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Saikaku, « Quatre Nouvelles. “L’Écritoire de poche” »

dans « Autour de Saikaku : le roman en Chine et au Japon aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles » (éd. Les Indes savantes, coll. Études japonaises, Paris), p. 113-122

dans «Au­tour de Sai­kaku : le en et au aux XVIIe et XVIIIe siècles» (éd. Les Indes sa­vantes, coll. Études ja­po­naises, Pa­ris), p. 113-122

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du «Fu­to­koro su­zuri» 1L’Écritoire de poche») d’ 2, mar­chand qui, après la de sa femme et de sa fille aveugle, se consa­cra à l’art du ro­man, où il de­vint un maître in­con­testé, et le plus ha­bile des . On com­pare la vi­va­cité et la ra­pi­dité de son à celles que l’on éprouve en des­cen­dant un tor­rent dans une barque. À la nais­sance de Sai­kaku, en 1642, le Ja­pon était en­tré dans une pé­riode de et de bon ordre, après plus de deux siècles de guerres ci­viles. Les ra­sées des avaient fait place à des quar­tiers de dis­trac­tion, où les bour­geois met­taient à la pour­suite du plai­sir l’opiniâtreté et la pas­sion qu’ils avaient au­tre­fois ap­por­tées à la conquête de l’argent. L’œuvre de Sai­kaku, vaste fresque de ce « flot­tant» («ukiyo» 3), prend pour su­jets les mar­chands, les ven­deurs, les fa­bri­cants de ton­neaux, les bouilleurs d’alcool de , les , les , les . Les de celles-ci sur­tout, très re­mar­quables et osés, al­lant jusqu’à la vul­ga­rité, font que l’on consi­dère Sai­kaku comme un por­no­graphe; en quoi, on a grand tort. Car si on lui en­lève ce masque d’indécence, qui peut bien avoir contri­bué à faire de lui le plus po­pu­laire écri­vain de son , mais qui n’est ce­pen­dant qu’un masque, et le plus trom­peur des masques, on verra un psy­cho­logue hors pair, lu­cide, mais plein d’, tou­jours à l’écoute du «cœur des gens de ce monde» («yo no hito-go­koro» 4) comme il dit lui-même 5. Avec lui, le Ja­pon re­trouve cette fi­nesse d’observation qu’il n’avait plus at­teinte de­puis Mu­ra­saki-shi­kibu. «Dans ses ou­vrages aussi francs qu’enjoués, Sai­kaku [dé­crit] tous les ha­sards doux et amers de ce monde de l’impermanence et de l’illusion dé­noncé dans les ser­mons des bonzes. Mais les hé­ros de Sai­kaku ne tentent pas de lui échap­per, ils mettent leur à s’en ac­com­mo­der, et leur à n’en être pas dupes. D’avance, ils ac­ceptent tout ce que les ha­sards de ce monde vou­dront bien leur don­ner — et le ha­sard n’est pas chiche en­vers eux… Ces ré­cits, on le voit, sont francs, cy­niques, sa­laces. Li­ber­tins? Non, on n’y trouve ja­mais viol ni dol, ja­mais cet ac­cent de ré­volte et de défi qui re­lève les noires prouesses du li­ber­ti­nage oc­ci­den­tal, de Juan… à Sade. Pour être libres de leurs plai­sirs, les hé­ros de Sai­kaku n’ont pas à se [faire] scé­lé­rats», dit M. Mau­rice Pin­guet

  1. En ja­po­nais «懐硯». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 井原西鶴. Au­tre­fois trans­crit Ihara Saï­ka­kou. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «浮世». Au­tre­fois trans­crit «ou­kiyo». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «世の人心». Icône Haut
  2. Ihara Sai­kaku, «Sai­kaku ori­dome» («Le in­ter­rompu de Sai­kaku»), in­édit en . Icône Haut

Bashô, « Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus »

