Icône Mot-clefjournal intime

Mazilescu, « Le Magasin aux porcelaines »

dans « Liberté », vol. 16, nº 4, p. 12-15

dans «», vol. 16, nº 4, p. 12-15

Il s’agit du «Ma­ga­sin aux por­ce­laines» («Prăvă­lia cu por­ce­la­nuri») de M. , l’un des der­niers sur­réa­listes rou­mains. Exa­gé­rant un peu, je di­rais que la de M. Ma­zi­lescu a com­mencé et fini dans la ta­verne de l’Union des à Bu­ca­rest. La table où il s’asseyait chaque soir n’était pas seule­ment le coin de l’établissement où les plus co­pieuses quan­ti­tés de vodka étaient en­glou­ties; c’était éga­le­ment une sorte d’atelier, un cé­nacle lit­té­raire. Entre deux dis­cours tra­giques, em­pes­tant l’alcool, agré­men­tés de l’invocation de la belle Ro­dica, sa déesse et «la plus grande réa­li­sa­tion de [sa] » 1, ponc­tués, en­fin, de ju­rons, qu’il était le seul à pou­voir se per­mettre en l’éminente pré­sence de MM. Ma­rin Preda et Ni­chita Stă­nescu as­sis de­vant lui, M. Ma­zi­lescu dé­cla­mait sa toute der­nière poé­sie, tout en y opé­rant de pe­tites mais im­por­tantes re­touches. On l’appelait «le tailleur de dia­mants» 2, car il don­nait à sa poé­sie une pre­mière forme, puis il re­tran­chait, ajou­tait, sub­sti­tuait des mots pen­dant des mois, si bien que ses convives fi­nis­saient par l’apprendre par cœur en l’entendant ré­ci­ter si sou­vent. Comme tous les vers d’ivrogne, ceux de M. Ma­zi­lescu ap­pa­raissent tou­jours d’une fa­çon ou d’une autre in­ter­rom­pus, el­lip­tiques, in­ex­pli­ca­ble­ment ac­cro­chés à leur propre dif­fé­rente de la nôtre, échap­pant à la . In­fé­rieurs aux vers lu­cides si l’on veut, ils ont, ce­pen­dant, ce mé­rite qu’ils donnent la ferme convic­tion que la poé­sie, c’est la chose la plus es­sen­tielle qui soit, la chose qui se ré­veille le plus tôt et qui s’éteint en der­nier lieu en nous, quand bien même nous se­rions as­sis dans une ta­verne aux confins du ci­vi­lisé là où les map­pe­mondes in­diquent seule­ment «Ibi sunt leones» («Là se trouvent des lions») : «Qui donc se tient là au bord de l’abîme et dit et parle en re­gar­dant sans cesse à sa montre, comme un vieillard saisi de pa­nique à la tom­bée de la ? Ses pen­sées [sont] plus éteintes qu’une bou­gie éteinte. “Ibi sunt leones.” C’est là que se croisent en ef­fet les deux zones : [celle] de la vie et [celle] de la confiance in­com­men­su­rable en l’éternité. Par là, il pousse des . “Ibi sunt leones”», dit M. Ma­zi­lescu

  1. «Il se fera si­lence, il se fera soir», p. 13. Icône Haut
  1. En «șle­fui­to­rul de dia­mante». Icône Haut

Shiki, « Un Lit de malade six pieds de long (5 mai-17 septembre 1902) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Japon-Série Non fiction, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. -Sé­rie Non , Pa­ris

