76. Icône Haut
  2. p. 92. Icône Haut
  3. p. 72. Icône Haut

Toukâ-râm, « Psaumes du pèlerin »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de Toukâ-râm 1, poète (XVIIe siècle apr. J.-C.), dont les mil­liers de «Psaumes» («Abhang» 2) montrent la plus haute et consti­tuent l’un des points culmi­nants de la hin­doue. La de ce pe­tit bou­ti­quier de­venu cé­lèbre dé­vot nous est bien connue, au­tant grâce aux dé­tails qu’il nous four­nit lui-même dans cer­tains de ses «Psaumes» que grâce aux de ses dis­ciples. Son père avait une bou­tique dans un obs­cur vil­lage, perdu au mi­lieu des terres à millet. Et quelle bou­tique! Une pauvre échoppe plu­tôt, où le pro­prié­taire se te­nait ac­croupi au mi­lieu de son éta­lage, entre des sacs de grains et des bottes de pi­ments. Mais tous les ans, pen­dant trois se­maines, il fer­mait la bou­tique et, avec son fils, il pre­nait le che­min du pè­le­ri­nage de Pand­har­pour. Trois se­maines mer­veilleuses! Ils tra­ver­saient des pa­voi­sés pour l’arrivée des pè­le­rins, comme s’il s’était agi de l’arrivée d’un roi. À chaque étape où ils s’arrêtaient, c’était la fête, le bruit, les rires! En­fin, l’enchantement de Pand­har­pour : «Adieu, adieu, Pand­har­pour!», dit Toukâ-râm (psaume XXIV). «Les pè­le­rins se mettent en voie. Ils marchent dans le des cé­ré­mo­nies qu’ils ont . Pa­roles dites ou en­ten­dues ont gravé l’ en leur cœur. Ils vont, parmi les ban­nières ocres, les cym­bales et les tam­bours. Ils se ra­content leur .» Mais tout ce bon­heur s’évanouit le jour où le père de Toukâ-râm mou­rut. Plus de , plus de ! Un cau­che­mar de sou­cis s’abattit sur les épaules de Toukâ-râm, qui de­vint, à quinze ans, bou­ti­quier à son tour. Et voici que sur­vint une an­née de grande fa­mine. L’épouse qu’il avait prise entre-, mou­rut en gé­mis­sant : «Du pain, du pain!» (psaume II). Ce mal­heur le cou­vrit de  : «La vie», dit-il, «me de­vint in­sup­por­table; mon pé­ri­cli­tait sous mes yeux… Je dé­ci­dai alors de suivre mon an­cien pen­chant [pour les dé­vo­tions]. À la fête du on­zième jour 3, je me mis à chan­ter l’office; mon es­prit, sans pra­tique, était gauche. J’appris par cœur, dans la confiance et le , cer­taines pa­roles des ; quand ils en­ton­naient un psaume, je re­pre­nais après eux le re­frain : la pu­ri­fia mon es­prit». Peu à peu on vint l’écouter. Les dis­ciples se firent de plus en plus nom­breux au­tour de lui. Mais il dut faire face, en même temps, à une sourde op­po­si­tion du mi­lieu brah­ma­nique, qui voyait d’un mau­vais l’ascension de ce pay­san illet­tré. L’orage éclata le jour où une brah­mane vint de­man­der à Toukâ-râm de lui ac­cor­der l’initiation. Les au­to­ri­tés furent aler­tées, et des sanc­tions — or­don­nées. Toukâ-râm s’y sou­mit : en­touré de ses dis­ciples en larmes, il des­cen­dit près de l’ et lança, comme re­quis, les ca­hiers de ses «Psaumes» dans la ri­vière. Puis, il s’assit sur le bord et en­tra en . Pen­dant treize jours, il resta sans man­ger, plongé dans une prière in­tense. En­fin, il dit : «De­puis treize jours je , et Toi, [mon ], Tu n’es pas en­core venu!… Je vais dé­truire ma vie, [mon Dieu]. Me voici main­te­nant à bout… Je pars noyer mon souffle dans la Can­drabhâga 4» (psaume L). À ces mots, les ca­hiers re­pa­rurent à la sur­face, et la ri­vière les dé­posa, in­tacts, aux pieds du dé­vot pleu­rant de . Dé­sor­mais, l’opposition se tut.