éd. La Table ronde, Paris

éd. La Table ronde, Pa­ris

Il s’agit des de Mat­suo Ba­shô 1, illustre de la (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son de , en­core plus que par son œuvre elle-même, ce fils de sa­mou­raï a im­posé la forme ac­tuelle du haïku, mais sur­tout il en a dé­fini la ma­nière, l’esprit : lé­gè­reté, de sim­pli­cité, ex­trême pour la , et ce quelque chose qu’on ne peut dé­fi­nir fa­ci­le­ment et qu’il faut sen­tir — une élé­gance in­té­rieure, comme re­vê­tue de pu­deur dis­crète, qui est fon­ciè­re­ment ja­po­naise. Son poème de la rai­nette est un fa­meux exemple du saut par le­quel le haïku se dé­bar­rasse de l’artificiel pour at­teindre la so­briété nue : «Vieil étang / une rai­nette y plon­geant / chu­cho­tis de l’» 2. Ce haïku tra­duit et d’autres sont le pre­mier ou­vrage par le­quel la et la asia­tiques viennent jusqu’à Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar qui a quinze ans : «Ce livre ex­quis a été l’équivalent pour d’une porte en­tre­bâillée; elle ne s’est plus ja­mais re­fer­mée de­puis», écrit-elle dans une lettre da­tée de 1955. En 1982, pen­dant ses trois mois pas­sés au , elle suit sur les sen­tiers étroits la trace de Ba­shô; et tan­dis qu’un ami , qui la guide, com­mence à lui tra­duire «Elles mour­ront bien­tôt…», elle l’interrompt en ci­tant par cœur la chute : «et pour­tant n’en montrent rien / chant des ci­gales». «Peut-être son plus beau poème», pré­cise-t-elle dans un pe­tit ar­ticle in­ti­tulé «Ba­shô sur la route». À Kyôto, elle vi­site la hutte qui a hé­bergé notre poète vers la fin de sa vie — Ra­ku­shi­sha 3la chau­mière où tombent les ka­kis» 4) qui lui «fait pen­ser à la lé­gère dé­pouille d’une ci­gale». À l’intérieur, si on peut par­ler d’intérieur dans un lieu si ou­vert aux in­tem­pé­ries, rien ou presque pour se pro­té­ger du pas­sage des sai­sons, si pré­sentes jus­te­ment dans l’œuvre de Ba­shô «par les in­con­vé­nients et les ma­laises qu’elles ap­portent au­tant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dis­pense leur beauté», comme ex­plique Mme Your­ce­nar. Quant au maître lui-même : «Cet am­bu­lant», écrit-elle, «qui a in­ti­tulé l’un de ses “Sou­ve­nirs d’un sque­lette ex­posé aux in­tem­pé­ries” voyage moins pour s’instruire… que pour su­bir. Su­bir est une fa­culté ja­po­naise, pous­sée par­fois jusqu’au ma­so­chisme [!], mais l’émotion et la connais­sance chez Ba­shô naissent de cette sou­mis­sion à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les as­cen­sions sur les sen­tiers ge­lés des , les gîtes de ha­sard, comme ce­lui de l’octroi à Shi­to­mae où il une pièce au plan­cher de bat­tue avec un » Sous des ap­pa­rences de pro­me­nades, ces éveillaient la pen­sée de Ba­shô et met­taient sa vie en confor­mité avec la haute idée qu’il se fai­sait du haïku : «Le vent me trans­perce / ré­si­gné à y lais­ser mes os / je pars en voyage»

  1. En ja­po­nais 松尾芭蕉. Au­tre­fois trans­crit Mat­soura Ba­cho, Mat­sura Ba­sho, Mat­souo Ba­shô ou Mat­suwo Ba­shô. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «古池や蛙飛こむ水のおと». Icône Haut
  1. En ja­po­nais 落柿舎. Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «la villa où tombent les ka­kis», «villa aux ka­kis tom­bés» ou «la mai­son des ka­kis tom­bés à terre». Icône Haut

Shiki, « Un Lit de malade six pieds de long (5 mai-17 septembre 1902) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Japon-Série Non fiction, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. -Sé­rie Non , Pa­ris