Il s’agit du «Un Lit de ma­lade six pieds de long» («Byô­shô ro­ku­shaku» 1) de Ma­saoka Shiki, de son vrai nom Ma­saoka Tsu­ne­nori 2, poète . Il ne fut pas, je crois, un grand au­teur; mais on ne peut lui nier d’avoir re­nou­velé l’intérêt pour le haïku, dont il fit à la fois une arme of­fen­sive et un ferme bou­clier dans sa lutte contre la tu­ber­cu­lose qui al­lait l’emporter à trente-cinq ans. Il cra­cha du dès 1889, ce qui lui ins­pira le pseu­do­nyme de Shiki 3le Cou­cou»), oi­seau qui, quand il chante, laisse ap­pa­raître sa gorge rou­geoyante. Sa pre­mière ten­ta­tive lit­té­raire fut un au titre ro­man­tique, «La Ca­pi­tale de la lune» («Tsuki no miyako» 4), qu’il alla mon­trer à Kôda Ro­han. Ce der­nier, au faîte de sa gloire, mon­tra une telle ab­sence d’enthousiasme, que Shiki se li­vra au dé­cou­ra­ge­ment et au déses­poir et re­nonça tout à fait au ro­man; mais étant un être im­pul­sif, il prit alors une dé­ci­sion qui al­lait chan­ger le reste de sa , puisque c’est au cours de cette an­née 1892 qu’il dé­cida, d’une part, de se consa­crer en­tiè­re­ment au haïku et, d’autre part, d’accepter un poste au jour­nal «Ni­hon» («Ja­pon») en tant que lit­té­raire de . Dans une co­lonne de ce quo­ti­dien, il dé­ve­loppa pen­dant une dé­cen­nie ses sur les an­ciens. Sa cri­tique fut in­flexible jusqu’à la du­reté, vé­hé­mente jusqu’à la . Il est même per­mis de se de­man­der s’il n’était pas en proie à quelque dé­mence lorsqu’il af­fir­mait «que Ki no Tsu­rayuki en tant que poète était nul, et le “Ko­kin-shû” — une af­freuse»; ou bien «que les vers de Ba­shô conte­naient le meilleur et le pire». En même que ces ar­ticles théo­riques, Shiki pro­dui­sit ses propres et in­vita ses lec­teurs à en faire tout au­tant : «Shiki s’[engagea] dans un tra­vail, au fond, de poé­sie col­lec­tive qui mé­rite d’être rap­pelé… Il de­mande aux lec­teurs d’envoyer leurs textes. Il les pu­blie, les cri­tique. D’emblée, la créa­tion n’est pas chose unique, mais cha­cun a le — et doit — com­po­ser dix, vingt, trente haï­kus dans la même jour­née, et avec les mêmes mots, les mêmes images… Ce qui donne des cen­taines de poèmes qui se­ront pu­bliés dans le jour­nal… En l’ de cinq ans, on verra ainsi se consti­tuer des di­zaines de groupes, pour ainsi dire dans toutes les ré­gions du Ja­pon», ex­plique M. Jean-Jacques Ori­gas 5. Aus­si­tôt après la de Shiki, ces groupes se virent re­lé­gués dans l’oubli; mais ils furent, un temps, le creu­set de l’avant-gardisme et de la ré­no­va­tion du haïku.

  1. En ja­po­nais «病牀六尺». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 正岡常規. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 子規. Par­fois trans­crit Chiki ou Šiki. Re­mar­quez que l’idéogramme se re­trouve à la fois dans Tsu­ne­nori et dans Shiki. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «月の都». Titre em­prunté au «Conte du cou­peur de bam­bous». Icône Haut
  2. «Une », p. 159. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome VI. Journal d’un poète »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit du «Jour­nal d’un poète» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Pamuk, « Istanbul : souvenirs d’une ville »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit d’«Is­tan­bul : sou­ve­nirs d’une ville» («İst­anbul : Hatı­ra­lar ve Şe­hir») 1 de M. , écri­vain pour le­quel le centre du est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 2. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 3. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 4, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre d’«Is­tan­bul illus­tré» («Re­simli İst­anbul»). Icône Haut
  2. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  1. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  2. id. p. 54-55. Icône Haut

le marquis Costa de Beauregard, « Journal de voyage d’un jeune noble savoyard à Paris en 1766-1767 »

éd. Presses universitaires du Septentrion, coll. Documents et témoignages, Villeneuve-d’Ascq

éd. Presses uni­ver­si­taires du Sep­ten­trion, coll. Do­cu­ments et té­moi­gnages, Villeneuve-d’Ascq