  1. En ma­rathe तुकाराम. Par­fois trans­crit Too­ka­ram, Tukâ Râma ou Tu­ka­ram. Icône Haut
  2. En ma­rathe «अभंग». Par­fois trans­crit «Abhanga» ou «Abhaṃg». Lit­té­ra­le­ment «Vers in­in­ter­rom­pus». Icône Haut
  1. La «fête du on­zième jour» est celle du dieu Viṭhobâ (विठोबा), dont le prin­ci­pal sanc­tuaire est à Pand­har­pour. Icône Haut
  2. La Can­drabhâga (चंद्रभाग) est une ri­vière de l’Inde et du . Elle prend sa source dans deux tor­rents de l’Himalaya (Can­dra et Bhâga) qui se réunissent à Tandi. Elle cor­res­pond à l’actuelle Che­nab. «En te plon­geant dans la ri­vière Can­drabhâga, tous tes pé­chés se dis­sou­dront aus­si­tôt», dit Nâm-dev («Psaumes du tailleur», psaume «Com­ment sor­tir du cycle des nais­sances»). Icône Haut

Evliyâ Tchélébi, « La Guerre des Turcs : récits de batailles extraits du “Livre de voyages” »

éd. Actes Sud-Sindbad, coll. La Bibliothèque turque, Arles

éd. Actes Sud-Sind­bad, coll. La Bi­blio­thèque turque, Arles

Il s’agit d’une re­la­tion turque de la de Can­die (XVIIe siècle). Du­rant ses vingt-deux ans de siège, le des­tin de la prin­ci­pale cité de Crète, Can­die — at­ta­quée, d’un côté, avec une fu­reur ex­trême par les Ot­to­mans et dé­fen­due, de l’autre, avec une constance égale par la de Ve­nise — fixa l’attention de l’ et du en­tier, comme en té­moignent les abon­dantes pro­duc­tions im­pri­mées re­la­tives à l’événement. «À l’instar du siège de Vienne… cette guerre sut ré­veiller quelque vieux rêve de chré­tienté, au cœur même d’ pour­tant at­te­lés prin­ci­pa­le­ment à la dé­fense de leurs in­té­rêts.» 1 Une aven­ture sin­gu­lière, et qui tient presque du , at­tira les sur Can­die. En 1644, six ga­lères de Malte s’étaient em­pa­rées d’un grand vais­seau et étaient ve­nues, avec leur prise, mouiller dans un pe­tit port cré­tois où les au­to­ri­tés vé­ni­tiennes eurent l’imprudence de les re­ce­voir. Ce vais­seau turc em­me­nait, à des­ti­na­tion de la Mecque, des pè­le­rins, des né­go­ciants, des , des hommes d’équipage et trente , dont une vieille nour­rice du sul­tan. Ce der­nier, ap­pre­nant la , ne vou­lut rien moins que faire je­ter dans la le ro­cher de Malte. Ses vi­zirs, plus , lui rap­pe­lèrent que ce ro­cher in­ac­ces­sible avait été l’écueil où s’étaient bri­sées les am­bi­tions de ses pré­dé­ces­seurs. Alors, le sul­tan fit tom­ber sa sur les Vé­ni­tiens; il leur re­pro­cha d’avoir, mal­gré les trai­tés de , reçu dans leur port la prise faite par les Mal­tais. Il fit faire à sa flotte des pré­pa­ra­tifs im­menses; et au mois de mai 1645, 416 por­tant une ar­mée de 50 000 hommes abor­dèrent en Crète. «De m’imaginer qu’un Em­pire qui est com­posé de plu­sieurs Em­pires et de plu­sieurs royaumes… n’[ait] pour prin­ci­pal ob­jet que [de] re­cou­vrer une vieille nour­rice qui, même dans sa , ne fut ja­mais belle (car j’ai vu un qui l’a vue de­puis huit jours), c’est ce que je trouve… gro­tesque», s’exclame Ma­de­leine de Scu­déry en rap­por­tant cette