Il s’agit du «Un Lit de ma­lade six pieds de long» («Byô­shô ro­ku­shaku» 1) de Ma­saoka Shiki, de son vrai nom Ma­saoka Tsu­ne­nori 2, poète . Il ne fut pas, je crois, un grand au­teur; mais on ne peut lui nier d’avoir re­nou­velé l’intérêt pour le haïku, dont il fit à la fois une arme of­fen­sive et un ferme bou­clier dans sa lutte contre la tu­ber­cu­lose qui al­lait l’emporter à trente-cinq ans. Il cra­cha du dès 1889, ce qui lui ins­pira le pseu­do­nyme de Shiki 3le Cou­cou»), oi­seau qui, quand il chante, laisse ap­pa­raître sa gorge rou­geoyante. Sa pre­mière ten­ta­tive lit­té­raire fut un au titre ro­man­tique, «La Ca­pi­tale de la lune» («Tsuki no miyako» 4), qu’il alla mon­trer à Kôda Ro­han. Ce der­nier, au faîte de sa gloire, mon­tra une telle ab­sence d’enthousiasme, que Shiki se li­vra au dé­cou­ra­ge­ment et au déses­poir et re­nonça tout à fait au ro­man; mais étant un être im­pul­sif, il prit alors une dé­ci­sion qui al­lait chan­ger le reste de sa , puisque c’est au cours de cette an­née 1892 qu’il dé­cida, d’une part, de se consa­crer en­tiè­re­ment au haïku et, d’autre part, d’accepter un poste au jour­nal «Ni­hon» («Ja­pon») en tant que de . Dans une co­lonne de ce quo­ti­dien, il dé­ve­loppa pen­dant une dé­cen­nie ses sur les an­ciens. Sa fut in­flexible jusqu’à la du­reté, vé­hé­mente jusqu’à la . Il est même per­mis de se de­man­der s’il n’était pas en proie à quelque dé­mence lorsqu’il af­fir­mait «que Ki no Tsu­rayuki en tant que poète était nul, et le “Ko­kin-shû” — une af­freuse»; ou bien «que les vers de Ba­shô conte­naient le meilleur et le pire». En même que ces ar­ticles théo­riques, Shiki pro­dui­sit ses propres et in­vita ses lec­teurs à en faire tout au­tant : «Shiki s’[engagea] dans un tra­vail, au fond, de poé­sie col­lec­tive qui mé­rite d’être rap­pelé… Il de­mande aux lec­teurs d’envoyer leurs textes. Il les pu­blie, les cri­tique. D’emblée, la créa­tion n’est pas chose unique, mais cha­cun a le — et doit — com­po­ser dix, vingt, trente haï­kus dans la même jour­née, et avec les mêmes mots, les mêmes images… Ce qui donne des cen­taines de poèmes qui se­ront pu­bliés dans le jour­nal… En l’ de cinq ans, on verra ainsi se consti­tuer des di­zaines de groupes, pour ainsi dire dans toutes les ré­gions du Ja­pon», ex­plique M. Jean-Jacques Ori­gas 5. Aus­si­tôt après la de Shiki, ces groupes se virent re­lé­gués dans l’oubli; mais ils furent, un temps, le creu­set de l’avant-gardisme et de la ré­no­va­tion du haïku.

  1. En ja­po­nais «病牀六尺». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 正岡常規. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 子規. Par­fois trans­crit Chiki ou Šiki. Re­mar­quez que l’idéogramme se re­trouve à la fois dans Tsu­ne­nori et dans Shiki. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «月の都». Titre em­prunté au «Conte du cou­peur de bam­bous». Icône Haut
  2. «Une », p. 159. Icône Haut

« Cent Proverbes japonais »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’un re­cueil de . Nul genre d’ n’est plus an­cien que ce­lui des pro­verbes. Son ori­gine re­monte aux âges les plus re­cu­lés du globe. Dès que les hommes, mus par un ins­tinct ir­ré­sis­tible ou pous­sés par la vo­lonté di­vine, se furent réunis en ; dès qu’ils eurent consti­tué un suf­fi­sant à l’expression de leurs be­soins, les pro­verbes prirent nais­sance en tant que ré­sumé na­tu­rel des idées com­munes de l’. «S’ils avaient pu se conser­ver, s’ils étaient jusqu’à nous sous leur forme pri­mi­tive», dit -Ma­rie Qui­tard 1, «ils se­raient le plus cu­rieux mo­nu­ment du pro­grès des pre­mières so­cié­tés; ils jet­te­raient un jour sur l’ de la , dont ils mar­que­raient le point de dé­part avec une ir­ré­cu­sable fi­dé­lité.» La , qui contient plu­sieurs de pro­verbes, dit : «Ce­lui qui ap­plique son à ré­flé­chir sur la Loi du Très-Haut… le sens se­cret des pro­verbes et re­vient sans cesse sur les des » 2. Les de la eurent la même que la Bible. Confu­cius imita les pro­verbes et fut à son tour imité par ses dis­ciples. De même que l’âge de l’arbre peut se ju­ger par le tronc; de même, les pro­verbes nous ap­prennent le ou l’esprit propre à chaque , et les dé­tails de sa pri­vée. On en te­nait cer­tains en telle es­time, qu’on les di­sait d’origine cé­leste : «C’est du », dit Ju­vé­nal 3, «que nous est ve­nue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la fau­drait gra­ver dans son cœur et la mé­di­ter tou­jours.» C’est pour­quoi, d’ailleurs, on les gra­vait sur le de­vant des portes des temples, sur les co­lonnes et les marbres. Ces , très nom­breuses du de Pla­ton, fai­saient dire à ce phi­lo­sophe qu’on pou­vait faire un ex­cellent cours de en voya­geant à pied, si l’on vou­lait les lire; les pro­verbes étant «le fruit de l’ de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles ré­duit en for­mules»