Il s’agit du «Jour­nal de voyage à Pa­ris en 1766-1767» du mar­quis , chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de , et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’ des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses «plai­sirs d’automne» 1. C’est là qu’il «ver­bait» avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’ en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses . Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs du ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la , ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait «les deux bras» de la fran­çaise, c’est-à-dire «sa et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère» 2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du . Au coin de la che­mi­née dé de , dont celle qui dit : «La , même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes» 3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses «Consi­dé­ra­tions sur la France» et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus et plus pon­déré, tan­çait le grand sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. «Quelles per­sonnes, bon ! Quelles soi­rées! Quelles conver­sa­tions!», se sou­vien­dra Maistre 4 avec .

  1. «Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs», p. 92. Icône Haut
  2. «Œuvres com­plètes. Tome I», p. 24-25. Icône Haut
  1. «Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs», p. 311. Icône Haut
  2. «Œuvres com­plètes. Tome XIII», p. 315. Icône Haut

le marquis Costa de Beauregard, « Un Homme d’autrefois : souvenirs recueillis par son arrière-petit-fils »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’«Un d’autrefois : sou­ve­nirs» du mar­quis , chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de , et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’ des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses «plai­sirs d’automne» 1. C’est là qu’il «ver­bait» avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’ en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses . Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs du ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la , ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait «les deux bras» de la fran­çaise, c’est-à-dire «sa et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère» 2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du . Au coin de la che­mi­née dé de , dont celle qui dit : «La , même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes» 3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses «Consi­dé­ra­tions sur la France» et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus et plus pon­déré, tan­çait le grand homme sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. «Quelles per­sonnes, bon ! Quelles soi­rées! Quelles conver­sa­tions!», se sou­vien­dra Maistre 4 avec .

  1. «Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs», p. 92. Icône Haut
  2. «Œuvres com­plètes. Tome I», p. 24-25. Icône Haut
  1. «Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs», p. 311. Icône Haut
  2. «Œuvres com­plètes. Tome XIII», p. 315. Icône Haut

Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome II »

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome I »

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

le père de Beaurecueil, « Je crois en l’étoile du matin »

éd. du Cerf, coll. Épiphanie, Paris

éd. du Cerf, coll. Épi­pha­nie, Pa­ris

Il s’agit de «Je crois en l’étoile du ma­tin» du père , re­li­gieux , grand connais­seur de l’. En en­trant dans l’Ordre de saint Do­mi­nique en 1935 et en en­ten­dant pour la pre­mière fois le père Chenu lui par­ler de l’, où il par­tit en 1946, com­ment le père de Beau­re­cueil au­rait-il pu sup­po­ser que sa pa­trie spi­ri­tuelle, sa pro­mise se­rait beau­coup plus loin, dans les de l’? l’y condui­sit pas à pas et presque sans qu’il s’en aper­çût. La «ren­contre» for­tuite d’un du XIe siècle apr. J.-C., An­sârî, fut dé­ci­sive. Le père de Beau­re­cueil n’y vit au dé­but qu’un bon su­jet d’étude à pour­suivre au couvent du Caire. Il en­tre­prit d’éditer ri­gou­reu­se­ment, à par­tir de tous les exis­tants, les textes ori­gi­naux d’Ansârî, en et en , ce mys­tique ayant écrit dans les deux langues. Il en ap­prit même les plus beaux pas­sages par cœur pour nour­rir ses ; ce­lui-ci par exemple : «Com­ment au­rais-je su que la est mère de la , et que sous une dé­cep­tion se cachent mille ?» 1, qu’il rap­pro­chait du psaume bi­blique : «Ceux qui sèment dans les larmes, mois­sonnent avec des cris de joie» 2. Ses tra­vaux ma­gis­traux lui va­lurent d’être in­vité à Ka­boul pour un sé­mi­naire sur An­sârî, en 1962. On lui sug­géra de res­ter, ce qu’il fit une bonne ving­taine d’années. La ville de Ka­boul, ren­dez-vous de tant d’ethnies, in­vi­tées à se re­con­naître, à vivre en­semble, avec évi­dem­ment tous les heurts pos­sibles, le fas­cina : «Ka­boul, ma fian­cée, mon épouse, dont je porte la bague, don­née il y a bien long­temps par un pe­tit bon­homme épi­lep­tique que j’avais fait soi­gner!… Quel d’ entre nous! Avec bien­tôt vingt ans de fi­dé­lité», écrit-il dans un hymne consa­cré à cette ville