  1. Öz­kan Bar­dakçı et Fran­çois Pu­gnière, «La Der­nière Croi­sade». Icône Haut

le marquis de Ville, « Les Mémoires du voyage au Levant, ou l’Histoire curieuse du siège de Candie. Tome II »

XVIIᵉ siècle

XVIIe siècle

Il s’agit d’une re­la­tion ita­lienne de la de Can­die (XVIIe siècle). Du­rant ses vingt-deux ans de siège, le des­tin de la prin­ci­pale cité de Crète, Can­die — at­ta­quée, d’un côté, avec une fu­reur ex­trême par les Ot­to­mans et dé­fen­due, de l’autre, avec une constance égale par la de Ve­nise — fixa l’attention de l’ et du en­tier, comme en té­moignent les abon­dantes pro­duc­tions im­pri­mées re­la­tives à l’événement. «À l’instar du siège de Vienne… cette guerre sut ré­veiller quelque vieux rêve de chré­tienté, au cœur même d’ pour­tant at­te­lés prin­ci­pa­le­ment à la dé­fense de leurs in­té­rêts.» 1 Une aven­ture sin­gu­lière, et qui tient presque du , at­tira les sur Can­die. En 1644, six ga­lères de Malte s’étaient em­pa­rées d’un grand vais­seau et étaient ve­nues, avec leur prise, mouiller dans un pe­tit port cré­tois où les au­to­ri­tés vé­ni­tiennes eurent l’imprudence de les re­ce­voir. Ce vais­seau turc em­me­nait, à des­ti­na­tion de la Mecque, des pè­le­rins, des né­go­ciants, des , des hommes d’équipage et trente , dont une vieille nour­rice du sul­tan. Ce der­nier, ap­pre­nant la , ne vou­lut rien moins que faire je­ter dans la le ro­cher de Malte. Ses vi­zirs, plus , lui rap­pe­lèrent que ce ro­cher in­ac­ces­sible avait été l’écueil où s’étaient bri­sées les am­bi­tions de ses pré­dé­ces­seurs. Alors, le sul­tan fit tom­ber sa sur les Vé­ni­tiens; il leur re­pro­cha d’avoir, mal­gré les trai­tés de , reçu dans leur port la prise faite par les Mal­tais. Il fit faire à sa flotte des pré­pa­ra­tifs im­menses; et au mois de mai 1645, 416 por­tant une ar­mée de 50 000 hommes abor­dèrent en Crète. «De m’imaginer qu’un Em­pire qui est com­posé de plu­sieurs Em­pires et de plu­sieurs royaumes… n’[ait] pour prin­ci­pal ob­jet que [de] re­cou­vrer une vieille nour­rice qui, même dans sa , ne fut ja­mais belle (car j’ai vu un qui l’a vue de­puis huit jours), c’est ce que je trouve… gro­tesque», s’exclame Ma­de­leine de Scu­déry en rap­por­tant cette

  1. Öz­kan Bar­dakçı et Fran­çois Pu­gnière, «La Der­nière Croi­sade». Icône Haut

le marquis de Ville, « Les Mémoires du voyage au Levant, ou l’Histoire curieuse du siège de Candie. [Tome I] »