  1. «Études his­to­riques, lit­té­raires et mo­rales sur les et le lan­gage pro­ver­bial», p. 2. Icône Haut
  2. «Livre de l’Ecclésiastique», XXXIX, 1-3. Icône Haut
  1. «Sa­tires», poème XI, v. 27-28. Icône Haut

« Chiyo-ni : une femme éprise de poésie »

éd. Pippa, coll. Kolam-Poésie, Paris

éd. Pippa, coll. Ko­lam-, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poé­tesse et nonne ja­po­naise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), éga­le­ment connue sous le sur­nom de Tchiyo-ni 2Tchiyo la nonne»). Un maître du haïku, Ro­ghennbô 3, passa par la ville de pro­vince où ha­bi­tait Tchiyo, en­core toute jeune. «N’importe com­ment», pensa-t-elle, «je sol­li­ci­te­rai d’un haï­kiste aussi cé­lèbre des conseils sur l’art de com­po­ser…» Et pous­sée par le dé­mon de la poé­sie, elle s’en alla frap­per à la porte de l’auberge et prier Ro­ghennbô de lui don­ner une le­çon de poé­sie. Fa­ti­gué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le pa­pier et de com­po­ser quelque chose sur un su­jet tout in­di­qué par la sai­son : le cou­cou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il com­mença à dor­mir en ron­flant. Après avoir lon­gue­ment ré­flé­chi, Tchiyo com­posa une poé­sie et de­manda ti­mi­de­ment : «Ex­cu­sez-, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a?», dit le poète brus­que­ment ré­veillé. Et tou­jours al­longé, il lut la poé­sie qui lui était pré­sen­tée sur un rou­leau de pa­pier. Il fut très sur­pris de voir qu’une fille de quinze ans était ca­pable d’écrire avec tant de ta­lent; mais ca­chant son vé­ri­table sen­ti­ment, il dé­clara : «Voici une poé­sie qui n’a pas de sens. Com­pose donc quelque chose de plus vi­vant». Et peu après, il se re­mit à ron­fler. L’élève conti­nua à mé­di­ter et à écrire. Elle com­posa vingt poé­sies, trente poé­sies, sans oser les mon­trer. À me­sure que les heures s’écoulaient, des tas de pa­piers noir­cis s’entassaient. Ayant perdu la no­tion du , elle se dé­sola : «Ah! n’a pas voulu m’accorder le ta­lent d’une vraie poé­tesse. Dès aujourd’hui, c’est fini; je re­nonce com­plè­te­ment à écrire». Au même ins­tant, le son d’une cloche, ve­nant on ne sait d’où, an­nonça l’arrivée de l’aurore. Ro­ghennbô, qui était moine, se sou­leva d’un bond sur sa couche : «Comme j’ai bien dormi! Mais… se­rait-ce déjà le ma­tin?» 4 Au bruit de la qui frap­pait l’air, Tchiyo re­vint tout à coup à la . Sans pen­ser, déses­pé­ré­ment, elle mur­mura cette ex­quise poé­sie :

«Cou­cou!
Cou­cou! à ces mots,
Le jour est venu
»

  1. En 加賀千代女. Par­fois trans­crit Kaga no Chiyo-jo. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 千代尼. Par­fois trans­crit Chiyo-ni. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 盧元坊. Par­fois trans­crit Ro­genbō. Icône Haut
  2. «Une Poé­tesse ja­po­naise au XVIIIe siècle : Kaga no Tchiyo-jo», p. 91-93. Icône Haut

Seigetsu, « Jours d’errance : cent neuf haïkus »