  1. «Cris du cœur, “Mu­nâ­jât”», nº 28. Icône Haut
  1. «Livre des psaumes», CXXVI, 5. Icône Haut

le père de Beaurecueil, « Un Chrétien en Afghanistan. Nous avons partagé le pain et le sel • Prêtre des non-chrétiens »

éd. du Cerf, coll. Foi vivante, Paris

éd. du Cerf, coll. vi­vante, Pa­ris

Il s’agit d’«Un Chré­tien en » du père , re­li­gieux , grand connais­seur de l’Afghanistan. En en­trant dans l’Ordre de saint Do­mi­nique en 1935 et en en­ten­dant pour la pre­mière fois le père Chenu lui par­ler de l’, où il par­tit en 1946, com­ment le père de Beau­re­cueil au­rait-il pu sup­po­ser que sa pa­trie spi­ri­tuelle, sa pro­mise se­rait beau­coup plus loin, dans les de l’ Cen­trale? l’y condui­sit pas à pas et presque sans qu’il s’en aper­çût. La «ren­contre» for­tuite d’un du XIe siècle apr. J.-C., An­sârî, fut dé­ci­sive. Le père de Beau­re­cueil n’y vit au dé­but qu’un bon su­jet d’étude à pour­suivre au couvent du Caire. Il en­tre­prit d’éditer ri­gou­reu­se­ment, à par­tir de tous les exis­tants, les textes ori­gi­naux d’Ansârî, en et en , ce mys­tique ayant écrit dans les deux langues. Il en ap­prit même les plus beaux pas­sages par cœur pour nour­rir ses ; ce­lui-ci par exemple : «Com­ment au­rais-je su que la est mère de la , et que sous une dé­cep­tion se cachent mille ?» 1, qu’il rap­pro­chait du psaume bi­blique : «Ceux qui sèment dans les larmes, mois­sonnent avec des cris de joie» 2. Ses tra­vaux ma­gis­traux lui va­lurent d’être in­vité à Ka­boul pour un sé­mi­naire sur An­sârî, en 1962. On lui sug­géra de res­ter, ce qu’il fit une bonne ving­taine d’années. La ville de Ka­boul, ren­dez-vous de tant d’ethnies, in­vi­tées à se re­con­naître, à vivre en­semble, avec évi­dem­ment tous les heurts pos­sibles, le fas­cina : «Ka­boul, ma fian­cée, mon épouse, dont je porte la bague, don­née il y a bien long­temps par un pe­tit bon­homme épi­lep­tique que j’avais fait soi­gner!… Quel d’ entre nous! Avec bien­tôt vingt ans de fi­dé­lité», écrit-il dans un hymne consa­cré à cette ville

  1. «Cris du cœur, “Mu­nâ­jât”», nº 28. Icône Haut
  1. «Livre des psaumes», CXXVI, 5. Icône Haut

le père de Beaurecueil, « Mes enfants de Kaboul »