XVIIᵉ siècle

XVIIe siècle

Il s’agit d’une re­la­tion ita­lienne de la de Can­die (XVIIe siècle). Du­rant ses vingt-deux ans de siège, le des­tin de la prin­ci­pale cité de Crète, Can­die — at­ta­quée, d’un côté, avec une fu­reur ex­trême par les Ot­to­mans et dé­fen­due, de l’autre, avec une constance égale par la de Ve­nise — fixa l’attention de l’ et du en­tier, comme en té­moignent les abon­dantes pro­duc­tions im­pri­mées re­la­tives à l’événement. «À l’instar du siège de Vienne… cette guerre sut ré­veiller quelque vieux rêve de chré­tienté, au cœur même d’ pour­tant at­te­lés prin­ci­pa­le­ment à la dé­fense de leurs in­té­rêts.» 1 Une aven­ture sin­gu­lière, et qui tient presque du , at­tira les sur Can­die. En 1644, six ga­lères de Malte s’étaient em­pa­rées d’un grand vais­seau et étaient ve­nues, avec leur prise, mouiller dans un pe­tit port cré­tois où les au­to­ri­tés vé­ni­tiennes eurent l’imprudence de les re­ce­voir. Ce vais­seau turc em­me­nait, à des­ti­na­tion de la Mecque, des pè­le­rins, des né­go­ciants, des , des hommes d’équipage et trente , dont une vieille nour­rice du sul­tan. Ce der­nier, ap­pre­nant la , ne vou­lut rien moins que faire je­ter dans la le ro­cher de Malte. Ses vi­zirs, plus , lui rap­pe­lèrent que ce ro­cher in­ac­ces­sible avait été l’écueil où s’étaient bri­sées les am­bi­tions de ses pré­dé­ces­seurs. Alors, le sul­tan fit tom­ber sa sur les Vé­ni­tiens; il leur re­pro­cha d’avoir, mal­gré les trai­tés de , reçu dans leur port la prise faite par les Mal­tais. Il fit faire à sa flotte des pré­pa­ra­tifs im­menses; et au mois de mai 1645, 416 por­tant une ar­mée de 50 000 hommes abor­dèrent en Crète. «De m’imaginer qu’un Em­pire qui est com­posé de plu­sieurs Em­pires et de plu­sieurs royaumes… n’[ait] pour prin­ci­pal ob­jet que [de] re­cou­vrer une vieille nour­rice qui, même dans sa , ne fut ja­mais belle (car j’ai vu un qui l’a vue de­puis huit jours), c’est ce que je trouve… gro­tesque», s’exclame Ma­de­leine de Scu­déry en rap­por­tant cette

  1. Öz­kan Bar­dakçı et Fran­çois Pu­gnière, «La Der­nière Croi­sade». Icône Haut

Cornaros, « Érotocritos »