éd. des Lisières, coll. Aphyllante, Sainte-Jalle

éd. des Li­sières, coll. Aphyl­lante, Sainte-Jalle

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle d’Inoue Sei­getsu 1, haï­kiste qui vé­cut et mou­rut dans la men­di­cité (XIXe siècle). On dit par­fois «qu’un écri­vain ne de­vrait pas avoir d’autre que ses ». Mais tombe-t-on sur quelque au­teur dis­cret, étran­ger à ce qu’on ap­pelle «le », n’ayant ni aïeux ni connue, on se rend compte com­bien un his­to­rien nous au­rait été d’un grand se­cours. Il nous au­rait mon­tré la mai­son de l’écrivain et nous au­rait donné de lui un si­gna­le­ment aussi exact que s’il eût été fait au Bu­reau des pas­se­ports. Quelle fut l’origine et l’ de Sei­getsu? Com­ment fut-il bal­lotté par les vagues tu­mul­tueuses de la fin de l’époque d’Edo et du dé­but de celle de Meiji? Voilà des ques­tions aux­quelles per­sonne ne peut ré­pondre. Dans sa trente-sixième ou trente-sep­tième an­née, ayant jeté ses de sa­mou­raï, cet ap­pa­rut de nulle part le long de la val­lée d’Ina, dans la pro­vince de Na­gano, et il erra pen­dant trente autres an­nées, en pro­po­sant ses poèmes cal­li­gra­phiés à l’encre noire en du gîte et du cou­vert. L’auteur de «Ra­shô­mon», le cé­lèbre , dira au su­jet de ces cal­li­gra­phies : «C’est tel­le­ment beau! On peut dire que c’est une mer­veille» 2. Pour­tant, aussi beaux soient-ils, ces d’ ne nous donnent au­cun moyen pour dé­chi­rer le voile dont Sei­getsu a voulu en­ve­lop­per son . Voici un haïku : «La route du Nord / mon er­rance est ma mai­son / loin­tain de bois» 3. On sup­pose que le vient de se cou­cher sur notre poète tou­jours en marche. C’est l’hiver. Un feu de bois loin­tain, vi­sible à tra­vers une porte cou­lis­sante en pa­pier, éveille de l’é au fond de son cœur. Autre haïku : «Le plu­vier ti­tube / la vient le dé­gri­ser / on en­tend sa » 4. On peut pré­su­mer que notre poète est ivre, et la nuit si froide qu’il a pré­féré mar­cher plu­tôt que de cher­cher vai­ne­ment le som­meil. Il en­tend un plu­vier dans le noir, et sans le voir, il s’imagine l’oiseau en train de ti­tu­ber comme lui, com­pa­gnon de son va­ga­bon­dage et aussi de ses . Der­nier haïku : «Pour le Nou­vel An / un ha­bit tout neuf; ja­dis / j’avais une femme» 5. Notre poète, quelque pauvre qu’il soit, s’est vêtu d’habits neufs pour le jour de l’An comme c’est la cou­tume. Il est seul. Dans la pre­mière moi­tié de sa , il avait un lo­gis ac­cueillant et confor­table; mais on peut de­vi­ner que la perte de sa femme a pré­ci­pité sa dé­ci­sion de s’éloigner de tout et de tous pour s’engager sur la voie du haïku : «Ren­con­trant le haïku», dit-il dans une rare confi­dence 6, «je me mis à suivre le vent, à pour­suivre les nuages, à goû­ter les , les , et cette de­vint la de ma vie».

  1. En ja­po­nais 井上井月. De son vrai nom In­oue Kat­suzo (井上克三). Icône Haut
  2. p. 22 Icône Haut
  3. En ja­po­nais «行暮し越路や榾の遠明り». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «酒さめて千鳥のまこときく夜かな». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «妻持ちしことも有りしを着衣始». Icône Haut
  3. p. 21. Icône Haut

Issa, « Haïkus satiriques »

éd. Pippa, coll. Kolam-Poésie, Paris

éd. Pippa, coll. Ko­lam-, Pa­ris

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « Haïku »

éd. Verdier, Lagrasse

éd. Ver­dier, La­grasse

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « En village de miséreux : choix de poèmes »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « “Ora ga haru”, Mon Année de printemps »

éd. C. Defaut, Nantes

éd. C. De­faut, Nantes

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « Et pourtant, et pourtant : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Kawabata, « Première Neige sur le mont Fuji et Autres Nouvelles »

éd. A. Michel, coll. Les Grandes Traductions, Paris

éd. A. Mi­chel, coll. Les Grandes Tra­duc­tions, Pa­ris

Il s’agit d’«En si­lence» («Mu­gon» 1), «Pre­mière Neige sur le mont Fuji» («Fuji no hat­suyuki» 2) et autres œuvres de  3, écri­vain qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la . «Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des à l’, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute», dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami 4. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques , il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de . Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait «jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait» 5; ou alors, un à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : «Père, vous vous êtes levé de votre lit de pour nous lais­ser, à et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi?»