éd. du Cerf, Paris

éd. du Cerf, Pa­ris

Il s’agit de «Mes de Ka­boul» du père , re­li­gieux , grand connais­seur de l’. En en­trant dans l’Ordre de saint Do­mi­nique en 1935 et en en­ten­dant pour la pre­mière fois le père Chenu lui par­ler de l’, où il par­tit en 1946, com­ment le père de Beau­re­cueil au­rait-il pu sup­po­ser que sa pa­trie spi­ri­tuelle, sa pro­mise se­rait beau­coup plus loin, dans les de l’? l’y condui­sit pas à pas et presque sans qu’il s’en aper­çût. La «ren­contre» for­tuite d’un du XIe siècle apr. J.-C., An­sârî, fut dé­ci­sive. Le père de Beau­re­cueil n’y vit au dé­but qu’un bon su­jet d’étude à pour­suivre au couvent du Caire. Il en­tre­prit d’éditer ri­gou­reu­se­ment, à par­tir de tous les exis­tants, les textes ori­gi­naux d’Ansârî, en et en , ce mys­tique ayant écrit dans les deux langues. Il en ap­prit même les plus beaux pas­sages par cœur pour nour­rir ses ; ce­lui-ci par exemple : «Com­ment au­rais-je su que la est mère de la , et que sous une dé­cep­tion se cachent mille ?» 1, qu’il rap­pro­chait du psaume bi­blique : «Ceux qui sèment dans les larmes, mois­sonnent avec des cris de joie» 2. Ses tra­vaux ma­gis­traux lui va­lurent d’être in­vité à Ka­boul pour un sé­mi­naire sur An­sârî, en 1962. On lui sug­géra de res­ter, ce qu’il fit une bonne ving­taine d’années. La ville de Ka­boul, ren­dez-vous de tant d’ethnies, in­vi­tées à se re­con­naître, à vivre en­semble, avec évi­dem­ment tous les heurts pos­sibles, le fas­cina : «Ka­boul, ma fian­cée, mon épouse, dont je porte la bague, don­née il y a bien long­temps par un pe­tit bon­homme épi­lep­tique que j’avais fait soi­gner!… Quel d’ entre nous! Avec bien­tôt vingt ans de fi­dé­lité», écrit-il dans un hymne consa­cré à cette ville

  1. «Cris du cœur, “Mu­nâ­jât”», nº 28. Icône Haut
  1. «Livre des psaumes», CXXVI, 5. Icône Haut

« Vie de Jacques, comte de Vintimille, conseiller au Parlement de Bourgogne, littérateur et savant du XVIᵉ siècle »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de Jacques, comte de Vin­ti­mille, qui ne fut point comte, mais sa­vant et hel­lé­niste, et qu’on fe­rait mieux d’appeler du nom dont il si­gnait lui-même ses  : Jacques des Comtes de Vin­ti­mille 1 (XVIe-XVIIe siècle). Il na­quit dans l’île de Rhodes, en . Son père, Alexandre des Comtes de Vin­ti­mille, , s’étant fixé dans cette île, avait épousé une très noble et riche dame, des­cen­dante du des Pa­léo­logues, der­niers de , de la­quelle il avait eu plu­sieurs . Il croyait avoir ainsi éta­bli et as­suré son . «Mais lui mon­tra bien quelque après — comme il fait à tous — qu’il ne faut point prendre pied ès choses tem­po­relles, ni se fon­der ès biens [ter­restres] et fa­veurs de ce », com­mente Jacques 2. Car, en l’an 1522, les Turcs com­men­cèrent une fu­rieuse contre la chré­tienté, sous la conduite du sul­tan So­li­man; de sorte que l’île de Rhodes fut at­ta­quée par les Turcs; les biens et pillés; Alexandre en­cer­clé et griè­ve­ment blessé. Un che­va­lier chré­tien, George de Vau­zelles, , par­vint à le dé­ga­ger de la mê­lée, mais trop tard. Alexandre lui re­mit son épée et mou­rut dans ses bras, en mur­mu­rant : «Prends mon épée, je t’en conjure, je ne veux pas qu’un ou qu’un autre que toi la pos­sède» 3. Après la chute de Rhodes, la veuve du­dit Alexandre sor­tit dé­nuée de tout bien et fut contrainte de prendre la sans trou­ver de lieu où s’arrêter; et quand, mi­sé­rable, elle ne vou­lut plus ou ne put plus pour­voir à la nour­ri­ture de Jacques, son der­nier-né, le che­va­lier de Vau­zelles, par un mou­ve­ment de toute re­li­gieuse, dé­cida de prendre soin de l’enfant. Il l’emmena avec lui en et l’éleva comme son propre fils, en lui don­nant une conforme à sa haute nais­sance dans les écoles de Lyon, de Pa­ris et de Tou­louse. L’enfant pro­fita si heu­reu­se­ment, qu’il de­vint une des fortes têtes de son temps. Il tra­dui­sit de en fran­çais Xé­no­phon, Hé­ro­dien et Ly­sias. Son mé­rite re­connu lui ou­vrit l’entrée à la Cour de Fran­çois Ier et celle de son suc­ces­seur Henri II. «Voilà comme Dieu nous donne la et nous sauve des dan­gers, comme il lui plaît; et contre toute es­pé­rance nous mène et conduit en lieux où l’on n’a ja­mais pensé», com­mente Jacques