éd. Zoé, coll. Les Classiques du monde, Carouge-Genève

éd. Zoé, coll. Les Clas­siques du , Ca­rouge-Ge­nève

Il s’agit de l’«Éro­to­cri­tos» 1, poème de ga­lan­te­rie che­va­le­resque en grecque, écrit à la fin du XVIe ou au dé­but du XVIIe siècle par Vit­sent­zos Cor­na­ros 2, un aris­to­crate cré­tois d’origine vé­ni­tienne. La chute de avait brisé les Grecs et les avait plon­gés dans une mi­sère, une op­pres­sion, une ruine qui, du­rant quatre siècles, leur in­ter­dit toute . Seule la Crète de­meura, si l’on peut dire, pri­vi­lé­giée. La vé­ni­tienne, moins ob­tuse et plus ci­vi­li­sée que celle des Turcs, n’y brima point les et les lettres. «C’est donc de cette seule île que l’ [eut] la pos­si­bi­lité de faire en­core en­tendre sa . Aussi, lorsqu’en ces siècles la Crète parle, elle le fait au nom de tout ce qui est », dit un  3. Un , quelque abaissé qu’il soit, ne peut se pas­ser de . C’est ainsi que se dé­ve­loppa une lit­té­ra­ture lo­cale qui resta pro­fon­dé­ment cré­toise en dé­pit d’emprunts à l’. Elle mon­tra ce que la pou­vait ac­com­plir quand elle jouis­sait d’un ré­pit re­la­tif. é comme l’œuvre maî­tresse de cette pé­riode, l’«Éro­to­cri­tos» com­prend plus de dix mille vers d’une mé­trique ir­ré­pro­chable. Il re­late le thème éter­nel des amants sé­pa­rés, que la force de leur réunit après bien des épreuves. Éro­to­cri­tos («le Tour­menté d’amour») aime Aré­tousa («la Ver­tueuse»), fille du roi Hé­ra­clès, qui n’est pas moins amou­reuse de lui. Toutes les nuits, l’amant prend son luth et en joue de­vant le . Sa voix est comme celle du ros­si­gnol et at­ten­drit les cœurs. Le roi en­voie des ar­més, char­gés de s’emparer du chan­teur noc­turne. Éro­to­cri­tos, avec l’aide d’un ami, en tue deux et en blesse huit autres. Le len­de­main, Aré­tousa, n’entendant plus les sons du luth, dé­pé­rit de . Le roi, pour la dis­traire, se dé­cide à don­ner un grand tour­noi, dont Éro­to­cri­tos sort vain­queur. Ce­pen­dant, dès que ce­lui-ci fait de­man­der par son père la main d’Arétousa, il est é par le roi. Un sort plus triste en­core at­tend la jeune fille, qui est je­tée dans un ca­chot. Sur ces en­tre­faites, la éclate entre le royaume des Grecs et ce­lui des Va­laques, et Éro­to­cri­tos re­vient, dé­guisé en Maure, pour sau­ver la au roi.

  1. En grec «Ἐρωτόκριτος». Par­fois trans­crit «Éro­to­kri­tos». On ren­contre aussi la gra­phie «Ρωτόκριτος» («Rô­to­kri­tos»). Icône Haut
  2. En grec Βιτσέντζος Κορνάρος. Par­fois trans­crit Vincent Cor­naro, Vin­cenzo Kor­naro, Vi­cenzo Cor­naro, Vi­cen­zos Cor­na­ros, Vin­cen­zos Cor­na­ros, Vi­ken­tios Kor­na­ros ou Vit­zent­zos Cor­na­ros. Icône Haut
  1. Alexandre Em­bi­ri­cos. Icône Haut

Voltaire, « Correspondance. Tome II. 1739-1748 »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance» de Vol­taire, la meilleure, la plus dé­li­cieuse de toutes les cor­res­pon­dances; celle qui fut à elle seule l’esprit de l’ (XVIIIe siècle). «En re­com­man­dant la lec­ture de Vol­taire», dit un  1, «j’avoue mes pré­fé­rences. S’il fal­lait sa­cri­fier quelque chose de lui, je don­ne­rais les tra­gé­dies et les co­mé­dies pour gar­der les pe­tits vers; s’il fal­lait sa­cri­fier en­core quelque chose, je don­ne­rais plu­tôt les his­toires, toutes char­mantes qu’elles sont, que les ro­mans; …mais en­fin il y a une chose que je ne me dé­ci­de­rais ja­mais à li­vrer, c’est la “Cor­res­pon­dance”». En ef­fet, de tous les genres lit­té­raires dont s’occupa Vol­taire, ce­lui où il fut le plus ori­gi­nal; ce­lui où il eut un ton que per­sonne ne lui avait donné, et que tout le vou­lut imi­ter; ce­lui, en­fin, où il do­mina, de l’aveu même des ja­loux qui consentent quel­que­fois à re­con­naître un mé­rite una­ni­me­ment re­connu, c’est le genre épis­to­laire. On y trouve l’ensemble et la de tous les styles; on y trouve la fa­ci­lité brillante d’un es­prit aussi su­pé­rieur aux su­jets qu’il traite, qu’aux gens à qui il s’adresse : «Quel se joue dans ses poé­sies et ses plai­san­te­ries et ses lettres im­mor­telles! , tout ce qu’on ad­mire dans les deux pre­mières se re­trouve dans les lettres avec une in­épui­sable abon­dance : vers fa­ciles, raille­ries char­mantes à pro­pos de tous les et de tous les évé­ne­ments qui ont passé, dans ce siècle agité, de­vant cet es­prit cu­rieux… Ce qu’il peut se suc­cé­der, pen­dant plus de soixante ans, d’amours, de haines, de plai­sirs, de dou­leurs, de co­lères, dans une sin­gu­liè­re­ment im­pres­sion­nable et mo­bile, est ex­primé là au vif… chaque sen­ti­ment en­tier oc­cu­pant toute l’âme, comme s’il de­vait du­rer éter­nel­le­ment, puis ef­facé tout à coup par un autre…; va­riété in­épui­sable des su­jets qui passent sous cette plume lé­gère; sé­duc­tions d’un es­prit en­chan­teur qui veut plaire et in­vente pour plaire les tours les plus dé­li­cats, tou­jours ai­mable, tou­jours nou­veau. Tout cela forme un des spec­tacles les plus at­trayants qu’on puisse avoir en ce monde», dit le même cri­tique. De tous les hommes cé­lèbres dont on a im­primé les lettres après leur , Vol­taire est le pre­mier qui ait écrit à la fois en écri­vain et en du monde, et qui ait mon­tré qu’il est aussi na­tu­rel­le­ment l’un que l’autre. Son ta­lent, qui peut être in­égal dans ses grands ou­vrages, est tou­jours par­fait dans ses , quand sa plume court avec une ra­pi­dité, une né­gli­gence, qui n’appartiennent qu’à lui.