  1. En ja­po­nais «無言». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «富士の初雪». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 川端康成. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance», p. 61-62. Icône Haut
  2. «L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques», p. 45. Icône Haut

Mizubayashi, « Petit Éloge de l’errance »

éd. Gallimard, coll. Folio 2€, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Fo­lio 2€, Pa­ris

Il s’agit du «Pe­tit Éloge de l’» de M. , un d’expression fran­çaise (XXIe siècle). À l’âge de dix-huit ans, ra­conte M. Mi­zu­baya­shi, les in­times de M. Ari­masa Mori pro­vo­quèrent chez lui «un bou­le­ver­se­ment, un séisme in­té­rieur d’une force in­éga­lée» 1 et l’èrent d’une fa­çon dé­ci­sive vers le et la qui en est in­dis­so­ciable. M. Mori avait été le pre­mier qui avait vu, dans cette et cette culture, une re­traite pro­vi­soire où chaque Ja­po­nais pou­vait pui­ser des forces nou­velles pour faire ad­ve­nir un jour un État meilleur; le pre­mier qui avait fait le vœu so­len­nel de re­faire sa , de re­com­men­cer de zéro, en s’appropriant en­tiè­re­ment cette fran­çaise qui n’était pas la sienne, mais qu’il vé­né­rait. Dans «Ba­bi­ron no na­gare no ho­tori nite» 2, sous-ti­tré en fran­çais «Sur les fleuves de Ba­by­lone», M. Mori avait écrit : «Je dois avan­cer dans l’effort d’appropriation hum­ble­ment, pe­tit à pe­tit, même si j’ai à peine le ni­veau d’un pe­tit éco­lier ou d’un ga­min d’école ma­ter­nelle. Que les pa­roles pro­duites dans et à tra­vers la langue fran­çaise fi­nissent par de­ve­nir équi­va­lentes à la chose, tel est pour l’objectif à at­teindre. C’est seule­ment à ce mo­ment-là que le fond des choses se ré­vé­lera sous un nou­veau jour, s’incarnera dans une vie; un nou­veau poin­dra. Si je réus­sis à éprou­ver, un tant soit peu, ce sen­ti­ment-là, c’est ga­gné! Pour le reste, je dois ap­prendre comme un en­fant». Ainsi donc, de­vant l’exigence de la langue fran­çaise, qui lui ap­pa­rais­sait comme un moyen d’atteindre «le fond des choses», M. Mori avait ac­cepté — acte in­ouï pour un in­tel­lec­tuel formé au et en­sei­gnant à la pres­ti­gieuse Uni­ver­sité de Tô­kyô — de tout ré­ap­prendre et de se re­con­naître dans la si­dé­rante d’«un pe­tit éco­lier». M. Mi­zu­baya­shi fut frappé comme par la foudre par ce texte. À peine avait-il lu le pas­sage dont j’ai ex­trait les lignes pré­cé­dentes, qu’il crut y en­tendre un ap­pel à naître à «une nou­velle vie» par l’apprentissage du fran­çais; à pen­ser au­tre­ment son rap­port à l’autre, au monde; à s’arracher à sa langue na­tale, aux codes du confor­misme, de la sou­mis­sion, du im­posé qu’elle vé­hi­cu­lait; à goû­ter au plai­sir de la  : «Le texte de Mori me de­man­dait, de­puis la hau­teur in­soup­çon­née d’un dis­cours phi­lo­so­phique et sur un ton aus­tère dé­fiant toute at­ti­tude vel­léi­taire, si j’étais prêt à me lan­cer dans une telle aven­ture…; à m’offrir le luxe ou le risque d’une deuxième nais­sance, d’une se­conde vie im­pure, hy­bride, sans plus longue, plus aléa­toire, plus ex­po­sée à des ébran­le­ments im­pré­vi­sibles, plus obs­ti­né­ment ques­tion­neuse que la pre­mière — [au­to­suf­fi­sante], peu­plée de cer­ti­tudes, ten­dan­ciel­le­ment re­pliée sur elle-même et, par cela même, par­fois in­fa­tuée d’elle-même. Ma ré­ponse fut, sans une se­conde d’hésitation, oui!»

  1. «Une Langue ve­nue d’ailleurs», p. 28. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «バビロンの流れのほとりにて», in­édit en fran­çais. Icône Haut