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Vin­te­mille. Icône Haut
  2. «Dis­cours de l’estoc et des Comtes de Vin­ti­mille», p. 29. Icône Haut
  1. En «Sume en­sem, pre­cor, ipse meum : ne Turca, nec ul­lus quam tu ha­beat». Icône Haut

Ôé, « Notes de Hiroshima »

éd. Gallimard, coll. Arcades, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Ar­cades, Pa­ris

Il s’agit de «Notes de Hi­ro­shima» («Hi­ro­shima nôto» 1) de M. . En 1963, le fils de M. Ôé, Hi­kari, nais­sait avec une im­por­tante mal­for­ma­tion crâ­nienne, et ses pers­pec­tives de étaient tout à fait im­pro­bables. D’autre part, un ami proche de M. Ôé, hanté par les d’une nu­cléaire qui mar­que­rait la fin du — vi­sions dont il rê­vait dans le som­meil comme il rai­son­nait dans la veille —, avait fini par se pendre à Pa­ris. L’écrivain était, en somme, com­plè­te­ment abattu. On lui de­manda alors un sur la Neu­vième Confé­rence mon­diale contre les nu­cléaires, qui se dé­rou­lait à Hi­ro­shima. Il s’y ren­dit, mais se dés­in­té­ressa vite de , pré­fé­rant al­ler, chaque jour, dans l’hôpital où étaient soi­gnés les ir­ra­diés et s’entretenir avec leur mé­de­cin-chef, Fu­mio Shi­getô 2, lui-même ir­ra­dié. C’est chez ce mé­de­cin-chef qu’il trouva le mo­dèle du « le plus au­then­tique qu’ait connu notre pays de­puis le bom­bar­de­ment» 3, ce­lui de l’ qui pour­suit ses tâches quo­ti­diennes en se gar­dant à la fois du déses­poir et de l’excès d’espérance, sans ja­mais se dé­cla­rer vaincu. En quit­tant la ville mar­ty­ri­sée une se­maine plus tard, M. Ôé avait revu de fond en comble son at­ti­tude à l’égard de son fils han­di­capé, ce qui al­lait abou­tir éga­le­ment à une trans­for­ma­tion ra­di­cale de sa lit­té­ra­ture. Il sa­vait dé­sor­mais qu’il te­nait une prise très ferme qui al­lait lui per­mettre, en se his­sant hors du trou de la où il était tombé, de s’acheminer à coup sûr vers la gué­ri­son. Et cela, il le de­vait en­tiè­re­ment à ses ren­contres avec «l’esprit de Hi­ro­shima» : «Une se­maine avait donc suffi pour que se pro­duise ce re­vi­re­ment si dé­ci­sif qui re­pré­sente à mes yeux une vé­ri­table “conver­sion” — abs­trac­tion faite de la conno­ta­tion re­li­gieuse que l’on peut don­ner à ce terme. À pré­sent, trente-deux ans plus tard, je re­con­nais de nou­veau le poids et la pro­fon­deur de cette », dit-il

  1. En ja­po­nais «ヒロシマ・ノート». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 重藤文夫. Icône Haut
  1. p. 230. Icône Haut