  1. Er­nest Ber­sot. Icône Haut

Rákóczi, « L’Autobiographie d’un prince rebelle. Confession • Mémoires »

éd. Corvina, Budapest

éd. Cor­vina, Bu­da­pest

Il s’agit de la «Confes­sion d’un pé­cheur» («Confes­sio pec­ca­to­ris») et des «Mé­moires» de Fran­çois II Rákóczi 1, prince de , fervent ad­mi­ra­teur et ami de la à tel point qu’en mou­rant il vou­lut que son cœur re­po­sât en fran­çaise (XVIIe-XVIIIe siècle). Rákóczi mé­rite le titre d’écrivain de fran­çaise; car c’est dans cette langue qu’il ex­prima les as­pi­ra­tions sé­cu­laires du hon­grois : le grand de la et le de voir la pa­trie dé­li­vrée du joug étran­ger. Lorsqu’en l’an 1707, la Hon­grie, me­na­cée d’une ger­ma­ni­sa­tion com­plète par l’Autriche, se ré­volta contre les Habs­bourg, Rákóczi fut poussé à la lutte à la fois par le fait d’une vo­lonté su­pé­rieure et par la sienne propre. Le peuple et, en même , le des­tin dont il avait hé­rité l’appelaient im­pé­rieu­se­ment à conduire ce com­bat qu’il sa­vait pour­tant in­égal. Il tourna ses re­gards vers Louis XIV qui lui en­voya, outre des se­cours en ar­gent, d’éminents stra­tèges et in­gé­nieurs qui don­nèrent à la Cour ma­gyare une al­lure ver­saillaise. La «Confes­sion» et les «Mé­moires» furent en France, où ce prince mal­heu­reux vint se ré­fu­gier après l’ de l’indépendance hon­groise. Il y sé­journa de l’an 1712 à 1717, d’abord comme hôte de Louis XIV, à Ver­sailles, puis comme ré­sident du couvent des ca­mal­dules, à Gros­bois. Il as­sista aux re­pré­sen­ta­tions des pièces de Ra­cine et Mo­lière, il vi­sita les ga­le­ries, il fit la connais­sance de Saint-Si­mon qui dit du couvent des ca­mal­dules «que Rákóczi n’y voyait presque per­sonne, vi­vait très fru­ga­le­ment dans une grande , au pain et à l’ une ou deux fois la se­maine, et as­sidu à tous les of­fices du jour et de la ». Peu d’hommes pleu­rèrent la du Roi- avec plus de sin­cé­rité que Rákóczi. Cette mort mar­qua, d’ailleurs, la perte de son der­nier es­poir, et même si, sur l’invitation du Sul­tan , il se ren­dit à pour or­ga­ni­ser une ar­mée ap­pe­lée à re­com­men­cer la contre l’Autriche, les cir­cons­tances ne lui per­mirent pas de réa­li­ser son grand rêve, et il mou­rut dans l’émigration et dans l’obscurité.

  1. En hon­grois II Rákóczi Fe­renc. Au­tre­fois trans­crit Ra­gokzy, Ra­koczy, Ra­gotzi, Ra­gotsy, Ra­gotski ou Ra­gotsky. Icône Haut

La Bruyère, « Les Caractères, ou les Mœurs de ce siècle »

éd. Le Cercle du bibliophile, coll. Les Classiques immortels, Évreux

éd. Le Cercle du bi­blio­phile, coll. Les Clas­siques im­mor­tels, Évreux

Il s’agit des «Ca­rac­tères» de Jean de La Bruyère 1, écri­vain (XVIIe siècle), qui consuma sa à ob­ser­ver les hommes, et qui s’ingénia à nous mon­trer tout ce qui se ca­chait de va­nité, de pe­ti­tesse ou de cal­cul mes­quin sous leurs al­lures im­por­tantes et leurs titres pom­peux. «Il n’y a presque point de [tour­nure] dans l’ qu’on ne trouve dans La Bruyère; et [s’il y manque] quelque chose, ce ne sont pas cer­tai­ne­ment les ex­pres­sions, qui sont d’une force in­fi­nie et tou­jours les plus propres et les plus pré­cises qu’on puisse em­ployer», dit un  2. En ef­fet, La Bruyère est un des meilleurs pro­sa­teurs dans au­cune . Il l’est par sa com­po­si­tion, qui fond avec art deux genres qui jouis­saient alors d’une grande fa­veur : les et les . Mais il l’est sur­tout par son , par son choix de mots non seule­ment très juste, mais né­ces­saire; il dit lui-même qu’«entre toutes les dif­fé­rentes ex­pres­sions qui peuvent rendre une seule de nos pen­sées, il n’y en a qu’une qui soit la bonne» 3 : cette ex­pres­sion unique, La Bruyère sait la trou­ver et lui don­ner la place où elle aura le plus d’éclat. Émile Lit­tré, l’auteur du cé­lèbre «Dic­tion­naire de la langue fran­çaise», dit à ce su­jet : «Vou­lez-vous faire un in­ven­taire des ri­chesses de notre langue; en vou­lez-vous connaître tous les tours, tous les mou­ve­ments, toutes les fi­gures, toutes les res­sources? Il n’est pas né­ces­saire de re­cou­rir à cent vo­lumes; li­sez et re­li­sez La Bruyère». Tout vit et tout s’anime sous la plume de La Bruyère; tout parle à notre ; il nous dit en une phrase ce qu’un autre ne nous dit pas cor­rec­te­ment en une tren­taine; il brille sur­tout dans l’emploi in­gé­nieux et dé­tourné qu’il sait faire des mots de l’usage cou­rant. «La vé­ri­table gran­deur», dit-il 4, «se laisse “tou­cher” et “ma­nier”; elle ne perd rien à être “vue de près”». Ou en­core : «Il y a dans quelques … un mé­rite “pai­sible”, mais so­lide, ac­com­pa­gné de mille qu’elles ne peuvent cou­vrir [mal­gré] toute leur mo­des­tie, qui “échappent”, et qui se montrent à “ceux qui ont des yeux”»

  1. On ren­contre aussi la gra­phie La Bruière. Icône Haut
  2. le mar­quis de Vau­ve­nargues. Icône Haut
  1. ch. I, sect. 17. Icône Haut
  2. ch. II, sect. 42. Icône Haut